dimanche 5 juillet 2020

Remonter à la source.


Mubi a mis en ligne ce documentaire brésilien glaçant, LET IT BURN, qui offre un écho effroyable à la situation sociale, aujourd'hui au Brésil. Tourné il y a plus de quatre ans à Rio dans un vieil hôtel du centre ville recyclé en centre d'accueil pour personnes en perdition, alors que Bolsonaro n'était alors qu'une menace assez précise, mais pas encore élu, le film de Maira Bühler nous montre quelques instants pris sur le vif du quotidien de ces gens, majoritairement toxicomanes. Au générique de fin pourtant, un panneau nous indique qu'il n'a pas fallu attendre l'élection de ce général de carnaval pour que tous se retrouvent à la rue, le nouveau maire de Rio de Janeiro s'étant déjà chargé de fermer l'endroit et de foutre toute cette chienlit dehors.

On n'ose effectivement pas s'imaginer ce que ces gens sont devenus, une fois retournés à la rue, car ce que le film nous montre s'avère, déjà, déprimant. Ce centre ne leur proposait "que" la présence sur les lieux de quelques travailleurs sociaux, une chambre à soi, des locaux propres. Aucune interdiction d'accès aux différents trafics et à l'usage de drogues et d'alcools par contre, mais une sorte de protection contre les dangers du dehors. Parfois violents, paranoïaques, victimes d'abus, traînant toutes et tous un bagage affectif impossible à porter, LET IT BURN dessine quelques portraits poignants de gueules cassées comme il en existe dans toutes les villes du monde.

Déjà vu, certainement, mais comme les nouvelles fraîches de ce pays au temps du coronavirus et de l'abolition de toutes les libertés, et ainsi que la main-mise de plus en plus forte d'un régime répressif et policier en témoignent, cette population détruite de l'intérieure ne peut pas survivre au dehors, encore plus sous une menace policière permanente.

Ce que le film montre très bien, en premier lieu, c'est leur avide besoin d'amour, exprimée de la façon la plus désordonnée: par les coups, le décollage par le crack, par la baise ou par la parole. C'est toujours par là que bât blesse, le manque d'amour, et chacun se raccroche à ce qu'il peut, et à ce qu'il croit en être. Camé triste, camée violente et possessive avec son compagnon, camé devenu schizo à force de n'arriver à rien, camée qui a laissé vingt ans de sa vie derrière elle, et ses dix gosses, et se raccroche à une nouvelle histoire (peut-être) d'amour, camé possessif qui frappe tout ce qui lorgne de trop près à sa copine (et se fait rétamer). Au seul pensionnaire qui a l'air "à peu près" stable, les assistants demandent s'il ne laisserait pas sa chambre à une famille qui va bientôt arriver. Il refuse d'abord, rechigne, va réfléchir. C'est à lui qu'on le demande, pas à un autre: s'il est capable de déménager d'un étage, peut-être est-ce les prémisses d'un possible retour à la vie... "normale" ?

On pense parfois à LA CHAMBRE DE VANDA de Pedro Costa, immersion terrible sur plusieurs années dans le quotidien d'une toxicomane à Lisbonne, et si Maira Bühler a plutôt choisi de capter quelques moments d'un panel d'individus plutôt que d'un seul, la conclusion est identique: protéger ces gens d'eux-mêmes, sans aucun doute, mais de la violence du dehors bien encore plus.

Quand on n'a pas d'envie bien précise, retourner à l'essentiel... A LA SOURCE pour commencer, le film d'Ingmar Bergman que je préfère et qui inspirera, sans doute le saviez-vous déjà, l'affreux (dans tous les sens du terme) LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE de Wes Craven.

On ne pourra pourtant pas prétendre que LA SOURCE est le premier "revenge-porn" de l'histoire du cinéma, car les intentions du cinéaste suédois étaient certainement moins triviales que ça. Sur le papier, c'est vrai, cela pourrait se résumer à l'histoire basique d'un père fou de douleur qui massacre sans pitié ni discernement les assassins de sa fille unique. Mais en lieu et place des sadiques hyper-violents de Craven, on trouve trois frères chevriers, dont un gosse et un muet "à qui on a arraché la langue", dont les actes irréparables sont placés sous l'égide des superstitions, de la foi et de la destinée. Avant de faire cette mauvaise rencontre, la blonde et vierge Karin croise la route d'un drôle de vieux qui tient un moulin, sans doute sorcier, qui voit en la servante qui l'escorte quelque chose de fatal (avec ses airs de sauvageonne décoiffée, enceinte jusqu'aux yeux et ses manières de "feuler comme un chat sauvage" et de jeter des regards noirs autour d'elle, comme on jette des sorts; c'est cette diablesse de Gunnel Lindblom et sa sexualité animale qui endosse ce rôle, tout fait pour elle).

Comme LA SOURCE se déroule dans un moyen-âge incernable, comme l'était LE SEPTIEME SCEAU, le film joue de la foi et des croyances primitives d'une ère du christianisme livrée à la chasse aux sorcières et à la permanence des menaces de l'enfer dans, et après ce monde. Bergman y délivre toutes ses peurs, tous ses doutes quant aux valeurs de pureté, d'innocence, de pardon, sur la violence et la notion de vengeance, et si certains ont cru voir, et disserter ad nauseam sur la morale du film, que d'aucuns auront désigné comme judéo-chrétienne, il n'en va plus de cette évidence aujourd'hui.

A revoir ce chef-d'oeuvre, on se dit surtout que Bergman, à cette époque, était avant tout un animiste, qui croit plus en la force d'un courant d'eau glacée ou d'une tempête sur la moralité des hommes qu'un simple sermon. Une fois encore, on est soufflé par quelques images qu'on avait pourtant pas oubliées mais qui nous parlent autrement: Max von Sydow tombant à mains nues un arbre, dans sa fureur, pour s'en faire des branches et se fouetter dans un bain de vapeur, ou débarquant avec son long couteau dans la pièce où dorment les trois frères, un tablier d'équarrisseur par-dessus sa chemise. Des images, des scènes entières qu'on revoit une fois encore, avec une morale toute nouvelle, chamboulée. Quel film...


Et puis, maintenant que j'y pense, depuis quand je n'avais pas regardé CERTAINS L'AIMENT CHAUD en entier, moi ? Diffusé assez souvent pourtant, on avait presque oublié de vraiment le regarder, celui-là. C'est fait, et j'ai bien du pouffer tout du long sans m'arrêter. Une évidence s'impose: il aurait fallu attribuer le Prix Nobel de Littérature à Billy Wilder et son collègue I.A.L. Diamond pour les dialogues: ils sont à pleurer de rire. Il aurait fallu aussi donner le Prix Nobel d'Interprétation à Jack Lemmon pour l'occasion, quitte à l'inventer pour lui, il est à pleurer de rire.

(D'ailleurs, mais est-ce que Heath Ledger ne lui aurait pas volé son rire tout crispé pour son Joker ? J'ai rêvé ou quoi ?)

On n'a évidemment pas été surpris par l'absence totale de coup de vieux pris par le film malgré son grand âge, mais on a été soufflé, surtout, par son avant-gardisme très rentre-dedans concernant l'ambivalence sexuelle ambiante; ce qui relevait du gag permanent dans mon souvenir, s'avère en réalité être une charge particulièrement virulente, très réfléchie et bourrée au ras de la gueule de sous-entendus tous plus roués les uns que les autres: sûr que Wilder a du s'en payer une bonne tranche à faire ainsi la nique aux censeurs de Hollywood.

Voilà. Le plus grand Bergman, suivi d'un des meilleurs Billy Wilder; je viens de me refaire les niveaux, moi. En route vers de nouvelles aventures !

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