mercredi 24 février 2021

Il manquerait plus un tsunami...

 


De Katell Quillévéré, on gardait le souvenir d'un mélodrame étrange, - et très chargé -, une sombre histoire de famille désarticulée autour de deux frangines dont une tournait mal. Le film s'appelle SUZANNE, et même si on en gardait quelques impressions mitigées, il en restait quand même quelques émotions violentes.

Aussi n'est-on que moyennement surpris que ce soit elle qui se soit attelé à l'adaptation de l'édifiant bouquin de Maylis de Kerangal, avec son sujet en bêton, son riche aspect documentaire qui correspond à toutes les étapes, rappelons-le, d'une greffe d'organe. De la mort tragique d'un jeune homme déclaré en état de mort cérébral jusqu'au réveil de la femme qui aura hérité de son coeur, en passant par l'acceptation, par ses proches, de la perte et du don, des arcanes des hôpitaux à l'intimité du personnel, il ne nous sera rien épargné de cette débauche émotionnelle programmée.

Sorti en 2016, dans la foulée du triomphe remporté en librairie par le livre, votre serviteur n'avait pas tenté de se convaincre d'aller voir son adaptation en salle, et il avait bien fait. Passons sur le fait que tout triomphe littéraire faisant l'unanimité m'agace, et me semble toujours suspect d'une certaine paresse de goût, le livre de Kerangal (richement et honnêtement documenté, très bien écrit et construit), était à mes yeux également coupable d'une certaine jouissance à jouer la carte de l'empathie permanente. Comme me le disait d'ailleurs un client que j'aimais bien, et qui partageait avec moi bon nombre de (bons et mauvais) goûts: il manquerait plus un tsunami, et ce sera complet.

Le tsunami, justement, la cinéaste l'ose lors de la scène de l'accident. Scène impressionnante d'ailleurs où une route nationale sur laquelle roulent les trois jeunes surfeurs de retour de leur spot, se métamorphose en énorme vague qui viendra les prendre de plein fouet. Quillévéré est habile pour susciter l'émotion et elle n'a, ici, qu'à se baisser. 


Si bien que le couple de parents endeuillés, incarné par l'improbable tandem Emmanuelle Seigner - Kool Shen, n'a pas à en faire beaucoup pour qu'on sanglote avec eux. Que Bouli Lanners soit chirurgien urgentiste n'est pas grave non plus, et que la femme malade du coeur jouée par Anne Dorval ait deux fils très dissemblables et renoue, juste avant son opération, avec un ancien amour, a autant d'importance que si cela avait été quelqu'un, ou quelque chose d'autre.

A pareil film au déroulement si bien programmé, jusque dans son souci de jouer en permanence la retenue (ce dont on lui sait gré), on n'en retire pas grand chose d'autre que des "la vie est cruelle, parfois" et autres "quelle organisation il faut quand même, pour arriver à pareil miracle". Les hommes sont capables de grandes choses parfois, c'est sûr.

Côté cinéma, on retiendra juste ce moment où Tahar Rahim, décidément le comédien le plus intense de sa génération, interrompt de manière autoritaire le cours des opérations, mouchant au passage le grand chirurgien qui se la pète, pour effectuer ce geste promis aux proches de Simon, 17 ans, dont le coeur va être enlevé; lui mettre des écouteurs sur les oreilles, pour qu'il entende une dernière fois le bruit des vagues..

Il y a bien, aussi, Dominique Blanc, toujours aussi juste. Un échange de regards troublants entre un des deux fils et l'ancienne maitresse de leur mère, une échauffourée entre un toubib et une infirmière qui parle de sous-effectifs (ah bon ?...) il y a des moments justes. quelques organes et, peut-être, trop de corps,- et de gens - parfaits. Un suçon égaré dans le cou d'une infirmière un peu rêveuse, aussi. C'est déjà pas si mal.



mardi 23 février 2021

James Bond, ringard !

 



Mais pourquoi regarder un film réalisé par cette vieille ganache de Ronald Neame ? Qui ça ? Neame, un nom qui dit vaguement quelque chose et puis ça nous revient, on ricane: ah oui, le réalisateur de L'AVENTURE DU POSEIDON et de METEOR, films-catastrophes emblématiques de ces pénibles années 70... Oui, mais pas que... Quand on regarde mieux, on s'aperçoit que cet éminent sujet de sa Majesté a été un producteur prolifique, un chef-opérateur très demandé, et qu'il réalisa quelques films dignes de ce nom: une adaptation de Somerset Maugham par ci (LA PASSE DANGEREUSE), un Dickens par là (SCROOGE). Pas de quoi grimper sur le guéridon de mamy non plus.

Et alors, pourquoi aller voir ce JEUX D'ESPION, sorti en 1980 dans une indifférence à peine polie, pourquoi ? Parce que Walter Matthau, bien entendu. Comédien unique à Hollywood, il fut le seul, bien mieux que Tony Curtis, à tenir la dragée haute au grand Jack Lemmon en personne, dans les comédies immorales de Billy Wilder. Grandes paluches de pianiste toujours à l'affût d'un verre à attraper, une patate écrasée en guise de nez et une démarche quasi-boiteuse du cossard qui a le nerf sciatique coincé d'après-sieste, Matthau a toujours l'air de n'en avoir rien à foutre.


Ce qui était vrai ! Acteur lymphatique au jeu toujours "à côté", jouant de sa gueule élastique et d'éclats de voix imprévus, l'homme était surtout passionné par les jolies femmes et les tables de jeu où il était, parait-il, une gâchette de niveau international.

Quoi qu'il en soit, quelle belle rencontre que celle du digne réalisateur britannique en fin de carrière et de ce grand nigaud qui, malgré un âge déjà certain, continuait à jouer le duduche dégingandé comme personne. Cela faisait longtemps que je n'avais autant ri à une comédie policière.

Comédie d'espionnage, plutôt. Soit Miles Kendig, as de la CIA qui vit les dernières heures de la guerre froide en toute coolitude. Il chope des micro-films en sifflotant du Mozart, vanne un peu son vis-a-vis russkof (Herbert Lom, le souffre-douleur de Peter Sellers dans les Panthère Rose), qu'il connait comme sa poche, se retrouve parfois en sa compagnie à trinquer à la vodka sur un banc public, et retrouve de temps en temps son Isobel von Schönenberg chérie, espiègle veuve anglaise d'un richissime autrichien pour des parties enflammées de gin-rami où ils jouent de l'argent. 

 - Tu me dois 165 dollars, mon chéri...

 - Tu acceptes les règlements en nature ?...

 - Tu crois que ça suffira ?...

Leurs joutes verbales, où il est également question de libido en pantoufles et de prostate contrariante, sont à croquer. 

Isobel possède également un doberman adorable qui ne grogne que les gens que sa maitresse n'apprécie pas (mais avec Miles, ça va).


Et puis, cela se corse, façon de parler, lorsque son chef de service, un abruti pré-trumpiste autoritaire et prétentieux (c'est Ned Beatty, que des beaufs faisaient couiner dans DELIVRANCE, souvenez-vous), tente de le coller dans un placard parce qu'il a été photographié à papoter avec l'ennemi. S'enclenche ici une course-poursuite nonchalante entre Kendig, bien décidé à emmerder le monde, et les services secrets américains. 

On voit ce qui a plu à Matthau dans le script espiègle de JEUX D'ESPIONS. Parfois, il rappelle le personnage chafouin qu'il incarnait dans CHARADE, où il se faisait des tartines de camembert en roulant dans la farine Audrey Hepburn. Toujours un verre de bière, de vin, de whisky ou d'autre chose à la main, à croquer une pomme au volant de sa décapotable, il n'arrête pas de chantonner des airs d'opéra, de siffloter du Bach, semant des peaux de bananes sur lesquelles ses anciens collègues n'arrêtent pas de s'étaler.

On notera que ceci est un film anglais, avec une star connue pour ses convictions très démocrates, et une autre vedette, Glenda Jackson, ex- pin-up 60's reconvertie très tôt égérie rouge coco, qui a du prendre un pied phénoménal à jouer dans cette farce anti-impérialiste de la plus belle eau.

C'est dialogué avec peps, c'est souvent digne des meilleures screwball comedies de l'âge d'or.

- J'ai décidé d'écrire mes mémoires. Je vais balancer toute la vérité.

- Moi qui croyais que tu vivais dans une fiction...

En 1980, c'était encore le bon temps des James Bond peroxydés de Roger Moore, et question gadget JEUX D'ESPIONS se moque ostensiblement du monde. Aussi assiste-t-on à la course-poursuite extravagante entre un hélicoptère et un avion de tourisme, au-dessus des falaises de Calais. Dans le premier, le boss de la CIA, furibard, qui défouraille à tout-va avec son 357, et dans l'autre: personne, puisque c'est Kendig qui pilote le bolide d'en bas, avec sa télécommande. Tout en chantonnant du Verdi et en mâchant un chewing-gum, évidemment.

A noter que quand il lui arrive de fuir quelque chose en courant, on dirait votre grand-tante embarrassée par ses talons hauts et un début d'arthrose.

Jason Bourne, 007 et Ethan Hunt ne pourront pas comprendre, mais n'ont qu'à bien se tenir.