dimanche 26 février 2023

LA ROMANCIERE, LE FILM ET LE HEUREUX HASARD (et le plus grand cinéaste du monde).


 

Un film de Hong n'arrive jamais seul. A peine a-t-on eu le temps de rater son avant-dernier (Juste sous vos yeux, sublime parait-il), de me remettre de la légère déception causée par son avant-avant dernier (Introduction, sorte de brouillon de croquis de film) qu'on nous annonce l'arrivée du prochain, montré actuellement à Berlin et qui a fait chuter quelques spectateurs de leur strapontin: il paraitrait que Hong y travaille la profondeur de champ en filmant flou ses personnages et du net en second plan. Quel joueur celui-là. Hâte de voir ça.


Avec La romancière..., on est quasiment en terrain connu. Un film de rencontres, filmé dans des espaces qu'on a déjà aperçu dans d'autres de ses films. selon un système coq-à-l'âne en apparence très simple mais qui se dérègle en fonction des humeurs et des caractères de chacun. Lorsque Kim, romancière reconnue vient rendre visite à sa vieille amie qui possède une librairie à Séoul, c'est pour sympathiser avec l'employée de celle-ci et s'amuser à composer de jolies phrases en langue des signes. Première scène merveilleuse.

Lorsque Kim rencontre inopinément un cinéaste qui fut à deux doigts, jadis, d'adapter un de ses livres, c'est pour faire aussitôt une autre rencontre avec Kilsoo, une célèbre actrice qui a abandonné le cinéma depuis quelques années. Là, il faut voir comment Kim, qui possède son petit caractère pète-sec, évacue le cinéaste contre lequel elle a une dent (elle lui reproche de ne pas avoir assez défendu leur projet commun de film au profit de ses petits intérêts personnels), comment le neveu de Kilsoo se greffe alors à la promenade, comment ils décident de monter un projet de court-métrage ensemble (le neveu est étudiant en cinéma), et comment Kilsoo et Kim se retrouvent au gré du hasard à un repas dignement arrosé en compagnie de Mansoo, doux poète alcoolique chez leur amie commune, la libraire du début.


On est comme à la maison. Ce même noir et blanc que dans Hotel by the river, ce même quadrillage des scènes et des rencontres que dans La femme qui s'est enfuie, le même quartier que Le jour d'après et pourtant, c'est une tentative encore nouvelle, encore une autre, et une autre grande scène de repas bien arrosé, ancienne spécialité et première marque de fabrique de Hong.

Comme toujours chez lui, plus les motifs sont habituels, plus la trame semble petite, plus apparaissent comme grandioses ces trouées dans la narration qui nous collent des vertiges infinis. Ici, lors d'un dénouement assez attendu après une longue ellipse, notre trio improvisé l'actrice - la romancière - l'étudiant en cinéma viennent d'achever leur film, et Kilsoo se rend seule en salle de projection pour le découvrir. Un cut inattendu, alors que Kim et le neveu sont partis prendre l'air sur les toits, insère un bout de film dont on croit d'abord qu'il s'agit d'un extrait de celui que Kilsoo est en train de regarder. Mais il s'agit d'autre chose: l'actrice ramasse des fleurs lors d'une promenade en compagnie d'une vieille dame, approche le bouquet de la caméra (et là je vous le jure, Kim Minh-hee n'a jamais été aussi belle) et on entend la voix de Hong Sang-soo lui dire: "Je t'aime, je t'aime". 



Cela faisait un moment, effectivement, que plutôt à Rohmer auquel il a été longtemps rattaché, le style de Hong fait plutôt penser aux hardiesses formelles d'Alain Resnais.

Dommage qu'il filme en noir et blanc, lui dit alors sa muse, les couleurs du bouquet sont si jolies. Qu'à cela ne tienne, le temps d'un petit réglage et Hong rend les honneurs à la couleur et ce sera tout: on peut aussi faire du cinéma par amour.


Que dire de plus si ce n'est que ce cinéaste n'a pas fini de m'en faire voir. L'inventivité permanente comme la profonde humanité de son cinéma n'ont aucun égal aujourd'hui. En me retrouvant une nouvelle fois bouche bée devant un de ses films, en brassant dans ma mémoire de cinéphile qui se dit parfois qu'il en voit trop et confondant très souvent ses films entre eux, je me disais qu'un jour peut-être, Hong Sang-soo qui est loin d'être le cinéaste le moins hardi du monde, tentera de faire un film, voire plusieurs, avec des bouts de ses autres déjà réalisés.

De lui on peut s'attendre à tout et même en s'attendant à tout, il arrive encore à nous surprendre et à nous émouvoir. Le plus grand c'est lui, un point c'est tout.




mercredi 22 février 2023

LA FEMME DE TCHAIKOVSKI, celle qui s'est mariée toute seule.


 

L'histoire est peu connue, du moins de celles et ceux qui comme moi s'attardent peu ou pas du tout sur les biographies amoureuses des artistes, mais elle est cruelle. C'est celle d'Antonina, jeune fille de milieu modeste qui tomba raide dingue d'un homme qui ne voulait pas du tout d'elle, un certain Piotr Tchaïkovski.

La femme de Tchaïkovski commence par cet intertitre qui nous replace dans le contexte d'un époque, la fin du XIX° tsariste, où les femmes ne comptaient alors pour rien et n'étaient identifiées que comme "femmes de" sur le passeport de leur mari. Les suffragettes anglaises avaient beau avoir commencé leur travail de sape des mentalités étriquées, il y avait encore de la distance entre Londres et Moscou.

On espère que Kirill Serebrennikov, dont on comprend un peu la trajectoire entre Le disciple, le rock'n'roll LetoLa fièvre de Petrov et ce film à costumes se soit fixé comme objectif une stigmatisation des maux de la société russe qu'ils soient d'un autre siècle, d'aujourd'hui ou de l'ère soviétique. D'où son exil hors de la Poutinerie, et le capital sympathie auprès des occidentaux acquis à cette occasion. Reste que s'il s'agit ici pour lui de dénoncer la place des femmes en 1890 en prenant cet exemple-là, la démonstration est un peu maigre.


Car la jeune, belle et enthousiaste Antonina s'amourache certes d'un grand homme, d'un génie dont la notoriété n'était pas encore absolue mais en passe de devenir immense, elle se jette dans la gueule (bien que sans trop de dents) d'un loup séduisant qui, - il le lui dira d'emblée - n'a jamais aimé de femme, et n'a d'autre intérêt que la bamboche, la musique et les amours interdits. Tout juste pourra-t-on lui reprocher cette fatale concession à la bienséance de son temps (prendre femme) afin de servir de paravent à sa nature profonde, mais l'insistance d'Antonina à l'épouser lui, et personne d'autre, sera la source de son malheur (à elle).


Des malheurs qui ne seront pas rien, entre existence misérable (Tchaïkovski ne lui laissa pas grand chose), refus du divorce,  concubinage malheureux avec un avocat qui lui fera trois gosses, tous morts à l'orphelinat, et une fin de vie enfermée dans un asile. Le film porte tout entier sur ses épaules le poids de la misère de cette femme, laissant de côté la vie du compositeur qui termina la sienne comme il l'avait commencé: sans se soucier d'elle. 

Un angle mort dommageable à l'équilibre du film, et à son honnêteté, car si on saisit sans trop d'effort le caractère sulpicien et exemplaire de cette Fantine moscovite (mâtinée d'Emma Bovary montée à l'envers: un superbe mari indifférent d'un côté, un amant lamentable de l'autre), on aurait aimé aussi voir une description du caractère singulier du bonhomme, cantonné ici à une ombre intermittente. Il faut croire que Serebrennikov n'a pas voulu confronter l'homme à l'artiste. Etait-il un simple jouisseur inconséquent, un type "hors-sol" continuellement dans la lune, un sociopathe égocentré ou un cas d'autisme particulier, incapable de faire le lien entre ses émotions et celles des autres ?





Le film est séduisant, il fait pour cela des pieds et des mains entre une reconstitution d'époque soignée, des plans comme des tableaux (on pense beaucoup à ces toiles d'intérieurs ou de portraits bourgeois signés Sargent ou Emile Friant qui font les couvertures des éditions de Zweig, Tchékhov ou Marai)), des moments de grâce ou d'extase qu'on pourrait presque juger exagérés (la curieuse scène où l'ami décadent de Tchaïkovski offre à Antonina le choix entre cinq prostitués à poil au milieu de son salon, le final chorégraphié et dansé, ultime expression des aspirations romantiques rêvées de l'héroïne), La femme de Tchaïkovski est un film qui séduit, mais laisse au final comme l'impression d'avoir traversé un appartement superbe un peu vide, et très mal aéré.

Restent une certaine virtuosité de la mise-en-scène, qu'on jugera pour le coup assez vaine, une superbe photographie signée Vladislav Opelyans et une Antonina Tchaïkovski, née Miliukova, incarnée par l'excellente Alyona Mikhailova.


dimanche 19 février 2023

LA MONTAGNE ou le sommet des abysses

 


On ne prétendra pas que Thomas Salvador est un cinéaste qui s'agite beaucoup pour qu'on l'aperçoive, on dira même sans grand risque de se tromper que ce garçon est un grand contemplatif qui aime prendre son temps. Huit ans ont passé depuis son précédent film, le très audacieux et très réussi Vincent n'a pas d'écailles où notre comédien-cinéaste passait son temps dans l'élément liquide, mu par une nécessité folle d'être mouillé tout le temps.

La montagne, comme son titre l'indique, le voit donc changer d'élément et se muer tout à coup en alpiniste de l'extrème (et vu ce qu'il fait dans le film, les énervés de l'Annapurna peuvent retourner au niveau de la mer illico, ils ne lui arriveront jamais à la cheville). Pierre, jeune quadra ingénieur-cadre dans une société de robotique, se rend à Chamonix pour rencontrer des clients. Sur un coup de tête, il décide de rester un peu avant de remonter sur Paris, s'achète tout le matériel qu'il faut et file vers le Pic du Midi dont il mettra un temps fou à redescendre.

Sur ce principe de base fort simple, le film opère dores et déjà un slalom élégant pour éviter les poncifs du genre (crise de l'âge, remise en cause du citadin et de son train de vie au contact de la Nature, la vraie, redonner un sens à sa vie, tout ça...), évacuant derechef le sujet lors d'une réunion de famille improvisée où sa mère et ses deux frères, montés exprès pour le rencontrer et savoir si c'est grave ou pas, ont vite fait de se rendre compte que Pierre, à défaut de savoir vraiment ce qu'il fait, semble d'un calme fort résolu.


Dès lors se dessinent les marques d'une mise-en-scène élégante, tout à l'économie, qui nous fait découvrir un lieu que le cinéaste a vite fait de quadriller en un tour de main. La ville, le téléphérique, la passerelle jusqu'au pic, son restaurant, le chemin qui descend jusqu'au camp de base où les montagnards plantent leurs tentes, le glacier qu'il faut traverser et derrière, les sommets. Tout le monde ne sait pas faire ce que Salvador réussit en un tour de main: définir un espace, des distances et le temps qu'il faut pour les traverser. En plus d'être superbement photographiées (avec un certain Victor Pichon pour les prises de vue en haute montagne, bravo à lui), les Alpes que filme ici Thomas Salvador méritent amplement d'être vues sur grand écran.

Il existe une mouvance souterraine dans le cinéma français aujourd'hui, loin du star-système et qui ne doit pas toujours déclencher de fols enthousiasmes auprès des comités d'avances sur recettes, mouvance qui redessine les pourtours d'un cinéma de genre, fantastique au sens littéraire du terme, et qui ne s'embarrasse pas (ne peut pas s'embarrasser) de gros budgets (les récents Jacky Caillou, Teddy, voire le Incroyable mais vrai de Dupieux). Laissant le grand spectacle aux grosses machines hollywoodiennes, qui tournent de plus en plus en rond, et qui ont d'ailleurs abandonné le genre aux seuls mécanismes du gore et de l'effroi (avec pour exceptions notables le fantastique "politique" de Jordan Peel et l'inamovible Shyamalan, seul dans ce désert).


C'est fou, mais le seul auquel on puisse raccorder le film de Thomas Salvador, c'est Abyss de James Cameron, son plus grand film si on écarte les 10 dernières minutes spielbergiennes et gâte-sauces avec, souvenez-vous, ces folles petites méduses à néon, bienveillantes comme tout, qui éblouissaient le regard et filaient à toute allure vers les fonds de l'océan. Les formes molles, lentes et scintillantes, à mi-chemin entre l'étoile de mer fluo et des blocs de lave, qui guident Pierre vers l'intérieur des sommets sont les petites cousines des créatures de Cameron. Ce que le cinéaste américain n'avait pas voulu filmer, reculant devant sa propre audace et renonçant à fusionner son héros avec l'Océan au détriment du happy-end, Salvador le fait en une folle séquence, assez longue et tout à fait silencieuse, qui confirme ce que l'on pressentait depuis son premier long-métrage: cet homme s'occupe à ne filmer que du jamais-vu.


C'est beaucoup pour un film qui passe en ce moment presque inaperçu, victime de la discrétion de son auteur et qui a eu du mal à retenir l'attention médiatique au contraire de maintes sorties tapageuses (dont, justement, un dernier Cameron toujours plus dopé au numérique). Au visage serein de l'acteur, très bon dans la composition de ce grand calme lunaire, à la fois stoïque et curieux, l'excellente Louise Bourgoin oppose l'apparente rudesse d'une beauté sûre d'elle (c'est fou comme une belle femme comme elle, au regard si noir, peut vous faire chavirer dès qu'elle sourit), qui s'avèrera être l'autre but, caché celui-là, des pérégrinations folles de ce héros plus téméraire que bien d'autres.

L'amour sourit aux audacieux.

Comme l'a dit récemment et en substance le grand Luc Moullet à propos du Bruno Reidal de Vincent Le Port, gros succès critique mais petit échec commercial quand même: peu de gens ont vu ce film en salles, mais il sera encore vu dans 40 ans. Pour La montagne, pareil.



mardi 7 février 2023

Tar


C'est l'histoire d'une chef d'orchestre assez peu sympathique mais géniale (elle dirige le Philarmonique de Berlin, quand même) qui achève son enregistrement de la 5° de Mahler, la dernière qui lui reste à diriger. Autour d'elle, une assistante dévouée prête à tout pour obtenir le poste de second chef (Noémie Merlant), un autre chef qui lui fait de la lèche afin d'obtenir ce même poste (Mark Strong), le vieux chef qui fut son mentor et avec qui elle dîne souvent et qui l'éclaire de ses bons conseils (Julian Glover), une jeune violoncelliste russe prodigieusement douée dont les dents rayent le parquet et pour qui la grande Lydia Tar semble éprouver un béguin profond (Sophie Kauer), son épouse Sharon (Nina Hoss), premier violon du Philarmonique qui abuse des cachetons et s'occupe de leur petite fille, et le fantôme jamais présent mais encombrant d'une jeune femme suicidaire qui la harcèle de textos après avoir été son élève (son amante ?) et s'être faite jeté comme une malpropre.

Bref, Lydia Tar est une gagnante, une perfectionniste, une femme qui ne vit que pour son art, une ogresse qui dévore son monde et ne laisse que des miettes à ses poursuivants comme à son entourage. Volage, impérieusement autoritaire et sûre d'elle même, elle n'a que Bernstein à la bouche lorsqu'il s'agit de parler de l'art de jouer Malher, mais ce sont les 33 tours des versions de Karajan et Abbado qu'elle scrute avec avidité, car elle voudrait trouver une pose pour la pochette du futur disque qui leur ressemble ou plutôt: les dépasse.


De tous les plans, d'absolument toutes les scènes, Cate Blanchett incarne avec un appétit de lionne cette perfectionniste en acier trempé pourtant parcourue de quelques failles internes. Le spectateur peu familier de ce petit monde ô combien élitiste, qui roule en Porsche et n'arrête pas de traverser l'Atlantique en jet privé, qui cherche la petite bête dans le moindre enchaînement, le plus petit bécard, ne parlera qu'à la plus infime proportion de mélomanes existants, ainsi qu'aux petits prétentieux.

Or voyez-vous, et même si ce film débute par une série de dialogues pointus sur la musique (entre chefs, entre Lydia et un journaliste spécialisé, entre Lydia et un groupe d'étudiants), notez bien ce que j'avance: Tar n'est pas un film sur la musique. Tant pis si vous ne saisissez pas la petite moquerie sur Mort à Venise, pas grave si vous ne reconnaissez l'imitation marrante que fait Lydia du jeu de Glenn Gould, n'importe si vous ne voyez pas quelle importance a pu avoir Alma dans la vie du grand Mahler; ce qui se joue est ailleurs, sur un plateau où il s'agit,  justement, de bouffer la reine.



Tar pourrait être cinéaste, chef d'entreprise, vedette des médias, ballerine ou Prix Nobel de Littérature que le propos serait le même. Le film de Todd Field tient à nous montrer par quels biais tordus on peut faire tomber une icône, à l'heure des réseaux sociaux, de #metoo ou  des imprécations woke. Grande idée que d'avoir emmené Blanchett dans ce projet car la comédienne, par ailleurs co-productrice du film, est connue pour ses prises de position sur la place qu'on assigne aux femmes à Hollywood, et elle incarne ici une quinqua lesbienne peu sympathique, histoire de la faire boucler aimablement aux franges les moins aimables des mouvements féministes et autres.


Tar est donc une femme, et cela n'aurait pas été le même potage si Todd Field avait imaginé... un personnage de cinéaste polonais (ou juif new yorkais disons) hétéro, par exemple, aux prises avec un quelconque scandale sexuel. Petit pas de côté bienvenu (oui, les femmes peuvent être des vipères ou des crotales, comme les hommes), et si le cinéaste a choisi le monde de la musique classique comme cadre, j'ai comme ma petite idée... 

Comme toujours, le principal se niche dans les détails... Suivez-moi...


Au retour de son entretien-conférence ou elle a discuté le bout de gras avec un journaliste fort affable, son assistante Francesca lui fait cette petite remarque qu'elle n'aurait pas du minimiser le rôle d'Alma Mahler dans le travail de Gustav, elle qui voulait composer elle aussi, et dont les ambitions ont été bouffées toutes crues par son homme. Ce à quoi Lydia Tar rétorque en substance: "Eh oh, c'était une grande fille, si elle avait voulu s'émanciper, elle n'avait qu'à le faire". Si moi j'ai réussi, elle n'avait qu'à faire pareil.  Voilà ce que c'est d'être une carriériste forcenée !

Cerise sur le gâteau, cette grande scène  assez inoubliable où, lors d'une master-class de direction d'orchestre qu'elle donne à des étudiants de la Julliard School, elle tombe sur un phénomène de musicos coinços qui se définit lui même comme "mâle "&?//!zbleurg-genré" (excusez mais j'ai zappé le terme) qui en tant que tel , texto, "refuse" de jouer Bach, ce mâle cisgenre trop XVIII° siècle pour lui qui planta sa graine 20 fois et astreignit de fait son épouse au foyer pendant que monsieur allait s'éclater sur son clavecin dans la pièce d'à côté.


C'est vrai que je ne sors pas beaucoup, mais dites-moi pas que ça existe vraiment, des specimen pareils ? Là-dessus, Lydia Tarr le sermonne un peu, se moque, finit par s'acharner plus qu'il ne faut sur ce jeune homme qui n'a pas l'habitude de se faire bousculer de la sorte par une telle figure d'autorité, et l'épisode aura des conséquences dévastatrices plus loin dans l'histoire.

Pour finir il y a ce moment que je préfère, lorsque Lydia informe le chef à la retraite, le vénérable Andris Davis, qu'elle veut faire "tomber" son chef d'orchestre remplaçant, le jugeant un peu finito sur les bords. Là, le vieux maestro la met en garde avec de mots à peine couverts. Il lui explique que lui-même, du temps de sa splendeur, avait pris un soin infini à toujours laisser enfermés ses démons dans un placard. Il lui rappelle ce qui arriva à Wilhelm Fürtwangler, pourtant le plus grand de tous, qui paya d'avoir continué à diriger le Philarmonique sous le III° Reich malgré son refus de faire le salut nazi et de se séparer de ses musiciens juifs, et qui finit par diriger un orchestre clandestin après guerre... dans un cimetière, à l'abri des regards.



Comme Lydia, le Wilhelm: tout pour la musique, rien que la musique.

Cette image du grand chef entretenant sa passion dans un cimetière au clair de lune renverra au dernier plan du film, d'une belle cruauté là aussi mais qui fit soupirer de mécontentement la moitié de la salle où je me trouvais. Finir par tant de laideur...


Point amusant que je vous rapporte en loucedé, lors d'échanges dans un groupe FB cher à mon coeur sur Tar, je suis tombé sur ces mots d'un contradicteur (autrement dit qui n'avait pas le même avis que moi sur ce film, mais ce fut exprimé en termes forts courtois) qui se demandait comment on pouvait cautionner un personnage qui se rendait coupable, à ses yeux, de harcèlement sexuel. Ce qui est drôle, car je ne me suis même pas levé une seule fois pour aller faire pipi, ni refaire mes lacets lors de la scène cruciale, mais ce trait-là n'apparait nulle part. C'est une réaction en fait assez passionnante, qui résulte finalement de tout ce qu'on ne sait, pas, ne saura jamais, n'est pas exprimé dans le film au sujet de cette fameuse étudiante "harceleuse" et suicidée avec qui Lydia Tar eut une histoire compliquée. Oui, mais laquelle ? On ne le saura jamais, et l'imagination de ce spectateur aura fait le reste.

Pour le reste, on sera gré à Todd Field de nous avoir épargné le grand numéro à la Daren Aronofsky sur l'artiste et son double, sur la schizophrénie du créateur partagé entre son Soi et son Art, même si on tremble parfois à ce que le film déroule une fantasmagorie à la Black Swan. Juste quelques embardées vers de simples cauchemars, - histoire de nous expliquer que, quand même, Lydia n'est pas tout à fait tranquille avec sa conscience - , un passage marquant où l'égoïsme et l'absence d'empathie du personnage, comme son hygiénisme maladif, éclatent lors de sa confrontation avec une voisine dérangée. On adore aussi ce moment où Lydia, après s'être perdue dans les caves d'un immeuble désaffectée et prise de panique, se bousille la figure toute seule comme une grande en courant dans les escaliers. Détail amusant (enfin non, pas vraiment...), elle laissera croire à tout le monde qu'il s'agit là d'une agression dont elle s'est déjà remise. Quelle femme !


Il faut en faire, de ces trucs, pour être une femme libérée (et là nous vient les paroles d'une chanson bien connue sur un rythme de reggae que je vous laisse chantonner vous-même).

Enfin un film américain très politique qui n'y va pas de main morte, pour stigmatiser ce qu'on redoutait depuis le début avec l'essor de ces mouvements de libération qu'on encourageait pourtant de tout nos voeux et qui, à force d'éxagérations et de stigmatisations sans fondements, vont bientôt se prendre un méchant contre-feu dans les mirettes. Le film de Todd Field a ce courage, à l'heure où je viens d'apprendre qu'une campagne de pub m&ms venait de se prendre les foudres d'associations lgbt, que ces excès en discipline morale ne sont plus rien d'autres que des campagnes de censure systémiques, qui vont finir par lasser (si elle ne font pas rire) et, comme celle dont est victime Lydia Tar dans le film, par écoeurer.

Grand film donc, et si Cate Blanchett ne devrait pas rater encore une fois son Oscar (rappelons-nous qu'elle l'obtint déjà pour Blue Jasmine de Woody Allen, où elle incarnait encore une grande dame dans sa chute), on pense que l'attribution d'une statuette pour ce scénario ne serait pas volé non plus.


dimanche 5 février 2023

Radio Metronom


 Ah ! Le cinéma roumain, quelle poilade... Qu'y a-t-il de changé au juste depuis la fin des années 2000 lors qu'on assistait, admiratifs, à l'émergence de cette vague de jeunes réalisateurs qui refaisait le portrait de la Roumanie d'avant la chute du tyran, et vite s'empressa de tailler celui, pas bien plus réjouissant, d'un pays au sang gâché qui avait bien du mal à ingérer les composantes d'un nouveau capitalisme triomphant ?

Alandru Belc fait partie de la génération d'après celle des Cristian Mungiu ou Christi Puiu. Celle qui a vu la chute des Ceaucescu à l'adolescence et il est étonnant de constater combien son cinéma ressemble à celui de ses glorieux aînés. Trabant et Renault 12 garées dans les rues calmes de Bucarest, intérieurs mornes au décorum marronasse toujours identiques (vieux meubles, vieux livres, vieux rideaux limés), sourde inquiétude à propos des gestes les plus anodins, paranoïa sourde mais omniprésente, nous sommes bien dans les années 70, - Belc n'était pas encore né - et ce que Radio Metronom se demande, de manière fort simple et avec la force démonstrative propre au cinéma roumain, c'est tout bonnement: comment pouvait-on vivre dans cette Roumanie-là quand on avait 17 ans ?


L'histoire est simple: Ana est triste car son amoureux, Sorin, a trouvé le moyen de quitter le pays pour l'Allemagne. Et se barrer de là, c'était beaucoup mieux que d'obtenir une mention au bac. La veille de son départ, une amie organise une soirée (ses parents ne sont pas là). Sorin la dissuade d'y aller, de toute façon il n'y sera pas. Mais Ana y va quand même. Ensuite, c'est presque Diabolo menthe: l'hôtesse a trouvé une bouteille de cognac, les filles sont jolies et les garçons sur leur 31, ça discute et ça flirte, on écoute de la musique très fort et on fait des blagues ("Quelque part à l'étranger, quelqu'un demande à ce touriste roumain pourquoi il ne se sépare jamais du portrait de Ceaucescu. A quoi il lui répond: "A cause du mal du pays. A chaque fois que ça me prend, je regarde son portrait et tout de suite ça va mieux").


Entre deux morceaux de pop folk roumaine (dont un très chouette de Mircea Florian, à faire danser les boiteux), on y écoute Janis Joplin et les Doors sur une radio étrangère, qui diffuse quelques messages réconfortants à l'adresse de la jeunesse roumaine privée de tant de douceurs. On y passe de la bonne musique impérialiste de drogués (superbe version de Light my fire enregistrée au festival de l'île de Wight), et c'est là que la Securitate déboule.

Qu'est-ce-qui a changé dans le cinéma roumain dont le certificat de naissance a été enregistré, pour nous, avec la vision de 4 mois, 3 semaines, 2 jours il y a 15 ans ? Nous sommes toujours sous Ceaucescu, le colonel à la voix si douce mais au regard de pierre est toujours incarné par le solide Vlad Ivanov (qui fut l'homme de main brutal du Snowpiercer de Bong ainsi que, -tiens donc - le médecin violeur-avorteur de 4 mois, 3 semaines...), même si là les forces de l'ordre y vont de main presque molle. Un brusque éclat de violence physique tout de même (d'autant plus fort qu'on ne le voit pas venir), une sourde menace de viol dans les propos du colonel et puis tout se règlera comme un très mauvais passage chez le proviseur.



Voilà comment on punissait les enfants en ce temps-là, afin qu'ils rentrent dans le rang. En leur foutant une trouille bleue et en menaçant de déchéance et de problèmes infinis leurs parents. Je ne vous raconterai pas pourquoi la Securitate leur est tombée dessus, c'est sans importance. Quand Ana demande à sa copine Roxana, qui l'a déjà fait, s'il est vrai que ça fait mal, ou que le lendemain de sa nuit d'enfer au poste de police elle se précipite chez Sorin, malgré ce qu'elle sait de lui maintenant (je ne spoilerai rien) pour enfin coucher avec lui avant qu'il ne parte, on comprend que les préoccupations étaient ailleurs.


Il fallait bien que jeunesse se passe, l'Histoire en a bien fait autant...

p.s.; sans résumer l'excellent film de Belc à une simple histoire de libido adolescente, il est quand même bon à noter que dès que les évidentes intentions du film me sont apparues, je me suis rappelé ce texte extraordinaire de Herta Müller (dans Tous les chats sautent à leur façon, je crois), auteur allemande d'origine roumaine qui y racontait combien on couchait beaucoup, n'importe où et n'importe comment, - dès qu'on pouvait quoi ! - en Allemagne de l'Est, seuls instants possibles de véritable lâcher-prise loin des yeux de la Stasi et de potentielles dénonciations.