mercredi 16 décembre 2020

2020, c'est terminé.

 2020, c'est ter-mi-né. Finito, endgame, vertig, kaputt. Nous raterons donc tous ces films qui auraient du sortir et ne sortiront qu'en... on ne sait plus trop quand, tant pis pour le dernier Quentin Dupieux, donc, qu'on ne pourra pas voir cette année,  le Shannelec, le dernier Wiseman qu'on n'a pas eu le temps d'aller visionner entre deux confinements, le prochain James Bond et tous ceux qui ont laissé leurs distributeurs et leurs campagnes-média gros-jean comme devant. 


Ce qui nous fait, les deux confinements compilés, près de 4 mois de sorties-salle en moins que d'habitude, un tiers de films à voir en moins, un tiers de films qu'on aurait pu rater en moins, également, s'il faut absolument positiver quelque part.

Pas plus tard que ce matin, nous avons pu lire les propos de de bon professeur Delfraissy, épidémiologiste d'Etat, qui nous avertissait gentiment que 2021 allait beaucoup ressembler à 2020, si ça continuait comme ça. Entendez par là ce que vous vous voudrez bien comprendre: si ce gouvernement de girouette ne se résolvait pas à boucler le pays deux/trois semaines une bonne fois pour toutes, à la chinoise, si les gens n'arrêtaient pas de se bousculer dans les grands magasins, si les ces sales gosses n'arrêtaient pas de coller leurs mains pleines de crottes de nez sur les vitres des magasins de jouet, si on n'arrêtait pas de se mettre le masque SOUS le nez, si les sales jeunes n'arrêtaient pas de baver sur le même joint. En gros: si ma grand-mère avait des roues, elle ferait un très joli camion.

Ce n'est pas parce qu'on n'a pas pu aller au cinéma autant qu'on a voulu, qu'on n'a pas vu de bons films pour autant. En s'appliquant à bien choisir ses séances et à ne pas suivre le troupeau, on en a même vu beaucoup.

C'est donc l'heure du BILAN. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, voici le bilan cinéma 2020 de RongeMaille, son top 10. Vous me remercierez plus tard si ça vous chante.

J'ai bien pris soin, malgré les millions d'images ingérées dans mon rocking-chair à toute heure du jour et de la nuit à bouffer du cinéma sur les plateformes de VOD, à dégager derechef les exclusivités Netflix, Prime, Amazon, Disney et j'en passe, qui sont là pour nous faire croire que le net est le nouveau refuge, l'ultime bastion de la création cinématographique.

Ignorant superbement ce chantage à l'émotion, je continuerai à prétendre, en digne vieux con que je suis, que la salle de cinéma reste le meilleur endroit pour voir des films, malgré ce que prétendent certains cinéastes eux-mêmes (et pas des moindres). Après avoir vu peu de ces productions-là, je peux dire que mon classement n'a pas raté grand chose de leur absence (hormis, soyons juste, le bouillonnant UNCUT GEMS des frères Safdie, qui aurait eu sa place dans ce Top, mais c'est comme ça; attribuons-lui la 11°, et tout le monde sera content).


S'il faut parler de chantage à l'émotion, s'il y en a un qui m'a bien eu, c'est le ANTIGONE de Sophie Deraspe, vrai mélodrame politique sur fond d'injustice sociale, de violence policière et de crise des migrants. Voilà qui était bien aventureux, de tout mettre et de tout dire en un seul film, mais il est tellement rare qu'une oeuvre, malgré ses défauts formels évidents,  concorde à ce point avec les problèmes de son temps, qu'il a fallu qu'on se frotte les yeux pour se rendre compte qu'on voyait bien ce qu'on regardait.

En adaptant la figure centrale de ce symbole de toutes les résistances, de tous les combats menés contre les injustices, Sophie Deraspe avait de quoi faire avec le climat social et politique de cette fin de décennie. Aussi Antigone, (remarquable Nahéma Ricci), dont le grand frère a été abattu suite à une bavure policière, dont le petit frère va être reconduit dans son pays d'"origine" où leurs parents ont été assassinés, aura été la figure emblématique de résistance (rêvée) au coeur d'un Occident qui, décidément, a les valeurs et le coeur à l'envers. 


Sur les rives du fleuve Congo, on a cru halluciner face à ce film qui nous parle d'assassinat vaudou, de pouvoirs guérisseurs, de pillage des ressources naturelles par l'Empire industriel chinois, et de la tristesse des fées de l'eau qui demandent à être changées de site pour pouvoir exaucer les voeux d'un sorcier. Dit comme ça, on pourrait penser à un Miyazaki sous poppers mais non: il s'agit bien d'un documentaire sidérant sur les rites et croyances d'un pays où justice se rend d'une drôle de manière, et où les esprits finissent toujours par l'emporter. Le documentaire de La Vapeur & Vaclav reste le seul film, à ma connaissance, où des sirènes se retrouvent créditées au générique de fin. Hallucinant.


Et puis il y a des années où on en rate au moins un, et des années où on les voit tous ! Je veux parler des films de Hong Sang-Soo (deux à trois films par an, en moyenne), le cinéaste le plus passionnant en activité, selon moi, qui nous a régalé coup sur coup de deux merveilles comme lui seul sait en faire. Celui qu'on a paresseusement comparé longtemps à Rohmer file désormais vers des contrées tellement inédites qu'on se demande jusqu'où cet amoureux des histoires d'amour, des repas arrosés au soju et des petits riens de la vie de tous les jours, jusqu'où ce manipulateur discret de tous les espaces-temps ira pour rajouter, encore et encore, des lettres supplémentaires à l'alphabet du septième art.


Entre le spleen en noir-et-blanc des retrouvailles amères d'un père indigne et de ses deux fils dans HOTEL BY THE RIVER, et ce jeu de succession de rencontres anodines (en apparence) de LA FEMME QUI S'EST ENFUIE, mon coeur balance encore et renoncerait, presque, à choisir. Le genre de sentiment que Hong serait à même de filmer. Et on n'en finira jamais de tomber amoureux de Kim Min-Hee à chacune de ses apparitions...

Le seul Amerloque de ces dix nous vient de cette petite fofolle de Miranda July, artiste et poète, écrivain et cinéaste à ses heures qui nous a raconté une bien drôle d'histoire, paumée dans les suburbs de L.A. en compagnie de trois arnaqueurs de faible niveau, maman-papa-fifille, mademoiselle dont l'autisme apparent a été bien entretenue tout au long de son éducation pour en faire une voleuse totalement hermétique aux émois extérieurs. Comprenons celles et ceusses qui n'ont rien entravé à ce film complètement malade: car effectivement, on ne voit pas ça tous les jours. Servi par des comédiens super, dont le toujours génial Richard Jenkins et l'incroyable Evan Rachel Wood, KAJILLIONAIRE nous raconte l'éveil affectif et amoureux d'une jeune femme qui a grandi dans un milieu pluri-toxique des plus carabiné. De là à en faire une juste métaphore sur la propagation des valeurs matérialistes, de nos jours, aux Etats-Unis, et de génération en génération et bien mois je dis: sans aucun doute.



Après d'autres fables tout aussi amères, mais plus relax sur la corruption patente de son pays, le Kazakhstan, le très joueur et très obstiné Yerzhanov nous le refait sur un mode, cette fois, beaucoup moins cool. Meurtrier pédophile couvert par les institutions, flics violents et pourris chargés de liquider des suspects fabriqués de toute pièce (ici un débile mental), il en faudra beaucoup pour que les coupables paient la note, à la fin. 

Avec son style pince-sans-rire dont, décidément, on ne se lasse pas, et qui en fait comme une sorte de Kaurismäki qui aurait trop lu Dostoïevski, Yerzhanov filme l'éveil d'une brute stoïque vers un semblant de justice...mais promulguée ici au canon scié. Final sanglant, ironie de tous les instants et paysages splendides; un film noir absolument parfait, et assez démoralisant.


Alors qu'on croyait Cristi Puiu condamné à filmer dans des trois-pièces étriqués les maux de la société roumaine moderne, il nous revient avec un film monstrueux de 3 heures et 20 minutes avec des joutes philosophiques, littéraires et morales entre cinq aristocrates, dans un manoir perdu dans un paysage enneigé. Inspiré d'un contemporain de Tolstoï, un certain Solovyov, voilà un film qu'il ne fait pas bon vouloir aborder avec un début de migraine. Les dialogues, en dehors de ceux, nombreux, qui se rapportent à la religion, ont beau se reposer sur des faits historiques d'un autre siècle, leur écho dans notre Europe contemporaine reste frappant. 

Vraie prouesse de cinéma, servie par des acteurs d'exception qui ont du vraiment en baver (des kilomètres de textes difficiles appris par coeur dans trois langues différentes), MALMKROG vaut autant pour sa rigueur formelle que pour ses drôles d'échappées narratives (dont une fusillade d'anthologie à la contingence suspecte, véritable trou d'air dans la narration). Une vraie montagne, à gravir uniquement si on est en bonne condition.


Au petit jeu du "toujours plus loin, toujours plus fort", les Chinois sont décidément les meilleurs. Pour preuve, ce premier (!!!) film de Xiaogang Gu qu'on croirait l'oeuvre définitive d'un vieux maître de plus de 70 ans. Pas de véritable trame ici, mais plutôt la chronique familiale douce-amère autour d'un lac, des montagnes qui l'entourent et d'une ville, Hangzhou, dont le cinéaste a voulu capter toutes les transformations. Premier volet d'un triptyque autobiographique à venir, SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN sidère par sa beauté formelle, ainsi que par quelques tours de force (dont un plan-séquence incroyable le long d'une rive, lui qui nage près du bord, elle qui essaie de le rattraper par les sentiers en sous-bois).

Si un cinéaste un peu hybride qui posséderait à la fois le sens du temps qui passe de Hou Hsiao-Hsien, celui du coup de force narratif de Diao Yinan (le réalisateur de BLACK COAL), et la précision quasi-documentaire de Jia Zhang-ke n'existait pas encore jusque là, il vient peut-être de montrer le bout de son nez en la personne de ce cinéaste à surveiller de très très près: Xiaogang Gu.


Le meilleur film d'horreur de cette année nous vient peut-être d'Algérie. Et quelle pire horreur que cette guerre civile qui sema le carnage dans les années 90, les années FIS et compagnie. Prenant pour prétexte la fuite de deux hommes dans le désert, ABOU LEILA offre à voir des images de folie et de carnage comme on n'en avait pas vu depuis des lustres. Film de guerre hors de la guerre, et véritable film-cerveau, le film est peut-être la projection de la psyché de l'un dans les visions de l'autre (un flic traumatisé rendu malade par un meurtre dont il a été témoin, un autre arborant fièrement une virilité inébranlable de combattant). A moins que ce ne soit l'inverse.

Hors du temps, le film n'arrête pas de parler d'un pays transformé "en asile à ciel ouvert", et prend les apparences les plus concrètes d'un trauma tel que défini par Freud: l'irruption du réel dans la psyché. ABOU LEILA est le spectacle d'une psyché malade en train de se débattre. A une séquence terrible dans une pension où a eu lieu un massacre (du gore dans toute sa dimension guerrière) succède une séquence dans le désert plus onirique, moins convaincante sans doute, mais là pour porter un regard différent, et à ma connaissance unique, sur les traumatismes de la guerre. LA grosse baffe de l'année, celle qui fait mal.


Complètement à l'opposé, on n'est toujours pas revenu de la douceur, de la chaleur d'EVA EN AOUT et du sourire d'Itaso Arano, sa co-scénariste-interprète principale. Improvisation dans les rues bouillantes de Madrid, désertées de ses habitants, voilà un film vu un après-midi torride d'un été pré et post-confinement à Montpellier offrant le spectacle banal d'une jeune femme qui se cherche dans une ville à moitié déserte. Rencontres à faires, coeurs à saisir, ancien amour croisé par hasard, petite fête au bord de l'eau, coup de foudre ou peut-être pas, drague et en fait non, jamais sans doute le banal sans histoire aura trouvé d'écho aussi pur, aussi particulier qu'en cette année où tout contact avec l'inconnu nous aura été littéralement interdit.

EVA EN AOUT, pour moi film de l'année, qui définit tellement bien, et avec tant de calme, l'art de vivre et, comme Eva, l'art de s'ouvrir au hasard. Avec tout ce que nous avons été obligé de vivre en 2020, ou plutôt de ne pas vivre, quelque chose s'est remis en place: ce ne sont pas les films de James Bond ni les blagues grasses qui nous ont manqué, mais quelque chose comme le sourire d'Eva.




1. EVA EN AOUT de Jonas Trueba

 https://youtu.be/-mkhnyMV5gc

2. ABOU LEILA de Amin Sidi-Boumédienne

https://youtu.be/BMy6BSPiv_c

3. SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN de Xiaogang Gu

https://youtu.be/YLlvPJ4uUqs

4. MALMKROG de Cristi Puiu

https://youtu.be/PG2Z90ZvWpg

5. LA FEMME QUI S'EST ENFUIE de Hong Sang-Soo

Bande-annonce du film...

6. A DARK, DARK MAN de Adilkhan Yerzhanov

https://youtu.be/xNOXFNL347c

7. HOTEL BY THE RIVER de Hong Sang-Soo

https://youtu.be/16BTvCgEA1Q

8. KAJILLIONAIRE de Miranda July

https://youtu.be/rm2EDkgoMps

9. KONGO de Hadrien La Vapeur & Corto Vaclav

https://youtu.be/vPkFpfCe3s8

10.ANTIGONE de Sophie Deraspe

https://youtu.be/n4RhiHtcArc

jeudi 10 décembre 2020

Woody


 Avec son blaze de chanteur de country et sa gueule à vous chercher des noises au fond des bistrots, Woody Harrelson mérite plus que sa réputation de bon gars et de comédien "costaud" - entendez par là qu'il sait, et a joué à peu près sur tous les rôles, des plus excessifs aux plus normaux -, et c'est vrai que de posséder une tronche comme la sienne, c'est plutôt bonnard quand on veut faire du cinéma. 

Un temps, on le voyait beaucoup sur les tee-shirts des rebelles de moins de 19 ans et demi, petites lunettes de soleil rondes sur le nez, le canon scié nonchalamment posé sur l'épaule, pataugeant dans les viscères des innombrables victimes qu'il dispersait manière puzzle en compagnie de Juliette Lewis dans le culte (même si plus trop, aujourd'hui) et très cocaïné TUEURS NES d'Oliver Stone, cinéaste énervé. Plus près de nous, il est aussi le shériff à la cool qui dégomme du mort-vivant dans la franchise marrante ZOMBIELAND ou mieux, l'acolyte "normal, mais burné" de Matthew McConaughey dans la première saison (encore culte, mais pour combien de temps ?) TRUE DETECTIVE.

Dans LARRY FLINT de ce diable de Milos Forman, il prouvait en un tour de main qu'il pouvait être à la fois assez excessif dans son genre, mais touchant, également, à vociférer des insanités en chaise roulante, une pin-up sur les genoux.

Souvenons-nous. Dans TRUE DETECTIVE, il incarne donc le détective Marty Hart, flic "normal" et très efficace avec femme, enfants, jolie maison et tout, dont la grande faiblesse est de ne pas savoir résister à l'appel du 5 à 7 crapuleux en compagnie de jeunes femmes splendides et délurées. Marty à qui on collait dans les pattes le détective Rusty Cohle, ex-flic infiltré chez les narcos, amoché de partout, mi-profiler, mi-shaman qui permettait à son interprète, ce cabot de McConaughey, de se fabriquer un nouveau style: mâchoires serrées, diction leeente en descente de came, et physique de coureur kenyan, avec l'accent du Texas.


Or, Matthew avait beau tout faire pour qu'on le remarque là-dedans - ce en quoi il réussit pleinement -, finalement, c'est peut-être la performance de Woody à laquelle on s'est le plus attaché, avec le temps: queutard impénitent qui passe son temps à se les remonter en crachant par terre puis, des années plus tard, flicard qui a pris du ventre mais se vante encore d'en avoir "une bonne paire", il offrait un contrepoint tout à fait normal aux excès innombrables que Pizzolato avait mis dans le personnage vraiment "too much" de Rusty Cohle.

C'est ça: Woody est un type normal. Qui sait jouer pleinement de cette ambivalence physique qu'il n'a certainement pas voulu au départ, mais avec laquelle il joue à merveille: une tête de beauf sur un type sensible. Beaucoup de gueule, mais une finesse de jeu planquée juste derrière qui est l'apanage des grands.


Vu pas plus tard qu'il n'y a pas longtemps LBJ de Rob Reiner, où il incarne un des présidents américains les plus mal aimés du monde, Lyndon Johnson et sa sale tronche, ses racines sudistes, son franc-parler de soudard et ce crime à jamais indélébile sur sa face de rat: avoir été celui qui a profité de l'assassinat de Kennedy pour monter sur le trône et, en même temps, coller un turbo au cul des troupes américaines au Viêtnam.

La mission pour Woody, avec l'aide de scénaristes habiles qui ont su aménager l'Histoire à leur sauce, c'est de nous rendre Lyndon sympathique. Car c'est LUI qui a fait promulguer la loi sur les droits civiques, chère au coeur des Kennedy. C'est LUI qui a refusé de décoller subitement de Dallas après l'assassinat car il voulait attendre Jackie, de retour des urgences dans sa jolie robe tâchée. C'est LUI qui a ordonné à ses sbires de laisser Jackie dans l'aile de la Maison Blanche aussi longtemps qu'elle le désirait. C'est LUI le seul président en exercice à ne pas avoir souhaité se représenter après un premier mandat (techniquement, un mandat et demi, puisque...).

Ah ! ces Américains... On attend avec impatience le biopic de Donald par Kathryn Bigelow. tiens, pour voir.. Toujours est-il que LBJ, qui s'est pris un bouillon à sa sortie reste un film intriguant: on regrettera le maquillage au latex de cette pauvre Jennifer Jason Leigh, madame Johnson qui, dans un rôle ingrat et quasiment muet, semble s'être échappée de la caravane de maquillage du DICK TRACY de Warren Beatty.

Quant à Woody, puisqu'on est ici pour lui aujourd'hui, il se la donne. Même avec un menton de rugbyman prognathe un peu exagéré, il est crédible en vieux briscard sournois qui, entre deux bonnes blagues graveleuses et trois citations de la Bible, roule son monde dans la farine et fait croire aux réacs comme aux progressistes qu'il est dans leur camp. De ses saillies que l'Histoire a bien du homologuer quelque part, on retiendra cette blague qu'il n'hésite pas à raconter au sénateur facho qu'il veut mettre dans sa poche: 

Un jour, Lincoln se réveille après une cuite qui a bien duré quatre jours et trois nuits et se met à gueuler: "J'AI ABOLI QUOI ????"


C'est dans ces grandes scènes de dialogues entre Johnson et le sénateur de Georgie Richard Russell que le film décolle très haut au-dessus du reste: Woody face à Richard Jenkins, pas n'importe qui non plus, avec un Rob Reiner qui, tout à coup, retrouve son sens du rythme et de la mise-en-scène. Reiner est un cinéaste de dialogues, et un fabuleux directeur d'acteurs et là, débarrassé du poids embarrassant de l'Histoire américaine wikipédiée pour les nuls, en s'imaginant une rencontre, un affrontement entre deux vieux "amis" politiques qui se connaissent par coeur, le film trouve sa raison d'être, et nous en dit beaucoup sur l'art difficile de la politique d'alcôves.

Pas un grand film, mais une juste récompense pour Harrelson qui n'incarnera jamais JFK, ni Obama, ni Clinton, mais un président à son image: pas beau, ni très sympathique, pas glamour du tout et encore moins branché, mais qui blouse son monde parce qu'il a l'air plus con que la moyenne.

LBJ passe en ce moment sur Paramount TV, chaîne de merde que vous avez peut-être sur votre box sans le savoir et qui ne passe JAMAIS de films en version originale sous-titrée.


Hasard du calendrier, SUNCHASER a été rediffusé sur Mubi. Le dernier film de Michael Cimino, mal vu, mal apprécié et, il faut le dire, en grande partie raté, demeure quand même un morceau d'Americana comme seul un grand pouvait en réaliser. Woody y campe un chirurgien cancérologue en pleine ascension sociale, décapotable, barraque avec piscine, épouse de concours et grand avenir devant lui qui se fait prendre un otage par un gamin de 16 ans en phase terminale, et emprisonné pour le meurtre de son beau-père.

Petite moustache de glandu et chemise-cravate, Woody est sensass en trou-du-cul normal pour qui la formule petit-déj dans un diner de bord de route en Arizona est aussi insane qu'une chanson de Willy Nelson sur la bande FM. Road-movie un peu trop téléphoné (le bobo et la petite frappe, à la fin gros bisous, tout ça), mélo saupoudré de spiritualité comanche enfumée, avec une apparition marrante d'Anne Bancroft en toubib bab en VW combi qui saura trouver les mots pour rassembler les chakras de tout le monde: son apparition a du inspirer celle d'Anjelica Huston dans le western allumé SERAPHIM FALLS, qui mettait fin à la bagarre absurde entre Pierce Brosnan et Liam Neeson.

Le film blesse la rétine toujours autant aux mêmes endroits: le final est dans son ensemble impardonnable, et indigne du réalisateur de DEER HUNTER même si, en un plan (le jeune "Blue" courant vers le lac et disparaissant à la surface), il réussit à rappeler toute la grandeur d'un style, grandiose et classique, qui est mort avec lui.

On a assez parlé de Cimino comme d'"une génération perdue à lui tout seul", et il est amusant de constater que de son acteur-fêtiche, Mickey Rourke (3 films sur 7 réalisés... bordel, seulement 7 !!!), on peut dire la même chose...


Revoir SUNCHASER est comme relire la dernière lettre d'un ami cher et disparu, qui n'avait plus tous ses moyens au moment de l'écrire. Pourtant, le film se tient, hormis le dernier quart d'heure, et on reste en arrêt devant certains plans incroyables: Harrelson résistant à la menace du flingue posé contre son oreille, pensant fort à son frère adoré mais disparu, l'oeil sur le drapeau américain pris dans son rétroviseur. Dans L'ANNEE DU DRAGON, Cimino nous offrait ce même plan sur un drapeau claquant au vent alors que Rourke vociférait des propos agressifs et racistes à un collègue. Plus Américain que ça, tu meurs... Ou encore l'apparition de cette jeune comanche à ray-bans, portrait-craché du cinéaste à la fin de sa vie.

Woody Harrelson débute SUNCHASER wasp à petites lunettes cerclées, il le finit des auréoles jaunes sous les bras, un verre cassé et hors-la-loi. Ailleurs, dans d'autres films, on ne sait plus dans quel sens il a fait ce même trajet, mais une chose est sûre est certaine: quand Woody commence une partition d'une manière frontale, aux limites du cliché, vous êtes sûr qu'il va à un moment donné retourné sa peau et vous montrer ce qu'il y a juste derrière.



mercredi 2 décembre 2020

Trois contes coquins pour confinements sur île déserte...


 Confinons-nous encore un peu. Mais pas avec n'importe qui, ni n'importe comment et pas n'importe où, surtout: sur une île perdue, au milieu de rien.

Demandez à Victor Hugo, Napoléon ou le capitaine Dreyfuss ce qu'ils en pensent: c'est pas tous les jours marrant. Les hasards de ma vie trépidante de spectateur compulsif m'ont entraîné ces dernières semaines à (re-)voir quelques films qui parlaient de ça, précisément. Avec pour commencer, - à tout seigneur, tout honneur - , le plus célèbre d'entre eux, ce bon vieux Robinson Crusoë.

J'avais totalement oublié que ce film, LES AVENTURES DE ROBINSON CRUSOE, vu deux ou trois fois dans mon enfance lors d'après-midis de vacances scolaires, était de Luis Bunuel lors de sa longue parenthèse mexicaine où il toucha à peu près à tous les styles, en toute décontraction. Et ce film d'aventure en technicolor qui tape dur (ah! le pantalon bleu de Dan O'Herlihy !), avec cette bonne vieille voix-off française des années 50 pompière qui est la madeleine de Proust d'un peu tout le monde, son générique et ses effets musicaux tin-tin-tin qui pourraient être ceux de films de pirates de Walsh ou d'Allan Dwan, ce pur film de divertissement qui n'a pas pris une ride, est bien du réalisateur du CHIEN ANDALOU !

 Bon sang, les quelques scènes avec les fameux anthropophages m'avaient terrorisé, et cela ne tient qu'en un plan vite balayé de débris humains à moitié enfouis dans le sable dont les quelques éclats écarlates (merci le Technicolor, encore une fois) suffisant pour suggérer une menace innommable avec une belle efficacité. Maintenant, lorsqu'on sait que c'est le grand Luis qui réalisa le film, on s'attache à traquer les éléments reconnaissables que ce grand anticlérical et concasseur de bourgeois, le compagnon en surréalisme de Dali auraient pu disséminer ici et là.

Il y a peut-être cette scène étrange, lorsque Robinson pris de fièvre délire, et voit apparaitre son père en compagnie d'un cochon qu'il douche et frotte à l'aide d'une cruche d'eau claire... Pour le reste, quelques éléments font sourire; lorsque la petite chatte qu'il a sauvé du naufrage donne naissance à des chatons sans le concours apparent d'un mâle quelconque, et frise la suspicion de parthénogénèse ou lorsque, bien sûr, ce bon Vendredi revient de fouiller dans les malles dans une jolie robe blanche. Si Dom Luis avait tourné cette adaptation dans les années 70, qu'aurait-il osé ? On rêve alors d'un Robinson incarné par Piccoli et d'un Vendredi tantôt Angela Molina, tantôt Alain Delon. Eh eh.


Le film est très fidèle à l'esprit du roman et, pour revenir à notre thématique du jour, s'occupe à gérer de manière fort matérielle les contingences en pure et due forme d'un confinement forcé à ciel ouvert. 20 ans sur une île déserte, putain... il fallait quand même un léger coup de pouce du destin. Ainsi, tous ce matériel, ces habits, ces armes et instruments récupérés sur le navire avant de sombrer, qui vont aider Robinson à se structurer. On l'avait oublié, mais au terme de cette aventure, il aura bâti un fort, planté du blé, fait son pain, appris la poterie et le macramé. 

Non, pas le macramé...

Autre coup de pouce scénaristique du destin, sans quoi le roman de Defoe n'aurait pas fait 100 pages, - et c'est un pavé -, la présence d'un chien, d'un chat, d'un sauvage tout paumé et terrorisé qui va devenir son compagnon... Toute une vie bien remplie, quoi. Beaucoup mieux que deux mois dans dans un F2 avec une bonne connexion internet, à mon avis.


Si ce bon vieux Daniel Defoe suggérait beaucoup de choses dans les rapports entre Crusoe et son sauvage, qui l'appelle "Maître", tant qu'à faire, il est un autre film qui va délibérément beaucoup plus loin dans l'exaltation des libidos, loin des yeux du monde, selon un phantasme digne du pire pitch du porno de base.


Elle et lui, seuls au monde. VERS UN DESTIN INSOLITE SUR LES FLOTS BLEUS DE L'ETE nous raconte le déchaînement sexuel extatique d'un couple de fortune "forcé" de vivre à deux sur une île au large de la Sicile. Lui, c'est un péquenot noiraud et tout hirsute qui grommelle à tout bout de champ. Elle, une comtesse poupée-barbie qui se la pète, n'arrête pas d'emmerder et d'insulter tout le monde, et ce saligaud de plouc Sicilien pas lavé en particulier.

Un jour que madame se lève tard sur son yacht (vers 17h) et s'aperçoit que ses amis sont partis sans elle faire une excursion, elle force le pauvre Gennarino à la conduire fissa les rejoindre. Panne moteur, fort courant, nuit au fond du canot et soleil de plomb, île déserte.

Le coup du lagon bleu viendra après. Car d'abord elle le méprise, il la déteste. Elle ne sait rien faire à part gueuler, il se débrouille pour se trouver un abri, pêcher du poisson, le cuisiner et surtout, l'envoie chier. C'est un film italien des années 70, donc fortement connoté politiquement, - ça n'est rien de le dire -, et c'est d'un coup comme si Marx et Engels se fracassaient sur les récifs de Wilhelm Reich et de la libération sexuelle.


Elle pense devoir "y passer" pour manger et veut se donner, d'un air dégoûté. Il l'envoie paître, la traite de putain, mais lui donne à manger quand même. Mais elle devra "faire sa part". A savoir: le ménage.

Lui chasseur-cueilleur, elle garder la cabane propre. Et là quelque chose advient que tous les idéaux progressistes et féministes accueilleront avec les haut-cris qu'il convient: bon sang mais c'est bien sûr, c'est dans le plus pur dénuement que la femme et l'homme, hors de tout carcan social et culturel, trouveront naturellement leur place (pour une bonne gestion du foyer), et la passion naturelle dans leur coeur. Elle se donne alors à lui de toute son âme, il la prend avec joie, c'est un déchaînement comme tout un chacun en rêve, ils sont insatiables, jusqu'à ce qu'elle lui demande, dans un abandon amoureux haletant, de la sodomiser.

De quoi, répond-il, lui qui connait la pratique mais pas du tout le verbe ? Tu peux pas dire "enculer" comme tout le monde ? 


Et pourquoi ce film est passé comme une lettre à la poste ? Parce que le film est signé Lina Wertmüller, femme de théâtre et de cinéma, grande figure intellectuelle en Italie, et que personne ne pouvait lui coller un procès là-dessus. En s'amusant à raconter les ébats d'un prolo un peu rustre avec une belle aristo réactionnaire, elle payait son tribut au tout-pour-le-cul de l'époque, avec beaucoup d'ironie, car les deux amants sont repêchés, hélas, et la parenthèse s'achève là. En fait, ça n'était pas le sujet.

Ils se sont jurés de rester ensemble une fois sur le continent, mais finalement, être riche c'est mieux: elle s'envole en compagnie de son époux, foulard hermès et tout, en hélicoptère, vers son palais. Lui retrouvera sa femme qui l'attend de pied ferme, avec sa marmaille qui piaille dans son deux pièces insalubre. 

Retour à la normale. Attention, donc, aux confinements de rêve, à la sortie cela peut être pire qu'une méchante descente de coke. Le film est méchamment drôle et drôlement sexy, et vous pouvez toujours aller le voir sur arte.tv...


Un cran au-dessus, encore, sur l'échelle du rêve érotomane idéal, vous avez le confinement façon Nelly Kaplan avec son dernier film réalisé en 1991, PLAISIR D'AMOUR. Comme tous ses autres films à l'exception du fameux LA FIANCEE DU PIRATE, la cinéaste n'a que très rarement touché le grand public, même avec ce film-là qui, malgré du beau monde au générique, prit un sévère bouillon à sa sortie.

Ile au milieu du Pacifique cette fois, et pas tout à fait déserte puisque habitée par une gynécée de trois femmes, la fille, la mère, la grand-mère, qui ont posté une annonce à laquelle Guillaume de Burlador a répondu: être le précepteur de la jeune Flo, 13 ans, qui s'est un peu égarée en Europe avec un vieil oncle, mais qui va bientôt rentrer.

En attendant, Guillaume qui est un peu écrivain, un brin poète et très séducteur (Burlador est le nom du premier Dom Juan) s'amuse avec la jeune Jo, qui se pique de littérature elle aussi, avec l'exigeante Clo, femme de tête qui diligente la maison avec beaucoup de poigne et Do, la plus âgée de cette gynécée toujours vêtue de robes du soir ou de déshabillés troublants, quand Clo ne s'habille pas en garagiste, ce qui la rend plus désirable encore.


C'est un peu comme si Kafka avait repris un conte érotique de Pierre Louys, comme si tout à coup tous les héroïnes des romans de Somerset Maugham se mettaient à coucher à tour de bras. En bon obsédé pour qui la chose est tout, ce bon Guillaume les aimera toutes, l'une après l'autre, chacune sur son créneau horaire, parfois à l'improviste, tenant un carnet où il comptabilise soigneusement ses coups jour après jour, un peu boosté sans qu'il le sache par des cachets faits maison qu'un serviteur diligent glisse dans ses bouteilles de vin. Quelle santé !

Sans qu'il sache non plus que chacune sait ce qu'il farfouille avec les deux autres. Sans qu'il comprenne tout de suite que ce sont elles qui décident quand et comment. Sans qu'il pige que la petite Flo, dont la lecture du journal intime l'affole (une Justine de 13 ans, mon dieu cela est-il possible ?), est une invention des trois femmes qui ne débarquera jamais sur cette île et qu'il n'est pas là pour instruire les jeunes filles, mais pour servir de sex-toy.

On devine un peu pourquoi le film n'attira pas grand monde: on ne rigole pas avec les mâles dominants. Et pourtant si, elles s'amusent comme des folles, surtout que celui-là a de la distinction et tient la distance. Sinon, les mâles du coin sont là pour le décorum: un vieux médecin de famille qui se plaît à avouer que maintenant il ne peut plus mais que jadis, il avait de splendides érections (peut-être est-ce le seul de leurs "serviteurs" qui soit resté sur l'île après son remplacement), un domestique un peu robotique, un jardinier-cuisinier-sculpteur un peu timbré (c'est Heinz Bennent, le mari de Deneuve planqué dans sa loge de théâtre dans LE DERNIER METRO), et un gros connard d'avocat qui lorgne sur le domaine et pisse dans l'évier sans se laver les mains après.

Guillaume de Burlador, qui tombe amoureux fou de celle qui n'est pas là et qui n'existe même pas, partira fou de rage, amer, lessivé, mais convaincu de retrouver cette chimère un jour. C'est beau un homme qui aime, mais qu'est-ce-que ça peut être con, des fois. Partir à la poursuite d'une ombre et abandonner Cécile Sanz de Alba, Dominique Blanc et Françoise Fabian alors qu'elles étaient très contentes de vous, mais enfin, Pierre Arditi, c'est complètement idiot...


Moralité: dans ce cas de figure, si vous entendez parler d'un déconfinement, faites celui qui n'a rien entendu, faites-vous beau, retapez un peu le plumard, et attendez de voir qui viendra frotter à votre porte. 

Vive le confinement.

(le film se regarde sur le site MK2-Curiosity, ailleurs peut-être, c'est une vraie curiosité, en avance sur son époque, qu'il faut voir malgré ses excès de kitsch très volontaires...)