samedi 25 juillet 2020

Filmer les belles choses.


Werner Herzog poursuit avec THE WHITE DIAMOND, réalisé un an avant son GRIZZLY MAN, son exploration de l'âme des chasseurs de l'impossible, dont il fait sans doute partie lui-même. L'énergumène disséqué dans ce documentaire s'appelle Graham Dorrington, il est professeur de physique dans une université de Londres et sa passion, c'est le dirigeable. Cela ne suffirait pas, bien entendu, à se retrouver dans un film de Herzog il faut aussi une touche indispensable de folie. Obsessionnel et toujours prêt à faire abstraction de ce qui l'entoure, Dorrington a emmené le cinéaste avec lui pour cette nouvelle tentative de faire planer son dirigeable à gaz non inflammable, et doté de quatre petits moteurs à propulsion, au-dessus de la canopée de Guyane.

Herzog ne pouvait manquer pareille invite et nous le retrouvons tel qu'on le connait si bien: dans son élément, dans une jungle sud-américaine et un cadre époustouflant. Deuxième tentative pour Dorrington donc, la première s'étant soldée par la mort accidentelle de son meilleur ami, le documentariste animalier Dieter Plage, qui était toujours partant pour filmer dans des circonstances extrèmes (des archives nous le montrent échappant de peu à une charge d'éléphants énervés, ou encore de se faire tabasser par un gorille furieux). L'effet-miroir avec Herzog est d'abord suffisamment saisissant, lui qui se vante souvent de toujours tenter l'impossible, et d'avoir frôlé la mort plusieurs fois, pour qu'on le suspecte encore une fois de se hausser du col en s'appuyant sur la folie des autres.

D'une part Dorrington réitère un essai qui a coûté la vie à un proche, d'autre part on observe très vite que notre chercheur semble attirer la scoumoune comme un aimant: le moteur principal s'enclenche en marche arrière, tout ce qui fonctionnait en laboratoire ne fonctionne plus du tout, et la caméra se plait à nous montrer l'insistance d'un des assistants, très remonté, à ne plus s'amuser avec les règles de sécurité, à engueuler Dorrington, jusqu'à le menacer de quitter les lieux. Plus loin, c'est Herzog, incorrigible m'as-tu-vu, qui use de toute sa science de la manipulation pour convaincre Dorrington de l'embarquer, lui et sa caméra, dès le premier vol car "imagine que ce soit le seul... il n'y aurait pas de seconde tentative".


On est plus persuadé de l'égocentrisme de Dorrington que de sa folie supposée: l'observer partager sa tristesse lors de longues séquences appartient à ces moments dans la filmographie de Herzog qu'on suspecterait presque d'être préfabriqués. Mais si le savant n'attire qu'assez peu de sympathie (trop insistant, pas assez fou), Herzog a l'intelligence de s'échapper ailleurs, et de faire quelques pas de côtés vers cet "autochtone" par exemple, qui rêve de traverser l'Atlantique à l'aide de ce dirigeable miniature pour aller retrouver sa "famille" partie en Europe et qui l'a oublié en Guyane il y a bien longtemps (ici, on rêve au parcours tragique de cet homme, à toutes ses ramifications possibles) et qui regrette surtout de ne pas avoir pu voler avec son coq, un "super coq" insiste-t-il, lorsque Dorrington l'a invité à aller faire un tour là-haut avec lui.

Et puis il y a cette grotte, planquée derrière une immense cascade, où s'engouffrent des dizaines de milliers de martinets, endroit sacré pour les habitants du coin, et de mille légendes. Un acolyte d'Herzog, alpiniste chevronné, embarque une caméra avec lui pour filmer ce qu'il y a derrière ces cascades rugissantes, que personne n'a jamais explorées. Par respect pour les croyances des habitants, dit alors Herzog, il aura choisi de ne pas nous montrer les images. Mais quel malin, celui-là...

Quel drôle d'expérience que THE PORTUGUESE WOMAN, signé Rita Azevedo Gomes, cinéaste que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam, et film demeuré inédit en France. Suite de compositions picturales absolument superbes, le film feuillette un livre d'images autour de la destinée d'une noble portugaise embarquée dans le nord de l'Italie par son mari, un certain Lord Van Ketten, qui l'abandonne dans un château délabré avec ses gens, pour aller guerroyer on ne sait trop où, ni pourquoi.

Sans savoir sur quoi repose l'histoire en terme de véracité historique (mais elle est adaptée d'un conte de Robert Musil, nous dit-on, revisité par Agustina Bessa-Luis), le film nous propose une suite de tableaux admirablement composés, comme inspirés des toiles flamandes ou des maîtres italiens. Dames qui brodent dans les prés verdoyants, petits lapins blancs qui sautillent dans la luzerne, loup apprivoisé qui croque une volaille sous la table du festin, amants qui prennent leurs bains dans des tonneaux dans un halo de vapeur, feux qui crépitent et murs lézardés, les images défilent sans qu'on comprenne bien si elles portent un discours bien particulier: est-ce juste un portrait de femme qui s'abstrait des liens du mariage par la solitude, une simple chronique de la noblesse, autre chose ? 

On n'ose pas trop gloser ici sur les aspirations du film à être autre beaucoup plus qu'un superbe défilé de toiles, mais on citera quand même deux noms: Acacio de Almeida, le chef -opérateur qui a fourni un travail de première main (après avoir jeté un oeil sur sa filmo, on va dire que cet homme a du métier: son premier film date de 1967 !), et la magnifique Clara Riedenstein, dont la rousseur quasiment de chaque plan, irradie la pelloche.

A noter que c'est aussi le dernier film d'Ingrid Caven qui nous offre des "intermèdes" chantés en plusieurs langues, seuls moments gênants et dispensables de ce très beau film (passer d'un coup du Titien à du Straub-Huillet, c'est dur).


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