dimanche 28 juin 2020

Diopstraubpong: cinéastes de l'impossible.


Petite migraine ce soir, vous allez comprendre... Suis allé me planter au beau milieu d'un carrefour où se croisent les routes de trois genres de cinéma impossibles à leur façon, du moins pas faciles du tout, avec pour commencer le film qui fit connaitre le cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambety en 1973, TOUKI BOUKI (Le voyage de la hyène), un film qui ravit alors la critique occidentale. 

J'avais pourtant gardé un très bon souvenir des deux seuls films que j'avais vus de lui, HYENES et  LA PETITE VENDEUSE DE SOLEILS et là, je me suis un peu demandé où j'étais. J'ai fini par comprendre d'où venait le problème, une fois le film terminé et ruminant mon désarroi; j'avais abordé le film sous un mauvais angle. Je n'avais pas vu que TOUKI BOUKI, indéniablement sous influence Nouvelle Vague, cherchait à faire un peu PIERROT LE FOU, un peu A BOUT DE SOUFFLE à Dakar. Nous y suivons le parcours tout en zigs et en zags de Mory et Anta, lui beau gosse un peu voyou qui se ballade d'un air fier sur sa moto ornée de cornes de zébu, elle belle plante avec des faux airs de garçon manqué.

Le film a l'air un peu dépenaillé, comme ça,  se permettant de curieux effets de retours en arrière et de séquences oniriques qu'on prend d'abord au pied de la lettre, avant de s'apercevoir que c'était, un peu, pour nous blouser. Mory vole un joueur de bonneteau, Mory arnaque un riche homo dans sa baraque avec piscine, Anta vide les sacoches laissés sur un banc, Anta et Mory font l'amour sur la plage (superbe séquence; Mambety était un sacré filmeur, notamment dans son traitement des couleurs, absolument éclatantes), Mory et Anta veulent se payer leur billet pour la France.

Le principal problème, c'est que le film a vieilli, et ce qui pouvait passer pour de l'audace dans les années 70, agrémentée de procédés arty pas toujours utiles, qui soulignaient jadis, alourdissent aujourd'hui. Dans ce Sénégal post-colonial, il y avait encore quelques comptes à régler: on se moque de l'érection d'un monument à la mémoire de De Gaulle (Anta et Mory vont d'ailleurs piquer la recette de la fête donnée en cet honneur), ou encore de la logorrhée verbale de ces blancs toujours remplis de paternalisme sournois et de condescendance raciste. 

On préfèrera par exemple à ce personnage absurde et idiot de petit blanc rendu à l'état sauvage (il loge dans un arbre, s'habille en peau de bête) et qui finit par voler la moto de Mory, cette simple séquence documentaire dans un abattoir, qui ouvre le film,  terrible, affreuse, où des hommes pataugent dans les viscères, leur machette à la main, dans le vacarme des bêtes qui meuglent. Le film s'achève d'ailleurs sur un plan fixe sur un jeune garçon-vacher menant ses bêtes dans la savane. Mambety saura plus tard comment traiter de grands problèmes avec des idées toutes simples comme celle-là. TOUKI BOUKI est un film qui n'a pas bien vieilli à cause de ça.

Je n'avais jamais vu de film de Straub & Huillet, et voilà: au bout de 45 minutes d'endurance pacifique avec des envies folles de bousiller un truc à mains nues, j'ai éteint. C'était ça ou c'est un de mes gosses qui allait prendre (je plaisante, ils sont trop grands...). 

Résumons: Sophocle écrit cette pièce, délivre un des personnages les plus inépuisables du théâtre ancien et moderne, qui sera repris par maints écrivains et poètes. Hölderlin, le poète allemand pouet-pouet, entre autres, que Brecht reprendra et réécrira en y mettant toute sa ferveur politique. Le tandem Straub-Huillet reprend cette version en plantant ses caméras et plusieurs comédiens allemands, qui se prennent des coups de soleil de Toscane sur leurs peaux de blondinets, tout habillés de toges colorées et chaussés de cuir tressé, dans ce qui semble être des ruines d'un vieux théâtre antique.

Séquences statiques, comédiens qui ne bougent pas les pieds, parfois un choeur antique qui meugle (gros plan sur des dalles blanches dans la terre jaune), autre scène, comédiens qui ne bougent toujours pas, re-choeur antique qui meugle (et là, gros plan sur les dalles blanches mais... un bon mètre en décalage avec la fois précédente), et tout ceci est tellement sec, tellement vide, tellement énervant qu'on en oublie d'essayer d'écouter le texte.

Avec cet ANTIGONE, filmé en 1992, on tombe au fond de quelque chose qui a peut-être à voir avec le respect le plus profond pour un texte mais, aussi, avec ce que je n'irai pas jusqu'à appeler du mépris, mais du déni d'un certain public. Deux genres de public, peut-être, apprécieront (ou feront semblant d'apprécier, ou diront avoir apprécié): les "spécialistes" du texte, voire du personnage, ou encore de ce théâtre-là (ce serait donc un film de spécialistes pour spécialistes), et les cinéphiles dont je connais l'existence (c'est la frange des lecteurs des Cahiers du Cinéma que je ne supporte pas), et qui pensent que la quintessence d'un certain cinéma se trouve là, comme dans les Godard les plus impossibles.

On a envie de leur crier, à tous ceux-là; restez entre vous. Votre cinéma-théâtre, ou théâtre-cinéma est chiant, moche et, comble de tout, pas formidablement bien interprété, pas extraordinairement bien filmé. Serait-ce trop demander que d'avoir une mise-en-scène généreuse, des comédiens qui se lâchent, qui osent des choses folles, qui puissent transcender un texte qui m'a semblé... un peu vieilli ? Et autre chose, en guise de cinéaste, qu'un trépied ?

Allons, allons, j'ai arrêté à la moitié... il faut être honnête. Si j'avais été jusqu'au bout, j'aurais vécu l'étincelle et j'aurais a-do-ré. Et pour prouver ma bonne fois, pas plus tard que dans pas longtemps, je me ferai un autre Straub/Huillet et si ça se trouve, je vais adorer. 

Nie aufgeben !


Ruminant cette amère défaite, doutant de mes capacités à endurer, puis comprendre, les cinémas les plus compliqués, j'ai ressorti un de ces épouvantails à faire blêmir le pauvre Eric Neuhoff de retour d'une soirée Schweppes à Antibes, j'ai nommé le grand, le seul, l'unique Apichatpong Weerasetakhul. Non content de savoir dire son nom à toute vitesse sans me tordre la langue, je le dis haut et fort: j'adore ce cinéaste car tous les films que j'ai pu voir de lui m'ont assis au fond de mon siège en me laissant dans un état de plénitude esthétique et... de calme parfait (et d'incompréhension tout autant, mais pas grave).

J'ai revu ONCLE BOONMEE (Celui qui se souvient de ses vies antérieures) 10 ans après sa sortie, et j'ai retrouvé ce même phénomène inexplicable de sérénité, cette même impression de me retrouver sur une terre parallèle, mais sans danger. Car autant l'univers de Lynch, on le sait, est lui aussi définitivement ailleurs, mais il est lourd de menaces, peuplé de monstres agressifs et hostiles, autant les mondes de "Joe" (son diminutif, bien pratique) sont étranges, parallèles mais pacifiques. Cette particularité m'a sauté aux yeux en le revoyant, dès les premières scènes: cette scène incroyable où le fantôme de l'épouse défunte apparaît (un des convives sursaute, et c'est tout), suivie de la montée des marches du premier homme-singe, qui n'est autre que le fils disparu de la soeur de Boonmee, et qui s'installe à la table, lui aussi, pour expliquer ce qui lui est arrivé. D'ailleurs, ce n'est pas quelque chose qui "lui est arrivé", mais une chose qu'il a décidé lui même...

Là où d'autres cinéastes, tous les autres en fait, joueraient avec les codes du film de revenants, voire avec le film d'horreur, lui pose la scène comme, quelques minutes plus tard, ce moment anodin mais tellement beau, où Boonmee demande à sa soeur si elle veut du miel: ils vont vers une ruche, lui en ouvre une, en lève un cadre et, ensemble, se régalent et se lèchent les doigts, sans la moindre crainte d'une piqûre. 

Le genre fantastique vous propose de craindre ce qui n'existe pas, de provoquer une peur irrationnelle. Dans cette scène, on n'a pas peur un seul instant de ce qui risque pourtant, normalement, d'arriver (et les personnages, et les acteurs non plus...)

J'ai aussi compris pourquoi Tim Burton avait donné la Palme à un film qui n'aurait pas du l'avoir, en revoyant la séquence, chef-d'oeuvre dans le chef-d'oeuvre, qui arrive là comme un flash-back mais n'a en fait aucune justification à se trouver dans ce film-là plutôt que dans un autre (ce qui en dit long sur la liberté de "Joe" vis à vis de son travail): l'épisode de la princesse.

Un passage qui possède la perfection d'un conte oriental autant que celle du très grand cinéma: cette femme à la peau grêlée dont l'eau lui renvoie un visage parfait, et fait offrande de tous ses attributs (bijoux, voiles, virginité) à la rivière et se donne au poisson-chat, ne pouvait qu'émouvoir l'inventeur d'Edward Scissorhands.

Pour le reste, soyons honnête, j'ai buté à peu près sur les mêmes moments: ce défilé de photogrammes sur des hommes-singes capturés par des militaires souriants, ce drôle de final avec les personnages qui se dédoublent. Rien n'est terminé dans les films de "Joe", surtout pas quand le film est fini.


Les goûts et les odeurs.


MEURTRE a été réalisé en 1930 par sir Hitch, et c'était bien avant qu'il ne signe ses premiers vrais grands films anglais, et n'entende les sirènes de Hollywood lui susurrer de doux murmures. On ne sait trop si celui-là est l'adaptation d'un roman ou d'une pièce, mais comme on est en Angleterre, en pleine floraison de crime-novels sous égide Chesterton et Agatha Christie, on dira qu'il y est effectivement question, comme attendu, d'un meurtre, d'une présumée coupable victime d'un "trou de mémoire" qui va l'envoyer vers la potence, d'un mobile bien tiré par les cheveux et d'une intrigue peu vraisemblable, mais rigolote comme tout.

Si on veut absolument bâtir des ponts entre ce film et le reste de la filmographie de Hitchcock que tout bon cinéphile connait à peu près sous le bout des doigts, disons qu'il y a un peu du FAUX COUPABLE là-dedans, et pas mal du GRAND ALIBI d'Agatha Christie, qu'Alfred adaptera en 1950 avec la divine Marlène Dietrich et Charles Laughton: le crime se déroule, là aussi, dans le milieu du théâtre avec, par conséquent, des suspects qui sont aussi comédiens et savent très bien faire semblant. La coquetterie de MEURTRE, c'est qu'après la condamnation de la pauvre jeune fille victime de son trou de mémoire, un seul membre du jury, qui dans un premier temps avait été le seul à voter contre sa culpabilité, décide de refaire l'enquête, pleine de trous aussi large que le gouffre de Padirac. Et cet homme, attention, est un grand metteur-en-scène de théâtre qui va user de certaines ficelles du métier pour faire éclater la vérité.

De sa période britannique, on préférera sans l'ombre d'un doute JEUNE ET INNOCENT, SABOTAGE, LES 39 MARCHES et d'autres. Mais les historiens du cinéma semblent être sûrs que c'est dans ce film que fut utilisé pour la première fois le procédé de la voix-off pour dévoiler les pensées intérieures d'un personnage (après tout, Hitch qui venait du muet, n'avait fait que remplacer les intertitres par cette astuce).

Je retiendrai, moi, la toute première scène du film, un long travelling somptueux sur les fenêtres du premier étage d'un immeuble: quelqu'un pousse un cri, des portes claquent, on appelle à l'aide, des gens ouvrent leurs fenêtres, ainsi on découvre plusieurs protagonistes de l'histoire qu'on va suivre, et puis un couple, elle avec un décolleté très avantageux pressé contre la rambarde. Suivi de plans à l'intérieur de la chambre: lui, dont on ne comprenait rien à ce qu'il disait, file remettre son dentier. Elle, une jolie blonde, évidemment, lui dit qu'elle arrive, et enfile sa culotte avec beaucoup de mal, par-dessous sa chemise de nuit.

Tout est déjà là: la rigueur technique, le génie du découpage, la perversité bonhomme d'un type qui, c'est bien connu aujourd'hui, n'en ratait pas une.


EUROVISION SONG CONTEST: THE STORY OF FIRE SAGA. Mais qu'est-ce-que c'est que ce truc ? J'avoue, j'ai un peu craqué sur cette production originale Néteuflix parce que... il était tard, parce qu'il y a Will Ferrell qui est un peu comme Ben Stiller pour moi: un souvenir impérissable de très nombreux fous-rires.

Cela vient juste de sortir, c'est réalisé par Dave Dobkin, cinéaste qui bouffe absolument à tous les râteliers, mais qui a quand même été fautif d'un hilarant SERIAL NOCEURS (avec Vince Vaughn et Owen Wilson), dont je me rappelle quelques glorieux moments. Nous sommes donc dans la comédie régressive post-Farelly, Apatow et consorts, un genre très américain qui a su produire, surtout dans les années 90, quelques beaux morceaux de bravoure assez... couilles-bites-chattes, comme disait Chabat.

A la course à l'Eurovision, donc, nous voici en Islande où Lars et Sigrit, amis d'enfance, forment un duo pop qui joue tous les samedis soirs dans la même taverne de pêcheurs. Jamais remis de la victoire d'Abba au prestigieux concours, les deux amis sont choisis par leur pays, sur un malentendu bien évidemment, car ils sont vraiment mauvais, pour le représenter à l'Eurovision.

J'ai du rire deux ou trois fois, quand même: la première lors de ce qui ressemblait à un rire nerveux, quand j'ai entendu "Semence et Garfunkel" (on ne peut pas faire plus débile), la seconde lorsque, enfin, on reconnait Will Ferrell et son humour de Panzer lorsqu'il se met à gueuler sur ses "connards d'Américains de merde" (on se souvient que Ferrell était l'imitateur en chef de Bush Jr, et lui taillait des costards rapiécés à peu près chaque semaine), mais ces deux éclairs, tout comme le bonheur de voir Rachel McAdams (que j'adore, et pas seulement parce qu'elle c'est une jolie fille...) ne sauraient escamoter le naufrage.

En cause, Will Ferrell qui semble un peu souffrir d'arthrose, et dont les cascades foirées font à peine sourire. Et faute de renforts dans les situations et les dialogues, sa fameuse tête-de-con-sourcils-froncés fait chou blanc. Il n'est jamais drôle et ça, on ne s'y attendait pas du tout.

Encore plus emmerdant, la condescendance avec laquelle est traitée l'Islande (en gros, des boeufs qui boivent des bières et ont des goûts musicaux de chiotte, et qui sont tous les enfants illégitimes d'un seul homme), avec ces insinuations lourdes, ici ne passent pas. Pourtant sur RongemailleBlog, on n'est pas chochotte avec le politiquement incorrect, mais ça ne va pas suffisamment loin dans l'outrance pour nous faire pouffer. Rendez-nous LES ROIS DU PATIN, SUPERGRAVE, SERIAL NOCEURS et MARY A TOUT PRIX, nom d'un husky !

Les clichés sont tous là, mais bien rangés: beaucoup de gays dans le milieu du show-biz, trop de sourires plein de dents blanches et de bombes sexuelles qui se trémoussent sur de la musique de merde, et le film atteint son nirvana lors d'une scène qui a failli me faire sortir, où les protagonistes d'une giga-teuf improvisent une reprise electro-disco de "Waterloo" en se passant le relais (on y reconnait les abominables Laureen, Conchita Wurst et Bilal Hassani, et tout plein d'inconnus de moi, certainement célèbres mais qui braillent plus fort les uns que les autres).

Et ça dure deux heures... Si Neteuflix parvient aussi à aseptiser les comédies vulgaires qui me font tant marrer, c'est que son entreprise de ripolinage commence à porter dangereusement ses fruits. Avec ces gens-là, bientôt, les chattes et les bites n'auront plus aucun goût.

samedi 27 juin 2020

En avoir, ou pas.


C'est en parcourant, plus qu'en le lisant assidûment, je dois l'avouer, l'ouvrage de Jérôme d'Estais sur Kathryn Bigelow, "Passage de frontières", qui vient juste de paraître chez Rouge profond, que je me suis dit qu'il fallait que je re-jette un oeil à ce film mal-aimé, rentre-dedans et spectaculaire, que j'avais tellement apprécié à sa sortie en 1995, STRANGE DAYS. Le film fut le pire échec de la réalisatrice sans doute, elle qui en connut bien d'autres, mais pour moi, il est un peu comme FURIE dans la filmographie de Brian de Palma: une démonstration de force pure et de débauche de spectaculaire (presque) gratuite.

Le public d'alors, l' américain surtout, fut sans doute gêné, en plus de l'absence de stars (Fiennes n'était pas trop connu, alors) et d'une violence sans fard, par la sophistication du "gadget" au centre du film, le SQUID, procédé technologique purement et simplement interdit dans l'Amérique futuriste décrite, qui vous relie, à l'aide d'un casque, à un lecteur qui vous fait revivre l'expérience sensorielle vécue par quelqu'un d'autre, et qui l'a enregistrée. Que ce soit pour faire revivre à un cul-de-jatte une expérience de jogging sur la plage, une partie de jambe-en-l'air, une poursuite casseurs-flics ou autre choses, ces disques se vendent sous le manteau parfois à des prix stratosphériques et Lenny, dont c'est le business (Ralph Fiennes), un ancien flic revenu de tout, retourne lui-même revivre des moments de bonheur passés avec une ex qui l'a salement largué pour un blaireau plus bankable (c'est Juliette Lewis, dans le seul rôle pas vraiment crédible du film).

Comme le marché de la vidéo, le SQUID, déjà illégal, possède son "darkmarket" avec ses pornos dégueus, ses snuff-movies et ses captations de faits divers. Le moteur de STRANGE DAYS est d'abord un SQUID pris sur le vif (une prostituée qui devait enregistrer ses ébats avec une star du rap est témoin du meurtre de celui-ci par deux flics racistes), le genre de vidéo qu'Eric Ciotti voudrait bien interdire. Le genre de vidéo qui aurait pu changer le cours du procès du dernier film de Bigelow, DETROIT, qui relate les actes de torture et de meurtres, commis par des policiers là encore, en 1962.

Jérôme d'Estais le reconnait lui-même dans son essai, qui relie les films de la cinéaste selon des thèmes et des fils tendus parfois tirés par les cheveux, STRANGE DAYS est un film vraiment à part, et s'il parvient à le rapprocher de manière évidente à DETROIT (la violence policière, le racisme endémique d'un pays), ou à BLUE STEEL pour son héroïne qui prend en charge la seule vraie figure de virilité à poigne du film (Angela Bassett, free-fighteuse hyper sexy amoureuse de ce couillon de Ralph Fiennes, qui de son côté prend parfaitement en charge le rôle de la tête de linotte un peu fragile, et inconséquente), le film est autant, sur l'écran, un film de Bigelow que de James Cameron, alors compagnon d'écriture et compagnon tout court, dont on reconnait l'effroi face aux ravages des technologies nouvelles.

Seconde utilisation déviante du SQUID, c'est bien entendu l'usage qu'en fait cet assassin psychopathe qui connecte son appareil sur la tête de ses victimes, avant de les violer et de les tuer afin qu'elles voient, et ressentent, tout de ce qu'il leur inflige. L'idée est terrifiante, et même si on peut y déceler la "patte" anti-techno du réalisateur de TERMINATOR, seule une femme pouvait filmer une scène pareille sans qu'on la suspecte de complaisance, ni de voyeurisme. Sorte de mash-up horrible entre le modus operandi de l'assassin du VOYEUR de Powell et Pressburger (qui forçait ses victimes à se regarder dans un miroir alors qu'il les plantait) et des technologies encore nouvelles en 1995, de casques à réalité virtuelle, l'idée est géniale et projette ce film de science-fiction, qui est aussi une fabuleuse histoire d'amour mixte (une des rares dans le cinéma mainstream, filmée avec autant d'intensité et de sex-appeal), mais aussi une partie de castagne effrénée, mais encore et surtout un brûlot politique (pas un coin de rue où ne voit une émeute avec forces de l'ordre qui sévissent), ce spectacle pétaradant et ouvertement exagéré vers des altitudes presque inédites.

Même si le livre de Jérôme d'Estais peine parfois à créer des liens  évidents entre les films de Bigelow, qui oeuvrent dans des genres très différents (sans parler du POIDS DE L'EAU, le seul que je n'ai pas vu), on dira que beaucoup de choses y reviennent, à coups sûrs: la réversibilité du bien et du mal (ZERO DARK THIRT, K-9), la remise en cause de ces mêmes notions en temps de guerre (ZERO DARK THIRTY, DEMINEURS), un appétit certain pour la violence (tous ses films), la réappropriation de la place des femmes, quitte à ce que ce soit par la force (BLUE STEEL, STRANGE DAYS, AUX FRONTIERES DE L'AUBE), la remise en cause de la virilité (THE LOVELESS et surtout POINT BREAK qui reste, à ce stade, l'exemple-type du buddy-movie crypto-gay, mais cela a été trop commenté pour que j'y revienne).

Elle est surtout, je me répète mais je le redis, avec les longues absences de Michael Mann, McTiernan et Cameron, et l'extinction progressive des Friedkin et autres De Palma, la meilleure, et la dernière des grandes cinéastes de film d'action. Pour posséder une pêche pareille, il n'y a plus qu'elle.


Un qui aurait pu, sans blague, aller faire un bout de carrière aux Etats-Unis, c'est Jacques Deray. SYMPHONIE POUR UN MASSACRE, son troisième film (1963) aurait pu lui offrir son passeport pour Hollywood: comme son collègue Henri Verneuil, Deray possédait cette culture américaine très "série noire" dont il avait acquis tous les codes, tout en restant très français dans son traitement du genre polar, plus tendance Simonin que Chandler.

Adapté du roman "Les mystifiés" de Alain Reynaud-Fourton (Gallimard, collection Cadre Noir), c'est bien de Rififi à Paname qu'il s'agit encore: entourloupe entre quatre "associés" du milieu dont un vieux vautour revenu de la grande époque (Charles Vanel), un patron de cercle de jeu un peu tricard (Michel Auclair), un propriétaire de restaurant vieille France (Claude Dauphin), et le quatrième, l'enculé de service, rôle central octroyé à cette grande perche de Jean Rochefort alors tout jeune, et sans moustache (mais il se colle une postiche lors d'un mauvais coup, soyez rassuré...).

Rien que du beau monde dans ce bal des fumiers, ni vu ni connu, je t'embrouille, un petit jeu de massacre plutôt jouissif où les coups bas sont la règle et le double-jeu de mise. Le film est vraiment très bien écrit, aucun détail n'accroche, et c'est justement ce que le film démontre: quand on veut monter un sale coup, surtout aux détriments de sales types qui en ont vu d'autres, autant faire attention à TOUS les détails. Claude Sautet, qui était alors le Robert Towne du cinéma français (script-doctor émérite, avant de filer vers la réalisation) et José Giovanni (ex-taulard collabo qui en connaissait un bout sur les sales gens), ont vraiment réalisé un travail d'orfèvre.

Tout est impeccable là-dedans: à commencer par les vieux tromblons Dauphin et Vanel, et Rochefort dans ce rôle a posteriori pas fait pour lui, joue sa partition avec son style, et ça marche. Il savait jouer aussi les salauds un peu psycho sur les bords.

A quoi reconnait-on un très bon réalisateur de film de genres ? A la scène du train, filmée sans une ligne de dialogue, à l'élastique. A la direction d'acteurs, tous fabuleux. Un type qui a signé LA PISCINE, TROIS HOMMES A ABATTRE ou ON NE MEURT QUE DEUX FOIS, quand même... mais qui est arrivé en même temps qu'une certaine Nouvelle Vague, et immédiatement ringardisé. 

Réévaluons Jacques Deray (enfin, au moins ce film) !


jeudi 25 juin 2020

Tout est en ordre




WITHIN OUR GATES est bien le genre de film qu'on ne voit pas tous les jours. Homologué premier film afro-américain certifié (du producteur jusqu'aux interprètes), cette oeuvre a subi bien des avaries au fil du temps, comme à peu près tous les films réalisés à l'époque du muet d'ailleurs, et a donné pas mal de fil à retordre aux restaurateurs de la Librairie du Congrès, qui détiennent les bobines depuis les années 80. 

Réalisé en 1920, la version aujourd'hui disponible est un rafistolage des pellicules originales sauvegardées avec une version espagnole elle-même tronquée... aussi le film qui subsiste, rescapé des ravages du temps et de l'oubli, est bien entendu pleine de trous, auquel il a fallu rajouter des intertitres.

C'est un document assez fabuleux, qui prouve bien que les Etats-Unis engloutissent les oeuvres qui les arrangent. C'est une sorte de mélodrame à la Griffith, mais à l'envers, avec son orpheline, les coups du destin, les relations et jalousies amoureuses croisées, avec ses coups de théatre attendus et son happy-end de circonstance. Comme le film retrace l'histoire édifiante d'une jeune femme noire instruite, partagée entre plusieurs prétendants, les rebondissements surgissent non seulement des bassesses des Noirs entre eux, de leurs lâchetés parfois, mais aussi de l'injustice et la violence des Blancs.

Un instant, on a peur que WITHIN OUR GATES nous raconte comment un projet d'école pour les enfants Noirs défavorisés a été sauvé par la rencontre de Sylvia avec cette richissime dame blanche qui finit par lui signer un chèque de 50000 dollars. Oscar Micheaux était sûrement assez conscient que la libération des Noirs ne pouvait se faire qu'avec l'aide de certains Blancs. Ailleurs, - nous sommes quand même en 1920 et c'est à cela qu'il faut mesurer le courage du film, on assiste à une scène de lynchage sans fioriture, avec un gamin voulant fuir qui se fait tirer dans le dos, ou encore cette tentative de viol dont est victime Sylvia: son agresseur, un Blanc,  n'est autre que son père. Des images qui ont du frapper les esprits à l'époque, même si la distribution du film s'est cantonné à certaines villes, et n'a pas du être beaucoup vu en Alabama ou dans le Mississipi.

Difficile, en tous cas, de parfaitement juger un film à qui il manque pas mal d'épisodes, mais c'est surtout sur le champ de la construction narrative que le film épate: osant de longues disgressions en flash-backs sur le passé de plusieurs personnages, il est fort à parier que le film, en plus, avait du sembler très novateur à l'époque, et dérouter.

Belle réponse au NAISSANCE D'UNE NATION de Griffith, en tout cas,  réalisé cinq ans auparavant, qui avait fait faire des pas de géant au 7° art, tout en en glorifiant les charniers du passé esclavagiste de son pays. Comme l'a bien écrit Guillaume Erner dans un article récent de Charlie: "la situation aux Etats-Unis (aujourd'hui, en 2020) donne le vertige. La guerre de Sécession s'est achevée en 1895, et cependant aucun travail de mémoire sérieux n'a été accompli. La situation actuelle du pays est une conséquence évidente de cet impensé."

Si même l'histoire du cinéma a choisi jusqu'à récemment de glorifier le génie de Griffith plutôt que celui de Micheaux et d'autres oubliés, c'était bien dans cet esprit complice. L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs, c'est bien connu.


Quant à UNRELATED (2007) de la Britannique Joanna Hogg, petit film indépendant gentiment délicat et très petit-bourgeois (quelques jours des vacances en Toscane d'une bande d'amis et de leurs enfants, tous jeunes adultes, dans une superbe villa), on dira qu'il a eu le mérite (?) de faire connaitre la jolie gueule du blondinet Tom Hiddleston (très bon acteur, par ailleurs), juste avant son départ vers Kong Island, les Avengers et autres conneries de cet acabit.

Chargé d'une douce tension sexuelle qui donne au film de Hogg des airs de CALL ME BY YOUR NAME hétéro (pas chez les intellos cette fois, mais chez d'authentiques parvenus, vaguement vulgaires), UNRELATED se partage entre jeux alcoolisés au bord de la piscine, fumette dans les champs brûlants et flirts adolescents. Et justement Anna, qui débarque sans son conjoint, n'a plus vingt ans mais finit par en pincer pour le bel et arrogant Oakley (Hiddleston).

La comédienne Kathryn Worth, qui joue Anna, est vraiment formidable en femme encore séduisante mais qui s'est persuadée que ces années "jeune et jolie" allaient bientôt sonner leur tocsin, et qui accepte de participer aux jeux adolescents pas toujours subtils de cette bande de jeunes en roue libre hormonale. Ce qui lui arrive confine au conte cruel, et quand le retour de bâton arrive (les jeunes la trouvent chouette mais préfèrent rester entre eux, rétablissement brutal de l'autorité parentale après une grosse connerie), le film préfère renvoyer tout ce petit monde au pays: les adultes à leur business, les gamins à leurs universités privées, et Anna à son mari vers qui, finalement, elle trouve pas si mal de retourner.

Comme on aurait préféré un peu plus de malaise et de violences dans le dénouement de ces ardeurs estivales, on se contentera de cette morale douce-amère. Tout est en ordre, chacun à sa place (every thing is allright, comme dirait l'autre), on espère que l'année prochaine il fera aussi beau, et qu'on s'éclatera un peu plus.

Parfaits hypocrites


Le film de Robert Hamer NOBLESSE OBLIGE (1949) est entré dans les annales grâce à la superbe de son acteur principal, Alec Guiness qui, mieux que Peter Sellers des années plus tard, y interpréta pas moins de huit rôles. Ce qui tenait alors autant de la performance que du clin d'oeil sophistiqué (Guiness joue ici les membres d'une même famille, dont un banquier, un pasteur, une suffragette, etc...) et a rendu le film célèbre.

Sans ça, on peut quand même penser que cette comédie british aussi distinguée qu'infusée dans l'humour noir, aurait perdu ses titres nobiliaires au fil du temps. Persuadé depuis son plus jeune âge par sa défunte maman qu'il appartient à une lignée de la plus haute aristocratie anglaise, les d'Ascoyne, le jeune Louis décide de décaniller toute la prestigieuse lignée pour que, faute de combattants si j'ose dire, le duché lui échoit enfin. Aussi arriviste que rancunier (les d'Ascoyne ont refusé à sa moman une place dans le caveau familial, ultime affront), Louis va déployer des trésors d'inventivité pour se débarrasser de cette horde de sangs bleus fin de race.

On reconnait bien là le côté ludique de la comédie policière à l'anglaise, scones, tea-time et détectives perspicaces qui froncent les sourcils au-dessus du fourneau de leur pipe. Ici, pas de Sherlock, ni de père Brown, mais une sorte de "Dix petits nègres" vécu côté pile comme l'était un peu, sur un mode beaucoup plus drôle, le fameux TUEUR DE DAMES avec le même Alec Guiness.

Revu aujourd'hui, on s'amusera toujours et encore du pied immense qu'a du prendre le comédien sur la conception de ses huits personnages et, comme la première fois, on a trouvé les à-côtés de cet amusant jeu de massacre un peu léger: les rebondissements au tribunal, les jeux du chat et de la souris entre Louis et son ex-fiancée, encore plus intrigante que lui, qui l'a lâché pour un autre, plus idiot mais plus riche, avant de se coller de nouveau à lui, sentant le vent tourner.

Autrement dit, et même si tout cela reste éminemment agréable à regarder, sans les pitreries de sir Alec, de NOBLESSE OBLIGE on ne se rappellerait plus.


Troisième film de Paolo Sorrentino, réalisé en 2006, juste avant IL DIVO, L'AMI DE LA FAMILLE m'a encore fait éprouver le même sentiment mitigé que ses autres films. Quel est donc mon problème avec ce cinéaste pourtant abonné aux louanges (et aux selections dans les grands festivals) à chacun de ses films ?

Commençons par ce qui m'embête: si Sorrentino sait découper ses cadres, ordonner ses plans avec une rigueur qui crève les yeux, surgit toujours cette impression que le réalisateur, avec la complicité de son chef-op, cherche surtout à nous épater. Pour preuve, son attirance pour les jardins français taillés au ciseau devant des monuments en marbre blanc, sa fascination pour les lumières des boîtes de nuit, ses contre-plongées dans les décolletés des belles femmes, sur les piscines d'un bleu turquoise éclairées par en-dessous et cette manie, sans cesse observée dans chacun de ses films, d' interrompre le fil de son récit pour nous offrir un clip-vidéo maison (toujours très classieux, d'ailleurs). 

Ici, c'est la danse de la splendide Rosalba, qui vient d'obtenir un prix à un concours de beauté (elle le dit elle-même, elle ne sait faire que ça: danser). Deux ou trois fois dans le film, tout s'arrête et sur une chanson d'Antony, des Notwist et autres (pas de faute de goût à ce niveau-là), Sorrentino nous montre sa culture MTV. Dans LA GRANDE BELEZZA, son film le plus tapageur et, pour ses admirateurs, son meilleur, c'était la fameuse scène inaugurale de fête techno non-stop qui donnait autant le tournis qu'elle prouvait la capacité du cinéaste à (bien) filmer la fête, la hype et les stroboscopes. A noter également que dans son cinéma, les jolies femmes (le plus souvent d'irréelles bombasses) sont filmées et exhibées comme dans un bordel de luxe (d'ailleurs dans son cinéma, ça aussi, ça se monnaye).

Sorrentino se pique aussi d'écriture et, petit détail qui ne sera pas grand chose pour vous (mais pour moi, ça veut dire beaucoup), il rédige ses romans directement en anglais. Bon.

Pour le meilleur, et pour ne parler que de L'AMI DE LA FAMILLE, Sorrentino est un portraitiste impitoyable qui explore sous tous les angles possibles un personnage formidablement écrit (et joué, par l'étonnant Giacomo Rizzo), Geremia "Coeur d'Or" di Geremie, vieux lutin bossu qui vit avec sa mère et saigne la communauté de la petite ville où il officie par sa fonction officieuse d'usurier. Une fois la présentation faite de ce personnage de parfait crapaud, Sorrentino n'oublie pas de nous en montrer aussi les "bons" côtés, autant cachés qu'assez peu fiables, finalement.

La confrontation entre Geremia et la divine Rosalba est le noeud de cette intrigue, elle qu'il va faire chanter de manière odieuse, elle dont les parents se sont "saignés" pour lui payer sa cérémonie de mariage, rencontre qui file tout d'abord vers une sorte de fable déviante sur le thème de la Belle et la Bête pour aboutir, c'est un peu le vice de ce genre de conte - et du cinéma de Sorrentino en particulier -, sur un twist encore plus immoral.

C'est sûr, le cinéaste sicilien est un vrai moraliste. Il adore montrer le mauvais dans l'homme, sa supercherie, comme ses faiblesses, mais n'en fait pas des films aussi moches qu'eux, c'est son principal paradoxe. Et c'est à cause de ça que, malgré tout son talent, toute sa pêche de filmeur "funky" et d'adepte du décorum fastueux, Sorrentino restera encore longtemps, pour moi, plus qu'un cinéaste tapageur, un parfait hypocrite.

mercredi 24 juin 2020

Joue-la comme Carpenter.


Vous ne connaissiez pas Nimrod Eldar, et moi non plus. Jeune cinéaste israélien dont le dernier film, THE DAY AFTER I'M GONE a été remarqué au festival de Berlin, l'an dernier, Eldar appartient à une génération de cinéastes qui n'est guère gâtée par le contexte politique dans lequel elle évolue. Prenant un biais intimiste pour parler de son pays, cette chronique d'une douleur familiale (se remettre de la mort d'une mère et d'une épouse, se remettre de la tentative de suicide de sa fille), trouve sa résolution après un week-end passé aux côtés de membres éloignés de la famille, pour qui la situation a l'air moins traumatique, mais insoluble.

Veuf depuis plus d'un an, Yoram ne sait plus par quel bout prendre sa fille unique de 17 ans, Roni, qui manque de se tuer aux barbituriques. Jeune fille très intelligente, très attachée au souvenir de sa mère et souffrant d'un problème de surpoids, l'adolescente mène la vie dure à son père, à grands coups de silences et d'absences injustifiées. Du reste, comme Yoram est un homme de peu de mots, qu'on suppose encore plus renfermé depuis la mort de sa femme, et qui a du mal établir (rétablir ?) un début de dialogue avec elle, l'histoire est compliquée.

Dommage que le film n'insiste pas plus, dans sa première partie, sur les rapports entre Yoram et une de ses collègues de travail, qui le taquine, le drague peut-être, à coups d'adages tout faits et de superstitions absurdes, lui proposant des solutions bidon à ses tourments. Yoram est médecin vétérinaire au zoo de Tel Aviv, c'est un homme rationnel, posé, athée, qui ne sait pas par quel bout prendre le problème, et lorsque sa collègue lui propose d'"amener la petite" au travail, comme avant, elle qui adore les animaux, c'est tout juste s'il tend l'oreille.

Sans doute par lâcheté, Yoram emmène sa fille chez ses beaux-parents qui habitent un village en territoire occupé, une partie de sa famille qui ne l'a jamais apprécié (c'est un intellectuel, ce sont des colons aux convictions nationalistes qui ont viré depuis longtemps à l'hostilité), et en passant outre la promesse faite à sa fille de ne pas parler de son suicide manqué, va enfin déclencher des cris et des larmes, ce dont on le devine bien incapable.

Le film se contente de régler la question en confrontant le mal-être de Roni au mal-être et à la bêtise un peu crasse de ses oncles et cousins. Pour mieux supporter votre douleur, semble nous dire ce film, voyez donc comment les autres en bavent. C'est une manière sûrement efficace de voir les choses, avec un brin de condescendance pour ces "beaufs" mais... à la guerre comme à la guerre. On sera un peu plus circonspect sur la raison d'être du film, qui ne serait pas grand chose sans la description du climat politique tendu qui règne en Israël, imprégnant les rapports entre les membres d'une même famille. Sans, surtout, la présence de la jeune actrice Zohar Meidan, dont les expressions et le visage sont d'une beauté stupéfiante.


Rien à voir du tout du tout du tout, mais l'éclectisme est la marque de ce blog, comme de mes goûts, aussi j'ai pu voir ce fameux ARES, réalisé en 2016 par Jean-Patrick Benes, une des rares tentatives de SF à la française, qui s'est d'ailleurs pris un bouillon à sa sortie, malgré des critiques pas forcément négatives.

C'est pas mal du tout, avec ce Paris dans un "futur immédiat" où les politiques ne font plus semblant d'être au pouvoir et ont tout abandonné aux mains des multinationales. Dans un monde où tout le monde a le droit de tout faire (sauf de circuler avec des armes dans les espaces publics, c'est signalé à tout bout de champ comme une alerte Covid-19), les corps humains sont eux aussi à vendre, comme les paquets de nouilles, et les 15 millions de chômeurs qui survivent en bas, dans les poubelles, ont bien été dressés à être d'accord avec tout ça.

Notre héros, Arès (l'acteur Suédois Ola Rapace, qui joue comme une bout de bois, mais dont le manque d'expressivité sert très bien le personnage) est un vieux free-fighter qui a été grand, mais n'est plus grand chose. Il accepte, pour une belle somme d'argent de prendre un produit, - tous les produits dopants, comme tous les coups, sont permis - qu'il semble être le seul à supporter, et retourne dans la cage.

Sur la marchandisation des corps et des esprits, on en a lu et vu autant ailleurs, mais le film de Benes, avec son esthétique pas compliquée (il semble avoir été tourné dans deux endroits empruntés à BLADE RUNNER: dans l'immeuble de J.F. Sebastian pour la plèbe, en haut du Tyrell Building pour les pontes du Cac40), ne réserve pas de grandes surprises, mais il fait le job beaucoup mieux que, par exemple et au hasard, les tentatives cinoche de Enki Bilal. Il a préféré se la jouer Carpenter, et il a bien eu raison.

Bien sûr, ARES ne peut que parler à ceux qui s'inquiètent de l'évolution des choses, et voir le grand patron Louis-Do de Lensquesaing passer par la fenêtre du 40éme étage donne le sourire. Le film n'est pas vieux, et très dans l'air du temps, a très bien su capter les prémisses gilets jaunes du tournant social et politique qui vient.

Alors on vous le répète: aux armes, aux manches de pioche, etc !... Cette bonne série B, claire comme de l'eau de roche, et bien teigneuse comme il faut, est un excellent remède à un sale édito BFM-LRM. On saluera au passage  l'excellent Micha Lescot qui fait un très beau numéro en Myosotis, mi-travelo, mi-nounou, et dont chaque apparition apporte pas mal d'air frais à ces espaces... confinés. Bravo à lui.

mardi 23 juin 2020

Home movies.


Je découvre petit à petit le cinéma de Jonas Mekas, mort en 2019, icône du New York underground depuis les années 60, compagnon de route de la Beat Generation et de la Warhol Factory, habitué des festivals indies et des rétrospectives de cinémathèque. Pas évident d'accéder à sa filmo quand on est un provincial fauché mais, internet aidant, on y arrive un peu aujourd'hui.

A LETTER FROM GREENPOINT, tourné en 2004, est une page auto-fictive très free-style dans lequel le cinéaste, armé de matériel vidéo très léger, se filme au gré de son inspiration en train d'aménager dans son nouvel appartement, à Brooklyn. Nostalgie d'abord, quand Mekas filme le superbe loft qu'il a occupé longtemps, et qu'il vient de quitter, puis retour à la normal avec Jonas, et quelques amis, qui boivent des coups au milieu des cartons, sortent dans les bars du coin dans la joie, et la bonne humeur.

Alors âgé de plus de 80 ans, Mekas se filme tel quel, au plus près de la peau et de ses tâches de vieillesse, au milieu de séances de bamboche entre artistes où le cinéaste, pour un oui ou pour un non, improvise des chants sur des musiques inventées de toutes pièces, sur des standards parfois (dont un "like a rolling stone" de Dylan assez tordant, sur lequel Mekas répond du tac-au-tac  au "How does it feel ?" du refrain par un "Personne ne me demande comment je vais, moi !"), se livre au jeu des questions-réponses avec son chat Mitzi, à qui il demande de l'épouser.

C'est l'auto-portrait d'un vieil homme non pas esseulé (on le voit très souvent avec des amis, bien souvent beaucoup plus jeunes que lui), mais qui peut se permettre de se montrer tel qu'il est: parlant tout seul, parlant avec son chat, se filmant au milieu d'une insomnie nocturne, en train de sortir de ses malles de vieux bouquins.

S'il faut parler de "home-movie", dont LETTER... pourrait être l'illustration idéale, on pourrait préciser "between-two-homes movie" pour faire plus clair. Mekas laisse un immense bout de son existence derrière lui, pas très loin (il reste à Brooklyn, quand même), sans s'appesantir là-dessus mais en tenant, quand même, à filmer, comme il le sent, ce passage important d'un lieu à un autre, ce passage important de toute une vie.

Un de ses derniers ? Mekas a vécu, et filmé encore près de 15 ans après ça, autant dire que pour lui, rien n'était fini. mais l'énergie de ce bonhomme à l'âge où tout n'est plus qu'oubli, tristesse, désarroi, ennui ou regret, vaut à lui seul le spectacle. Cet appétit qui l'a toujours possédé de toujours filmer le présent, devait exclure tout besoin de retour en arrière.

Revenir en arrière, et dans le passé, on va y être obligé puisque je vais vous parler ici d'un film muet de 1927 assez charmant signé Alfred Machin (c'est pas une blague) et Henry Wulschleger, LE MANOIR DE LA PEUR. 

Contrairement à ce que vous pouvez penser, ces deux-là étaient des cinéastes bankables, et leur unique excursion vers le fantastique, ce film, fut un bide. Dans les années 20, déjà, il ne fallait donc pas prendre les attentes du public à contre-pied. Dans une petite ville, un mystérieux personnage s'installe dans une baraque lugubre, juchée derrière le cimetière, évidemment, et tout le monde aura vite fait de faire le signe de croix sur son passage. A quoi s'ajoute une histoire d'amour contrariée, et de mystérieux cambriolages qui ont lieu chaque nuit dans différentes baraques.

Les scénaristes ne sont pas allé bien loin pour imaginer leur histoire, - ils ont juste arrangé quelques doses de "la rue Morgue" de Poe avec la Maison Usher, et zou), mais le film fonctionne tellement bien qu'on évacue assez vite les clichés pour le plaisir de nombreuses scènes. Mes petites fiches m'ont donc rapporté que le dénommé Alfred Machin était revenu de ses voyages en Afrique avec différentes bestioles exotiques qu'il faisait jouer dans ses comédies (ce que ses films étaient, d'habitude).

La vraie star de ce MANOIR DE LA PEUR, plus que le mystérieux étranger, plus que le jeune homme pauvre éconduit, plus que la peur elle-même, c'est bien le chimpanzé Auguste, bonne gueule et gestuelle dégingandée, dont la souplesse naturelle sert ici à merveille son grand rôle de monte-en-l'air expert en escalade de gouttière (merde, j'ai spoilé).

C'est la Cinémathèque Française qui met se genre de chose en ligne depuis avril dernier et allez-y, continuez les gars, vraiment j'adore ça.


On doit à Mark Rappaport ce ROCK HUDSON'S HOME MOVIES, réalisé en 1992, pour ce qui semble être le premier exemple moderne de vrai-faux documentaire en mode found-footage, concentré ici sur un sujet passionnant, autant qu'objet de fascination pour la communauté gay, le comédien Rock Hudson, icône ultra-virile du cinéma hollywoodien, et première star victime officielle du SIDA, en 1985.

Le parti-pris de Rappaport est gonflé, mais cohérent: le film nous est raconté comme si un comédien nous lisait le journal intime de Hudson, alors que c'est un journal inventé (ou "rêvé" serait plus indiqué) qui débute, et se termine, sur l' objet de fascination du comédien, un autre acteur: Jon Hall, filmé torse nu plongeant du haut d'un rocher vertigineux. Hall était l'objet de fantasme de Hudson, Hudson l'est de toute évidence pour Rappaport qui, tout au long de ce montage de plus d'une heure d'extraits de films, nous délivre les sous-entendus et sous-textes vertigineux que recelaient les dialogues, les situations ou les gestuelles du comédien, et de ses partenaires.

Partant du principe que même si Hudson (et ses producteurs) n'avaient jamais voulu dévoiler l'homosexualité de leur cow-boy favori au grand public, il s'agissait dans le milieu d'un secret de polichinelle, dont tout le monde se jouait, à commencer par les scénaristes. Les comédiennes, aussi, qui devaient se régaler de la présence de cet athlète si charmant, mais tellement inoffensif dans leur plumard, et en profitaient pour dévoiler toutes les facettes de leur double-jeu. 

C'est parfois tiré par les cheveux (lorsque Eric Farr, le narrateur, commente une enfilade de coups de poing donnés à certains acteurs, il "met dans la bouche" de Hudson des intentions qu'il n'avait peut-être pas: dans la tronche de James Dean, qui l'insupportait, de John Wayne "qui représentait le camp d'en face"), mais c'est souvent limpide et si évident, qu'on a presque honte de ne pas l'avoir remarqué du premier coup. A ce titre, le décryptage de ses scènes avec Tony Randall, son binôme et faire-valoir dans les comédies avec Doris Day, ou les extraits du SPORT FAVORI DE L'HOMME de Howard Hawks (qui ne prenait jamais de détour pour aller au principal) sont tellement poilantes qu'on se dit que, quand même, cet acteur en avait une sacrée paire pour se laisser aussi gentiment chahuter et laisser l'évidence posée là, comme le nez au milieu de la figure, comme la fameuse lettre volée d'Egdar Poe que personne ne voit, alors qu'elle crève pourtant les yeux.

L'histoire officielle a sans doute retenu que le grand héros de quelques grands films de Douglas Sirk (dont la star se vante, par les mots idéalisés que Rappaport a écrit pour lui, dans ce faux journal, d'avoir été le comédien-fêtiche), et de tant d'autres grands cinéastes, aura joué de cette entente tacite avec Hollywood, qui a profité de son image et de sa prestance, comme il s'est joué de sa véritable identité.

Si tout ce que ce film dévoile est vrai (et ce qu'il nous démontre crève tellement les yeux qu'on a du mal à penser le contraire), la carrière de cet homme a été décidément unique.  Je n'ai peut-être pas beaucoup insisté là-dessus, mais je le redis quand même: ce ROCK HUDSON'S HOME MOVIES est un film qui se regarde avec la banane: c'est tout le temps enjoué, souvent drôle, et l'obsession du documentariste pour cet acteur, qui se signale par le nombre incroyables de films et de plans décortiqués qu'il a du voir et revoir, force le respect. Un vrai travail de fourmi.

lundi 22 juin 2020

Dead to be alive.


Fait rarissime dans ma vie trépidante de cinéphage compulsif, je suis retourné voir un film que j'avais découvert pas plus tard que dans les premiers jours du confinement, alors que ce blog n'était pas encore ouvert. POLICIER, ADJECTIF de Corneliu Poromboiu est un film qui semble avoir durablement marqué certains critiques... exigeants (pas Premiere, ni Télé Poche, donc...) , au point que je le retrouve cité dans maints articles (je lis des vieux numéros de Trafic, pour vous dire le temps dont je dispose...) qui en reviennent systématiquement à lui, en référence de poids. Et ce bien des années après sa sortie (2009).

Poromboiu appartient à la génération des Mungiu et Puiu: le cinéma roumain a beau être affublé de certains tics (étirement des scènes, remplissage des espaces par des personnages qui se heurtent, rendant compte d'un certain état social du pays qui flirte avec le sordide) dont on se moque parfois, c'est un cinéma exigeant, qui ne pose pas sa caméra n'importe où.

Qu'avais-je raté la première fois ? Rien de plus que la singularité d'un film qui, en plus de compiler les quelques particularités citées plus haut, nous confronte au quotidien d'un homme, flic de son état et dont l'affaire, depuis des jours et des jours, est de suivre les faits et gestes d'un lycéen suspecté de tremper dans le trafic d'herbe. On comprend très vite que l'affaire n'a rien de très intéressant mais Cristi, flic scrupuleux et méthodique, fait son travail.

C'est pas tous les jours que vous suivrez une "intrigue" policière aussi peu trépidante, et vous aurez tout votre temps pour essayer de porter votre attention sur autre chose: les relations entre Cristi et les autres peut-être ? Cristi partage un bureau avec un collègue un peu simplet, et notre personnage affronte avec un peu de lassitude quelques légers tracas relationnels: un collègue veut faire partie de son équipe de tennis-football (Cristi n'y va pas par quatre chemins pour lui dire qu'il ne veut pas de lui: il est trop nul au foot). Quelques chassés-croisés plus tard, et autant d'échanges d'infos et de paperasserie sans importance (par deux fois, la caméra nous "lit", sans voix-off, le rapport de police écrit à la main par Cristi sur les faits et gestes du suspect), la journée de Cristi se termine; il ne se sera pas passé grand chose, mais il aura tout fait pour bien accomplir son travail.

Les mots ont rarement autant d'importance, dans un film, que dans POLICIER, ADJECTIF, dont le titre est déjà une invitation à se pencher la signification du terme (policier), de la fonction et d'un genre. Lors de scènes au foyer, pas moins triviales que son quotidien de gratte-papier, Cristi taquine sa femme sur la signification de paroles d'une chanson de variété roumaine, une chanson d'amour un peu idiote, qu'elle écoute en boucle. Plus tard, sa femme dont on a compris qu'elle est sans doute institutrice, lui explique une nouvelle règle grammaticale, et par là une erreur de syntaxe qu'elle a surprise dans un des rapports de filature rédigé par son mari.

De la compréhension des mots à la compréhension de ses actes, il n'y a pas beaucoup de pages à tourner et ce travail, on comprend que Cristi l'a fait depuis longtemps, que la justesse des mots employés ne peut correspondre qu'à un accomplissement juste dans les actes, et c'est ce qui coince: Cristi ne comprend pas comment l'enquête qu'il mène pourrait aboutir à l'enfermement d'un jeune homme, tout ça pour un simple joint. C'est pourtant c'est ce que la loi réclame: plus de 3 ans de réclusion pour ça. Une loi bel et bien écrite qui, pour le coup, ne trouve aucune justification à ses yeux.

Problème de conscience: inadéquation des mots avec les actes, de la loi écrite avec la réalité vécue: Cristi, un peu tête de mule mais sûr de son fait, ira jusqu'à tenir tête à son supérieur, personnage succulent, à la verve dictatoriale onctueuse, qui traite ses enquêteurs comme on met les cancres au piquet. Cette "scène du dictionnaire" est à mettre dans les annales, elle est géniale (jusqu'au retournement de situation où éclate la vérité à la simple lecture de la définition d'un mot, une vérité vite contredite par le commissaire, soudain vexé, pris à son propre piège dialectique).

J'ai eu raison d'y retourner: c'est comme d'avoir lu un livre un brin obscur, puis d'avoir parcouru une critique, ou une préface, qui vous indique par quel bout prendre l'oeuvre, et vous donne les bons éclairages pour mieux le savourer. A quoi sert une critique bien pensée ? A quoi sert un usage approprié des mots, et d'en comprendre le sens ? Il faut voir POLICIER, ADJECTIF pour ça: les termes conscience, morale, policier y sont décortiqués avec soin et précision.

On ne saurait trop conseiller à nos politiques de se pencher un peu plus souvent sur leur Petit Robert.

Ici-même, je vous causais du premier volet de la trilogie folle-furieuse de Takashi Miike, DEAD OR ALIVE. Après que nos deux héros, ennemis mortels, l'un flic, l'autre crapule de gangster,  se soient trucidés à la fin du premier volet comme dans un épisode de Dragon Ball, voilà-t-y pas que les deux reviennent, mais dans deux rôles différents: ni ressuscités, ni vengeurs, ni rien du tout, ce sont juste les deux mêmes comédiens qui reviennent flinguer des yakuzas et découper du vilain. Morts ou vivants, donc, du pareil au même, Miike s'en fout: on lui a demandé une suite impossible, mais rien n'est impossible pour ce grand fou, qui ne s'est jamais posé de limites.

Cette fois, ce sont deux grands amis d'enfance qui se retrouvent sur une même scène de crime: venus flinguer le même yakuza pour deux commanditaires différents (ils sont tueurs professionnels tous les deux), ils se rabibochent illico et retournent sur leur île où jadis naquit leur amitié: dans un délicieux havre de paix, leur ancienne école, où ils s'en sont payé une bonne tranche, gamins.

Cela n'empêche pas Miike de faire rissoler dans sa vieille poële à frire la recette demandée, faite de cadavres amoncelés et de meurtres franchement atroces: Miike réinvente dans chacun de ses films les mille et unes manières possibles de faire mourir un homme, et c'est parfois stupéfiant d'inventivité comme de cruauté. Pas une ligne narrative qui ne soit plausible là-dedans, l'intrigue file à cent à l'heure au gré des rebondissements et du spectacle: rien à foutre du réalisme.

Surprise, le film suspend son vol hystérique lorsque nos deux assassins amis-pour-la-vie retrouvent leurs jeux d'écolier dans l'école désaffectée. Soudain, on est dans la nostalgie absurde de Kitano, ce moment où le carnage s'arrête, ou la folie meurtrière de nos assassins revient à la source: l'enfance, ses jeux idiots, ses pactes de sang pour de faux, son innocente cruauté.

Alors, dead or alive ? Eh bien même dead tous les deux (criblés de balle), nous voyons les deux tueurs monter à bord du ferry qui les ramènera vers l'île de leur enfance: même morts, ils continuent à faire ce qu'ils ont à faire, et déguster une ultime soupe de nouilles au tofu, leur régal. Leurs chemises ensanglantées pleines de trous.

Dans DEAD OR ALIVE 3 (à retrouver bientôt ici-même, si tout va bien), même s'ils sont dead à la fin du 2 bien que toujours un peu alive, gageons que nous retrouverons nos deux excités de la gâchette, bons ou méchants, amis ou ennemis, morts ou vivants: Miike s'en fout; même s'il doit les faire jouer en tutus ou en tenue de cosmonautes, ce sera le même bordel, et toujours plus de morts ! 

dimanche 21 juin 2020

Un grand petit homme.


Ian Holm est mort hier, à un âge respectable mais bon: je l'aimais tellement cet acteur, - un des plus grands seconds rôles du cinéma anglo-saxon, depuis ces débuts chez Terry Gilliam et Ridley Scott à la fin des années 70, que ça m'a rendu tout chafouin. Et comme quoi le hasard, peut-être, ça n'existe pas, je me suis décidé à voir ce Sidney Lumet dont j'avais à peine entendu parler, - et pour cause, il n'est pas terrible - où notre immortel Nash, notre Philippe d'Arnault à nous, Ian Holm en personne incarne un vieux flic. Et je ne savais pas qu'il était dedans, dis donc.

Malgré tout le talent du grand petit homme (1m65), avouons que Holm n'est pas crédible une seconde en flic new-yorkais qui termine chacune de ses phrases en mâchant son chewing-gum d'un air de dur à cuire. D'autant qu'il fait équipe avec un jeune policier incarné ici par.. James Gandolfini, ce qui donne le buddy-movie le plus improbable, et le plus bancal, de l'histoire des tandems. C'est secondaire, mais DANS L'OMBRE DE MANHATTAN , qui date de 1996, semble avoir été conçu autour d'Andy Garcia, alors promis aux étoiles et au-delà. Dommage que la suite n'ait pas confirmé son statut de star, car Garcia possédait vraiment un énorme talent, le regard noir le plus intense et le sourire le plus sexy des hidalgos alors en lice, avec beaucoup de poils sur le torse.

DANS L'OMBRE... n'est pas un mauvais film, mais Sidney Lumet en avait déjà réalisé trois autres autrement plus forts sur la corruption policière: parmi ses grands films, on y trouve par exemple SERPICO, LE PRINCE DE NEW YORK ou CONTRE-ENQUETE. Grand spécialiste des films de prétoire, Lumet commence par ça: le procès d'un roi de la mafia tueur de flics que le jeune procureur général aux dents longues cloue au piquet sans l'ombre d'un problème. Mais si le procès a été si facile, ça n'était qu'un prétexte pour l'avocat du truand (Richard Dreyfuss, il y a toujours de bons acteurs chez Lumet...) pour soulever un autre lièvre: la corruption qui règne en sous-main dans pas mal de commissariats de la ville.

C'est sérieux, bien empaqueté, inspiré d'un roman de Robert Daley bien documenté (L'ANNEE DU DRAGON, c'était lui) mais qu'on a vraiment l'impression d'avoir déjà vu quelque part. Là où on sent quand même que Lumet n'est pas plus intéressé que ça par son film, c'est dans la relation improbable entre le procureur Garcia et l'adjointe de la défense (Lena Olin) dont on ne comprend pas pourquoi ils se retrouvent au plumard, et quelle utilité cela recèle pour le reste de l'histoire.

Mais bon, Ian Holm est mort. Après Max von Sydow et Michel Piccoli, il ne manquerait plus que Gary Oldman rate un virage et je ne saurai plus sur qui porter mes admirations déraisonnables.

Mubi possède à son catalogue quelques films de Kzrysztof Zanussi, un cinéaste polonais très important qui a beaucoup moins fait parler de lui chez nous, que d'autres de sa génération (Wajda, Polanski, Zulawski, Kieslowski, Holland); c'est son troisième film que je vois, et c'est vraiment très très bon. Après les drames "existentialistes" ILLUMINATION et STRUCTURE DE CRISTAL, voici MAXIMILIAN KOLBE (Life for life) qui date de 1991.

Si vous voulez voir un film avec Christoph Waltz en prisonnier de camp de concentration (moment de consternation vite oublié au bout de quelques secondes, mais quand même), et découvrir surtout l'histoire de ce Max Kolbe, allez jeter un oeil sur ce moment terrible de l'histoire de la Shoah (comme une infinité d'autres), qui a beaucoup marqué les consciences en Pologne.

Il y est question de foi, d'esprit de sacrifice, c'est un film où on prie beaucoup, où on s'agenouille sans cesse afin d'expier ses fautes, réelles ou inventées. Béatifié en 1982 par Jean-Paul II, Maximilian Kolbe était un prêtre dont la vocation pouvait paraître surnaturelle à ceux qui l'ont approché, et qui s'était proposé pour mourir au camp d'Auschwitz-Birkenau à la place d'un de ses compagnons, tiré au sort avec neuf autres malheureux en représailles à l'évasion d'un prisonnier. 

Le film est excellent, même si on lui préférera les deux autres films cités plus hauts, beaucoup moins classiques dans leurs formes, et évidemment moins sulpiciens que ce film édifiant. Les Polonais ont véritablement quelque chose de viscéral avec la religion catholique, tout comme ils portent une culpabilité incroyable sur leur histoire pendant la seconde guerre. C'est quelque chose qui peut se comprendre. Au personnage de Waltz (le prisonnier enfui en question), qui ne cesse de se morfondre, et de battre sa coulpe parce que las d'entendre autour de lui que dix hommes, dont le père Kolbe sont morts "à cause de lui", on a envie de hurler que sans ça ils seraient sans doute morts quand même, et lui aussi. De le prendre par le colbac et de le secouer un peu. Ah ! ces cathos...


Exécution au lance-pierre d'un film regardé d'un coin d'oeil navré, à un moment de profonde lassitude, CHERE MARTHA d'une certaine Sandra Nettelbeck qui nous conte le décoinçage d'une chef d'un grand resto au contact, d'abord de sa nièce brutalement devenue orpheline après l'accident mortel survenu à sa mère; ensuite de l'arrivée d'un chef en second, Italien et très déconstasté, philosophe de la cuisson des pâtes qui fait rissoler ces oignons et sauter ses crêpinettes sur du Paolo Conte.

La Martha a beau l'air être très collé-monté, la jeune femme derrière un chignon sévère et une vie réglée comme la cuisson d'un turbot à l'arête, cache non seulement un très joli minois et bon sang de bonsoir, elle est célibataire. Et comme notre histrion al dente est incarné par l'irrésistible Sergio Castellito, son joli bagout, son accent de là-bas et son grand nez, ça ne fait évidemment pas un pli.

Mieux gaulé que le pire épisode de Top Chef, mais avec moins de suspense, ce feel-good movie aux morilles déglacé au xérés manque de pas mal d'ingrédients pour empaqueter le vieux ronchon que je suis au fond de son panier à provisions. Si le mélo nous touche un peu à deux ou trois moments (la gamine qui n'arrive pas à se remettre, mais heureusement l'ami Sergio sait parler aux enfants - les pâtes, toujours), il est assez pénible sur d'autres versants: les Allemands ont toujours eu du mal avec l'humour, et les épisodes "Martha chez le psy" qui lorgnent un peu sur Woody, ne sont pas drôles du tout, mais risibles, ça c'est sûr.

Ah et puis, je ne vous l'ai peut-être pas dit, mais Ian Holm est mort. 
Fait chier.

ici dans ESTHER KAHN d'Arnaud Desplechin où il incarne un grand professeur de théatre qui est aussi... un mauvais acteur.







samedi 20 juin 2020

La morale, on verra après.


Malgorzata Szumowska n'est pas un nom de cinéaste très facile à retenir (normal, elle est Polonaise), mais ce film de 2018 que je viens juste de découvrir est un exemple assez frappant de la volonté d'un jeune cinéma qui a beaucoup de mal à sortir du bois, d'affirmer son identité. Le cinéma polonais a toujours été un des plus riches d'Europe, mais la vitesse à laquelle ses nombreux talents se font aspirer par Hollywood (ou par la France ou l'Angleterre, parfois) illico presto, en font une cinématographie presque invisible. Malgorzata Szumowska (l'option copié/collé, c'est pratique quand même...) lorgne justement vers MASK ou L'HOMME SANS VISAGE dans cette chronique douloureuse d'un pauvre garçon à qui il arrive malheur: ça tombe bien, Hollywood adore les histoires exemplaires qui font pleurer. Le film pourrait lui offrir un bon passeport.

Je suis un peu ironique, comme ça, mais c'est vrai que une demie-heure, peut-être, après sa mise-en-place plutôt sympathique (le portrait de deux tourtereaux fous amoureux, elle petite blonde électrique, lui jolie gueule de guitar-hero à crinière de lion), on est mis au parfum: Jacek se casse la gueule du haut d'un échafaudage sur le chantier sur lequel il bosse, s'en sort vivant mais défiguré.

La claque est efficace: en un plan, le seul qui survole vraiment le reste du film, - et justement filmé à vol d'oiseau - on saisit cet instant figé où les pieds dérapent, et le personnage sombre dans le vide sous notre regard incrédule. On peut mourir comme ça, c'est vrai, comme finir sur une chaise roulante, perdre la raison ou autre chose, pour Jacek se sera un retour chez lui avec un autre visage, un oeil mort, et des passants qui s'écartent sur son passage.

La fable autour du "poids du regard des autres" va un moment, elle fait long feu et le film ne va guère plus loin. Plus embêtant, MUG s'entête dans la peinture de ce petit village polonais avec ces mentalités butées, au-dessus desquelles surnagent un grand-père fluet et peu bavard, dont les étreintes sont précieuses, et une petite soeur qui se bat pour faire comprendre aux autres que Jacek est resté le même. 

C'est un peu léger, et une fête du cochon plus tard, et une bagarre entre beaux-frères au-dessus de la tombe de papy, tout juste enterré, plus loin (ça se chamaille à propos de la propriété d'un champ, on est chez les paysans), Jacek se barre, fatigué. C'est que le pauvre gars s'est bousillé la figure sur le chantier d'un Christ en bêton surplombant la vallée, imaginé sur le modèle du Corcovado de Rio. Ces Polonais et leur religion, c'est quand même un problème. Pour la qualité de leur cinéma, je veux dire.

Et que diriez-vous d'un retour vers nos soirées FR3 ou Antenne 2, avec un vieux Jacques Rouffio (un quoi ?????). 

Vous rappelez-vous LE SUCRE, vous, les plus vieux d'entre nous ? Pochade au poivre sur, déjà, les collusions honteuses entre politiques et libéralisme sauvage, le film est d'abord sidérant pour la désinvolture avec laquelle il aborde le problème du pauvre contribuable, et du petit actionnaire, parfois, qui se fait pomper à la péridurale tout son fric, comédie à l'italienne en quelque sorte qui ne respecte ni le bourreau, ni la victime (des salauds et des charlatans d'un côté, des imbéciles et des pleurnichards de l'autre).

C'est pas du Mario Monicelli quand même, mais qu'est-ce-que j'aime cette enfilade de situations grotesques et de comédiens en roue libre. Dans l'ordre; Carmet en pigeon de province, Depardieu en voyou recyclé costard-cravate, Nelly Borgeaud en nouvelle riche déjà sapée Paco Rabanne, Piccoli en Jupiter cigare au bec, au bord d'un fou-rire intérieur permanent, un Claude Piéplu du feu de Dieu en sous-ministre coupable mais pas responsable. Manquerait plus que Julien Guyomar, Paul le Person et Pierre Vernier (ah ben si, il y est...), Jacques François, Rosy Varte et Marthe Villalonga (en fait, elle y est aussi), et puis il y a Roger Hanin, en juif pied-noir marocain braillard et arnaqueur (mon Dieu, quelle époque...)

Quelle époque, c'est le cas de le dire, où rien n'était vraiment grave encore, où le désastre s'annonçait, déjà, mais où la perspective d'une faillite personnelle ne vous faisait pas forcément voir l'avenir en loques. Le spectacle de Carmet et Depardieu se cognant des beignes pour de faux et se roulant sur les matelas fait quand même chaud au coeur. Revoir la collision entre tous ces géants est une madeleine qu'on ne saurait refuser, et quitte à se taper quelques moments gênants (Depardieu qui traite ses demoiselles comme dans un bordel, ou un Bertrand Blier), on préférera ça à Guillaume Canet ou Dany Boon.

Bon dieu, ça y est: je suis un vieux con !!!


J'ai attendu de le voir, celui-là, redoutant que ça n'allait pas vraiment me plaire: le cinéma de Ruben Ostlund est le genre dont je me méfie beaucoup: du cinéma de bobo qui se moque du bobo mais qui pisse dans son froc à chaque fois qu'il croise un immigré, un gosse des cités, ou un artiste plus fort que lui. En même temps, on peut adorer ce petit Suédois maniéré à joli mèche qui ne dit rien d'autre que ça à longueur de films: il a peur des autres, qu'ils soient pauvres, immigrés, que ce soient des gosses ou des artistes, et même des femmes, comme ici:  Christian, "héros" de notre film, rampe dans les parkings pour que la mère de ses enfants ne voit pas qu'il a embouti la voiture, et a peur que ses aventures de passage n'embarquent ses capotes usagées pour... pour quoi au fait ? Christian, tu peux nous dire ?

La seule vraie réussite du film, c'est ce personnage: Christian. Au lieu d'une palme, Cannes aurait du lui donner un prix, à lui, Claes Bang, comédien danois qui sonne la charge de la déconfiture totale du mâle européen très cultivé qui ne sait plus quoi faire pour être utile. Donner plus souvent des pièces aux clodos, s'occuper plus de ses enfants, être un meilleur amant, un meilleur patron, quelqu'un de mieux impliqué dans ses passions ? Ostlund vise juste, tout le temps, mais il est étonnant de le voir rater sa cible à chaque tir: de quoi nous parle-t-il dans THE SQUARE ? Du peu d'importance de l'art dans notre société occupée à survivre (et à l'art contemporain en particulier) ? 

On se faisait tout un foin de la présence de Dominic West et d'Elisabeth Moss, mais les deux stars repartiront bredouilles de ce jeu de massacre qui ne tue personne. On se faisait une idée de la séquence de l'Homme-Singe faisant irruption en plein banquet de la Haute, mais autant la scène est d'une violence extraordinaire dans sa montée d'adrénaline, autant elle accouche d'un souris qui fait honte: Ostlund ne sait même pas comment finir sa scène-choc et, faute d'idée, passe direct à autre chose.

Ostlund, quand il tient un "truc" (de préférence un truc gênant, le genre de situation conçue pour vous mettre mal à l'aise), cherche à étirer l'élastique au maximum. Un cinéaste un peu plus "sport" que lui attendrait que, au pire, l'élastique lui pète à la figure. Un bon cinéaste finirait par trouver le bon point de rupture et vous le ferait claquer sous le nez au bon moment, le plus inattendu. THE SQUARE ne vous montre rien de tout ça, il est un peu comme son Christian: il en bave, vraiment; c'est une sale journée de merde mais avant de s'impliquer dans les choses qui comptent, il faut d'abord donner le change, faire le malin, essayer de faire le job. La morale, on s'en occupera après.

Sans doute pour ça que THE SQUARE a eu la Palme: il est vraiment "dans l'air du temps".