samedi 31 juillet 2021

La loi de Téhéran, Crack City


 "L'un des meilleurs thrillers que j'ai jamais vus" aurait dit William Friedkin, et l'affirmation figure en bonne place sur l'affiche française de LA LOI DE TEHERAN de Saeed Roustayi. Cela aurait été une citation de Luc Besson que je serais allé m'acheter une crêpe. Voyez comme on peut être bête parfois.

Mais rien à dire, Billy le dingue a le goût sûr, et  a du reconnaitre quelque chose de son savoir-faire dans les nombreuses scènes de foule et de course-poursuites qui émaillent ce pur film noir, qui plonge les bras jusqu'aux épaules dans la misère noire de l'Iran d'aujourd'hui. 

LA LOI DE TEHERAN est avant tout un film-phénomène là-bas puisqu'il a pulvérisé les records d'entrée. Selon les affirmations du réalisateur lui-même, il ne faut pas croire: le public iranien possède une forte appétence pour les films de genre, et les films sombres qui dénoncent la violence de la société iranienne sont nombreux, et trouvent leur public. Message subliminal envoyé aux cinéphiles européens qui en sont encore à s'émouvoir du port du voile ou des saillies moyen-âgeuses des imams: non, le cinéma de là-bas ne se limite pas aux arabesques de Kiarostami, aux films de taxi où ça blabalate beaucoup, ou aux psychodrames de la classe moyenne de Téhéran vus par Farhadi et ses suiveurs.

Or, après avoir été soufflé par la tenue des scènes d'actions et des mouvements de foule claustrophobiques dans les cellules bondées de Téhéran, et d'accorder haut-la-main le William Friedkin d'Or au chef-opérateur et au monteur de cette boule de nerfs atypique, on se retrouve, à la fois circonspect et très surpris, devant un film qui nous raconte sans ambage  que le nombre d'accros à l'opium et au crack dans le pays se compte en millions, et que les lois impitoyables qui conduisent chaque année des centaines de trafiquant à la potence arrivent à peine à freiner cette situation infernale.


LA LOI DE TEHERAN, c'est d'abord des scènes d'une vitesse, d'une précision et d'un spectaculaire si bien orchestré qu'on peine à se rappeler depuis quand on en avait vu de pareilles. Le plus fort étant qu'elles s'inscrivent dans un souci de réalisme qui fait mal: la course éperdue d'un dealer s'achève dans un trou de chantier, des centaines de camés bondissent hors de conduits en bêton laissés à l'abandon et sont parqués ensuite dans de grandes salles, à poil, attendant d'être triés. Roustayi raconte qu'il a tenu à tourner avec de vrais toxicos et cela se voit, cela se sent, même (le juge ouvre la fenêtre et vaporise son bureau après avoir entendu une bande de prévenus). Décidément plus Friedkin que Michael Mann, Roustayi préfère la force du réel au recours aux grandes orgues: les comédiens professionnels qui incarnent les policiers gardent ainsi une attitude hostile, méfiante, pleine de pitié et de dégoût, - se tiennent à distance - ce qui sert à la véracité des grandes scènes qui se déroulent dans cet immense commissariat, avec ses cellules collectives aussi charmantes que des pissotières sans cloison.

Vraiment, on est surpris que la censure iranienne en ai laissé voir autant. Mais dans une société dans laquelle on a le droit d'en faire si peu, il est logique après tout que le couvercle explose quelque part dans des proportions aussi démentes.


LA LOI DE TEHERAN est aussi un film noir incroyablement bavard. C'est son penchant Farhadi: les personnages passent beaucoup de temps à tenter de convaincre leurs adversaires du bien-fondé de leurs actes: le commissaire face au dealer qu'il a enfin attrapé, le caïd face au petit revendeur qui l'a balancé, le flic face à son juge, ce même flic face à son collègue suspecté de corruption, le trafiquant condamné à mort face aux siens, avant son exécution. Autant on est stupéfait face à certaines réactions (la petite frappe déboussolée qui s'aperçoit trop tard que tout ce qu'il a gagné et donné à sa famille grâce au trafic leur sera confisqué après sa mort), autant d'autres psychodrames, comme ceux touchant ce flic dont le gamin a été abattu par les trafiquants, et lui-même soupçonné de corruption, n'en finissent plus d'en finir.

Le film se fait quand même rattraper par sa morale, son moralisme pourrait-on dire. Il aurait pu s'économiser d'une vingtaine de minutes, et continuer à nous montrer le plus simplement du monde, comme dans ces bons trois quarts, le travail ingrat des stups, la misère morale des trafiquants et le malheur innommable de ces cadavres ambulants qui s'amoncellent dans les suburbs de Téhéran. 

Six millions de camés, comme le dit ce policier, sur une population de 84 millions, c'est quand même beaucoup. 


On ne s'y attendait pas vraiment mais cette année, le polar de l'été n'est pas une histoire de règlement de comptes entre mafieux du New Jersey, ni une embrouille de famille dégénérée au fin fond de la Louisiane, mais un polar iranien "de procédure" à la mauvaise odeur d'aisselle de camé.

mercredi 28 juillet 2021

Titane, métal hurlant.


Je ne sais pas si TITANE passera à la postérité pour autre chose que ce coup de force festivalier mais une chose est sûre et certaine, c'est que ça fait du bien. Cela ne nous vengera guère, mais un peu tout de même, de tous ces Bille August qui eurent la Palme, et de tous ces Cronenberg qui passèrent à côté.

 Un jour donc, il arriva ce qui ne devait jamais arriver, une bande d'olibrius conduits par un Président du Jury NOIR décerna la plus haute distinction cinématographique mondiale à une FEMME, auteur d'un film de genre TRASH et GORE, et même TRANSGENRE si ça se trouve: ce fut la fin d'un monde, ou d'une époque, ou des festivaliers nourris au sein du bling-bling Chopard et des robes de créateur tu-es-superbe-là-dedans-ma-chérie, ceux-là même qui avaient prétendu avoir eu des nausées devant le film de Julia Ducournau, vagues descendants de celles et ceusses qui jugèrent Lars von Trier incorrect par moments, petits-enfants guère améliorés des culs-serrés qui s'offensèrent et s'évanouirent, presque, devant Piccoli crevant sur la rambarde dans un grand raffut de pets... 

Non, c'est pas possible d'offrir un spectacle pareil à la postérité.

Un film de genre, ça c'est sûr, marqué au fer d'un cinéma bis virulent, très mal élevé, qui cherche l'image qui fait mal, l'organe qui se déchire et la mort violente qu'on peine à regarder jusqu'au bout. On aura beau chercher dans les annales du festival de Cannes, le seul film sans doute à avoir décroché la timbale en faisant montre de si peu de courtoisie avec les convenances - si on excepte PARASITE de Bong, plus sournois mais pas piqué des vers non plus, c'est peut-être le SAILOR ET LULA de Lynch (déjà homologué "grand auteur" à ce moment-là, contrairement à Ducournau), qui fit passer un vent de décadence singulier sur la Croisette, ce refuge du Grand Art et du Bon Goût.

Mais finissons ici avec le Cannes Circus, et jetons un oeil sur l'animal, - car c'en est un -: TITANE et son monstre de cinéma. 


Ducournau a bien insisté là-dessus: il faut chérir les monstres, il faut savoir les montrer et, surtout, il faut savoir les voir. Le film s'amuse à jouer sur tous les tableaux sexo-sociétaux en vigueur, et ne se prive pas d'envoyer du lourd sur le front des identités sexuelles de plus en plus floutées, qui savent s'affranchir des barrières sociales et naturelles en vigueur. Amours physiques et mécaniques (coucou, Cronenberg !) , humeurs corporelles comme du camboui, grossesse spontanée, agressivité sexuelle de rigueur derrière les apparats de la femme-objet, tentation incestueuse père-fils alors qu'il y a confusion sur le genre sans oublier, - c'était le plus facile mais merci de ne pas l'avoir fait passer à l'as, l'ambiance gay-friendly à peine sous-jacente qui peut régner, comme chacun le sait, dans toute caserne de pompier surpeuplée en jeunes gars bien musclés.

Ce qu'on est en droit d'aimer par-dessus tout dans le cinéma de Ducournau, c'est sa franchise vis à vis d'un genre qu'elle respecte profondément. Pour réussir un bon film gore, il ne faut pas avoir peur ni des limites, ni du ridicule. Borderline, TITANE l'est tout le temps. Lorsqu' Alexia copule avec (dans ?) son bolide, la voiture tressaute puis sautille littéralement sur ses roues. C'est comme si les ados peloteurs d'AMERICAN GRAFFITI, trahis par la suspension de la voiture de papa, se retrouvaient dans un véhicule d'un dessin-animé Pixar. C'est drôle avant d'être ridicule. C'est gore et cela vous laisse libre de tout prendre au sérieux.


Dans la magnifique séquence du massacre dans la villa, où notre serial-killeuse pense avoir tué sa victime, peinarde, alors que n'arrêtent pas de sortir des chambres du haut d'autres personnages pas prévus au programme, comme dans un jeu-vidéo violent et très idiot, c'est FUNNY GAMES revu par Tex Avery, c'est grandiose. Ducournau sait être horrible et drôle en même temps. Ce n'est pas donné à tout le monde. Dans GRAVE, déjà, souvenez-vous de cette séquence des doigts coupés, avec le chien qui en gobe au passage, et la si adorable Garance Marillier qui commence à goûter, entre fascination et gourmandise. 

A vrai dire, on n'attendait pas Julia Ducournau aussi haut, après ce véritable premier tour de force qu'était GRAVE. Plus compliqué, plus tordu, TITANE possède peut-être son seul grand défaut dans un scénario qui suit une évolution peu logique dans l'accomplissement de son personnage: de la gamine condamnée à vivre avec une plaque de métal dans la boite crânienne à son avènement de tueuse, à sa fuite sous une fausse identité dans le giron d'un militaire meurtri par la perte de son fils, la trajectoire est bel et bien de traviole, mais colle finalement bien à l'atmosphère profondément malade du film. Et d'ailleurs: quelle logique ?

Comme dans les films de la première période de son cinéaste de référence, Cronenberg toujours, abondamment cité dans de nombreuses scènes, il faut plus s'attacher aux détails fugaces qu'aux grands moments gore, dont certains sont vraiment proches de l'insupportable (en ce qui me concerne: ah non, merde, pas les tétons !!!).


C'est par exemple, une tâche noire à l'entre-jambe aperçue sous la petite culotte, la bave blanche d'un jeune homme éconduit qui dégouline dans le cou d'Alexia pendant que celle-ci lui plante sa baguette dans l'oreille, le cul bardé d'hématomes de Lindon qui cherche un coin de peau encore vierge à piquer, un piercing qui s'accroche dans les cheveux. Plus masos que sados, les personnages de TITANE cherchent leur bonheur là où eux seuls iront le trouver. Il faut être furieusement curieux des autres pour s'intéresser à ce genre de parcours, et ce n'est pas un hasard si une frange du public le rejettera d'un bloc, comme avant lui ceux de von Trier, Ferreri ou Pasolini. Savoir regarder les monstres c'est savoir reconnaitre qu'au moins, ils existent.


Vincent Lindon est magnifique. Avec son souffle lourd de carcasse usée qui n'arrive pas à se convaincre d'être déjà vieux, inconsolable de chagrin, on ne dira jamais assez quel grand comédien "physique" il est. Un truc qui manque pas mal dans le cinéma français, d'ordinaire.


Quant à Agathe Rousselle, on est tombé des nues. Etonnant comme les commentaires d'après-palmarès l'ont un peu écartée des louanges car la vraie trouvaille du film, c'est elle. De la bombe sexuelle de la foire au tuning qu'elle compose au début, au petit mec au regard de Max Shreck, nez pété et crâne rasé qui provoque trouble et raillerie dans la caserne, elle achève le film en matrice lacérée, femme ultime et inhumaine, mater dolorosa et métal hurlant.

Qu'on aime TITANE ou pas, qu'on le supporte ou pas, une seule réalité s'impose: pour concevoir un film pareil, il fallait en avoir.