jeudi 4 novembre 2021

Illusions perdues, un Balzac de retrouvé

 


Disons-le d'emblée: le cinéma de Xavier Giannoli m'est assez indifférent. Tout en comprenant qu'on puisse y voir des thèmes récurrents (les arrivistes, les mythomanes, les as de la poudre aux yeux), signe selon beaucoup d'un véritable auteur, j'ai du mal à être surpris par ses films, dont je vois souvent venir les intentions de trop loin.

Qu'à cela ne tienne, avec Illusions perdues on les connait déjà, les intentions. Grand roman sur l'ambition dévoré toute crûe par le Paris méphitique de la Restauration, de l'appétit insatiable d'un jeune poète de province sûr de son talent - car il en a - et qui devra les troquer contre celui, plus facile mais ô combien plus amusant et rémunérateur, de langue de pute dans la presse à opinion. 

C'est génial Balzac, c'est comme La Bruyère, ça colle à toutes les époques, ça se conjugue à tous les temps. Pour décrire les moeurs de la presse parisienne d'alors, il suffit d'une voix-off très omniprésente, pour nous dévoiler les arcanes de ce monde de concussion et de faux derches aguerris, seulement attachés à satisfaire leurs actionnaires, - déjà -, à ratisser les éditeurs et les directeurs de théâtre pour dire du bien de ce qu'ils font, à partager leurs fiancées avec des gros industriels généreux. 

Le XIX° siècle de Balzac, c'est notre époque à nous: médias assis-la-patte-couché, sugar-daddies et tutti quanti.

C'est Jean-Do de Lencquesaing, très à l'aise dans son rôle de patron de presse à moralité girouette tournante, qui donne la leçon au jeune Rubempré, qui apprend vite: "Comme disent les Anglais, le libéralisme, c'est un renard libre lâché dans un poulailler libre". Ailleurs on peut entendre un autre fin observateur des moeurs de son temps prédire un très amusant "Vous verrez qu'un jour, il y aura des banquiers dans ce gouvernement."


On sait gré à Giannoli de nous faire entendre cet écho pénible à notre pénible époque, on est aussi assez ravi de ce bel aéropage de vedettes bien de chez nous (québecois et belge inclus) qui nous régale de ces répliques si bien pensées et de ses personnages si bien écrits. Avec mention pour le Jean-Do susnommé et une Jeanne Balibar royale en reine des pestes à la Cour (note à moi-même: penser à éclaircir ce mystère qui me fait penser au jeu de Louis Jouvet à chaque fois que je m'épate du sien).

On lui sera moins gré de cette enfilade de tableaux au décorum surchargé, qui dégobille jusque hors du cadre de dorures, drapés pourpres, gilets fleuris, moulures d'angelots au plafond, plumes de paon, bouquets de fleur partout sobriété nulle part et qui finissent par faire mal au crâne. Quand l'intrigue va prendre l'air, trop rarement, dans les campagnes du Limousin, on se met à mieux respirer et à se décrasser les yeux, enfin. Idem lorsque les huissiers finissent de vider les meubles et la déco rococo de l'appartement de Lucien et de sa chérie: ça a son charme les murs nus craquelés de vieux plâtre. Mais  c'était, c'est vrai, le mauvais goût de l'époque.


On dira que le bon goût moral de Giannoli finit par prévaloir sur le reste, mais c'est la deuxième fois qu'on le surprend à donner dans le tape-à-l'oeil vulgaire et clinquant (Marguerite, c'était déjà un peu ça) même si c'est pour la bonne cause.


Tout comme le J'accuse de Polanski, on pourra taxer Illusions perdues de film pour sortie scolaire. C'est vrai qu'il y a dans ce cinéma une vague réminiscence de cette "qualité française" très années 50 tant moquée par la suite mais qu'il faut savoir regarder pour ce qu'elle est: un signe des temps. Mais le propos de ces films-là garde le taux d'acidité qu'il faut pour nous faire voir ce qu'il faut apercevoir, à savoir que si ces drames d'un autre siècle rencontrent un écho si désagréable aujourd'hui, c'est que notre évolution et nos progrès ne sont que des leurres.

La comédie humaine, quoi.