mercredi 8 juillet 2020

Fume, c'est du bis.


Bizarre de voir débouler un film comme LES INVINCIBLES sur un site de cinéphiles, un truc qu'on jugera plus destiné à la télévision qu'aux cinémathèques. Réalisé en 1994 par un certain Dominik Graf, voilà typiquement le genre de production européenne qui tente de surmonter comme il peut un complexe bien compréhensible vis à vis des productions américaines.

Ces invincibles, ce sont les membres d'une section spéciale de la police allemande, sorte de GIGN chleu, chargée de la protection des ministres en déplacement, des descentes musclées dans les repaires de méchants armés, ce genre de truc. Ambiance virile dans les vestiaires, entre ces balèzes qui en ont aussi dans le cigare, bien entendu, et que l'on suit à l'occasion d'une opération où ça défouraille dans tous les coins, comme dans leurs petites vies familiales plus ou moins installées. Le film démarre direct lorsque dans une descente assez costaud, Karl, le chef de cette unité, croit reconnaître le type qui s'est échappé après l'avoir assommé: rien de moins que le collègue avec qui il a travaillé durant des années, un autre invincible, et prétendument mort.

Complot politique, corruption policière, histoires de cul entre ces mâles alpha et quelques beautés de passage, et scènes d'action plutôt bien gaulées viennent alors se succéder dans un film pas désagréable à voir, mais qu'on a vraiment l'impression d'avoir déjà vu quelque part. Où ça donc ? Un peu partout ailleurs.

On reconnaît ici et là certaines allégeances à William Friedkin (les premières scènes de TO LIVE AND DIE IN L.A.), à Michael Mann (dans les parties sourcils froncés), avec un usage de la musique tantôt lyrique, parfois ronflante, qui voudrait bien donner à ce règlement de comptes entre costauds à oreillettes des allures de tragédie grecque. C'est pas tout à fait ça, au final, même si les scènes d'action, dont un excellent moment dans un téléphérique, sont parfaitement réglées. La seule chose qu'on retiendra, finalement, ce sont les personnalités de ces sept flics couteaux suisses, toujours prêts à l'emploi mais parfaitement différents, et tous parfaitement écrits. 

C'est déjà ça, et c'est plutôt pas mal. Même si on aurait aimé un peu plus de concision (2h20, c'est un peu long pour ce qui, à l'arrivée, ressemble presque à une série télé de luxe remontée pour le cinéma).


Le cinéma de Pere Portabella, par contre, c'est tout sauf bateau. Ce cinéaste catalan, légende du cinéma d'avant-garde, réalisa ce CUADECUC, VAMPIR en 1971 selon un système d'élaboration absolument inédit (enfin du moins, c'est la première fois que je vois ça). Présent sur le tournage d'une production de série B européenne (il s'agit des NUITS DE DRACULA de Jesus Franco), Portabella, si j'ai bien saisi le truc, a filmé les mêmes scènes mais selon un angle différent (évidemment, pour ne pas gêner...), avec ce qui devait être une caméra 16, voire 8 mm. Dans un noir et blanc splendide, et sans piste son, c'est bien à l'intégralité de l'histoire de Dracula que nous assistons; on reconnait toutes les scènes-clé sauf que, parfois, on saisit un clin d'oeil d'une des comédiennes, la grimace de Christopher Lee qui s'amuse entre deux plans, le travail d'une maquilleuse, d'un chef-électricien, un comédien qui répète dans son coin avant que les caméras ne tournent, ou cette victime du Saigneur en train de fumer une clope dans son cercueil. 

Saluons au passage l'aimable collaboration "passive" de ce bon Jesus Franco, pauvre iconoclaste lui-même, fauché comme les blés mais un peu obligé, lui, de rester dans certains rails, et qui n'a rien trouvé à redire à ce qu'on lui chipe sa matière première aussi ouvertement. Voilà bien l'attitude d'un gentleman.

Du coup, on peut vraiment parler de "cinéma bis" pour parler de ce film, version "dos" d'un film "uno" pourtant répertorié, après visionnage, comme du cinéma "b" (parce que Jesus Franco, hein...). De quoi réordonner son apprentissage de l'alphabet, et considérer surtout que, parfois comme ici, le b arrive bien avant le a. C'est plein d'humour, rempli de diverses beautés  (rien ne va mieux au film de vampire, en vérité, qu'un noir et blanc éthéré dans le seul bruit d'une bobine qui se déroule), et on peut s'y donner à coeur joie dans l'interprétation de ce geste cinématographique peu banal: le cinéma alternatif idéal ne serait-il pas, au fond, un film tourné à côté d'un autre tournage, avec le même objet, plutôt qu'un cinéma qui tordrait le cou aux manières habituelles d'un tournage, ou aux clichés d'un genre ? 

Vous avez quatre heures.


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