jeudi 23 juillet 2020

Laisser le temps à la parole.


Voir MALMKROG au cinéma, dans des conditions idéales, sans la tentation de la touche "pause" et de l'arrêt vide-frigo, pendant les 3h20 qu'il dure, avec tout de même l'idée préalable de s'enfuir, si jamais, est une expérience que tout un chacun devrait tenter... car qui a déjà vu un film de Cristi Puiu sera prévenu: voilà un homme qui aime les temps qui durent et les séquences qui vont jusqu'au bout. On avait tord de s'en faire, car malgré leurs durées déjà, et leurs thématiques peu amènes (le parcours hospitalier d'un vieil homme en fin de vie dans LA MORT DE DANTE LAZARESCU, ou le repas familial-règlement de comptes de SIERRANEVADA), il y a beaucoup à voir et à écouter dans les films de Cristi Puiu: une fois toute l'attention calée sur ce qui se passe sur l'écran, le temps file mais ne se mesure plus.

Ce que ses films précédents décortiquaient avec soin et patience, Puiu le dépouille un peu plus en osant ce pari fou d'adapter les longs dialogues d'un classique de la littérature philosophique russe, assez méconnu chez nous, un roman de Vladimir Solovyov où de riches notables discutent durant une journée de villégiature à la campagne du bien et du mal, de la présence de Dieu, la prédominance de la civilisation chrétienne sur toutes les autres, de la guerre, la morale et la politique. Unité de lieu; un immense manoir avec ses domestiques, dans un décor enneigé avec pour seuls fils d'arrière-plan, la présence d'un vieux général malade à qui l'on prodigue des soins de temps en temps, les échauffourées entre domestiques et... cet étrange moment au milieu du film où, après qu'on ait fait sonné la cloche sans que personne ne vienne, des inconnus tirent à l'intérieur de la maison, des gens se courent après en hurlant, des coups de feu fassent sauter le plâtre des cloisons. Seul moment de MALMKROG où les protagonistes semblent totalement perdus, jetés tout à coup en dehors du cercle abstrait de leurs discussions immobiles: les domestiques ne sont plus là pour les servir (ils ont même besoin d'eux pour leur tirer la chaise avant de se lever), il y a du vacarme partout dans la maison: tout cela n'est pas normal.

Prémisse sans doute de la Grande Histoire qui va bientôt les rattraper et les ramener à leur sort (la Révolution qui arrive, la mort ou l'exil pour eux sans doute, la fin d'un monde), cette scène arrive comme une poutre tombée d'un toit, sans que cela ait pourtant un quelconque impact sur la suite (on passera du thé à l'heure du repas, et on continuera à parler de Dieu, de l'Europe, et commentera même la parabole des vignerons dans les Evangiles).

La première discussion du film (avant le déjeuner de midi et la coupe de champagne) était justement sur l'importance de l'Armée, de la discipline militaire comme pilier moral d'une nation (théorie défendue par Madame la Générale), sur la fin de l'importance des Armées (utopie défendue par ce haut diplomate fervent défenseur d'une Europe "universelle" et unie); discussion qui s'écoute un sourire amer au coin de la bouche: les pires horreurs du siècle naissant ne leur étaient pas encore tombé dessus.

On notera que toutes les discussions "politiques" trouvent un écho assez étrange, voire morbide à nos oreilles branchées sur les ondes du XXI° siècle, mais que celles qui se perdent dans les méandres et les abîmes de la foi chrétienne et de l'édification d'une morale unique, avec ou sans la religion, trouvent toujours un écho particulier.

Reste que la magie de la mise-en-scène de Puiu, qui culmine en une direction d'acteurs presque hallucinante (des kilomètres de textes difficiles appris par coeur, et en plusieurs langues même si le Français est le plus souvent employé), relève d'un travail de préparation qui a du être titanesque. 

Il faut sans doute être quelque peu armé avant d'aborder MALMKROG mais le film vérifie que la philosophie s'écoute mieux, et se discute plus qu'elle ne se lit (je n'en lit jamais, mais j'étais pendu aux lèvres des protagonistes, littéralement).

Pas dépourvu d'humour non plus (la scène de la fusillade, qui sera beaucoup commentée je pense, en est une preuve un peu tordue), le film se termine sur un fondu au noir après que Nikolai, l'hôte philosophe, se propose de lire à tout le monde un texte "un peu long", et sorte pour aller chercher l'ouvrage dans ses appartements. Là, on se trémousse un peu sur son siège (on a passé les 3 heures, non ?...), mais voilà le générique qui arrive...

Une expérience de cinéma non pas extrème, mais exigeante quand même: allez-y en pleine forme et les sens bien affûtés. MALMKROG est un film à noter sur les tablettes, un film unique.


Si MALMKROG II existait, je n'y serai pas allé tout de suite. J'ai donc jugé plus prudent d'enquiller, la tête encore bourdonnante et me demandant encore si Madame Olga n'avait pas raison lorsqu'elle prétendait que tout jugement moral se devait de respecter à la lettre la parole de notre Seigneur (je déconne...), sur une bonne grosse, très très grosse, et très très bonne comédie américaine bien lourde et poilante, j'ai nommé SPY de Paul Feig, qui date d'il y a cinq ans, avec une Melissa McCarthy déchaînée.

De quoi qu'est-ce-que ça cause de ? C'est pas compliqué: James Bond (enfin presque, c'est Jude Law) porte en fait une oreillette et c'est son binôme Susan qui l'alerte de son bureau pourri à Washington, et lâche les drônes à distance s'il le faut. Pétillante, pétulante voire vulgaire, mais toujours hilarante, Susan va bien sûr se retrouver sur le terrain et tout massacrer, malgré son physique assez peu approprié.

On comptait se fendre la pêche, et on n'a pas arrêté de se fendre la poire. Cette Melissa McCarthy, venue du stand-up et dont une bonne moitié des répliques a du être improvisée sur place, est une bombe, et se coule à merveille dans ce style de comédie ultra-référencée avec blagues odoriférantes juste au-dessus du tampax et du gel anti-hémorroïdes (beaucoup de pets dans l'action, d'allusions aux aisselles qui "sentent le fromage", et même de très gros plans sur de très grosses bites).

Le mannequin Jude Law, le body-guard Jason Statham ainsi que la poupée Rose Byrne ont bien voulu prêté leurs plastiques avenantes et leur autodérision au service de la grande grosse dame qui, littéralement, pète tout. On aura également noté au passage le nom d'une certaine Miranda Hart, qui joue la meilleure copine de notre héroïne, grande cruche aux saillies libidinales imprévues, qui finit dans un accés de panique inversé par plaquer au sol, et sous elle, le rappeur 50 cents (et à lui taxer son hélico et une caisse de champagne).

Que c'est bon de rire.

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