mercredi 29 juillet 2020

L'amour qui fait boum ! (ouille !)


Et voilà pourquoi on traîne sur des sites consacrés aux cinéphilies qu'on ne rencontre pas ailleurs: pour se faire surprendre par du déviant gratiné, des fois ! Un petit tour chez nos amis finlandais pour une romance BDSM à la dure, ça vous dit ? Tourné par un jeune cinéaste qui n'a pas froid aux yeux, LES CHIENS NE PORTENT PAS DE PANTALON, titre que j'aime beaucoup, n'est pas un tour d'horizon exhaustif des pratiques dédiées à ces préférences douloureuses et humiliantes, mais une histoire, une relation amoureuse peut-être, qui démarre sous les habituels auspices des services tarifés.

Juha est veuf depuis que sa tendre aimée s'est noyée sous ses yeux, et il ne s'en est jamais remis. Brillant chirurgien, il continue de vivre malgré tout, pour sa fille unique, afin de ne pas sombrer. Un soir qu'il s'est égaré dans les couloirs d'un cabaret, il tombe sur Mona, Maîtresse SM aguerrie qui lui offre une première séance. Quand les premières répliques claquent, dont la fameuse qui nous offre le titre tout indiqué au film, on sait qu'on ne va pas forcément passer un mauvais quart d'heure. Attentif au moindre geste de notre duo jusqu'au-boutiste et assez mal appareillé de prime abord (lui grand échalas avec des faux airs de maître-la-rigueur, elle jeune femme séduisante qui se maquille comme un masque sépulcral), la révélation immédiate de cette souffrance consentie ne va pas être autre chose pour Juha qu'une fabuleuse porte de sortie de sa douleur intime vers une autre, plus concrète.

On pourrait avoir peur d'une trop lourde insistance à dépeindre le SM comme une thérapie à un trauma antérieur: on imagine que les adeptes du truc ont tous leurs raisons, toutes bien différentes. La concentration de Juha sur ses douleurs, qui efface presque celle, plus ancienne, de ce deuil indélébile, synthétise quelques moments forts où, enfin, il peut jouir d'une douleur concrète: comme un fait exprès, la sévère Mona aura pris soin de lui écraser un doigt sous son talon, hématome qui s'étale de jour en jour sous l'ongle, jusqu'à ce que, enfin, il puisse se l'arracher tout en tenant une discussion professionnelle dont il n'a rien à foutre.

La fille de Juha, l'adolescente Elli, jeune fille qui se cherche, aura eu ce même geste en se débarrassant du piercing qu'elle venait de se faire poser dans la langue, et dont elle rêvait depuis si longtemps: attristée que ses amis, les garçons surtout, pensent que cela lui servira à faire de meilleures pipes, elle balance la breloque toute neuve dans l'évier, comme son père balancera son ongle mort par terre. Ce n'est pas forcément se débarrasser des choses qui n'importent plus qui compte le plus, mais plutôt: larguer les petites choses qui vous pourrissent la vie, tout simplement.

Pour Juha, c'est donc ce deuil, trop lourd, et pourra-t-on penser à propos du dernier plan assez hilarant du film (le grand chirurgien du coeur en tenue cuir aérée tout sourire sur la piste de danse, une canine en moins), cette dignité mal placée, trop lourde à porter, qu'il aura mis à mort, ou à mal, mais à sa manière (à la manière de Mona, surtout): en l'humiliant jusque dans sa chair.

Si le film fait un peu mal, parfois, il n'oublie jamais d'être drôle, et ce qui le raccorde, finalement, à la vie de tout à chacun. C'est plutôt bien vu.

J'irai vite sur CHAO (Landless - les Sans-Terre), documentaire bienvenu tourné par Camila Freitas sur ces damnés de la terre au Brésil, de nos jours, qui s'accaparent des hectares, et le droit de les occuper, pour s'offrir une vie digne de ce nom sous l'égide de principes tout ce qu'il y a de plus simple (vie communautaire, entraide, éviction des pesticides et des produits chimiques, redistribution des biens). Mais on n'est plus dans le Brésil de Lula, et si le film dépeint très bien le combat de ces gens, zadistes d'un autre pays qui se livrent à un combat beaucoup plus frontal que chez nous (leur ennemi est riche, irrespectueux et terriblement agressif et avance, lui, sans fard), il nous montre surtout un peuple privé de tout (beaucoup de gueules cassées dans cette arche de Noë libertaire), mais qui a les pieds sur terre.

En deux ou trois scènes (une séance au tribunal où des magistrats onctueux assomment toute velléité d'y croire en circonvolutions rhétoriques vides de sens, des "journalistes" pris en flagrant délit de mensonges dictés par l'Etat, et un épilogue où il nous est rappelé que Bolsonaro a autorisé par décret l'usage des armes contre les Sans-Terre), on comprend que tout cela est très mal barré. Mais que l'insistance avec lequel ce courant se développe en Amérique du Sud, malgré les menaces, les emprisonnements et les meurtres, pourrait bien faire un jour pencher la balance.

On rêve d'y croire.

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