mercredi 15 juillet 2020

Des héros vraiment super.


Contrairement à ce que je pensais, AVOIR 20 ANS DANS LES AURES de René Vautier n'a pas été interdit à sa sortie en 1972, mais la carrière du film, tout comme celle de Vautier cinéaste, militant, et défenseur de grandes causes (l'identitié bretonne, l'anti-colonialisme, le pacifisme, le communisme) aura été systématiquement "emmerdée" par les pouvoirs politiques, médiatiques et militaires, bien entendu. 

La Grande Muette tout d'abord, qui a nié pendant plus d'un quart de siècle ce que le film racontait de la guerre d'Algérie, bien qu'il prenne des précautions tout de même assez inédites dès son générique d'entame: tout ce que raconte "Avoir 20 ans" est véridique, et chaque épisode pouvait être corroboré par au moins cinq témoins. Car plus qu'un épisode "comme un autre" de cette sale guerre, - pour peu qu'il en existe de propres -, Vautier rapporte ici quelques jours de campagne dans les Aurès d'un bataillon composé uniquement de fortes têtes, pacifistes, religieux, antimilitaristes, forcés par la conscription et extirpés de leur camp disciplinaire en plein Sahara pour aller combattre, comme les autres, sous les ordres d'un lieutenant peu à cheval sur la discipline. C'est comme ça, du moins, qu'il se présente à eux, et les embobine, avant de se révéler comme un parfait sous-off, aux ordres comme les autres, mais adepte d'un franc-parler que ses troufions sont à même de comprendre.

Cette section a vraiment existé, elle était composée d'appelés bretons qui refusaient cette guerre et qu'on avait appelé "les chevelus". Et le film ne raconte rien d'autre que ce que Kubrick avait démontré avec autrement plus de moyens et d'effets grandiloquents dans son FULL METAL JACKET: l'armée est une usine à dressage, une fabrique de machines à tuer.

Le film est maladroit, pas toujours bien joué (une distribution éclectique composée d'Alexandre Arcady, Jean-Michel Ribes, le fils de Vautier, ou encore Philippe Léotard, très bon) et use de procédés un peu vieillots, comme ces bidasses qui parlent face caméra pour expliquer deux ou trois choses "discutables" qu'ils viennent de commettre. La justification individuelle de certains actes est un des moteurs les plus actifs en temps de guerre, et il n'y a guère que deux figures "intègres" de cette troupe, le lieutenant Perrin, droit dans ses bottes et Nono la pacifiste, qui n'a jamais tiré une seule fois avec son fusil, qui resteront les mêmes une fois le film terminé: l'un promu capitaine, l'autre au cimetière.

Quels que soient les principes des autres, ils finissent par tirer, par tuer en représailles, à torturer, à violer, et à espérer "la quille". Que l'Armée Française ait contesté à ce point le contenu du film de Vautier (qui n'a pas été interdit, contrairement à d'autres films de lui, notamment sur l'Afrique Noire) pose question: aurait-on la seule autorité militaire au monde assez conne pour nier la nature-même de tout conflit armé, et faire croire qu'une guerre est propre parce que menée par la France éternelle ? 

Le film de Vautier se regarde comme un document, certainement pas comme un grand film. Mais les fictions sur la guerre d'Algérie sont tellement rares que celui-ci est précieux. A quand un film sur les ventes d'armes à l'Arabie Saoudite, avec Jean Dujardin, sur le mode "Lord of war" ? Auto-censure de pleutres ou censure d'état insidieuse ? Je demande, juste...

(à voir sur cinematheque.fr/henri)

Autre genre de film engagé, cette fois sur une note beaucoup plus enjouée, rêveuse et utopique, ce WOMAN AT WAR de Benedikt Erlingsson, qui a fait un petit carton à sa sortie il y a 2 ans, et qui rassemble là tous les voeux pieux et les rêves les mieux construits d'un Nouvel ordre mondial et écologique possible: la fin de la main-mise des multinationales sur les Etats, sur la Nature, sur nos vies impactées par une catastrophe écologique qui s'annonce.

Halla n'est pas une rigolote qui vote Yannick Jadot et vous engueule parce que vous triez mal vos poubelles, c'est une self-made-woman activiste qui pète les pilones électriques qui alimentent les usines pollueurs à l'arc, traverse les landes islandaises au trot en se calant sous les rochers dès qu'un hélicoptère passe. Halla, c'est une vraie et super nana qui ne fait pas semblant d'être en guerre: c'est elle toute seule (avec la complicité silencieuse de quelques comparses) contre le monde du fric et de la politique, et elle les emmerde vraiment pas mal.

Qu'on aimerait que cette figure de Super-Zadiste fasse florès aux quatre coins du monde, mais ne rêvons pas trop: les polices ne sont pas toutes aussi courtoises et civilisées que celle qu'on trouve en terre d'Islande. Si Halla était russe, égyptienne, brésilienne ou sénégalaise, on l'aurait retrouvée découpée dans une boîte depuis longtemps.

Autrement dit, WOMAN AT WAR se regarde comme un feel-good-movie à l'anglaise, genre FULL MONTY, huile de coude, solidarité, bons sentiments à la truelle (un épisode ukrainien avec petite fille adoptée vraiment gnangnan) et une folle envie d'aller s'impliquer aussitôt le film terminé. On savourera quelques éléments de mise-en-scène cocasses, comme l'apparition systématique en arrière-plan des musiciens qui ponctuent les scènes de leurs ritournelles, idée de mise-en-scène plutôt sympathique qui confortera dans cette idée que, tout de même, tout ceci est bien agréable, mais n'est qu'un rêve. Battons-nous autrement que Halla, cette super-héroïne de cinéma, mais comme on le signale ailleurs, pour d'autres disciplines que le tir à l'arc: ne faîtes pas ça chez vous !

(à voir sur arte.tv)


(Attention: spoilers inside...)

Comme on est chez les super-machins, restons-y, avec cette première saison Neteuflix... eh bien plutôt pas mal, à ma grande surprise, puisque je suis allé jusqu'au bout, avec l'envie de remettre les couverts à la prochaine saison, UMBRELLA ACADEMY. Curieux j'étais après la lecture du premier tome du Comics, sur lequel j'avais calé à cause, je pense, de la surcharge pondérale du dessin (un problème que j'ai avec bon nombre de comics actuels), ajoutée à une richesse de scénario qui finissait par donner un truc un peu étouffe-chrétien à l'arrivée. 

L'avantage de l'adaptation en série télé est double: elle prend le temps de poser chaque personnage, développe les situations compliquées sur plus d'une case, et n'a surtout pas oublié les deux saveurs primordiales de la bd d'origine: la violence et l'humour.

Version légèrement steampunk de l'academie pour surdoués du professeur Xavier dans les X-men, la Umbrella Academy est une école créé par un richissime milliardaire qui a recueilli 7 enfants nés le même jour aux quatre coins du monde d'une mère... qui n'était même pas enceinte le matin-même (coucou "Le village des damnés"!). D'abord dressés pour être des super-justiciers, ce qu'ils étaient lorsqu'ils n'étaient que des enfants obéissants en costume à blasons et masques à la Robin, l' un s'est enfui, un autre est mort, une ne possède en fait aucun pouvoir, et les quatre autres sont partis vivre leurs vies, chacun de leurs côtés. La mort de leur père adoptif va amorcer une nouvelle étape... et de nouvelles aventures !!!

Sur le papier, UMBRELLA ACADEMY est un sacré foutoir auquel on finit par adhérer sans problème: un postulat fantastique plutôt riche sur fond de steampunk très discret a vite fait de nous installer dans cet univers extravagant, mais assez proche de nous (avec tout de même un chimpanzé qui parle, une maman cyborg, deux tueurs qui viennent d'un monde parallèle, des voyages dans le temps, des pneumatiques qui arrivent dans les frigos, sans parler des pouvoirs zazous de nos zigomars). 

Bastons, explosions, retournements de situations et morts violentes, la série s'amuse même avec ce piège fatal pour toute fiction pour djeunz qu'est: le voyage dans le temps et les paradoxes temporels. Sans même se planter dans la construction, le scénario règle même par deux fois le problème par un traitement radical: un rembobinage express de cinq jours d'action (on efface tout et on recommence, à la benne les petits détails gênants!), et une fin de saison qui invite tout le monde, littéralement, à recommencer depuis le début. Bien vu ! S'ils font ça à chaque fin de saison, ce sera aussi efficace que Dr Who !

On pourra regretter, évidemment, quelques chutes regrettables en pleurnicheries, propres aux séries ricaines, assez vite contrecarrées par d'excellentes idées régressives: Hazel, le gros nounours tueur et sociopathe, qui tombe amoureux d'une serveuse de "bar à beignets" qui pourrait être sa mère, le frère et la soeur amoureux l'un de l'autre, ou Numéro Cinq, le plus vieux de tous (parce qu'il a vécu plus de quarante ans dans le futur, mais est revenu dans son enveloppe de gamin de 12 ans, short d'écolier inclus), qui passe son temps à conter fleurette à un mannequin de vitrine coupé en deux.

Sexualités bizarres, pouvoirs chelous, libidos en désordre et personnages tous génialement construits (et très bien interprétés, pour la plupart), cette galerie de monstres extravagants propose quelques portraits de héros tous aussi enfantins que compliqués, et des méchants aux looks les plus anodins, mais aux perversions... touchantes.

Une vraie série de freaks, en somme (la palme pour Klaus, le gay toxico encombré de son pouvoir de voir, et de discuter avec les morts sans savoir, -encore - quoi en faire, et le "gentil" Leonard Peabody, un des méchants les plus réussis que j'ai pu voir depuis bien longtemps, qui s'occupe si bien de la si douce et si "normale" Vanya).

UMBRELLA ACADEMY, c'est la série tapageuse du moment qui vous fait voir la vraie nature des super-héros sous un angle tordu, mais joyeux.

Je laisse la parole à Klaus qui, lors de cette descente de tueurs qui les mitraillent sans crier gare en plein bowling s'exclame : "Mais qu'est-ce-qui se passe ? C'est l'anniversaire de Kenny ou quoi ?"

Fou-rire de cinq minutes, pardon.

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