mercredi 27 septembre 2023

N° 10, des Dieux et des clous.

 



Il va falloir attendre le début de l'année prochaine pour que Bruno Dumont recolle son pied dans le cul du bon sens cinématographique (là-dessus, je vous invite à aller jeter un oeil sur la bande-annonce de son Empire, ça promet), mais il y a quand même Alex Van Warmerdam en attendant. Artiste pluridisciplinaire, musicien, peintre, plasticien et cinéaste à ses heures, le Batave est lui aussi un empêcheur de filmer en rond qui n'a pas peur de grand chose, si ce n'est de marcher dans les clous et de rouler dans le bon sens.

Van Warmerdam, c'est l'auteur du fabuleux Borgman (2013), "home invasion" stoïque et très politique qui préfigurait d'une certaine manière le Parasite de Bong Jon Hoo (un film qui commence avec un étrange clodo à poil qui vient observer un riche couple dans leur riche villa lorsqu'ils dorment) et de l'incroyable Peau de Bax (2015)polar camouflé dans les polders où des malfrats aux motivations étranges se tiraient dessus à travers les hautes herbes. 



Rien ne ressemble à un film d'Alex van Warmerdam, pas même un autre film de Warmerdam. Tout juste pouvait-on trouver quelque accointance avec son deuxième film, le célèbre Les habitants, avec le style d'un autre grand bizarre contemporain, le Suédois Roy Andersson.

N° 10 n'est pas un biopic de Maradona ou Zidane, ni celle du dixième apôtre (c'est lequel déjà ?...) c'est un film sur... euh... bon ben voilà: c'est coton à expliquer.


Disons d'abord que nous nous trouvons devant un film coupé en deux: la première partie, du pur Warmerdam, est la relation chafouine et très amusante de la répétition tendue d'une pièce de théâtre par une troupe professionnelle. Très vite se révèle un petit cénacle où tout le monde espionne tout le monde, écoute aux portes, trahit, balance et mitonne de petites vengeances. Nous avons Marius, dont l'épouse est malade, ne dort plus la nuit et n'arrive pas à retenir son texte et Günter (le N°10 en question mais ça, il ne le sait pas encore et de toute façon, c'est dur à expliquer) qui couche avec Isabel, la femme du metteur-en-scène. 

Cette première partie est un régal de découpage où affleure tout de même, au centre de cette trame boulevardière,  quelques éléments de bizarre et d'absurde tout warmerdamiens: la fille unique de Günter se demande pourquoi elle n'a qu'un seul poumon et ne tombe jamais malade, et se met alors elle aussi à espionner son père tandis qu'un autre type, absolument étranger à ce petit monde, la suit tout en observant Günter. L'intervention de ce mystérieux personnage, type sapé comme un directeur d'agence d'assurance, dans la vie de Marius pour débloquer la situation (sur ordre... d'un archevêque allemand), comme celle d'un drôle de messager s'exprimant en langue inconnue vont propulser N°10 vers un autre univers, qui n'est vraiment plus le nôtre et que je ne tenterai même pas de vous raconter.



A ce stade ne nous vient justement que la référence à Bruno Dumont, mouvance Coincoin et les z'inhumains et qui m'a laissé comme deux ronds de flan, et sur le bas-côté, avouons-le aussi. Là où le bât blesse, c'est que cette extravagante propulsion hors du réel et de la trame narrative largue sa fusée et ses occupants sans parachute, ni même l'espoir de retoucher terre un jour. Pour rigolo qu'il soit, N°10 oublie un peu le petit personnel en route et, - j'ai beau me creuser la tête depuis que je l'ai vu - omet de faire un lien entre cette première partie presque brechtienne dans ses humeurs, sophistiquée dans sa mise en place et l'épisode barré de Star Trek, à moins que ce soit de X-Files qui suit.



Le film retombant tout de même allègrement sur ses pattes au gré d'un twist final qui a ravi l'agnostique en moi comme le nihiliste qui sommeille en chacun de nous, cette apogée scénaristique iconoclaste en diable et quasi grolandienne aura fait pouffer les quatre spectateurs venus à cette séance. Personne n'est sorti de la salle entre deux, mais j'ai bien senti que c'était moins une. 

Moins qu'à un fil, N°10 ne tient peut-être que par un clou: celui que Günter en rage plante dans le pied de son concurrent déloyal sur scène et dont on se souvient lorsque ces centaines de croix et de clous, justement, sont propulsés dans l'espace comme dans un mauvais rot. Le spectacle est annulé, sur terre comme au ciel. Vous aurez beau crier, tout cela ne sert plus à rien.

Film manqué sans doute, comme le montage de deux scénarios étrangers avec de belles rustines, mais spectacle pas anodin tout de même: ce fou de Van Warmerdam continuera après ce coup-là à garder mon allégeance.

jeudi 21 septembre 2023

FERMER LES YEUX, ou comment disparaitre complètement.

 



Victor Erice est un cinéaste trop rare pour qu'on puisse finalement en parler comme il faut. En ce qui me concerne, le souvenir très lointain du Sud s'est complètement estompé, je n'ai jamais pu voir Le songe de la lumière, reste juste la découverte récente, et foudroyante, de L'esprit de la ruche, son tout premier. 30 ans pour refaire un film, c'est long. Même si le cinéaste insiste sur le fait qu'il n'a jamais cessé de travailler pour le cinéma, il plane au-dessus de lui comme aura mystérieuse qui a trait à ses absences, à son silence, à la scrupuleuse attention qu'il porte à son art et à la manière d'en parler: dans les interviews qu'il donne ici et là, où se dessine le profil d'un artiste que le cirque médiatique indiffère et qui prend soin de peser ses mots.

Pour un cinéaste qui n'a rien montré depuis si longtemps, appeler son dernier film Fermer les yeux sonnerait presque comme une invitation à ne pas venir le voir, ce qui ne manque pas d'ironie. Un autre film espagnol récent, d'un cinéaste de la nouvelle génération Jonas Trueba, s'appelle Venez voir. C'est un film lapidaire pourtant, dans lequel on ne nous montre ni raconte grand chose, et dans lequel il n'y a effectivement pas grand chose à voir. Fermer les yeux est à l'inverse un film long, qui prend son temps, déborde de romanesque à ras bord, s'avance sur les fils croisés d'un brillant travail de scénariste, et de funambule, entre réel et fiction, création artistique et autoportrait peut-être, camouflé derrière cette histoire de disparition justement, et de désir de film inachevé.


Son personnage principal, Miguel Garay est un écrivain qui s'est essayé à une époque au cinéma, n'achevant pas son second film du fait de la disparition soudaine de son meilleur ami, et acteur principal de son film, Julio. Quarante ans que Julio n'a pas donné signe de vie et depuis, Miguel n'a plus rien écrit ni tourné, il vivote de traductions en tirant le diable par la queue. Une émission du type "Perdu de vue" lui propose de participer à un numéro sur la disparition de cette ancienne vedette du grand écran, et en déterrant les deux uniques bobines de rushes qu'un ami a précieusement gardé, va voir réapparaître quelques ombres.

On serait tenter de jeter un parallèle hâtif entre ce destin d'artiste contrarié et le long silence d'Erice, parallèle que le cinéaste renvoie gentiment dans les cordes lorsqu'on lui pose la question. Se raccrochant alors à la seule tenue de son film, il est bon de rappeler ce que Miguel, - homme assez disert et plutôt timide, qui a du mal à parler de ses oeuvres et a peut-être complètement fini de croire en tout cela -, élude les ambitions de ce projet de film inachevé en le qualifiant de "film simple, un film d'aventure".


La séquence inaugurale de Fermer les yeux est en cela assez magistrale: un prologue de "thriller historique" à la Perez-Reverte où un riche érudit espagnol reclus dans son pavillon de banlieue parisienne (appelé Triste-le-Roi) dans les années 40,  se sachant proche de la fin, demande à un de ses compatriotes, anarchiste exilé en France, d'aller lui retrouver sa fille naturelle à Shangaï pour qu'il puisse partir "après qu'elle l'ait regardé une dernière fois".


Or, ce n'est pas ce film que nous verrons, il s'agissait de la première bobine du film de Miguel, jamais achevé, et le mystère sera à aller chercher dans la vie-même, dans les raisons de la fuite, accidentelle ou volontaire, inexplicable et inexpliquée, de cette ancienne gloire.

On ne s'y attendait pas vraiment mais dans Fermer les yeux se trouve quelque chose de la liberté bariolée de certains films d'Almodovar: Erice se montre aussi libre et sans peur dans la construction de son film que l'ancien guide suprême de la Movida: mélodrame, film dans le film, la vie expliquée par le cinéma, le cinéma qui n'est rien sans la vie-même, une disparition de film noir, un amnésique de thriller, les fantômes du passé et même un zeste de la vulgarité de la télé-spectacle, le film rebondit sur toutes ces facettes avec une égale agilité, ne craignant même pas une grande scène finale qui au fond ne résout pas grand chose: ainsi va la vie que les images du passé finiront par disparaitre, ni ne pourront plus raconter quoi que ce soit à personne.

A plus de 80 ans, Erice signe tout de même un film intrigant qui parle autant de cinéma qu'un monde, - le sien - qui n'en a plus pour longtemps. Comme les deux (vieux) amis se retrouvent sans pour autant raviver la mémoire de l'un, Erice le filme tous les deux en haut d'échelles en train de repeindre en blanc un mur blanc. On efface tout et on ne recommence rien du tout. La solitude de Miguel, qui vit seul avec son chien sur un ancien terrain de parc d'attraction dans sa caravane a bien des similitudes avec le cabanon où son ami vivote en bricolant ses trucs et ses machins.


Reste que comme on se trouvait à des années-lumière de pouvoir comprendre les émotions ressenties par la petite Ana Torent devant le monstre de Frankenstein dans L'esprit de la ruche, il ne nous sera pas donné de savoir non plus ce que les yeux grands ouverts de Julio perçoivent.

On aura donc regardé un film de Erice sans doute pour la dernière fois (à moins qu'après 30 ans de silence radio, le cinéaste ne nous régale d'un film par an à partir de maintenant, ce qui serait presque drôle) et sur ce que ce "fermer les yeux" signifie, il s'agit de bien regarder au contraire, c'est comme ça que les oeuvres survivent à leur mort comme à celle de leurs auteurs. "Il n'y a plus rien à voir depuis que Dreyer est mort" plaisante -à moitié -, son vieil ami Max, gardien d'une cinéphilie de vieilles affiches et de bobines 35mm soigneusement rangées sur les étagères de son appartement, et qui roule encore dans une vieille 2CV.


Erice est trop lucide pour ne pas voir que ses principes de cinéaste sont aussi clairvoyants qu'ils laissent entrevoir le vieux con intransigeant. Pas compliqué de voir dans son dernier film comme une sorte de constat final, qui n'a pourtant rien d'amer. Mais le soin qu'il a apporté, encore une fois, à cette fable presque ironique sur une sorte d'obsolescence programmée du septième art (ce que ses propos sur l'avenir du cinéma démentent, d'ailleurs) fait sourire. Voir un grand cinéaste déployer autant d'efforts et de subtilités pour nous parler de la fin de l'histoire est émouvant, quand on comprend qu'il ne nous parle que de la sienne.

dimanche 17 septembre 2023

ANATOMIE D'UNE CHUTE ou le couple en langue étrangère.

 


Signe qui ne trompe pas, la sortie en salles d'Anatomie d'une chute aura fait taire d'un coup les polémiques vaseuses, lorsqu'elles n'étaient pas carrément douteuses, autour des propos de la réalisatrice lors de la remise de son prix à Cannes. Car tout le monde s'est retrouvé tout à coup face à un morceau de cinéma, un vrai, à côté duquel ces histoires d'argent public et de réforme des retraites devenaient hors sujet.

La belle et quasi unanimité critique autour du film n'était donc pas en toc: le film reprend à son compte tous les archétypes du "film à procès" pour en faire quelque chose de neuf et nous distiller sa vision du couple à un moment, le nôtre, où les équilibres et les rapports de force homme/femme ont bien changé.


Soit un couple en difficulté, Sandra et Samuel. Elle écrivaine à succès, lui universitaire reconnu avec des aspirations d'écrivain. Elle est Allemande, il est Français et à la maison tout le monde parle anglais. Derrière eux quelques infidélités, le grave accident qui a rendu leur fils unique malvoyant, la dépression de Samuel et ce drame qui va tout enclencher: Samuel s'est jeté de la fenêtre du grenier qu'il était en train d'isoler. Ou bien: quelqu'un l'a frappé et fait tomber du deuxième étage et cette personne, cela ne pouvait être que Sandra.

Le hasard a voulu que je vois Anatomie d'une chute quelques semaines après le dernier film de Nuri Bilge Ceylan, Les herbes sèches, qui m'avait semblé reposer tout entier sur cette part d'incernable que chacun et chacune possédaient sans qu'il soit jamais possible d'en deviner les contours. Il en va de même, au final, pour les personnages du film de Justine Triet, victime, accusés comme témoins: les vies de Sandra et Samuel auront beau être découpées en fines tranches, exposées à la vue de tous jusqu'aux pires impudeurs, leur mystère restera entier, sommeillant dans un hors-champ jamais montré mais que l'imagination de chacun, les parties accusatrices surtout, voudront à tout prix mettre à jour et décréter bien réelles.


Si la décision finale du jury ne pouvait qu'être infléchie par un coup de Jarnac venu de nulle part (le témoignage de Daniel, leur fils, arrivant en toute fin de procès), il est passionnant de voir que c'est l'intuition de l'enfant qui a interprété d'une manière particulière la parole de son père à un moment donné, qui va être préférée à celle de l'accusation qui a voulu rendre de Sandra une image d'épouse égocentrée et violente.


L'avocat général incarné de manière incisive par un excellent Antoine Reinartz (acteur que je trouvais plutôt moyen jusque là) est bien dans son rôle lorsqu'il (se) raconte l'histoire d'une femme quasi manipulatrice, - et c'est là qu'on entre dans une sorte d'emboitage de poupées russes vainement étourdissant - qui se nourrit de sa propre vie, de la vie des autres lorsqu'elle ne pompe pas le travail de son mari pour écrire ses propres romans. Sandra aura expliquer, dépitée, ce qu'est le travail d'écrivain, rien n'y fera: il y a forcément quelque preuve à aller chercher dans l'imaginaire si on n'arrive pas à l'atteindre autrement. Le tribunal ne fera pas autre chose: s'inventer l'histoire la plus crédible, faire appel à son imagination à défaut de posséder des preuves irréfutables de quoi que ce soit.

Moins dans son rôle, et offrant le moment le plus pénible et déroutant de ces moments de prétoire, le témoignage littéralement à charge du psy qui suivait Samuel lors de sa dépression, qui a adopté tous les griefs que Samuel portait à l'égard de son épouse, nous projette d'un coup dans ce que le film arrivait à esquiver jusque là, la guerre des sexes. A cet instant du film, je me suis même demandé s'il était normal que la parole d'un thérapeute aussi partial puisse être entendue à la barre. Le secret médical expire-t-il à la mort du patient ? Ou ne doit-il plus le rester face à un juge ? Moment très dur auquel la défense répond à peine, l' agressivité du thérapeute le desservant d'elle-même.


Je ne sais pas si Anatomie d'une chute est un très grand film, mais il faut saluer de toute façon sa qualité d'écriture extraordinaire, comme sa cohérence avec les films précédents de Justine Triet, eux aussi portraits de femmes au bord de la crise de nerfs mais qui flirtaient aussi bien avec la dépression de leurs personnages qu'avec une légèreté presque comique.

Ici, pas vraiment de quoi rigoler. Quelques grands moments d'émotion (le jeune Milo Machado Graner est assez stupéfiant dans les scènes finales), et une dépression nerveuse qui pour le coup sera plutôt pour monsieur, qui fait écho à la dureté de façade des personnages féminins (Sandra, la juge, l'avocate adjointe, la jeune femme qui veille sur Samuel le temps du procès). Il va falloir s'y faire, messieurs, la solidité n'est plus que masculine.


 Comme les personnages incarnés par Laetitia Dosch ou Virginie Efira dans ses films précédents, Sandra Hüller est ici une femme chahutée qui ne sombre jamais, qui ne craque pas ou alors se remet vite. Ce noyau familial persistant qu'elle continue à former avec son fils sera le fin mot de l'histoire: soudés à jamais, encore ensemble par le miracle de ce qui a été, peut-être, un mensonge. La vérité en tous cas, ce n'est sûrement pas la justice qui la fera.

Ajoutons pour finir que la Palm-Dog obtenue par Messi, le border-collie de Daniel, n'a pas été volée non plus.

samedi 2 septembre 2023

YANNICK, au cinéma ce soir.



Quentin Dupieux est-il le fer de lance d'un renouveau de la comédie française, ou une sorte de jean-foutre qui ne serait jamais sorti de ses potacheries adolescentes ? C'est que son cinéma commence à peser dans l'hexagone, lui qui en est à nous fournir ses deux films par an, dont ce Yannick qui, parait-il  bénéficie d'un bouche à oreille entrainant (dans le petit cinéma art & essai où j'ai mes habitudes, on m'a dit que chaque soir, Dupieux collait une méchante pile à Christopher Nolan).

Je vais éviter ici de trop disséquer son dernier film, pour le moins tordant et charmant, parce qu'il l'a déjà été ailleurs - j'adore ce que fait cet homme, jusqu'à ses pires stupidités, l'adolescent attardé qui bouillonne en moi est comme chez lui dans son cinéma -, mais une chose est sûre: Yannick est peut-être le point de bascule de son style vers autre chose, de peut-être un peu plus grave. 


A vrai dire, il serait temps. Dupieux va peut-être finir par fatiguer ses plus fervents suiveurs s'il continue à opérer sur un mode qu'on a fini par repérer: une "idée à la con" propice à fournir un excellent sketch aux Nuls ou aux Robins des Bois, aucune contrainte sur la forme narrative, sauter à pied joint sur chaque bon gag et, surtout, faire porter tout ça par des comédiens qui n'ont peur de rien.

C'est un fait connu maintenant, l'actorat made in France se bouscule au portillon pour en être. Le réalisateur adore les acteurs, et il faut se souvenir qu'en 2014, il abandonnait Hollywood parce qu'il trouvait que les comédiens américains, même les plus à la marge, avaient du mal à se débarrasser de leur technicité fignolée, au détriment d'une folie d'impro et d'un manque de self-control que son cinéma réclame. 

A l'arrivée, des Blanche Gardin, des Chabat, Poelvoorde ou Dujardin s'y retrouvent comme des canards dans leur mare, des qu'on croyait plus discrets y dévoilent une puissance de feu comique décoiffante (Adèle Exarchopoulos dans Mandibules, Pio Marmaï ici dans un sacré numéro). Qui veut se déguiser en super-héros bleu ? Moi, moi, moi ! Dupieux a réussi un braquage au coeur de l'entreprise cinématographique française qu'on se doit de saluer.


Yannick, c'est donc l'histoire d'un jeune homme un peu tendu qui se fâche devant la nullité de la pièce de boulevard pour laquelle il a sacrifié sa soirée, ses sous et quelques heures de transport. Il prend les acteurs et la salle toute entière en otage avec un flingue et va s'improviser auteur dramatique lui-même.

C'est complètement idiot mais ça passe. C'est même un peu limite (une prise d'otages dans une salle de spectacle parisienne, c'est, euh...), mais ça passe. Une fois qu'on a bien pouffé à certaines lignes de dialogues qui ne s'embarrassent guère de fioritures (il y en a pour trouver Dupieux un peu vulgaire, aussi), la petite mécanique ainsi déréglée va commencer à siffloter sa petite musique qui va nous en dire un peu plus. Sur la tartufferie des comédiens qui savent qu'ils jouent chaque soir quelque chose de nul mais fièrement le nient, sur celle d'un public qui, contrairement à Yannick, ne veut pas voir tout ce temps et cet argent gâchés en une vaine soirée.




Au milieu de ces deux hypocrisies qui se neutralisent, se sourient et s'applaudissent, Yannick n'est pas content. Là où, peut-être, on a vu quelque chose de soudain différent dans un film de Dupieux, c'est dans sa cruauté. A nous montrer ce public docile de moutons à tondre, prêt à obtempérer à tout et, surtout, le visage de Yannick en larmes lorsqu'il entend sa propre "pièce", ses mots à lui, jouée par les comédiens (ce gaillard nous couvait bel et bien une sacrée dépression). Ce grand garçon qui vivote dans un boulot de merde, sait à peine se servir d'un ordinateur, un gueux égaré en terre de "culture", si décevante pour laquelle il a (presque) gâché sa soirée, et qui va se prendre hors-champ les forces de l'ordre sur le coin du nez comme un vrai gilet jaune.


Ce final un peu glaçant et pas du tout drôle pour le coup aura le mérite de nous dévoiler un profil plus dépressif à ce serial-amuseur qui couve certainement, lui aussi, quelques sombres pensées et quelques gouffres sans fond. Il faut se rappeler que les clowns sont souvent les personnes les plus tristes du monde, et ce plan sur les yeux rougis de Raphaël Quenard (excellent, une fois encore), ce visage qui chavire est certainement ce que Dupieux nous a filmé de plus bouleversant depuis ses débuts de cinéaste.

Attendu au tournant, donc, et avec impatience.