mardi 28 juillet 2020

Monsieur et madame vont être servis.


C'est un film mythique, unique, une météorite perdue au fin fond des années 60, à l'heure où les cinématographies du monde entier donnaient à voir des choses nouvelles sur des tons différents. Mais LA SERVANTE, alors... si seulement on m'avait prévenu... Sorti en 1960 et réalisé par Ki-young Kim, réalisateur prolifique dont peu de films ont traversé les frontières jusqu'à nous, le film est depuis devenu l'objet d'un culte même s'il a fallu longtemps, et la sortie du remake réalisé un demi-siècle plus tard par Im Sang-Soo pour qu'il réémerge enfin et ressorte dans une version restaurée (celle proposée aujourd'hui montre pas mal de segments qui, déjà, ont été endommagés par le temps).

Autant THE HOUSEMAID de Im Sang-Soo m'avait laissé perplexe, usant jusqu'à la corde de rebondissements à foison (les Coréens exagèrent, toujours...) et surtout à cause d'un cadre grand-bourgeois frotté à l'eau de javel qui lui donnaient parfois des airs de porno soft. A tout prendre, on pourra même considéré que si un film rend vraiment hommage à l'original, il ne s'agit pas de ce film-là, mais plutôt PARASITE de ce diable de Bong.

Car avant d'être la fable venimeuse d'amours ancillaires fantasmés, LA SERVANTE version 60's est l'histoire sordide, et morbide, d'une jeune femme prête à tout pour faire son nid auprès de ces nouveaux riches qui viennent de s'installer dans cette grande baraque dont certaines pièces et un étage tout entier sont encore livrées à la poussière, la pourriture et la vermine; il est beaucoup question de mort aux rats et de rongeurs qui dégringolent des placards dans la première heure du film, bestioles que la jolie Myung-sook va se charger d'éradiquer.

Elle qui va passer pas mal de temps à assaisonner son riz de poison, débarque d'ailleurs un soir, humant l'air de son petit museau, où la famille se régale d'un simple plat de riz au curry. Les protagonistes, plus tard, passeront du temps à se demander si leurs verres d'eau, ou certains petits plats qu'on leur sert, ne seraient pas empoisonnés.

Saine ambiance, dans une maison aux murs chaulées d'une étrange mixture noircie qui lui confère l'apparence d'une antre d'araignée géante; nous sommes bien au coeur du règne animal, avec une intruse qui se faufile dans la place comme un rongeur, et dont le comportement va de plus en plus s'apparenter à celui d'une araignée géante.

Le film n'est pas seulement une charge contre l'hypocrisie de la famille traditionnelle (petit frère pousse sa grande soeur atteinte de polyo dans les escaliers, monsieur ramène une de ses jeunes étudiantes à la maison, madame a juste le droit de se la fermer), c'est surtout, à la guerre comme à la guerre, une terrible analyse d'une très sévère lutte des classes, qui n'a pas le droit de dire son nom, et se règle par l'"infiltration" plutôt que par le combat, et par la fourberie la plus perverse.

Ki-young Kim se montre d'une perversité d'ailleurs égale à celle de son héroïne: le "twist" final, qu'on sentait un peu venir (tout ceci n'était que fantasme de monsieur et craintes de madame emmêlées) révéle, en vérité, les véritables intentions du film: montrer que dans la société coréenne, gravir les échelons n'est possible que par la fourberie, la cruauté et l'absence de scrupules. Les gueux de PARASITE procédaient par tricherie, eux aussi, pour s'infiltrer chez les bourgeois, mais faisaient tout pour ne pas être démasqués. 


L'héroïne de LA SERVANTE avance, elle, très vite à découvert, mais armée jusqu'aux dents: de sa sexualité agressive qui ne fait qu'une bouchée de la retenue hypocrite de monsieur le professeur, d'un flacon de mort aux rats et l'envie irrépressible de mettre tout ce lamentable petit monde à ses pieds.

Le film n'est guère reposant (avec cette manie sud-coréenne de pousser le bouchon toujours plus loin, on se demande vite où cette machine infernale va pouvoir s'arrêter), mais il ose ce qu'aucun film de cette époque n'avait osé, à ma connaissance: proposer une fable aussi perverse et abrupte, comme Nagisa Oshima en filmait à l'époque, mais en posant une esthétique quasi-gothique, extirpée du cinéma d'horreur, qui m'a fait beaucoup songer au fameux SPIDER BABY de Jack Hill, tourné 7 ans plus tard.

L'actrice Eum-Shim Lee est tout simplement terrible, et on ne saurait trop conseiller à tout le monde LA SERVANTE, qu'on soit armé ou pas contre tous les vices qu'il recèle; c'est pour ma part un des films les plus saisissants, et des plus cinglés, que j'ai pu voir depuis des lustres.

Un qui aurait bien voulu nous en mettre plein les yeux de la même manière, c'est ce bon vieux Ridley Scott. Qu'on m'excuse, mais même les plus incorrigibles de ses fans ne pourront jamais prétendre que le cinéaste britannique se soit jamais hissé aux sommets atteints lors de ces trois premiers films (DUELLISTES, ALIEN et BLADE RUNNER, quand même), aussi je laisse le soin à d'autres de vous raconter que BLACK RAIN, THELMA ET LOUISE ou GLADIATOR sont des films importants. 

Ainsi ce CARTEL, réalisé juste après son pénible PROMETHEUS, où l'on assiste, ravi, à un fabuleux défilé de mannequins à quelques centaines de milliers de dollars la pige, Ray-Ban, Giorgio Armani et j'en passe, et si le film avait été filmé en odorama, on aurait senti du Chanel, à coups sûrs. Tout ça pour vous rappeler que Ridley vient de la pub et qu'apparemment, ça ne s'oublie pas.

Pas désagréable à regarder du tout, CARTEL est un polar qui, comme son titre français l'indique, nous raconte le triste sort réservé à celles et ceux qui s'approchent de trop près à des histoires de trafic de dope qui foirent, comme ici, quand des milliards de dollars sont en jeu et que les boss du système gèrent leurs problèmes brutalement, et sans bla-bla. On savait déjà tout ça, merci, et à tout prendre on préférera SICARIO (d'un autre "faiseur" de grand talent, Denis Villeneuve) qui mettait un peu plus les mains dans le camboui, et nous épargnait le bling-bling au profit d'une certaine barbarie, plus frontale.

Michael Fasssbender en avocat-piranha arriviste (une chemise classe différente pour chaque scène) qui s'aperçoit trop tard qu'il trempe dans un milieu de trop gros crocodiles pour lui, Javier Bardem (coiffé comme Sangoku), mafieux m'as-tu-vu, et Cameron Diaz en femme-guépard tatouée à qui Ridley Scott offre une scène sexy empoisonnée assez ridicule (une lap-dance obscène sur le pare-brise d'une voiture) dont on se demande même comment elle pourra s'en remettre, sans oublier une Penelope Cruz en petite amie badaboum mais innocente comme l'agneau qui vient de naître (et donc sacrifiée), et puis un Brad Pitt en "intermédiaire" qui se croit plus malin que tout le monde. Ce n'est plus de l'actor's studio, c'est du mannequinat...

Beaucoup de beau monde pour... pour... une série noire de luxe qui ne nous dit pas grand chose de plus que ce qu'on savait déjà (dans ce milieu, il faut se méfier de tout le monde; les narcos sont des malades; ne soyez pas trop cupides, ça vous perdra; faire le mal, c'est mal). Et si tout le monde se demandait ce que pouvait bien f... le grand Cormac McCarthy depuis LA ROUTE, eh bien maintenant on le sait: il écrit pour Hollywood ce genre d'histoires, bourrées de dialogues pontifiants et de considérations misérables sur la vie et la mort. Cormac, je t'adore, et j'espère que tout ça, ça te rapporte.

Ridley Scott restant un cinéaste efficace, qui possède un vrai sens du cadre et sait s'entourer de techniciens au top, on dira que ce film, au fond très paresseux, fait beaucoup plus de blings que que de boums, et ne provoque aucun wouaaah. Avec toutes ces jolies poulettes et ces coqs de concours, ce n'est plus un film, mais une basse-cour.






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