dimanche 30 octobre 2022

Eo, âne bâté toi-même !

 


Ohé ?... Y a quelqu'un ?... Parce que je vais vous parler du meilleur film de l'année sans doute, ou pas loin. Le vieux Jerzy s'est pris de nous raconter l'histoire d'un âne qu'on a séparé de force de sa fiancée et qui s'en va errer, tout le film durant, de ville en ville, de box en box, de mal en pis jusqu'à son funeste destin de tranche de salami. 

Sa princesse, c'était une jeune dresseuse avec laquelle il faisait son numéro dans un cirque. Le cirque a fait faillite et sous prétexte qu'on le maltraitait sûrement, Eo n'aura plus que ses larmes et de tristes pensées pour celle qui l'aimait, et qu'il adorait. Avez-vous vu un âne pleurer ? C'est la première émotion du film, son véritable labeur. L'âne est têtu mais surtout courageux. Et généreux. Il donne sans compter mais parfois il s'échappe, lassé de trop de bêtises, d'âneries comme diraient l'autre et c'est tant pis: Eo avance, Eo s'échappe encore, et si le spectateur trop habitué à ce qu'on lui mâche le boulot trouve que parfois on ne comprend rien à ce que Skolimovski nous montre, qu'il se dise que pour Eo le monde des humains est bien plus mystérieux encore.

D'un coup l'image irradie d'un rouge incandescent et la caméra tourbillonne au rythme des pales d'une éolienne et s'enroule avec elles. Pourquoi ? Eo seul au bord de la rivière se retrouve sous les tirs croisés de chasseurs de loups. Pourquoi ? Le monde des hommes et son manque de substance culmine dans cette saynète incroyable, toute droit sortie d'un passage de Gombrowicz à la fois ridicule et guindée, ostensiblement tragique et absurde (Gombrowicz que Skolimovski adapta jadis, un grand échec commercial et critique qui le déprima longtemps) et on n'y comprend rien: ce jeune vagabond italien est en fait un prêtre qui revient chez lui et retrouve sa... mère (?) à qui il dit une messe mais ce prêtre est aussi un flambeur qui... on n'y comprend rien bon sang, le monde des hommes est non seulement violent et hostile, il est vide de sens. Eo se barre car il vient de se souvenir de sa belle. Lui, on le comprend.


Rien ne trouve grâce aux yeux de cet âne que Skolimovski a la grâce de ne pas charger en métaphores religieuses ni en clins d'oeil anthropomorphiques lourdingues. Un âne est un âne un point c'est tout. Et l'âne est obligé de vivre dans le monde des hommes qui n'est fait pour personne (pas même pour les hommes).

Cela faisait si longtemps qu'on avait vu un film d'une telle tendresse, d'une pensée si claire et dépourvue de calcul. Si in fine Skolimovski dédie son film au monde animal et à sa sensibilité, brocardant les souffrances qu'on lui inflige, ce n'est sûrement pas par opportunisme de saison et, comme certains livres de sa compatriote Olga Torkaczuk, il insiste sans forcer sur cette notion primordiale: ce monde n'est pas le nôtre mais nous l'avons forcé à l'être.


Il fallait donc que je découvre cette merveille la semaine-même où j'enterrai mon chat adoré au fond du jardin. Le regard d'Eo est le même que celui que mon animal me jetait dans ses derniers instants: qu'est-ce-qui se passe, dis-moi ? Pourquoi, que faut-il faire, et maintenant, quoi ? Ce vieux chat de gouttière de Skolimovski, à plus de 80 ans, nous fournit cette réponse limpide, que personne n'a envie d'entendre et qui résonne pourtant comme la plus pure des vérités: eh oh... je n'en sais rien, moi.

On ne pouvait certes pas donner la palme aux humains cons comme des manches du film de Ruben Ostlund et être sensible à la grandeur d'âme d' EO en même temps.

mardi 25 octobre 2022

Sans filtre, la croisière abuse.


 Ne pas aller au cinéma deux mois durant et puis, comme ça, y retourner et se faire the picture to see, the place to be, la Palme d'Or de l'année quoi, pour voir. Autant le dire tout de suite, le cinéma de Ruben Östlund et moi ça fait au moins deux. Un qui ricane derrière la vitre et moi qui regarde de l'autre côté, un peu gêné. Östlund est doué, très doué. Il m'a toujours fait penser à une sorte de Michael Haneke qui, en plus de vouloir de nous faire du mal et nous en mettre plein la vue, se foutrait de notre gueule en même temps.

Triangle of sadness a plu au jury bling-bling, chouchou à diadème Chopard, dîner au champagne mais très éco-responsable cependant et c'est leur faire justice que de leur reconnaitre ceci: ils ont vu des mérites dans un cinéma qui enfin leur ressemble et en lequel ils peuvent s'identifier sans faire semblant de décerner une palme à un (faux) gueux du style Dardenne, Mungiu ou autre Ken Loach. Véritable acmé du film et sorte de défouloir caca-prout qui a fait se gondoler le festival tout entier, la fabuleuse séquence de la croisière prise en pleine tempête et qui se vomit dessus tandis que le capitaine ivre mort fait copain-copain avec un oligarque russe à 5 grammes de vodka dans le sang ne devra pourtant être prise que pour ce qu'elle est; un doux interlude, un défouloir où les passagers d'en haut et les soutiers d'en bas se retrouvent à la baille, rincés de vomi et de remontées de chiottes, noyés pour la plupart et il faut noter, - mon Dieu que cela est dément - que le Chef écoutait l'Internationale en cuisine et que le capitaine (ivre), était également marxiste.

Comme on vous le disait, que la croisière s'amusait.


Östlund devrait plus creuser sa veine Blake Edwards mâtinée de Grande bouffe, car il peut être excellent dans l'exercice: son handicapée coincée dans son bateau gonflable et qui ne peut que brailler la même vindicte (en allemand) à l'adresse des nuages vaut le détour. Mais qu'il arrête, par pitié, de vouloir délivrer de quelconques vérités sur la nature humaine, les riches, les pauvres, l'argent, le mannequinat, les influenceurs et je ne sais plus quoi. Pour toute épiphanie, Sans filtre  se retrouve coincé sur une île à nous refiler du Koh-Lantah assez peu amusant, qui culmine en une affreuse et ridicule séquence de chasse qui fait hélas penser, au désavantage d'Östlund, à la mise à mort du panda sous le poignard de Ben Stiller dans Tonnerre sous les Tropiques (vrai film marxiste-léniniste qui s'ignore, lui, et qui y allait autrement à fond).


Pour résumer, Östlund n'est pas, ne sera jamais Marco Ferreri (la filière caca-prout intello), ne sera jamais Ben Stiller non plus et devra encore faire ses preuves pour filmer dignement Denis Brognard dans sa prochaine saison. 

Au terme d'une dernière demi-heure poussive et idiote comme tout le film s'achève et le réalisateur suédois n'aura pas vu, faute de culture cinématographique peut-être, qu'il avait voulu dire ce que Lina Wertmüller nous avait si bien raconté dans son bouillonnant Vers un destin insolite sur les flots bleus de l'été où la belle aristo et le prolo tout poilu se retrouvant coincés sur un île déserte finissaient par baiser à c... rabattues en un terrain légitime de commune entente (moi trouver de quoi manger, toi baiser moi). Ceci n'était du plus politiquement correct, mais avait le mérite d'être clair.

 


Cruelle concomitance des temps, il a fallu que je vois Old de M. Night Shyamalan avant Sans filtre. Quel rapport, me demanderez-vous ? Shy n'aura jamais la palme d'or et ses films ont toujours tendance à se faire dessouder avant même qu'on les regarde de près mais le temps, - c'est le cas de le dire - a toujours joué en sa faveur. Rappelons ici le topo: là encore des nantis se retrouvent coincés sur une plage et vieillissent tous d'un demi-siècle en l'espace de 24 heures, sans espoir d'en sortir. Quand les héroïnes de Sans filtre déboulent sur cette plage "avec ascenseur", c'est non seulement une fin cruelle pour ses personnages (quelle bande d'abrutis pense-t-on, ils étaient à deux doigts de la civilisation), c'est surtout un cul-de-sac scénaristique cruel pour le cinéaste: tout ça pour nous ramener sur une plage avec objets connectés et musique techno dans l'ascenseur ? Les personnages n'auront pas eu le temps de vieillir que déjà on leur aura réserver les meilleurs transats.


Après tout, on est à Cannes, et il paraît que les places y sont réservées d'une année sur l'autre.Les palmes aussi, apparemment. Quelque chose sonne faux dans le cinéma de ce provocateur auto-proclamé. Pour preuve, le barnum bling-bling qu'il fait semblant de vouloir dénoncer a une nouvelle fois a-do-ré son cinéma (mon chéri, tu es splendide ce soir mais il t'en reste un peu sous la narine droite).