lundi 6 juillet 2020

Ces messieurs sont servis.


Aujourd'hui, un grand écart à s'en déchirer les adducteurs avec, pour commencer, cette charmante vieillerie exhumée par Patrick Brion dans son Cinéma de Minuit, maintenant exilé sur France 5 avec des fréquences de diffusion plus qu'aléatoires.... Brion adore les vieilles comédies françaises et italiennes pas toujours inoubliables, mais rigolotes comme tout, comme cet HABIT VERT qui date de 1937 et que le fort oublié Roger Richebé réalisa à partir d'une pièce à succès, signée Robert de Flers et Gaston Arman de Cavailhet (ça ne s'invente pas).

Comme son titre l'indique, tout cela se déroule dans les arcanes de l'Académie Française, institution déjà vieille à l'époque et sujette à moquerie, comme ici. Lors du premier quart d'heure, on a certes craint le pire, surtout lorsqu' apparut le redoutable Jules Berry, le plus en roue libre des cabots de l'époque, lors de joutes verbales avec Elvire Popesco, cette actrice d'origine roumaine qui faisait marrer tout le monde avec son accent en yaourt. Heureusement, le père Jules n'a qu'un petit rôle. Les excellents André Lefaur et Pierre Larquey, l'un en vieux duc royaliste pantouflard et cocu - car c'est du boulevard -, l'autre en secrétaire de l'Académie diplomate et discret, assurent le gros du travail d'arrière-plan, faisant claquer les bons mots comme au théâtre (car c'en est).

Tout fonctionne très bien à l'arrivée, même si on se contrefout mille fois de l'idylle entre un aristocrate et sa secrétaire. On savoure les lignes de dialogues joyeusement détournées (avec la Popesco, c'est un festival) et on s'esclaffe lorsque la dame, feignant le malaise après l'émotion, se dit tombée "en état de prostitution". Là où ça pétarade le plus, quand même, c'est dans la description de ce milieu d'académiciens déconfits (le doyen est un vieux gâteux qui pouffe comme une grand-mère à chaque répartie) où les élus le sont un peu par hasard ("il est plus respectable de n'avoir jamais rien écrit !" prétend l'un d'eux) et où l'on se chamaille sur la définition  du terme "camomille" pour conclure: "on n'a qu'à regarder dans le Larousse". Ben oui, enfin.

Bref, parti pour bailler aux corneilles, j'ai bien rigolé.


Probable que je vais me faire une intoxication de Werner Herzog un de ces jours, mais tant pis, intoxiquons-nous, pour notre plus grand bien. Et attaquons maintenant le versant documentaire du bonhomme. J'avais déjà vu l'incroyable LECONS DE TENEBRES (sur l'extinction des puits de pétrole explosés par Saddam au Koweït, lors de la première guerre du Golfe) et, bien sûr, son cultissime GRIZZLY MAN. 

Herzog a été trouver ce Dieter Dengler, pilote de l'armée américaine d'origine allemande dont l'avion avait été abattu au-dessus du Laos pendant la guerre du Viêtnam. Tenu prisonnier des mois entiers dans la jungle, considéré comme mort, Dengler raconte son histoire, de sa naissance en Bavière (comme Herzog) dans un milieu paysan très pauvre, de son exil vers les Etats-Unis, de son rêve de devenir un grand Américain et, surtout, d'apprendre à piloter un avion. 

Dengler a d'abord été ce genre de personnage pour qui le rêve américain s'est écrit comme dans un mélodrame des années 30, un gamin qui s'est construit tout seul à partir de rien, avec la conviction que les Etats-Unis pouvaient tout lui donner. Ils lui ont tout donné en effet; une situation, un nom, une nouvelle nationalité et un brevet de pilote, ils ont failli tout lui reprendre d'un coup au cours d'un épisode de sa vie pour lequel le terme de cauchemar pourrait passer pour une litote. Prisonnier, trimbalé à travers la jungle des dizaines de fois, battu, torturé, affamé, Chuck Norris, Stallone et même les pauvres héros de VOYAGE AU BOUT DE L'ENFER ou de RETOUR, ces gentils personnages de fiction, vous sembleront soudain un peu ridicule face à son histoire. De cette histoire, Herzog a d'ailleurs réalisé RESCUE DAWN en 2006, avec Christian Bale (comédien qui adore perdre des dizaines de kilos pour ses prestations...)

Dengler raconte tout, du plus horrible au plus scabreux, du jour où son meilleur ami a été décapité à côté de lui aux viandes pourries remplies de vers qu'il fallait manger pour survivre, de la dysenterie chronique, des pointes de bambou enfoncées sous les ongles, jusqu'au jour où il a pu s'enfuir avec d'autres camarades qui ont, eux, été "engloutis" par la jungle, comme il le dit, et retrouvé par hasard dans un état aux frontières de la mort.

Pour la reconstitution, Dengler a accepté d'être filmé avec quelques figurants viêtnamiens habillés en treillis afin de reconstituer certains gestes, refaire certains parcours. On ne sait pas où cet homme a été chercher cette faim de survie, d'abord, ni où il a été puisé le courage insensé de tout raconter face à la caméra (sans doute parce que Herzog est un compatriote, avec une appétence pour les extrèmes, comme lui), voire de presque les revivre, mais on se retrouve là, mine de rien, face au type de personnage que Herzog a traqué, sans cesse, tout au long de ses films.  

PETIT DIETER DOIT VOLER, qui date de 1997, porte un titre un brin ironique, mais qui marque bien l'importance de l'enfance de Dengler dans les choix qu'il a fait tout au long de sa vie: le jour où il a vu de près les avions des forces alliées qui fondaient sur son village pour le détruire (apercevant leurs lunettes de pilote, raconte-t-il, toujours autant fasciné un demi-siècle plus tard), sa vocation était faite. Son rêve de voler était inscrit en lui. 

Petit Dieter, devenu grand, a bien été servi.

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