lundi 24 août 2020

Aux folles !!!

 


Un article thématique, pour changer; en piochant dans quelques films vus récemment, j'ai quand même déterré trois portraits de femmes pas piqués des vers que je vous propose d'analyser gentiment, avec l'assurance de toute mon affection, voire de mon amour. Contrairement à Mark Everett, leader du groupe Eels, que j'adore, qui raconte dans sa biographie combien sa vie amoureuse avait toujours été aimantée par les dingues et les frappées de haut vol, je dois avouer ici que je suis plutôt EVA EN AOUT (voir un article précédent dans RongeMailleBlog).

Avec, pour commencer doucement, le très très bon THE COLOR WHEEL que j'avais vu à sa sortie en salles, en 2011, et que j'avais un peu occulté. L'histoire de JR et Colin, frangine et frangin dysfonctionnels et pourtant fusionnels à l'extrème qui se retrouvent comme si c'était hier pour un mini road-trip: aller récupérer les affaires de JR chez son prof de sciences de l'information avec qui elle avait une petite histoire. JR est interprétée par la formidable Carlen Altman, qui promène sur chaque chose et sur tout le monde un regard noir affûté en n'arrêtant jamais de balancer de ces saillies verbales ciselées qui font mal. Lui, Colin (Alex Ross Perry lui-même), est une espèce de grande saucisse molle à voix de fausset qui n'a pas l'air d'aller bien dans ses grôles, et n'arrive plus à convaincre sa petite amie du moment à lui faire des câlins. 

Un truc cloche, mais quelque chose se connecte parfaitement entre ces deux-là, qui semblent se jouer le sketch permanent du qui-sera-le-plus-vache. Lors d'une scène hilarante à l'accueil d'un motel où ils veulent s'arrêter pour dormir, JR et Colin arrivent à convaincre le réceptionniste, illuminé catho de première catégorie, de leur donner les clés d'une chambre à lit double (la moins chère) en lui prouvant qu'ils sont bien mari et femme: ils se roulent une pelle devant lui. Le lendemain, Colin ira jusqu'à lui dire qu'ils ont sans doute conçu leur premier enfant dans ses draps.


JR n'est pas si méchante que ça: elle est en réalité aussi paumée que son frangin, ce qu'une soirée arrosée avec de vieux "amis" de lycée nous apprendra: elle est aussi empotée et mal à l'aise que lui, craintive face au jugement des autres, définitivement larguée, inadaptée, et finit toujours par se réfugier dans un baratin qui frise la mythomanie.

Alex Ross Perry qui signera plus tard QUEEN OF EARTH et HER SMELL avec Elisabeth Moss, autres beaux exemples de portraits de femmes borderline, semble avoir un certain oeil et une réelle appétence pour ces phénomènes singuliers, aussi séduisantes que toujours décalées face aux situations les plus banales. Le personnage qu'il incarne n'est pas mal non plus, et quand on aura enfin compris pourquoi ces deux-là s'accordent si mal avec le monde qui les entoure, mais si bien ensemble malgré leurs chamailleries très bien orchestrées, on aura compris pourquoi ce film vaut plus que sa réputation de petit film indé et intello new-yorkais. Derrière le piquant des situations et des dialogues, dans la veine des premiers films chamailleurs et romantiques de Woody en noir et blanc, se cache une incroyable histoire d'amour triste, et folle, et magnifique, qui nous rappelle que les incestes les plus difficiles à vivre, et à défaire, sont ceux qui relèvent d'une passion réciproque.

Voilà qui, quand même, n'est pas banal.

Je vous avais un peu menti: en terme de folie, il n'y a pas que JR qui soit folle: son frère l'est tout autant. Pas pareil avec ce qui va suivre, par contre, avec le génial ODETE de ce grand fou de Joao Pedro Rodrigues. Son deuxième long-métrage, après cette folie de O FANTASMA qui nous contait la folle épopée érotique d'un zazou en latex dans les décharges de Lisbonne.

Là, cela vaut la peine que je prenne le temps de vous raconter l'histoire: la jeune et belle Odete rêve d'avoir un enfant. Elle jette son mec qui ne veut pas en entendre parler, renifle les barboteuses au rayon puériculture du supermarché où elle travaille, demande à toucher le ventre des femmes enceintes. Dans son immeuble, une famille est frappée par le deuil: un jeune homme s'est tué en voiture. Elle se rend au service funéraire, pique la bague du défunt et la fait refaire à son doigt, se présente à sa mère comme sa petite amie (alors qu'il était gay, ce garçon, et ce n'était un mystère pour personne), fait croire à tout le monde qu'elle est enceinte de lui, fait une scène au cimetière, s'achète une poussette et va dormir sur sa tombe, finit par exaspérer (on le saurait à moins), le petit ami ami du défunt qui, lui, vraiment, ne s'en remet pas, et ce qui s'ensuit est aussi grand et beau que du Almodovar provocateur de ses tous premiers films, et aussi puissamment mélodramatique que du Almodovar de maintenant. 

C'est peu dire que j'adore Rodrigues lorsqu'il parvient à jauger aussi bien la provocation pure et simple avec le grand romanesque qui n'a pas peur d'aller trop loin. Comme dans MOURIR COMME UN HOMME, son autre grand film, et comme chez Almodovar évidemment, il est sans doute un des seuls cinéastes à ne pas avoir peur de filmer les passions amoureuses les plus démesurées, les plus démentes avec une compassion presque jalouse. Ne rêverait-on pas de vivre une passion pareille, de souffrir pour une aussi belle raison, d'aller aussi loin dans l'expression de ses sentiments, et de n'en avoir rien à foutre du regard des autres ? Gonflé, drôle et gênant, Odete est une merveille de film empoisonné: tout juste voit-on poindre le Rodrigues chiant de ses derniers films lors de l'ultime plan, et encore: l'image est tellement symbolique et ridicule qu'elle colle bien à l'ensemble. Et Ana Cristina Oliveira, dans le rôle de sa vie, prête de manière grandiose son physique de mannequin à un personnage qu'on n'oubliera pas de si tôt.

Encore plus tarée qu'Odete (mais là c'est facile, je vais vous parler d'une obscure série B de 1965), il y a cette femme qui, à chaque pleine lune, baguenaude à poil dans le bayou, un masque de carnaval sur le visage et un long couteau à la main. Sa gestuelle est bizarre, son langage corporel encore plus, on dirait qu'elle danse avec le vent, qu'elle invente le moonwalk avant l'heure, et ça fait peur. Quand elle apparaît, sans crier gare, on sursaute car Bert Williams, l'auteur-cinéaste-acteur principal de cette chose, semble avoir tourné ce film de fou uniquement pour ses apparitions. Incroyables, ces scènes le sont par le soin apporté au montage, inspiré en ligne droite des surréalistes, et d'un travail sur le son à vous faire dresser les cheveux sur la tête.

Pas étonnant que THE NEST OF THE CUCKOO BIRDS se retrouve sur la chaîne NWR: il n'y avait que Refn pour oser reconnaître avoir vu et aimé ce film, au point d'en restaurer les bobines. Si ce Bert Williams est capable d'inspirations sidérantes lors de ces scènes-là, le reste est absolument calamiteux, et rajoute au charme d'un film qui peut s'arroger le droit de prétendre au culte que certains cinglés lui vouent.

Il faut s'émerveiller, d'abord, sur ces dix premières minutes qui n'ont rien à voir avec le reste (d'abord un prélude avec notre héros qui nous parle de sa femme en voix-off, et qu'on s'imagine avoir été tourné pour le simple plaisir de filmer une beauté en déshabillé lascif sur les draps), et une séquence de chasse à l'homme dans les marais dont on se demande, une fois le film achevé, ce que cela avait à foutre là-dedans.

Merveille du vrai cinéma-bis, c'est comme si un chef-monteur saoul avait collé les premières minutes d'un autre film par mégarde, qu'un producteur saoul aurait validé sans y trouver à redire avant de se retrouver dans les drive-ins où se pelotaient des adolescents saouls. C'est quand même bon tout ça. Jeunesse et absence de complexe: le grand art, c'est souvent ne rien vouloir faire comme les autres ou, parfois, ne rien pouvoir faire comme les autres.

Un régal !



samedi 22 août 2020

Ils sont vingt et cent, ils sont des milliers.

 


"La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde" prétendait dans une allocution célèbre un ancien et toujours très populaire premier ministre "de gauche".Il semblerait que la Suisse, beaucoup plus riche pourtant, non plus. Le cinéaste helvète Fernand Melgar a réalisé entre 2008 et 2014 trois films documentaires frappants sur le sort réservé aux migrants et sans-papiers, assez loin des horreurs vécues chez nous dans la jungle de Calais mais qui nous renvoie à cette constatation pas nouvelle: la vieille et riche Europe ne veut pas de ces gens-là. 

LA FORTERESSE se déroule dans un centre "ouvert" pour sans-papiers à Vallorbe où les requérants attendent des décisions sur leur sort. Libres de leurs mouvements, de rester comme de repartir, ces femmes, hommes et enfants de toute nationalité sont pris en charge par un personnel bienveillant (les trois films de Melgar soulignent d'ailleurs à quel point le "don de soi" des personnes qui travaillent dans ces centres est plus qu'une constante: on ne peut pas travailler avec ces personnes désespérées sans des tonnes d'empathie), entre deux rencontres avec quelques juges et procureurs qui se gardent bien de retirer leurs oeillères juridiques pour voir la situation avec les yeux du coeur, et appliquer la loi, rien que la loi.

Modèle, ou en tout cas "système" suisse, il faut d'abord que rien ne dépasse: les contrevenants aux quelques règles simples (rentrer avant une certaine heure, le soir, ne pas rentrer saoul et mettre le bazar), ont vite fait de débarrasser le plancher et d'être exclus de cette possible fenêtre de tir vers l'obtention de papiers. On observera qu'en 2008, en Suisse, le personnel chargé d'aider le personnel portent tous le logo SECURITAS, le même que celles et ceux qui vous bipent et demandent de porter le masque à l'entrée du centre commercial.

Le cinéma de Melgar est très fort en ce qu'il filme tout: les bons comme les (très) mauvais moments, mettant face-à-face deux réalités disjointes qui ne devraient pourtant pas l'être: quand ce migrant, sans doute Somalien, Erythréen ou Ethiopien (peu importe)  montre ses blessures par balles aux jambes, qu'il raconte ses fuites sous les coups de feu, son périple en mer où il a vu des gens découper le cadavre d'un enfant et le manger, c'est pour trouver l'écoute horrifiée et bienveillante d'un prêtre. Quand l'odyssée du jeune homme se retrouve sous les yeux du juge, c'est pour qu'on mette le doigt sur ce détail qui cloche: comment peut-on courir encore après s'être fait casser la jambe 10 jours auparavant, comme il l'affirme ?

La dernière image de LA FORTERESSE, incroyable, nous montre un policier courir après une famille rom qui s'en va à pied, avec d'autres, vers la gare (dans ce film, le principal souci est de "placer" les gens ailleurs pour désengorger le centre). Un jeune homme met sa petite soeur handicapée sur son dos, et le flic repart avec la chaise roulante. C'est bien connu: on leur donne ça, ils prennent ça; qui vole une poule, vole une chaise roulante.

Trois ans plus tard, Melgar réalise VOL SPECIAL, dans un centre de rétention à Genève cette fois (près de l'aéroport international, c'est important) où il filme des hommes en attente de la décision fatale. Le plus souvent, il s'agit d'hommes qui sont sur le sol suisse depuis plus de 10 ans, avec femme, enfants, travail et feuille d'impôt, et qui se retrouvent ainsi au pied de la planche savonneuse. Le hasard a voulu que dans le temps du tournage, Melgar a été le témoin de l'embarquement en "vol spécial" de cinq ressortissants africains dont quatre sont immédiatement revenus au centre, traumatisés: le cinquième était mort étouffé pendant le "transfert".

Un fait divers qui a jeté le doute sur les méthodes de la police suisse (à qui le personnel du centre avait "confié" les expulsés avec confiance et beaucoup de paroles apaisantes), et fait beaucoup de bruit: pourquoi saucissonner ces pauvres types comme s'il s'agissait d'Hannibal Lecter en transit ? La séquence est terrible, elle jette une discordance affreuse entre les intentions du personnel (du Directeur ou travailleurs sociaux, on sent que chaque expulsion est pour eux une bassine de larmes à ravaler). "J'ai honte d'être Suisse" dit alors le responsable du centre à ces "locataires" qui l'observent, de biais. Comment avoir confiance en un pays pareil, en effet ?



L'ABRI est le point d'orgue de cette descente dans les soutes du pays des horloges, du chocolat, de Roger Federer, des jolis pâturages et des secrets bancaires bien gardés. Descente, c'est le cas de le dire, car ce centre d'accueil de nuit pour sans-abris étrangers (on espère que les sans-abris nationaux ont le leur aussi, mais peut-être qu'un Suisse sans domicile, ça n'existe pas), avec son nombre de lits limité et de plus en plus insuffisant, se trouve dans une sorte de parking auquel on accède en descendant, littéralement, sous terre. Priorité donnée aux femmes, aux enfants, aux vieillards, et puis ensuite aux tributaires d'une "carte" proposée et inventée par l'aimable administration de Lausanne pour aider à gérer le flux croissant des miséreux.

Un des travailleurs s'insurge auprès de son supérieur: pas possible de leur octroyer des moyens supplémentaires pour accueillir mieux et plus, mais investir dans un logiciel avec imprimante pour mieux "gérer la merde", ça oui.

Roms, Tchétchènes, Nigerians, Ivoiriens, Kurdes, d'ailleurs et de nulle part, ces femmes et ses gosses qu'on retrouve à faire la manche dans les rues cossues de Lausanne doivent récupérer 5 francs suisses par personne pour pouvoir y crécher. Ici, la tension est palpable: les places sont chères et les hommes se chauffent contre les barrières de sécurité pour gratter les dernières places, les corps s'effondrent avant même de prendre une douche, on vous réveille à 8 heures du matin.

Si on suit le parcours d'un jeune Africain dont on voit les rêves s'effriter au fil des jours (parfois, il dort dehors, sous les abris de poubelles, un dernier plan nous le montre éteindre son téléphone après avoir eu la nouvelle que, finalement, il n'allait pas obtenir ses papiers pour travailler), c'est sur ce dernier visage, jamais regardé jusque là, de ce vieil homme dont on avait repéré la silhouette sans le voir. De quel naufrage vient-il, celui-là, de quel pays abandonné, on ne le saura pas: mais ce regard fou, désespéré, qui dit tout et a sans doute fini de tout dire, est de ceux qu'on n'oublie pas.

Fernand Melgar est un documentariste fêté dans les festivals du monde entier, et un homme investi dans ce qu'il fait, qui n'a pas peur de prêter le flan aux attaques des extrémistes et des politiques "libérales", qu'elles viennent de Suisse ou d'ailleurs. C'est que, fils d'anarchistes espagnols qui avaient fuit leur pays dans les années 60, il est un peu un des leurs. 

Que ceux qui demandent, à juste titre, que NUIT ET BROUILLARD soit projeté souvent dans les écoles, et qu'on organise des visites à Auschwitz aillent jusqu'au bout de leur raisonnement sur un certain "travail de mémoire". Qu'on montre les films de Fernand Melgar dans les collèges, dans les lycées, aux élus. Mieux que de prévenir contre les horreurs du passé, essayons de mieux voir les horreurs du présent; nous en sommes les complices, aveugles et muets par volonté.

mercredi 19 août 2020

Humour blanc, coeur noir.

 


Alors le voilà, le film qui fait marrer en ce moment. Un film sur les Noir(e)s réalisé par un Noir, et qui voudrait faire sa fête aux préjugés du Français de base sur les Noir(e)s aussi bien qu'aux préjugés des Noir(e)s sur eux-mêmes. Entendons-nous bien là-dessus: j'ai beaucoup ri pendant le film, comme beaucoup de monde dans la salle d'ailleurs, plutôt bien garnie pour un après-midi covid. Mais je me suis quand même dit: voilà un film que je me serais bien regardé devant ma télé ou qui, mieux, aurait pu se faire découper en sketchs pour un rendez-vous quotidien ou hebdo. En gros, c'est pas du cinéma, mais de la télé.

TOUT SIMPLEMENT NOIR nous ramène à cet "esprit Canal" qui n'a peut-être jamais vraiment existé d'ailleurs, mais dont les thuriféraires datent au Carbone 14 la mort probable le jour où Alain De Greef s'en est allé. Possible, mais le style, ou plutôt le ton de ces années-là, sensées avoir été très marquées à gauche,  tendance Jack Lang canal historique, a ouvert la voie à une sorte d'"esprit Canal"-bis plus trouble dans ses intentions, jusqu'aux pitoyables pitreries du Canal actuel (hors Groland), voire les atrocités d'un Hanouna par exemple.

Il faut peut-être le dire clair et net aujourd'hui: cet "esprit"-là ne passe plus: trop bobo finalement (alors que le terme n'était  même pas employé alors), parigot au possible et surtout trop dans l'"entre-soi". C'est ce qui étonne, vraiment, dans le film de Jean-Pascal Zadi et John Wax: l'impression d'un happening entre potes où les réalisateurs-scénaristes se sont amusé à éplucher leur carnet d'adresse, de Mathieu Kassovitz à Joey Starr en passant par Eric et Ramzy, Soprano ou Fabrice Eboué, posés là pour des saynètes plus ou moins drôles, et des dialogues plus ou moins fendards. C'est ce qui étonne, et c'est ce qui sonne faux, au final, dans un film qui se voudrait porte-étendard d'une reconnaissance des personnes Noires, qui en ont sûrement bien besoin comme d'autres "communautés".

Plutôt bien vu, par contre, l'idée de faire endosser le rôle du révélateur par un personnage plutôt sympathique mais vraisemblablement peu intelligent (Jean-Pascal Zadi lui-même), qui rêve d'organiser une "marche des hommes noirs" sur le modèle des premières manifestations des Black Panthers, et se heurte d'emblée à l'incompréhension, voire à l'hostilité de celles et ceux qui étaient susceptibles de lui apporter leur soutien: et pourquoi pas les femmes noires, aussi, et les reubeu, et les feujs, et les métis, et les antillais et les enfants d'immigrés africains, est-ce-que c'est vraiment pareil, et pourquoi cette date plutôt qu'une autre... Jean-Pascal fait face à l'insupportable communautarisme qui ne veut pas s'admettre (le sien en premier lieu) et se heurte au pinaillage sans fin du racisme le plus ordinaire comme au politiquement correct le plus insupportable.

Le film touche par deux fois un point de rupture passionnant avec la folie particulière de deux personnages: Eric Judor qui ne veut pas admettre qu'il a du sang noir, puis enchaîne sur un "coming-out" brutal avant d' enfiler direct le boubou de rigueur. Ou cette journaliste qui finit par le taper pour de vrai parce qu'elle veut que Jean-Pascal la considère comme une journaliste, et pas comme une Noire. La stupidité de Jean-Pascal fait flirter la satyre, par moments, avec le conte où il serait une sorte de Candide idiot en quête de reconnaissance dans les soirées hype du show-biz parisien.


C'est bête à dire, et aussi assez difficile à constater, mais le moment le plus juste, et le plus dur du film reste ce moment où J.P. monte dans le bolide d'Omar Sy (dont on n'arrête pas de parler, tout au long du film, comme s'il était le colonel Kurtz dans APOCALYPSE NOW) et qui finit de coller le moral à zéro à notre héros en lui apprenant qu'il s'investit énormément dans des structures qui travaillent à l'indépendance économique du continent africain (et d'une), qu'il est juste descendu à Paris "pour acheter un cadeau à sa femme" (et de deux), et qu'enfin il doit filer à Los Angeles à la fin du week-end pour aller tourner les premières scènes du prochain James Cameron (extra-balle). 

Que la plus grande star noire du cinéma français ait dix trains d'avance sur J.P. sur sa réflexion sur l'identité noire, qu'il ait les moyens de s'offrir un week-end impromptu et sur le pouce à Paris pour faire une course, et qu'il en soit à un tel niveau de vedettariat à Hollywood (J.P. est comédien lui aussi, qui court le casting sans beaucoup de réussite), tout cela finit par jeter notre héros au fond de la déprime. Complexe d'infériorité, jalousie, envie d'en être et prise de conscience soudaine que, sans doute, on a tout raté et n'obtiendra jamais tout ça: cette quête de reconnaissance par le biais du politique n'était rien d'autre, au fond, qu'une envie enfantine de devenir une star. 

Convoitise, envie, arrivisme et soif de réussir. Le problème n'était peut-être pas d'être Noir, finalement, mais de n'y être pas "arrivé".

TOUT SIMPLEMENT NOIR a le mérite de son honnêteté, mais il y a quelque chose de déplaisant dans ce cynisme non seulement de façade, mais de fond. Comme J.P. saute de joie à l'annonce de ses "200 000 vues" sur Insta, il peut maintenant se frotter les mains: son film a l'air de faire un carton. Comme cet article qui, vous l'aurez peut-être noté, prend beaucoup de précautions en abusant de "guillemets", on lui souhaite, pour son prochain film, d'y aller un peu plus franco et de tout envoyer, quitte à s'offrir de beaux dérapages (sur RongeMailleBlog, les dérapages, on adore). Quitte, aussi, à se prendre la marée néo-réac en pleine tête, ce que TOUT SIMPLEMENT NOIR a à peine réveillée. C'est un signe qui ne trompe pas...


dimanche 16 août 2020

Une pilule de travers.

 

La désaffection actuelle des cinémas serait due en grande partie, c'est une évidence pour à peu près tout le monde, à ce sacré Covid qui n'a pas encore fini, je pense, d'emm...son monde. Il existe d'autres voix pour suggérer aussi que l'absence de blockbusters d'outre-manche, qui tardent à montrer le bout de leur nez dans la crainte de l'inéluctable gadin, ainsi que celle des comédies bien de chez nous avec plein de vedettes bankables dedans, pas là pour la même raison, ajouterait à cet été catastrophique. C'est fâcheux pour certains exploitants qui ne méritaient pas ça (d'autres, si, mais je ne pensais pas à eux), c'est pas mal pour le cinéphile, comme moi, qui trouve que, pour une fois, les salles gardent plus longtemps des films qui valent le coup d'être vus, et qui en cette période, d'ordinaire, bénéficient de très peu de visibilité.

Moralité, on n'a jamais eu autant de choix entre de très bons films en juillet-aout, et le plus gros succès du moment serait cette comédie parait-il excellente, TOUT SIMPLEMENT NOIR (pas encore vu) qui se serait peut-être crashé entre un James Bond, un Tom Cruise et le dernier Christopher Nolan. Le seul des gros cubes de Hollywood qui, notons-le, soutiens mordicus que son TENET doit d'abord sortir en salles, et nulle part ailleurs. Il est vrai aussi que dans les salles, à n'importe quelle séance, on a de la place pour s'asseoir.

Et les gros bras alors, où c'est qu'ils sont passés ? Evidemment, les plateformes de streaming s'en donnent à coeur joie depuis mars dernier, et accueillent à bras ouvert les films qui ont renoncé aux salles. Mauvais timing pour les uns, excellentes affaires pour les autres, il n'y a vraiment de la chance que pour les crapules, et déjà porté par un essor naturel et prévisible, un pangolin avarié, à moins que ce ne soit une chauve-souris faisandée, leur ont donc refilé un sacré coup de pouce.

Pas sûr que le cinéma (avec un grand C) s'y retrouve, les salles encore moins, mais observons quand même ce fait nouveau survenu bien avant l'effet-covid: les "films de gros Bill" comme je les appelais ado, qui faisaient parfois les délices des soirées ciné-pop corn pour bourrins bêtes et bronzés, ont investi nos écrans de poche et de salon à la vitesse, justement, d'une belle pandémie qui se jouerait aussi bien des frontières que des langues. Pas de mal à dire sur ce cinéma qu'autrefois ont classifiait en catégorie B puisque, pour notre plus grand bonheur, et le malheur de notre échelle des valeurs, il a donné des trucs inoubliables (TERMINATOR, PIEGE DE CRISTAL, rajoutez-y ce que vous voulez, vous voyez de quoi je parle).

Une chaîne que je regarde assez régulièrement, et que j'en ai marre de citer, allonge régulièrement son catalogue de films par des créations originales à fort budget (de la grosse star, des effets spéciaux, du sang, de la chique et du mollard) que, justement, on pouvait croiser lors des grandes vacances pour le plus grand bonheur de nos neurones fatiguées. Après un TYLER RAKE militarisé (avec Chris Hemsworth en super-barbouze qui décanille du milicien dans une quelconque dictature exotique), après Charlize Theron en tueuse immortelle dans THE OLD GUARD, on convoquera ici le balèze et sexy Jamie Foxx en ancien militaire (encore !), le boy-next-door sexy et sympa Joseph Gordon-Levitt en flic intègre et tête brûlée dans une histoire... de petite pilule qui offre à celui ou celle qui l'ingère, cinq minutes chrono un main, un super-pouvoir de sa mère.

D'abord, disons que depuis que Sam Raimi et Bryan Synger ont réactivé les figurines marvel sur grand écran, c'est devenu, à part égale avec l'heroic-fantasy, LE grand cache-misère du film d'action hollywoodien aujourd'hui. Sourcils froncés et mâchoires serrées, nos héros aux pouvoirs sur-dimensionnés paient une surenchère continuelle en utilisant mille capacités plus sensass les uns que les autres dans l'indifférence générale. Depuis que les Avengers ont livré bataille en plein Manhattan aux méchants extra-terrestres, ils peuvent bien bousiller ce qu'ils voudront: on s'en fout. Rendez-nous Bruce Willis dans INCASSABLE, bon sang!


Avec PROJECT POWER (parce que c'est notre projet: le pouvoir), disons qu'on tombe quand même très très bas. On n'attendait pas grand chose de la mise-en-scène de zigottos qui ont pondu les deux derniers épisodes de PARANORMAL ACTIVITY, aussi on ne s'attardera pas là-dessus, mais sur la lâcheté d'un scénario qui n'arrive même pas à aligner deux quarts d'heure cohérents les uns après les autres. Aucune piste n'est clairement exploitée, toute tentative d'aérer même trente secondes ce film qui pue l'essence et la chevrotine, est immédiatement balayée par une séquence d'action insane, qu'on croirait empruntée aux pires scènes non retenues du HULK de Leterrier, voire à LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES: trucages moches, action bâclée, scénario pas fini: on n'y prendra même pas la peine de nous expliquer le fin mot de l'histoire. Ou alors, ça s'est passé au moment où j'étais parti aux toilettes sans même appuyer sur "pause" ?

A un pareil état d'inanité, on ne pourrait qu'opposer une indifférence à peine polie si on n'était pas sûr, qu'au fond, un film comme PROJECT POWER ou les deux autres nanars cités plus haut n'étaient devenus la norme. Avec comme points communs un chantage émotionnel qui prend toujours à partie la figure d'un gosse (ici, une jeune ado orpheline de père, incarnée par une star du hip-hop inconnue de moi, et qui joue comme une tarte), un scénario qui écarte les éléments qui finalement, le gênent (parce que c'est notre projet: ne pas se retourner), et une quasi-divinisation de la force en tant que moyen ultime pour mettre à bas ses ennemis: jamais on n'aura autant filmé de corps guerriers en treillis, de super-soldats hyper compétents comme panacée ultime, et pour le bien de l'Humanité.

Idéologie puante, absence totale d'imagination et démission générale devant les rares bonnes idées qui pouvaient faire enclencher le film vers autre chose, on est bien dans les sous-sols du cinéma. Que cette chaîne payante ait voulu se faire une réputation, un jour, en produisant Scorsese, Soderbergh, Baumbach et quelques autres ne saurait plus nous leurrer: ces gens veulent annihiler la concurrence, étouffer le marché. Le reste n'est que littérature et donc, n'a aucune importance.


vendredi 14 août 2020

Une belle personne.

 Le plus beau film de ce drôle d'été masqué se cache dans les séances de fin de journée et risque de disparaître un peu rapidement des écrans: c'est dommage, on aimerait que tout le monde, en plein cagnard de ce mois d'aout un peu trop chaud, aille flâner avec Eva dans les rues de sa ville. Madrid au mois d'aout, déserté de ses habitants partis prendre le frais ailleurs, et juste investi par des touristes mollassons, est le terrain de jeu que Eva a décidé de s'approprier, pour une fois, histoire de ne pas faire la même chose que les autres et de découvrir "la vraie personne" qui sommeille en elle. Musées presque vides, cars touristiques qui font le tour des grands sites et verres partagés en terrasse avec des connaissances rencontrées par hasard, Eva a décidé de se laisser porter par le courant, les sens en éveil.

Belle idée que de s'abandonner dans le giron de sa ville natale sans arrière-pensée bien précise: aussi on devine qu' Eva se trouve à une sorte de carrefour dans sa vie, au gré des grandes et petites choses que le film va nous dévoiler sur elle: elle a été comédienne mais voudrait passer à autre chose (une de ces amies la trouve vraiment trop pudique pour être actrice, "moi je trouve que c'est un atout", lui répond-elle), il y a aussi cette rupture amoureuse un peu trop vive, encore, que le film nous dévoile sans crier gare: Eva croise son ex qui va voir le même film qu'elle, une probabilité très faible dans une ville pareille, mais à laquelle elle aurait du s'attendre (belle manière de nous dire en peu de mots que ces deux-là avaient de belles choses en commun).

Ces quelques jours flâneurs, ponctués de quelques belles rencontres, le soir, dans les bodegas et les fêtes au grand air (Madrid est une ville où on célèbre bon nombre de fêtes votives au mois d'aout) nous raconte rien d'autres que les moments de bamboche traditionnels, moments d'abandon et grasses matinées qui s'ensuivent, mais surtout des rencontres que la douce et timide Eva n'esquive jamais: on devine là que, corollaire à sa décision de devenir "la vraie personne qui est en elle", c'est sans doute forcer sa nature mais, chose rare dans un film d'aujourd'hui qui nous montre l'agitation des nuits blanches dans une grande ville, tout se passe sans méfiance, ni accroc: ce moment où deux britanniques les aborde, elle et sa nouvelle copine (une voisine d'immeuble avec laquelle elle aura sympathisé tout de suite), on hésite tout comme les deux femmes à se laisser aller, à accepter de faire la bise, de se faire offrir un verre, de les suivre dans un autre endroit et pourtant non: le plan drague plutôt gentil va filer vers une belle histoire d'amitié.

Le réalisateur Jonas Trueba n'a pas 40 ans et on sent chez lui une appréhension juste des petites choses qu'il cherche à percevoir, et nous montrer. Il faut l'entendre parler de son travail avec la comédienne Itsaso Arana, qui incarne Eva et se retrouve créditée co-scénariste du film: chacun a apporté au déroulement du tournage son propre vécu, ses propres improvisations. Il faut dire aussi que le charme de la comédienne, avec son teint diaphane et ce grand sourire qui adoucit tout, est pour beaucoup dans la belle réussite du film.


EVA EN AOUT, dont le titre original est LA VIRGEN DE AGOSTO (ce qui correspond bien à la nouvelle nature du personnage, comme un livre ouvert proposé aux autres, comme une page blanche sur laquelle il n'y a plus qu'à écrire une nouvelle histoire) appartient à cette classe rarissime de films dont le pouvoir de séduction repose sur un tas de petits riens, et des intuitions de mise-en-scène anodines, en apparence: comment la timide Eva décide d'aller aborder ce type mystérieux qui, tous les soirs, fume sa cigarette derrière les barrières de sécurité, au bord du vide, est un de ces moments, nombreux dans le film, qui vous reste en mémoire sans qu'on comprenne au juste pourquoi.

Faites-vous du bien, allez voir EVA EN AOUT. On essaiera ensuite de faire comme elle, d'aller trouver sa "vraie personne". Si c'est possible.


mercredi 12 août 2020

Un beau tatouage raté.

Des nouvelles de Judd Apatow ! C'est toujours bon à prendre... le petit roi des comédies régressives de nos années 2000, déjà lointaines, nous revient tel qu'en lui-même, quelques cheveux blancs en sus, comme attendu, mais pareil, tel qu'on l'a aimé et l'aimera toujours, attaché à nous brosser le portrait de ces enfants éternels qui ont peur de grandir et n'arrivent pas à lâcher le manche de leur joystick, et leurs joints: le mâle américain moderne, perdu à jamais entre ses rêves adolescents et le contenu de son slip.

Pour THE KING OF STATEN ISLAND, Apatow n'a eu qu'à se baisser: c'est Pete Davidson qui lui a apporté sa propre existence sur un plateau. Davidson est déjà, à la base, une caricature de personnage à la Judd Apatow: aussi on le découvre squattant le sous-sol de la maison familial en compagnie de ses potes, aussi défoncés que le grand canapé dans lequel il passe ses journées. A 24 ans, ce grand dadais au sourire de Bugs Bunny, avec des cernes sous les yeux aussi profondes que le Grand Canyon et des tatouages idiots sur tout le corps, a lâché prise sur à peu près tout.

C'est que le pov' Pete (Scott dans le film, qui est d'ailleurs le prénom de son propre père, restez assis mon cher Freud, on n'a pas besoin de vous) a perdu son papa, qui était pompier, alors qu'il avait 7 ans. Et à 24 ans, tout part en c... dans la vie de Scott: sa petite soeur, de 5 ans sa benjamine, abandonne la maison pour filer en fac, et sa mère, qui a dûment supporté son veuvage seule durant plus de 15 ans, se met à la colle avec un... pompier un peu fier-à-bras mais gentil comme tout. Sa chère maman qui l'invite à prendre son temps, rien ne presse vraiment, mais ça serait bien s'il se trouvait un petit appartement assez rapidement.

On en est là de l'éducation de nos gosses, et il faut bien avouer qu'on s'est senti prêt, à deux ou trois moments, à traverser l'écran et à en coller une bonne à ce type attachant, pas con pour un sou, mais qui a une manière tout à fait particulière de chialer sur son propre sort. Par empathie naturelle, sans doute, pour son sympathique personnage, Apatow lui offre toute son attention. On l'avait un peu oublié, mais l'auteur de FUNNY PEOPLE et de 40 ANS, TOUJOURS PUCEAU n'est pas que cette machine à gags régressifs et à dialogues tordants, c'est aussi et surtout un cinéaste qui aime prendre son temps: son film fait plus de 2h15 (qui filent toutes seules) et c'est peu dire qu'au terme de cette immersion dans le quotidien de ce pauvre garçon, on s'en sera fait un ami, mais qu'on aura surtout tout compris du bonhomme.

Au risque, parfois, de sombrer dans une certaine mièvrerie (les épisodes dans la caserne où Scott, viré de chez lui, trouve refuge), Apatow n'a pas peur de l'émotion et du mélodrame tout simple, même quand, comme ici, il se situe dans un périmètre tout riquiqui. Son territoire d'inspiration se trouve vraiment là: dans les petites vies de ces pauvres types attachants mais paumés, à qui vous auriez honte de présenter votre petite soeur (ou votre maman).


Plus que jamais, Apatow se révèle comme un dialoguiste de talent, à la qualité d'écriture assez sensationnelle (ce n'est pas un hasard si toutes ces comédies n'ont pas pris une ride). Et ce qui crevait déjà les yeux dans ces premiers films prend ici tout son sens: heureusement qu'elles sont là, toutes ces nanas. Mais que deviendrait ce charmant imbécile sans cette mère-là, sans sa bonne copine qui l'aime et dont il est amoureux sans le comprendre (le joint, sans doute). Histoire de vérifier, encore une fois, que Marisa Tomei est une actrice géniale et que Bel Powley (la petite amie) risque de devenir une actrice incontournable dans les années à venir.

Dans THE KING OF STATEN ISLAND, on aura rarement autant vu de séances de tatouages aussi ratés, et môches. Dans une scène drolatique, Scott convainc un gamin de 9 ans de se faire tatouer comme ça, au débotté (il a toujours son matos sous le bras), avant que le gosse ne s'enfuit: ça fait un peu trop mal. Scott tatoue ses copains, dont l'un finit par avouer qu'il en a marre de lui servir de "cahier de brouillon". Son futur beau-père, lui, acceptera plus tard de se faire tatouer "n'importe quoi", mais dans le dos, parce qu'il ne voit jamais son dos. Scott n'est pas un grand tatoueur.

Est-ce que ça, ce n'est pas de l'amour ? Ce qu'on sait depuis longtemps de Judd Apatow se confirme ici encore: derrière le joyeux drille se cache un coeur de guimauve. Il reste un cinéaste singulier, au style bien particulier, et aux préoccupations attendrissantes: on lui gardera encore un bon moment toute notre affection.


vendredi 7 août 2020

Le pull blanc à col roulé de Kim-Min hee...

 


Il parait que les salles de cinéma vont mal depuis la sortie de confinement, et que les exploitants n'en finissent plus de voir s'installer de sombres nuages au-dessus de leur tête or, c'est un paradoxe plutôt notable, comme les distributeurs se sont gardé de sortir leurs blockbusters estivaux de peur qu'ils ne se plantent, arrivent d'excellents films, dont certains ont même eu droit a une seconde chance après leurs sorties avortées en mars dernier. L'été est en général une période de vaches maigres pour les cinéphiles et là, il n'y a jamais eu autant de bons films à voir.

Bonheur de ne pas avoir raté le dernier Hong Sang-soo, le dernier en date à sortir chez nous (il date de 2018, mais le cinéaste est tellement productif que ses distributeurs européens ont souvent du mal à suivre), car voilà certainement non seulement un de ses plus beaux films, mais aussi un des plus importants de cette année. HOTEL BY THE RIVER nous raconte deux jours de la vie de Young-Hwan, vieux poète qui a trouvé refuge dans un hôtel vide, où il attend la visite de ses deux fils, qu'il n'a pas vu depuis longtemps.

Besoin de solitude, attente sereine de la fin et envie d'ailleurs, on devine très vite que ce sympathique bonhomme, aux airs affables et un peu rêveur, a la tête ailleurs. La première scène nous le montre se battre au téléphone avec un de ses fils qui insiste pour monter le voir dans sa chambre: têtu, Young parvient à les convaincre de le retrouver dans la salle de restaurant, en bas, où il va même faillir les manquer selon une fantaisie du hasard qu'on a un peu de mal à comprendre. A l'inverse, Young ne va pas hésiter un instant de se lever pour aller à la rencontre de deux femmes qu'il aperçoit se promenant au bord de l'eau, juste pour aller leur dire combien il les trouve belles dans ce paysage enneigé.

Pour qui connait les coquetteries du réalisateur du JOUR D'APRES, on est toujours à l'affût d'un piège dans l'espace et le temps, qui nous fait suspecter à tout moment que ce qui nous est montré provient d'un artifice de montage. Mais ici, Hong Sang-soo se montre assez sage et laisse sa narration se dérouler sur un fil assez linéaire: c'est uniquement le vieux poète, qui n'arrête jamais de s'"échapper" constamment loin de ses deux fils (il s'absente trop longtemps, ne revient pas au bon endroit, file à l'anglaise sans crier gare ou prend d'autres chemins pour s'échapper d'eux le plus possible), son rythme de (sur)vie très particulier qui égare les autres personnages, et nous en même temps.

Malgré l'affection que ses fils lui portent, on comprend vite que Young a surtout été un père absent, et a fui très tôt un foyer conjugal où sa femme, c'est ce qui ressort de ses discussions avec ses fils, avait fini par lui vouer un mépris de taille. Young s'était enfui, laissant femme et enfants pour vivre une véritable aventure amoureuse. "Il faut toujours vivre ses histoires d'amour à fond, on a qu'une vie, leur explique-t-il en substance, même si on échoue, comme moi."

Les femmes sont les grandes absentes, pour une fois dans un film de Hong Sang-soo, mais elles sont la véritable "histoire" de ce film: Young a quitté son épouse pour vivre le grand amour, et s'est très vite retrouvé esseulé de tous, son plus vieux fils est en instance de divorce et n'ose pas le dire à son père, le plus jeune refuse de s'impliquer dans une aventure sérieuse, trop échaudé par de mauvaises expériences. "Mais de quoi as-tu peur ?" le tance alors son père, éberlué de voir ce beau jeune homme craindre à ce point tout engagement amoureux, alors que lui même a tant échoué avec les femmes.

Le tandem délicieux formé par l'égérie du cinéaste, Kim Min-hee et Seon-mi Song, voisines d'étage dans ce grand hôtel, qui ne sont là que pour se consoler du chagrin amoureux de l'une d'elles, et passent leur temps à dormir l'une contre l'autre, à rire ensemble, à pleurer un peu, à boire du vin, grignoter un bout, puis se recoucher, ce couple sororal triste et rieur, doux et charmant, est bien la grande affaire de HOTEL BY THE RIVER et quand les deux "groupes" se croisent, - le père et ses fils d'un côté, les deux copines de l'autre -, s'est pour se tourner le dos dans la salle pourtant déserte d'un restaurant où ils ont tous échoués de concert.

Là, grande scène Hong Sang-soo typique, tandis que les hommes se torchent et parviennent enfin à vider leurs sacs et à se dire des choses pas toujours agréables, les deux femmes papotent en dégustant leur plat de tofu, jetant parfois une oreille consternée aux imbécillités que ces bonshommes assènent sur les choses de l'amour.

Il y a bien quelques instants dans HOTEL BY THE RIVER, comme ce poème lu par un Young complètement saoul aux deux femmes, plus un conte plutôt, que Hong illustre bizarrement par une séquence floutée où il n'y a que du banal à regarder. Comme toujours chez lui, le film se regarde entre inquiétude, joie et surprise effarée: c'est en emportant chez soi les images qu'il vient de nous montrer que, toujours, le sens caché de tout cela nous rattrape, pour ne plus nous lâcher.

Le noir-et-blanc de Hyung Ku-Kim est à tomber, et toutes les choupettes à robes lamées et talons aiguille du monde peuvent bien aller se rhabiller: aucune ne parviendra à la grâce de Kim Min-hee qui sourit, dans un paysage enneigé, dans son grand pull blanc à col roulé.

Il ne s'agit plus pour moi, maintenant, de descendre au centre ville pour des prunes. Aussi ce double programme de cinéma en milieu naturel (loin des plateformes de streaming et de mon rocking-chair, mon meilleur copain ces temps-ci) a pu se conclure, après ce parangon de beauté et de subtilité absolus (comme attendu), par le fort sympathique THE CLIMB de Michael Angelo Covino, premier film américain indé et poilant qui a beaucoup fait parler de lui partout où il est passé.

Covino a écrit, produit et joué dans son film avec Kyle Marvin, avec qui il forme à l'écran le duo de bons potes le plus désaccordé et désarmant qui soit: Kyle est un grand garçon-nounours très charmant dont la gentillesse peut parfois prêter le flanc à toutes les mauvaises intentions et Mike, son meilleur copain, est un type qui à l'inverse passe son temps à s'attirer les inimitiés de tout le monde par ses comportements de très sale con. Heureux en amour, Kyle a pourtant du mal à mettre les pouces avec ce cafard nocif qui passe son temps, tout de même, à lui péter sa vaisselle, et à sauter ses nanas.

Typique d'un certain cinéma américain post-adolescent qui a du mal à se mettre à l'heure adulte, THE CLIMB roule dans la roue de Judd Apatow ou de Mark Duplass mais il a l'honnêteté, pour un film pensé, conçu, et réalisé "entre mecs" d'assumer la part égoïste et irrationnelle de cette relation toxique qui flirte avec le sado-maso (l'un n'arrive jamais à dire non, l'autre passe son temps à bousiller sa vie et celle des autres), laissant les femmes ramasser ce qu'elles peuvent, navrées. Mieux encore, le film montre sa qualité d'écriture en insinuant à coups de courtes séquences très bien pensées (les grands repas de famille dans la famille de Kyle) que son entourage n'est pas d'une bienveillance parfaite non plus.

La complicité des deux auteurs saute bien évidemment aux yeux, et il n'est pas sûr que d'autres auraient pu se tirer de cette relation "sympathique mais tordue" avec autant de naturel. Mais plus que le côté sympatoche du script, ses bonnes phrases et ses gags vraiment réussis (la scène du faux rapt de Kyle pour son enterrement de vie de garçon, avec ses deux faux ravisseurs qui s'engueulent en imitant la voix de Batman), c'est la mise-en-scène qui emporte le morceau: la grande scène d'ascension à vélo, épisode qui donne son titre au film, où nos deux héros s'engueulent en pédalant, et son final inattendu et irrésistible, prouve à quel point le film est pensé et construit pour l'avènement de certains grands moments, comme celui-là.

On pourra ergoter ensuite sur ceci ou cela, mais un film qui s'achève avec ces dernières images très "male-gaze" (un homme, son enfant, son meilleur pote) sans la tarte à la crème crypto-gay habituelle planquée dans le dos, ne peut avoir que mon entière sympathie: parfois, effectivement, une amitié même pourrie de l'intérieur, peut être plus importante que tout le reste. C'est con, mais c'est comme ça.

mercredi 5 août 2020

De l'arrivisme.


Connu de ma pomme ni d'Eve, ni d'Adam, Mong-Hong Chung réalisa ce PARKING en 2008, drôle de AFTER HOURS à la mode de Taipei qui nous propose quelques heures d'une folle soirée vécue par Chen Mo, brave garçon qui a eu le malheur de se garer dans un quartier où il va finir bloqué par une bagnole en double file. Pas de chance pour lui non plus, le rez-de-chaussée est occupé par un coiffeur ancien mafieux qui a de mauvaises fréquentations, et le 4ème étage par un sinistre maquereau et sa triste bande qui vont lui faire passer de sales moments.

Le film se regarde plutôt bien, on pense par moments aux films noirs un peu brutaux teintés d'absurde de Johnnie To, mais on n'en retiendra pas grand chose. Dans cet exercice de style qui se voudrait virtuose, et qui joue avec les flash-backs tout en distillant quelques notes de mélodrame très exagéré (une histoire pas possible de mamy aveugle qui voudrait refourguer sa petite-fille à cet inconnu, qu'elle trouve bien sympathique, alors que lui-même et sa tendre épouse sont en mal d'enfant), on ne sait jamais trop s'il faut juger les événements à la légère ou comme un polar à la dure. 

Pas de montée en adrénaline, ni en tension dans PARKING, mais une alternance de scènes triviales, romantiques ou violentes, sans que le personnage ne se demande s'il faudrait au juste prendre ses jambes à son cou, ou continuer à s'échiner à ramener une pâtisserie à la maison (car c'est pour ça qu'il s'était arrêté dans cette rue): autant il assiste à un tabassage en règle devant l'échoppe du barbier, autant il peut aussi accepter de jouer une partie de baby-foot avec lui, histoire de se détendre un peu. Dommage que le réalisateur ne se soit pas décidé un peu plus franchement entre légèreté et film noir, car on sent bien qu'il avait les moyens de donner du fil à retordre à nos nerfs.

Une petite curiosité, donc, pas désagréable du tout mais aussi marquante qu'un courant d'air.

Le cinéaste brésilien Alejandro Landes a des intentions beaucoup moins décontractées avec son MONOS, sorti en 2019, et qui nous raconte avec très peu de dialogues, mais une belle enfilade de scènes-choc, la survie en autarcie d'une bande d'ados militarisés qui semblent avoir pris le maquis, et mènent une guérilla sauvage dans la pampa et au coeur de la jungle. On ne saura jamais trop où on est: le paysage fait d'abord penser aux hautes plaines de la Cordillère des Andes, les scènes de combat dans la jungle aux conflits contre les FARC, mais l'intention originelle de Landes semble bien d'avoir été de nous faire une adaptation de SA MAJESTE DES MOUCHES en treillis militaire.

Abandonnés à eux-mêmes, et livrés à une sorte de hiérarchie sommaire très vite mise à mal par le suicide de leur leader (après une absurde affaire de vache laitière abattue par mégarde), ces Rambo Junior vont devoir se confronter aux vrais combats, prendre en charge une prisonnière (une anglo-saxonne), veiller sur elle, la poursuivre après son évasion, faire face à la désertion d'un des leurs, la guerre, quoi.

Dans ses intentions, le film est plutôt trouble. On ne sait pas pourquoi le cinéaste a choisi, par exemple, de faire incarner leur "supérieur", qui revient parfois pour mettre de l'ordre dans ce foutoir, par un nain bodybuildé; on n'ose croire qu'une vilaine métaphore politique se cache juste derrière, à l'instar de l'otage américaine. Tout comme les personnages de ces ados finalement très bien dressés endossent tous sans rechigner des figures caricaturales: le chien fou, le petit chef, le bon soldat, le lâche trop sensible, jamais une sale impression de provocation gratuite ne vous lâche, au détriment du sens de tout ça.

Quand enfin le film sort de sa zone combat et ramène un des protagonistes à la maison, on ne saura pas si c'est un bien ou un mal pour lui (a priori, c'est pas mieux), mais on aura vu, et lu, des contes cruels sur la sauvagerie des enfants, et de leurs dressages en guerriers, autrement plus clairs que celui-là.

Et puis, une chose est sûre, voilà un cinéaste sûr de sa force et de sa capacité à procurer du trouble, qu'on suspecte à bien des égards de vouloir nous en mettre plein la vue, tout en nous posant des problèmes un peu venteux.


Tard le soir, c'est série B, série Z... ou ciné-club ! Retourner jeter un oeil à la grande oeuvre pompière de Kubrick, BARRY LYNDON, vous fait toujours un effet différent. D'abord, on a été surpris par le rythme très découpé du film, un vrai travail de Mr Propre, et du peu de folie dont fait preuve le cinéaste quand tout à coup l'action s'agite un peu: déjà familier de la steadycam à l'époque, l'usage qu'il en fait soudain sans crier gare, comme lorsque Barry se met à tabasser furieusement son beau-fils en plein milieu d'un concert de salon, nous rappellera que les tours de force sont tous, sans exception, faits pour être rattrapés, puis dépassés, par le progrès en marche.

De la même manière, et pour en finir avec ça, on l'a une nouvelle fois vérifié: cette histoire de d'objectifs fabriqués exprès pour filmer les scènes à la seule lueur des chandelles, c'est quand même un truc pour faire l'intéressant.

Ce que j'avais oublié, c'est à quel point Kubrick était fidèle à l'esprit de Thackeray (une suite de portraits de ridicules peints à la louche, une narration "picaresque" à la Henry Fielding, une belle illustration morale des risques de l'arrivisme patenté, et de la chute fatale qui s'en suit) mais surtout combien le film (et le roman) nous montrait combien cette haute aristocratie anglaise, la plus arrogante, la plus cruelle et la plus injuste du Monde, possédait ce chic, cet incroyable savoir-faire pour recracher comme des glaviots les corps qui lui étaient étrangers (rappelons que ce bon Redmond Barry était, à la base, un sale bouseux d'Irlandais arriéré, indeed). Et le possède toujours, ce chic-là,  parions là-dessus !

A ce titre, si Barry est en effet un personnage haïssable par bien des côtés (seul son arrivisme, qui lui sera fatal, lui fait commettre des choses terribles), on ne saura lui retirer le courage physique, sa capacité d'adaptation aux situations désespérées, et une perspicacité de vieux renard. La vraie pourriture du film, c'est ce bon-à-rien de lord Bullingdon, vrai fin-de-race, lui, et qui finira par ramasser la mise.

Bon sang (anglais) ne saurait mentir. Toute grande oeuvre morale se doit de se montrer immorale, dans ses conclusions. Pour finir: c'est bon (check !): finalement, on le garde sur l'étagère des classiques.

mardi 4 août 2020

Plein les yeux (et le reste).


Et tout d'abord, du kitsch indien tout ce qu'il y a de plus indien et de plus kitsch, avec une sorte de mélo-western-féministe qui date de 1987, réalisé par un certain Ketan Mehta, MIRCH MASALA ou l'art de résister au droit de cuissage dans l'Inde coloniale. L'affreux du film est le subedar régional qui passe de temps en temps dans ce village paisible de l'Inde profonde pour soutirer l'impôt en biens, ou en nature. Non content de venir rafler porcs, chèvres et poulets, il est également de bon ton que les notables du crû daignent à ce que leurs filles, concubines ou épouses se glissent sous sa tente afin de le satisfaire. 

Cet ignoble personnage, entouré de ses sbires armés, est ici incarné par Naseerudhin Chah, méchant à belle moustache qui se la joue loup à la Tex Avery, grands yeux qui roulent dans leurs orbites et sourire plein de dents qui ricane. Quand la très belle Sonbai, dont le mari est parti chercher du travail bien loin d'ici, lui passe sous le nez, dans son magnifique sari et allant chercher de l'eau à la rivière, le sang du sudebar ne fait qu'un tour, et il se prend une belle baffe dans la tronche au passage. Sonbai, elle est comme ça !

Ketan Mehta s'amuse avec tous les poncifs du genre, et ne manque pas sa description des petits notables honteux qui préfèrent de loin que Sonbai passe à la casserole, plutôt que de voir une pluie d'emmerdes s'abattre sur leurs affaires. La description, très commune dans ce genre de film indien, d'une société arriérée, résolument machiste, et qui n'a que faire de la vertu de ses femmes, s'agrémente de quelques scènes navrantes où ces braves gens se réunissent en comité pour mettre leurs lâchetés en commun: la démocratie à la mode indienne se caractérise par une mise au ban immédiate des contestataires (l'instituteur progressiste, le vieux gardien de l'usine de piments qui y enferme les femmes du village et menace de tirer sur le premier qui ose s'avancer pour prendre Sonbai).

Même si le genre était déjà obsolète dans les années 80, le film s'amuse à des imitations croquignolettes de western spaghetti lors des grandes scènes "tendues" (les sourcils qui froncent en gros plan, la goutte de sueur qui coule le long de la temps, une musique très Morricone lorsque les sbires du subedar cavalent dans les ruelles assommées de soleil et de poussière), le grand tracas restant, tout de même, et une fois encore, que l'exploitation des femmes et la culture du viol et de son impunité soit resté un des grands sujets du cinéma indien progressiste, aujourd'hui encore.

Rigolo si on accepte la simplicité des situations, voire leur simplisme extrème, le film reste sympathique et offre par moments de belles séquences (dont une course-poursuite dans les montagnes de piment marsala laissées à sécher au soleil: une fois en poudre ne vous en mettez pas dans les yeux, ça brûle). Pas déplaisant, mais pas tous les jours, quand même...

Avec DE NUEVO OTRA VEZ, on reste sur une note féminine, voire féministe, mais autrement plus subtile, avec ce film tout récent dont la sortie en salle (prévue en Espagne, du moins) a été quelque peu gênée par notre cher Covid. Sa réalisatrice, et interprète principale, Romina Paula, est une artiste argentine protéiforme qui travaille autant pour les scènes chorégraphiques et théâtrales que pour le cinéma (elle était une des protagonistes principales du triptyque LA FLOR), et son film raconte d'une manière douce, et toute simple, les hésitations et les doutes d'une femme de bientôt 40 ans, qui s'en retourne pour un temps indéterminé chez sa mère, avec son jeune fils, histoire de faire le point.

Passion amoureuse avec son homme qui s'en est peut-être allée, besoin de tout lâcher ou de retourner aux sources, la valse-hésitation de Romina se traduit par des petits riens: la redécouverte de vieilles photos de famille pour se refaire la généalogie de toutes les mères "au-dessus d'elle", leurs différences, leurs points communs, la redécouverte des anciennes copines, des sorties entre filles où cela dérape un peu, mais en douceur; quelques longs baisers qui comptent plus comme des moments de sensualité retrouvée que comme des flirts sérieux.

Le film met à plat toutes ces sensations, sans rien en cacher (les personnages qu'ils soient filles ou garçons, commentent aussitôt leurs sentiments sans fausse pudeur, et offrent une écoute attentive à ceux des autres) avec, sans que cela soit clairement nommé mais néanmoins palpable, "toujours là", l'appréhension du temps qui passe, la conviction de vieillir.

Pas sûr qu'on gardera pour toujours un souvenir tenace de ce DE NUEVO OTRA VEZ, film fragile qui n'a l'air de rien (mais il faut se méfier des oeuvres qui n'ont l'air de rien, elles peuvent vous poursuivre longtemps) mais qui, comme les films d'Angela Shannelec (autre femme-cinéaste mais aussi femme de théâtre), arpente son petit territoire intime, en apparence bien restreint, et qui saura parler un peu à tout le monde. 


Pour ce qui est du cinéma de Seth McFarlane, on prendra moins de pincettes: ses intentions sont fort simples et tout aussi louables: nous faire marrer avec ce pastiche de western où tout semble dirigé vers les meilleures blagues de cul, niveau collège. ALBERT A L'OUEST (2014), c'est donc l'histoire d'un brave gars qui élève des moutons avec son papa et sa maman, mais dont les aspirations semblent être limitées par la connerie ambiante (dans le Far-West, les gens ne pensent qu'à se tirer dessus, à mourir du choléra, à aller se saouler la gueule et aller voir les putes). De plus, Albert vient de se faire larguer par sa blonde, qui l'a quitté pour un winner (à moustache).

Que dire de cette pochade vulgaire, si ce n'est que si vous n'aimez pas la vulgarité, vous ne ferez pas long feu. Ce qui fait plaisir, c'est de voir la mannequin Charlize Theron y aller plein pot ("-Pour emmerder ton ex, tu n'a qu'à dire que tu sors avec un canon: moi. -Ah ben c'est pas la modestie qui t'étouffe... - Non c'est vrai, il parait que j'ai une super belle paire de nibards"), et le très badass Liam Neeson y baisser sa culotte (Charlize lui insère la tige d'une fleur dans la raie du cul).

McFarlane vient de la télévision, il a supervisé les scripts et dialogues de séries comme LES SIMPSON, AMERICAN DAD ou LES GRIFFIN, aussi il ne faut pas s'étonner d'entendre une demoiselle qui "pratique" à l'étage du saloon refuser une invitation à s'asseoir parce que elle l'a "comme un chou-fleur", par exemple, ou encore voir un distingué gommeux déverser (littéralement) sa chiasse dans les chapeaux melon des passants. Avec gros plans en su.

Autant dire que, en fin de journée, voilà bien un spectacle qui suffira à notre joie, et même si tout n'est pas bien réussi et, parfois, tombe littéralement à plat... comme dans les vieilles comédies des 80's (Mel Brooks, ZAZ, John Landis...), cela nous rappelle que les Américains, qui se foutent assez souvent, comme de l'an 40, de faire du cinéma ou autre chose, sont des as dans l'art de la comédie vulgos et régressive. Et en terme d'écriture de dialogues, McFarlane est un as, il faut le reconnaître...



lundi 3 août 2020

Zéro + zéro = la tête à Gogo


Godard... Godard, Godard Godard... Entre 1968 et 1980, donc, Godard disparut quelque part entre le cinéma politique et les radars du bon sens commun pour opérer en rase-motte une remise en cause radicale de son savoir-faire cinématographique et ne plus s'adresser qu'à celles et ceux qui voulaient absolument persister à le suivre malgré... malgré ça.

Godard, c'est WEEK-END en 1967 et SAUVE QUI PEUT (LA VIE) en 1980, où il revient à quelque chose de faussement plus visible (retour aux vedettes, à un semblant de romanesque qui n'en est pas un), et avec au milieu un entre-deux qui fait comme un vide. Premier film de cette sale période (qu'on appellera "du grand vide" ou "sauve qui peut (le vide)" pour faire bien), ONE + ONE est donc celui, resté fameux, qui célèbre la rencontre entre ces deux icônes pop de la période, chien et chat,  France et Angleterre, Nouvelle Vague et rock'n'roll, Godard et les Rolling Stones, rien que ça.

Dans n'importe quel Godard, il n'y a que des fulgurances, et de fâcheux à-côtés entretenus par l'animal lui-même à grands coups de sentences fulminantes et de coups de semonce lâchés comme des bombes, au hasard, avec la joie parfois que cela tombe juste. A partir de MADE IN USA (1966, quand même), Godard m'a perdu dans ces sales manies, alors même que je n'étais pas encore né (il est fort, quand même). Après ONE + ONE, je ne sais pas qui a pu le suivre, et résonne encore la fameuse sentence de l'(ex-) copain Truffaut: "tu n'es qu'une merde sur un socle" en réponse à une remarque acerbe, "prise de haut" qui lui était adressée dans une lettre.

Je n'arrive pas à me débarrasser de certaines images de JLG (en plus d'autres, où il se montre acide mais souriant, piquant mais juste): en train d'humilier son chef-opérateur sur le tournage de DETECTIVE (Pierre-William Glenn, je crois), posant un lapin à Agnès Varda devant sa maison de Rolle (dans VISAGES, VILLAGES), ou d'Assayas dans un documentaire récent avouant qu'il aurait bien voulu montrer ses films à Truffaut pour expertise, mais à JLG, jamais: la peur de se faire "démonter".

Fulgurances: ONE + ONE, c'est la captation, en live, de l'enregistrement, répétition après répétition du fameux "Sympathy for the devil" des Stones, merveilleux hasard quand même, qui a voulu que JLG soit présent pour cette chanson-là (une de leurs meilleures) et pas pour une autre. Un drôle de moment de l'histoire du rock (la naissance d'un vrai classique), capté à distance, mais avec une acuité impitoyable (Brian Jones en fin de course abandonné dans un coin avec sa guitare sèche, dont on a l'impression parfois qu'elle n'est même pas branchée), la main-mise de Jagger sur l'enregistrement, la disponibilité attentive du tandem Wyman-Watts, où Godard s'affirme comme un filmeur élégant, semblant danser avec sa caméra autour du miracle en cours, capté à distance mais d'assez près pour tout en apercevoir.

Il n'y a que "Les Cahiers" pour comprendre: entrecouper cette séance d'enregistrement par du Godard d'époque: textes politiques lus à voix haute, scènes de guerillas ridicules tournés dans une casse, censée représenter un ghetto noir, je suppose: les Stones jouaient du blues, ça vient de là, donc de la musique black, black panthers, pop-culture, couvertures de magasines pulp ou pornos, pastiches de romans de cul lus à voix haute avec inserts de personnalités politiques dedans: n'importe quoi. Le cinéma idéologique de ces années-là a fourni un lot considérable de pellicule pas possible, et JLG en a pourvu quelques centaines de kilomètres... et pour pas grand chose.


Heureusement, Bruce Lee est arrivé. Enfin son clone, plutôt, il s'appelle Evan C. Kim et il fait très bien, lui aussi, le chinois torse-nu qui pousse des petits cris en cassant des tronches: c'est dans le segment le plus long de ce film à sketch débiloïde historique qui a donné le coup d'envoi à la vague John Belushi- Zucker-Abrahams-Zucker (ici co-scénaristes), zazous et zinzins venus du stand-up ou des shows télévisés. Je suis donc allé re-vérifier que HAMBURGER FILM SANDWICH était un film très drôle (tout comme j'étais retourné vérifier auparavant que ONE + ONE était un truc fait qu'à moitié).

Fous-rires aux mêmes endroits (comme lors de ce superbe panoramique en hélicoptère au-dessus de la Statue de la Liberté et la baie de l'Hudson avec ce panneau qui arrive, en toute décontraction: "Hong-Kong"), gags qui flirtent en permanence avec le pipi-caca et, le plus souvent avec l'obsession toute transpirante de l'adolescent moyen obsédé par la branlette, qui trouve son apogée érectile lors de la formidable (fausse) bande-annonce de ce chef d'oeuvre (qui n'existe pas): "Catholic high school girls in trouble" .

HAMBURGER FILM SANDWICH n'est pas le vrai titre de cette pochade d'anthologie, son vrai nom, c'est THE KENTUCKY FRIED MOVIE. Même les traducteurs ont fait les pignoufs, c'est admirable. Vive les années 70, vive les étudiantes des lycées catholiques, vive John Landis, vive le kung-fu !