mercredi 10 mars 2021

Cancel-culture: et si on effaçait aussi Sacha Guitry ?


 Pourquoi n'effacerait-on pas Sacha Guitry de nos tablettes une bonne fois pour toutes malgré qu'il fut, tout de même, le réalisateur de merveilles comme LA POISON, SI VERSAILLES M'ETAIT CONTE ou LE ROMAN D'UN TRICHEUR ? Car si on y regarde bien, son oeuvre est truffée de drôles de sentences définitives sur les femmes, par exemple, qui ont fait les riches heures de nos Grosses Têtes nationales, période Bouvard et Pécuchet.

Qui a dit:

 "Le pire que l'on puisse faire à un homme qui vous a piqué votre femme, c'est de la lui laisser ?" (uh uh uh)

Bonne réponse collégiale... (uh uh uh)

Mais non, ce serait trop simple, car l'homme était autant contre les femmes (tout contre) qu'il ne l'était des hommes, et il les aimait intelligentes et perfides. Il est par ailleurs prouvé que les traits misogynes sont souvent le fait d'hommes qui aiment trop ou mal, voire ont une trouille bleue de la gente féminine et s'en défendent en mordant les premiers.

Nous ne cancellerons pas Sacha pour des motifs #metoo, ce serait trop simple, et anachronique.

Sacha antisémite alors ? On sait que durant l'Occupation, il continua a faire salon sans se défaire de sa piquante bonhommie, mais là-dessus les historiens comme les témoins ne s'entendent pas vraiment sur la veulerie, voire la saloperie du personnage. Si d'aucuns l'accusent de n'avoir jamais bougé un cil pour sauver quiconque, personne ne l'aurait vu non plus à se taper sur les cuisses en compagnie de la Gestapo. Comme Cocteau, qui était pourtant poète et pédé, il passa entre les gouttes sans trop se mouiller et fit semblant de regarder ailleurs. A tout prendre, on préfère ça à certains résistants de la dernière heure qui étaient on ne sait où les quatre premières années de la sale période.

Nous ne cancellerons pas Sacha pour ça non plus.

Et d'abord, c'est quoi, canceller ? C'est effacer du paysage un artiste, un écrivain, un acteur, dont les actes ou les propos ont été considérés coupables à l'égard des femmes/des homosexuel(le)s, des bi-, des Noirs, des juifs, des musulmans, de tout ce que vous voudrez, sans passer forcément par la case Justice.

De mémoire, je dirais que le premier à avoir été traité de la sorte avant l'affaire Weinstein, ce fut Brett Ratner, aimable cinéaste multi-tâche (Rush hour, le 3° X-men, ce genre de choses) qui se fit éteindre la chandelle après des propos homophobes malvenus alors qu'il devait "mettre en scène" une cérémonie des Oscars. Depuis, il n'est pas tout à fait perdu à Hollywood, mais son nom ne figure plus en tête d'affiche.

Beaucoup ont essayé de canceller Polanski pour les histoires que l'on sait, mais les moeurs des années 70 et 80 l'ont soigneusement épargné, la justice a amplement merdé et il serait difficile, tout de même, d'effacer de l'histoire du cinéma CHINATOWN, ROSEMARY'S BABY, LE PIANISTE ou LE LOCATAIRE.

Pour un autre gros cochon amateur de nymphettes, David Hamilton (qui s'est puni lui-même en se suicidant), ce sera plus simple: ses films à l'heure où je vous parle ont déjà "passé", comme du moche papier peint jauni au soleil.

Toujours dans la catégorie violeurs de Lolita, le déjà assez peu regretté Gabriel Matzneff pourra toujours continuer à se scruter le kiki dans l'auto-édition le temps qu'il cane. Le temps se chargera de l'effacer très vite, même si on peut croire que beaucoup traqueront ces livres épuisés comme d'autres des numéros manquants de la Brigade Mondaine. Son pendant fachoïde Renaud Camus, pareil.

On notera que chez les écrivains collaborationnistes, la cancel-culture marche mal: les romans de Drieu de la Rochelle ont résisté à l'infâmie de son auteur, sans compter l'innommable Céline sans qui le XX° siècle littéraire n'aurait pas été le même. Ce qui ne sera pas le cas de nos deux pingouins contemporains cités plus haut.


Dans les pays anglo-saxons, ces fiers faux-culs qui ne voudront jamais canceller Donald Trump ni Donald Rumsfeld (tiens... deux Donald...), on déboulonne quelques statues, on tente de faire disparaître tel politicien esclavagiste du XIX° siècle des plaques des noms de rue, cela va jusqu'à vouloir expurger les passages les plus "confédérés" d'AUTANT EN EMPORTE LE VENT, voire de rayer de la carte de manière définitive le nom de D.W. Griffith, cinéaste raciste reconnu.

Quand on en vient à "refaire" NAISSANCE D'UNE NATION version Black Lives Matters, cela donne non seulement un très mauvais film, mais aussi très envie de revoir l'original. Or, qui a envie de se taper les 3 heures et quelques de NAISSANCE... ou d'INTOLERANCE que seuls les cinéphiles timbrés dans mon genre ou les étudiants en cinéma se doivent d'avoir vu au moins une fois ? Problème: ce sont des films qui appartiennent à l'histoire, comme ceux de Méliès ou de Chaplin, car ils ont posé les bases de la grammaire du 7° art pour toujours. Griffith, c'est un sacré paquet de pages dans le Bescherelle du cinéma, c'est comme ça.

Et alors, et alors... pourquoi ne pas canceller, aussi, Henry Ford ? Vous savez, cet industriel précurseur dont le "travail à la chaîne" a été un bien pour l'humanité, comme chacun le sait, et qui a donné beaucoup d'idées à ces autres fanas du rendement qu'étaient les nazis avec leur zyklon et leurs grandes cheminées. Anti-communiste et antisémite notoire, pourquoi ne pas virer Henry Ford de notre mémoire collective ?... Ce qu'il a fait est peut-être moins grave que votre petite blague salace et déplacée à la machine à café, l'autre jour... sur l'échelle des valeurs, on a tendance à s'y perdre.


Ainsi, quelques cancellés n'en sont toujours pas revenu. Contrairement à Polanski ou Woody Allen dont les disparitions auront peut-être été causées, aussi, par leur grand âge. Auf wieder sehen Kevin Spacey, abuseur de jeunes garçons, James Franco et son "artschool" perso où il profitait de la situation. Weinstein, of course, le seul à ma connaissance à être passé par la case justice-prison.

Mais pourquoi il nous parlait de Sacha Guitry au début, l'autre con ?


Parce qu'il faut voir LE BLANC ET LE NOIR de Robert Florey pour y croire. C'est un film sorti en 1931, l'adaptation d'une pièce à succès de l'époque signée... Sacha Guitry.

Je vous la fait vite:

Marcel Desnoyers (Raimu) commence à en avoir ras la casquette de son épouse Marguerite (Suzanne Dantès), qui l'"emmerde". Ruminant un possible divorce, il l'abandonne dans un hôtel, histoire de prendre l'air. Elle pense qu'il va courir la gueuse, - ce qui est peut-être vrai - et sur un coup de tête, le trompe le soir-même. Avec un chanteur de bel canto qui se produit ce soir-là, on ne voit pas son visage, il a une belle voix et neuf mois plus tard...

- Mais c'est un nègre !!!, s'exclame Raimu au bord de l'apoplexie.

S'ensuit un cortège de bons mots et de dialogues très café du commerce enrobés de vaudeville bien d'époque sur le thème du Nègre. Bwana Guitry y va de son bel entrain habituel et ça peut être drôle, une fois qu'on s'est ressaisi un peu.

La farce culmine lorsque l'époux apeuré par le scandale convoque sur le champ le responsable de l'Assistance Publique pour qu'il embarque son bébé nègre sur le champ, et le lui échange avec un gosse du même âge, de même taille, et un garçon si possible, mais plutôt blanc virant sur le rose. Opération rendue possible par l'accouchement difficile d'une parturiente dans le coltar qui n'a pas encore aperçu le fruit des entrailles. Et paf ! en moins de deux heures, c'est plié, l'honneur est sauf, et Raimu l'heureux papa ému d'un chiard qui n'est ni le sien, ni celui de sa femme, mais la lignée restera blanche, vive la France !

Effaré, on aura quand même entendu cette ligne de dialogue qui prouve bien que Guitry n'avait vraiment peur de rien, prononcée par le benoît responsable de l'Assistance:

-Oh vous savez, on a déjà eu quelques 320 abandons de bébés nègres cette année, c'est de plus en plus couru (je cite de mémoire, mais c'est un truc comme ça). Cela prouve que ce que diagnostique Zemmour à longueur de diarrhée verbale avait bien commencé dans les années 30...


(Depuis quelques temps, c'est curieux, voir au cinéma quelqu'un gueuler sur un autre en postillonnant sans porter de masque, faire une remarque sur le joli cul de la secrétaire ou traiter un personnage de bougnoule, ça fait exactement le même effet.)

Et voilà où je voulais en venir: on en fait quoi, de Sacha Guitry, maintenant ? Parce que Guitry n'est pas Griffith, il n'a rien apporté d'autre au cinéma que la sophistication du texte et du beau langage en lieu et place de la dramaturgie pataude du cinéma français. Ce qui n'est déjà pas si mal.

Moi, je suis pour qu'on le laisse comme ça. Pour qu'on le restaure, ce film, qui n'est même pas très bon d'ailleurs (seul Guitry peut adapter du Guitry, question de rythme...), et qu'on puisse le voir quand ça nous chante. Histoire que ce racisme à la papa nous renvoie aussi, mine de rien, à certains progrès en la matière. Presque un siècle plus tard, alors que Michel Leeb est sans doute le dernier mauvais souvenir de cet humour-là, il semble qu'on soit passé à autre chose. 

Mais d'ici à ce qu'on voit un Noir président du Medef, ou une Présidente de la République homosexuelle, eh oh ! 

N'effaçons rien du passé. Essayons de ne pas oublier que Kevin Spacey est génial dans USUAL USPECTS et ailleurs, que Richard Berry a toujours été un piètre comédien, Griffith un génie ET un fasciste élevé au sein du Sud ségrégationniste, Céline un écrivain génial ET un taré, et Henry Ford un fils de pute qui a posé les bases de l'exploitation humaine dans le monde moderne.

La cancel-culture est un piège: n'oublions rien.



samedi 6 mars 2021

Contre les séries.

 


THE LEFTOVERS figure à peu près sur toutes les listes des meilleurs séries produites depuis une dizaine d'années. Conçue d'après un roman de Tom Perrotta, devenu pour l'occasion co-producteur et show-runner de l'engin,  THE LEFTOVERS est en effet ce que l'on peut trouver de plus rutilant et de mieux élaboré, dans le genre. La série répond en cela aux trois principes fondamentaux pour une recette des plus réussies: une virtuosité scénaristique de tous les instants, des comédiens aux taquets, et une réalisation fonctionnelle, entièrement vouée à une efficacité immédiate.

Chronophages, les séries peuvent vite devenir l'ennemi du dévoreur d'images qui se veut avant tout cinéphile. Essentiellement anglo-saxonnes, si l'on omet quelques belles réussites hexagonales ou scandinaves, les séries ont aussi cet inconvénient, de taille, de nous proposer uniquement des normalités très américaines ce qui, en guise de "diversité", terme adoré par les progressistes de tout poil, finit par poser problème.

Les séries se nourrissent beaucoup de littérature car elles ont un besoin impérieux d'histoires à raconter, de fils narratifs tendus, de fausses pistes, de savoir-faire. Les séries ont besoin du cinéma parce qu'il était là avant, et qu'il n'y a plus qu'à emprunter, qu'"à se baisser" pour trouver des bases de décor ou de mise-en-scène selon qu'on réalise une série western, d'horreur, policière ou intimiste. DEADWOOD peut ainsi être considéré comme un des petit-fils teigneux de Eastwood et Anthony Mann, AMERICAN HORROR STORY ne serait rien sans le cinéma de Wes Craven ou de Carpenter, LES SOPRANOS sont nés de la cuisse de Coppola et des AFFRANCHIS, etc, etc... Seule exception, de taille, à ce théorème de base, exception sur laquelle je ne reviendrai d'ailleurs plus: TWIN PEAKS.

Les producteurs de série ont avant tout besoin d'histoires. Celle racontée dans THE LEFTOVERS, - qu'on pourrait traduire à la godille: "ceux qui sont restés en bas", vaut quand même le détour.


Un 14 octobre, en l'espace d'une minute, 2 % de la population mondiale disparait. Plus de 120 millions de personnes, sans distinction de sexe, d'âge, d'ethnie, de classe sociale ou de quoi que ce soit, s'évanouissent dans l'atmosphère. THE LEFTOVERS nous cueille trois ans après ce trauma fondateur dans une petite bourgade de l'état de New York où chacun continue à vivre, certains moins bien que d'autres, comme on peut s'en douter. Au coeur de l'histoire, le chef de la police locale Kevin Garvey, sa fille, son fils qui s'est barré pour se retrouver au service d'un genre de gourou qui "apaise" celles et ceux dont un proche a disparu, et son épouse, que l'on croit d'abord "envolée", avant de se rendre compte qu'elle est une de ces femmes qui ont intégré une "communauté" bizarre, mais on va y revenir.

Ajoutez à cela un gourou pourchassé par le FBI, qui a laissé une de ses "petites amies" enceinte de ses oeuvres au jeune Tom Garvey. Ajoutez madame Garvey, Laurie, qui appartient maintenant à cette congrégation (pas celle régie par le gourou, une autre...) toute de blanc vêtue qui passe son temps à fumer des clopes et manifester en silence à la face du monde qu'il est temps "de tout abandonner".

Ajoutez à cela Nora Durst, qui a vu son époux et ses deux gosses disparaitre dans sa cuisine, un genre de record: 3 membres de la famille sur 4. Ajoutez à cela son frère, le révérend Jamison, qui tente de rassembler ses ouailles et s'occupe de son épouse handicapée depuis... ce fameux 14 octobre où elle a été percutée par une voiture qui soudain roulait sans conducteur.

Ajoutez à cela... plein de choses. On l'aura compris, avec pareil idée de base, il n'y a plus qu'à lâcher ces petits gremlins de script-doctors émérites et petits malins du rebondissement à gogo, et de veiller à bien leur donner à manger après minuit. Les petites histoires vont se mettre à proliférer dans le grand bain de la grande histoire, et on ne sait pas où cela va s'arrêter.


Voilà où le bât blesse, sûrement: THE LEFTOVERS nous raconte tout un tas de petites histoires qui sortent de partout, y compris des rêves, et qui ne vont pas forcément quelque part. Sur un versant positif, - c'est à dire là où le scénario est vraiment surprenant -, il y a cette histoire de cerf qui entre dans les maisons et saccage tout, personnage récurrent et quasi-absurde qui donne, de manière assez paradoxale, un sens à ce brouillard ambiant. Sur son versant le plus attendu, sur la prolifération subite des organisations sectaires par exemple, la série déploie une vision assez juste du marasme psychologique dans lequel pareil événement pourrait jeter des populations entières. Attendu également, cette radiographie de l'american way of life, de la structure familiale mise à mal par le séisme, et dont les failles sont ainsi révélées sans qu'il en sorte, pourtant, quelque révélation primordiale: que Kevin Garvey culpabilise parce qu'il fume en cachette, et rêve de découcher de temps à autre... quelle histoire...

On se rend compte à la fin de cette saison 1 que les producteurs-scénaristes ne savaient pas s'ils allaient remettre les couverts sur une autre saison. Un devoir d'explication s'est fait donc sentir, dans les deux derniers épisodes, l'épisode 9 revenant en flash-back sur les 24 heures précédant le fameux 14 octobre, l'épisode 10 raccommodant comme il pouvait la toile de l'histoire.

On n'assassinera pas derechef la série à cause ce final pontifiant où la famille Ingalls,- pardon - Garvey se retrouve (presque) réunie sous le porche avec, cerise sur le gâteau, une Nora Durst qui vient de trouver un bambin abandonné alors qu'elle venait déposer une lettre d'adieu à son amant Kevin "hot cop" Garvey. On lui en voudra plus pour avoir expédié au lance-pierre la secte des "silent smokers" par un monologue abominable de sa leader qui explique qu'ils font tout ça pour attiser la haine, et que les braves gens les exécutent.

Ailleurs, on se souviendra de passage, sans suite, d'une embrouille entre le jeune Tom Garvey et un type avec qui il s'est battu, "à cause de ses parents". On ne saura jamais le fin mot de l'histoire (dans la saison 2 ?...), mais c'est à cet endroit que le manichéisme des créateurs de THE LEFTOVERS se met à jour, et tombe en panne: basse opération de planting, comme disent les américains, ces segments narratifs ou ses petits détails sans intérêt, mais que les scénaristes pourront aller rechercher s'ils ont besoin de boucher un trou. Ce tâcheron de Van Hamme, défunt scénariste des séries XIII et Largo Winch s'en servait à tour de bras.

Après avoir tué tous ses mystères et ses suspenses à foison, sauf ceux liés aux origines de ces disparitions évidemment, et celui des cauchemars très "réels" du chief Garvey qui semble vivre parfois en somnambule hyper-violent, il en reste un, de taille, le seul qui compte: qu'ont donc vécu les personnages de THE LEFTOVERS ce fameux 14 octobre d'il y a trois ans, maintenant qu'on a appris à les connaître, et à s'y attacher ?


Pour Nora Durst, la scène où sa famille toute entière disparait correspond à ce qu'on imaginait. Les enfants Garvey, Jill et Tom, se trouvaient alors, eux,  à une fête du lycée et certains des gamins à qui ils tenaient la main se sont volatilisés. Rien de notable: des pleurs, des cris. C'est dans le vécu de Laurie et Kevin, maman et papa que la lâcheté des producteurs se fait voir, voilà pourquoi le cinéma sera toujours supérieur aux séries télé, et je vais vous en parler ici:

Laurie Garvey se rend chez sa gynéco qui lui confirme une grossesse tardive, et inattendue. Pas trop désirée non plus car entre Kevin et elle, c'est plutôt tendu en ce moment. L'image de l'embryon apparait sur l'écran et la minute M survient: un cri au dehors, un plan fixe sur Laurie, hébétée, un plan large qui nous montre la chaise vide du docteur, disparue. Et c'est tout. Aucun plan sur ce qui est le noeud de la scène, et la cause jusqu'alors inconnue de la conduite ultérieure de Laurie (se mettre à l'écart du monde et des siens), pas un seul coup d'oeil sur l'écran d' échographie où, c'est évident, le foetus vient de disparaitre lui aussi. Il s'agissait, ici, de ne vraiment fâcher personne à l'heure où les lois pro ou anti-IVG font plus débat aux Etats-Unis que celles sur la régulation du port d'armes.


Quant à Kevin, en pleine crise de la quarantaine, il escorte une jeune femme jusqu'à son motel après que sa voiture se soit fait emboutie par un cerf, toujours selon un jeu de correspondance et de signes qui finit par devenir épuisant. Chauds les marrons, chauds !, le chief ne se fait pas prier pour la séance de galipette et ce sera son trauma à lui: non seulement il a trompé sa femme mais il a vu (senti ?) sa partenaire de jeu disparaitre dans l'étreinte. Filmage de la scène pudique avec drap qui vole au ralenti alors qu'il s'agissait de LA scène qu'il ne fallait vraiment pas manquer: filmer le coïtus interruptus au corps à corps, qui se confondrait tout à coup avec une séance d'onanisme dans le vide, sexe tendu, préservatif encore humide, corps qui s'affaisse entre effroi et ridicule: cela aurait donné, pour le coup, une scène de sexe incroyable et inédite. Et qui aurait nécessité l'apport d'un vrai cinéaste.

On ne dira jamais assez combien le politiquement correct est l'ennemi de l'art, et qu'il a trouvé son berceau le plus confortable sur les plateformes de streaming qui produisent, et diffusent, ce genre de série à foison. Le problème étant que le cinéma, cherchant un endroit où être "hébergé", commence lui aussi à se plier à ce diktat.

Plus tard dans la soirée, après avoir bouclé la saison 1 de THE LEFTOVERS, tout perclus d'émotions et de sentiments contradictoires - parce que soyons honnête: c'est très prenant -, j'ai regardé un vieux Werner Herzog, FATA MORGANA, qui date de 1971. Un documentaire-rêverie-pensum sur ces phénomènes physiques et météorologiques qu'on nomme communément mirages, et qui sont le produit d'illusions d'optique et de fortes chaleurs. Le film est un peu fumeux, souvent chiant, le texte lu en voix-off un poil pontifiant, mais de ce marasme endolori par des températures au-dessus de la normale, une image me reste, - et me restera je pense -, celle d'un gamin tenant par le cou un petit fennec qu'il a adopté, les deux posant pour le cinéaste. 

On aura beau chercher ailleurs que dans les 3 saisons de TWIN PEAKS (car Lynch, lui, continue à faire du cinéma, même à la télévision, sans personne sur son dos), nulle part dans nulle autre série moderne vous ne trouverez d'instant comme celui-là. Gratuit, émouvant, inédit, venu de nulle part, l'instant est simplement unique: jamais vu.



Vous aurez beau convoquer les plus grands moments des plus grandes séries, - puisqu'il y en a -, comme le final de la saison 1 de TREME, la grande scène d'investigation "Fuck,fuck, fuck" de Bunk et McNulty dans THE WIRE, la mort d'Omar Little, l'ultime plan de l'ultime épisode de la dernière saison des SOPRANOS (qui a fait hurler les trois quarts des fans de la série, soit dit en passant, peu habitués à se voir projetés dans pareil gouffre d'incertitude), le gunfight ébouriffant, en une seule prise et  à la steadycam entre narcos et stups dans la première saison de TRUE DETECTIVE, ou encore les dialogues à couteaux tirés entre Bullock et Swearingen dans DEADWOOD, choisissez la plus grande scène dans ce que vous considérez être la plus grande série de tous les temps et dites-moi, franchement: trouvez-vous que cela soit comparable à:

 l'ouverture "News on the march !" de CITIZEN KANE ?, 

à la scène de l'escalier de PSYCHO ? 

au vrombissement de l'arrivée de la planète MELANCHOLIA dans notre atmosphère ? 

à Buster Keaton qui se relève d'un gadin pendant qu'une grange s'abat sur lui, pile dans la fenêtre ?

à la lenteur des batailles au sabre, sous la pluie et dans la boue, des 7 SAMOURAIS ? 

au jeu du chat et de la souris dans LE LIMIER de Manckiewicz ?

Les premières grandes séries HBO nous ont donné l'illusion qu'une relève allait survenir sur le petit écran. Or, c'était oublier que la télévision (les tablettes maintenant, les ordis, les smartphones) ne récupère que ce qui existe déjà. Ce n'est qu'un média qui se prévaut aujourd'hui d'être LE créateur de films, sentiment renforcé par la fermeture accélérée des salles par temps de covid. Au risque d'une production de plus en plus homogène, javellisée, raisonnée et raisonnable, et pire que tout, modérée.

"Homme modéré, écrivait en gros Hermann Melville, tu seras utile à ceux qui voudront propager le mal, tu seras leur outil. Pour faire le bien, tu ne sers à rien."

Il n'y a pas longtemps, j'entendais l'écrivain Régis Jauffret parler des "modérateurs" en littérature. Un poste de plus en plus important dans les maison d'édition américaines où il s'agit de gommer à la fois les notions trop compliquées exprimées en des termes trop savants, mais aussi d'aplanir le texte de tout ce qui pourrait heurter les différentes "communautés". Vulgarisation de la pensée + politiquement correct à l'infini = Netflix. "Là, c'est la fin" siffla  alors Jauffret, horrifié. Ces modérateurs-là ont bien oeuvré, je trouve, à la production de THE LEFTOVERS.

Plus de CITIZEN KANE, plus de VERTIGO. Plus de DERRIERE LA PORTE VERTE et de MASSACRE A LA TRONCONNEUSE non plus. Mais des séries à foison, comme ces LEFTOVERS avec flic sexy, desperate housewives craquantes, ses mystères irrésolus, ses renvois symboliques légèrement bidons qui feront bander ceux qui recherchent du "sens" à tout prix (Ce 14 octobre ne serait-il pas une mise en abyme du 11 septembre et la série elle-même blablabla ?)

Virtuosité scénaristique, acteurs aux taquets, réalisation aux ordres: s'il faut en attendre plus des séries, ne serait-il pas temps pour elles de replonger dans l'irrévérence et la recherche de quelque chose de vraiment nouveau, comme THE WIRE, LES SOPRANOS et quelques autres nous l'avaient laissé croire une brève décennie durant ? 

En attendant, je continuerai à voir des films. 

Na.





mardi 2 mars 2021

Cotcotcot -hips!-cadec.

 


COTTONPICKIN' CHICKENPICKERS appartient à cette lignée infamante de films destinés aux drive-ins que l'on peut dénicher, ailleurs que chez les revendeurs de VHS ou de cd zone 1 introuvables, sur la chaîne de steaming NWR en l'occurence, dont je vous ai déjà causé ici à plusieurs reprises. Réalisé en 1967 par un certain Larry Jackson, classifié "musical" parce que l'action, - si on peut appeler ça comme ça - se trouve entrecoupée par des pauses chansonnettes inappropriées, C'C (je ne vais pas retaper le titre à chaque fois) est un film délirant tourné avec pas grand chose, avec tout un tas de potes beurrés dénichés dans le speakeasy le plus proche.

C'est l'histoire, -si on peut appeler ça comme ça -, de deux hobos affamés qui tentent de rejoindre le soleil de Floride en sautant dans les trains de marchandise, et qui se font choper alors qu'ils tentent de voler des poules à un brave fermier du coin. Deux cloches bien rasés, attifés de looks improbables, et qui s'entendent pour être aussi cons l'un que l'autre.

Il y aura un sheriff trouillard, un juge j'en-foutre, des campeuses avenantes au look de suédoises libérées, deux adjoints mélomane qui grattent des chansons tristes de plouc esseulées au moindre prétexte (du style: J'ai trouvé une nana en ville/qui est gentille et sexy/avec tout le monde sauf avec moi), des pilotes d'hélicoptère chelous, une danoise en panne sur le bord de la route qui n'hésite pas à se mettre en bikini pour arrêter les conducteurs, et qui croit que Hollywood se trouve en Floride. Egalement au programme, un ivrogne qui raconte toujours la même blague qui ne fait rire que lui: c'est le leitmotiv du film. 


Pourquoi s'arrêter sur ce truc, si ce n'est pour signaler une fois encore qu'on est assez friand de ce cinéma sans frein ni complexe, qui conjugue avec bonheur un manque de moyens criant avec une bonne humeur non dénuée de sarcasme. Il est ici beaucoup question de moonshine (ce tord-boyau fait maison qui est au bourbon ce que la térébenthine est au single malt) et de bouilleurs du cru vivant au fin fond des marécages. Il semble que le bouilleur en question soit un Indien d'ailleurs,- si on peut appeler ça comme ça-, qui en cas d'intrusion policière sur son territoire déclenche des explosifs comme au Viêtnam, non sans s'être au préalable peinturluré la figure, de manière sommaire, direction le sentier de la guerre. 

S'il y en a que ça chatouille de prétendre que C'C est aussi une charge contre la politique américaine d'alors en Asie du Sud-est, ça les regarde. 


Il y a tout de même ce moment où le film touche au sublime lorsque nos deux paumés accostent un employé des postes en voiturette, doté d'une bonne tête de vieille patate fripée, et dont les neurones ont du avoir quelques démêlés avec le moonshine en question. Incapable de se concentrer sur ce qu'on lui dit, ni de se rappeler de la phrase précédente, la scène offre une rafale de dialogues éblouissants qu'on se prendrait à guetter, lors du générique de fin, si un certain Groucho Marx n'aurait pas participé à la fête, par hasard.

Du non-sense à la Ionesco chez les cinglés de Faulkner oui, mais aussi une poursuite dans les everglades remontée en accéléré, où se coursent aéroglisseurs, décapotable de sport, vélo d'enfant à guidon surélevé, bagnoles de patrouille sur route comme dans l'eau. Et un hélico donc, dégommé au feu de bengale.

 Du slapstick plouc à l'haleine bien chargée, du Tex Avery tremblotant frappé de gueule de bois. Mon bonheur de la semaine les gars ! Allez, à la votre.