samedi 4 juillet 2020

Deconnecting people.


Jacques Davila n'aura laissé que trois long-métrages, dont cette CAMPAGNE DE CICERON réalisé en 1990, un an avant sa mort prématurée. Au générique, on nous signale que ce film, pas si vieux que ça, a failli quand même disparaître à jamais, et a été repêché in extremis à partir d'une copie 16 mm. On est quand même peu de choses...

Rencontre inattendue entre le cinéma "littéraire" d' Eric Rohmer (situations printanières, roucoulades à la terrasse des cafés, chassés-croisés amoureux et dialogues très écrits) et de Jean-Daniel Pollet (des personnages complètement huluberlus, des scènes qui frôlent le théâtre de l'absurde), voilà un film charmant, et très charmeur, avec des comédiens qui ont fait partie, un temps, de notre paysage dans les années 80 et 90 dans des seconds rôles chez Rivette, Truffaut ou d'autres: Tonie Marshall, Sabine Haudepin, Jacques Bonnaffé...

Au centre, un drôle de personnage, catalyseur de toutes les tensions, sans cesse chassé, trahi, cocufié ou pris à partie, à témoin et parfois à confesse, sorte de Prince Michkine toujours au bon endroit, mais au mauvais moment - à moins que ce ne soit l'inverse -, qui voit passer sous son nez toutes les mauvaises humeurs amoureuses alors que lui même en est cruellement privé. Dans le rôle, un certain Michel Gautier, regard absent, voix douce, petit corps trapu disponible mais malmené, jusque dans des petites séquences humiliantes, qui n'ont d'ailleurs l'air de rien: alors que tout le monde, ou à peu près, exhibe ses jolies fesses au gré de baignades et de divers laisses-aller, Tonie Marshall se moque de la longueur de son prépuce "absolument dégoûtant".

Ce pauvre Christian, victime expiatoire de différents duels à fleurets mouchetés, marivaudages sans importance de vacances d'été, et là pour prendre des coups, tout voir et tout entendre, et c'est pourquoi on finit par l'accuser de tout puisque, justement, il comprend tout.

Comédie cruelle filmée du côté de Lezignan-Corbières, où ces caprices de parigots Le Monde - Télérama (les personnages travaillent dans la musique et les festivals d'été, le personnage de Bonnaffé, bouffon un peu allumé, est employé du ministère) ont vite fait de virer au ridicule: au personnage de Christian répond également le personnage assez peu épargné lui aussi, bien que tiré à quatre épingles, du compagnon de Judith Magre, victime, lui, des mauvaises blagues de la nature (un gag scatologique cruel suivi d'une méchante piqûre d'araignée sur la joue).

Voilà le genre de comédie  qu'on ferait mieux de nous montrer entre deux Ch'tis et un Omar Sy. Probable que le sort réservé aux films de Davila rejoindra celui des films de Pollet, dont on a envie de rappeler ici le titre d'un de ses films merveilleux: l'amour c'est gai, l'amour c'est triste. Cela va tellement bien à cette belle et subtile CAMPAGNE DE CICERON.

Je vous l'avais promis, je vous l'avais juré que je ne me dégonflerai pas: je vous le devais: un second Straub-Huillet, ça vous dit? Beaucoup moins pénible que l'affreux ANTIGONE ici même commenté, SICILIA ! qui date de 1999, c'est déjà beaucoup mieux.

S'appuyant sur "Conversation en Sicile" d'Elio Vittorini, le film nous invite à suivre un homme, Sicilien parti en Amérique qui revient au pays et tape la discute avec un marchand d'oranges, les passagers d'un train, sa maman ou le rétameur sur la place du village. Même procédé constaté auparavant, le cinéma des Straub-Huillet ne se dépare pas de ce qui semble être leur façon de faire: situations fixes et plans fixes, simples champs/contre-champs lors des scènes de dialogues; mais emportés ici par la puissance des mots de Vittorini et le noir-et-blanc magnifique de William Lubtchanski, cela passe beaucoup mieux.

Le film aurait pu s'appeler: "Sicile, épuisement d'un lieu", tellement le film cherche à tirer la substance d'une terre particulière, d'un pays à part, qui a fini par imprimer à ses habitants ce tempérament, et cette moralité si particulière. Il faut entendre comment les personnages semblent se gueuler dessus, alors qu'ils ne font que se parler: surgissent alors les réminiscences des clichés "Corleone": les couteaux resteront au fond des poches (d'ailleurs, le rétameur devra presque quémander que l'étranger sorte le sien pour qu'il puisse enfin affûter quelque chose...), et si on parle fort et dur, on parle bien et juste (et surtout, on écoute). 

Le long dialogue avec la mère est à ce titre assez impressionnant: démarrant par une enfilade de recettes de cuisine qui donneraient presque l'eau à la bouche avant de s'achever sur un déballage de secrets de famille qu'on s'étonne de voir aussi rapidement exhibés, faisant fi des tabous.

Enfin, le film fait un peu plus d'une heure, après on aurait sans doute décroché. Il reste que j'ai fini, un peu, par entrevoir les particularités d'un cinéma dont l'exigence et de ne pas se mettre n'importe où pour filmer n'importe quoi. Mais on se répète: sans Vittorini et Lubtchansky, qu'y aurait-il à entendre, et à voir ?


Hossein Amini, quant à lui, est un scénariste de renom à Hollywood, dont le "passe" pour de nouveaux horizons semble avoir été le script de DRIVE qu'il avait écrit avec Refn. Pour sa première réalisation, il a choisi rien de moins que l'adaptation d'un roman noir de la grande Patricia Highsmith dans une ambiance qui n'est pas sans rappeler PLEIN SOLEIL (avec Delon en Ripley, un personnage qui pourrait d'ailleurs être celui incarné ici par Oscar Isaac, petit escroc charmant).

Sous le soleil d'Athènes, un jeune Américain recyclé en guide bilingue au pied du Parthénon "met la main" sur un couple de touristes Américains qu'il décide de prendre sous son aile: madame est très jolie, monsieur a l'air un peu vieux pour elle, et ils ont l'air d'être convenablement friqués, donc plumables. Comme toujours chez Highsmith, les grosses ficelles et les belles coutures ne sont qu'apparentes, et quand tout finit par craquer, ce qui en tombe n'est pas forcément ce à quoi on s'attendait.

Le charme rétro de ce polar très élégant (chemises blanches, cigarettes sans filtres, jolies robes et taches de transpiration entre les épaules, interprètes parfaitement classes) nous rappelle à cette drôle de période où seuls les touristes les plus fortunés pouvaient aller se balader sous d'autres soleils, où il n'y avait pas encore de Subway ou de Rb'n'B à chaque coin de rue. De la même manière, les trajets en car sont longs, les vols en avion très intermittents, et s'il y a une chose sur laquelle la trame policière s'appuie de manière très efficace, c'est sur l'absence de communication (le couple ne connait pas le grec, et leur guide qui écoute la radio, et attrape du coin de l'oeil les titres des journaux, a toujours une longueur d'avance sur eux). On ne dira jamais assez combien les localisations sms, Google Translate et l'information en temps réel ont littéralement pourri les canevas tressés au millimètre des polars d'antan.

Polar de vieux schnock sans doute, mais bien sympathique quand même, TWO FACES OF JANUARY est avant tout une très belle, et malheureuse histoire d'amour, masquée par un duel au soleil entre deux mâles alpha qui se croient plus malin l'un que l'autre. A ce petit jeu du regard de biais et de la tension qui monte, le grand Viggo Mortensen ne fait qu'une bouchée du pauvre Oscar Isaac, pourtant moins éteint qu'ailleurs, pour une fois: quand dans la dernière partie du film, le personnage qu'il incarne n'a plus à escamoter sa violence presque démente, ni le feu de sa fureur intérieure, se rappellent à nous les souvenirs de ses personnages chez Cronenberg, et on n'a vraiment pas envie, à ses changements de voix soudain plus rauque, au rouge vif de ses regards, que ce mec vous chope. Quel comédien...

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