mercredi 1 juillet 2020

Atomisez les baleines !


Que dire d'un film comme L'INONDATION de Louis Delluc, film de 1924 inspiré d'une obscure nouvelle d'une certaine Andrée Corthis ? Pas grand chose, si ce n'est, peut-être, qu'après avoir vu FIEVRE il y a quelques semaines, on s'aperçoit que le bonhomme, pour important qu'il ait été à son époque (c'était surtout un grand critique), a laissé derrière lui des films de belle facture, certes, mais qui ne déchaîneront plus guère d'enthousiasme aujourd'hui.

Pas que L'INONDATION soit mauvais, pas du tout, mais cette enfilade de saynètes marquées par le sceau de la fatalité et du déterminisme social, sous influence Zola avec une pointe de sécheresse austère à la Ramuz , s'est pris un léger coup de vieux. Comment le vieux Broc, employé de mairie falot dont tout le monde se moque, voit revenir un jour sa fille, que son épouse à la cuisse légère lui avait jadis enlevée, pour ne plus jamais revenir. Pauvres tous les deux, et elle amoureuse d'un grand machin lui-même fiancé à une coquette un peu peste sur les bords, tout cela finira bien mal.

A la lecture du titre, on s'était dit qu'on allait avoir droit à quelques scènes de déluge et de maisons emportées par les flots, et on s'était fourvoyé: il ne tombe pas une goutte là-dedans, tout cela n'a rien de très spectaculaire, et à qui s'attendait à des scènes dignes de l'Armageddon, n'aura droit ici qu'à quelques répliques sommaires ("Il parait que les barrages de l'Ardèche n'ont pas tenu après toutes ces pluies..., - Ah mince alors, ça va déborder..."). Quelques plans sur les flots qui bouillonnent et sur des plaines submergées suffiront. Poussez un des personnages dans l'eau, pour la dramaturgie, et envoyez les violons. 

Tout ceci est bien pépère, du cinéma à la verveine, un peu. Buster Keaton aurait fait craquer un barrage et se serait mis juste en dessous, lui, avec trois caméras qui filment sous tous les angles, en faisant quelque chose de drôle en même temps. Mais arrêtons d'être trop exigeants.

Si vous voulez que vos mèches volent, si vous voulez être surpris, un peu, un petit tour chez Werner Herzog est tout indiqué. Il réalisa COEUR DE VERRE en 1976 (précédant de deux ans le tube de Blondie, et ça n'a rien à voir) et, toujours aussi incernable, s'attache à raconter ici le désarroi qui frappe un petit village du fin fond de nulle part après la mort d'un maître-verrier, qui était le seul à détenir le secret de la confection du verre-rubis.

On ne sait pas où Herzog va chercher ses histoires, sans doute l'idée de base repose sur quelque chose de bien concret (un des protagonistes admire un verre à pied aux reliefs rouges-sang splendide, ce qui correspond bien à une technique par addition de chlorure d'or, si si), mais de ce point de départ étrange, il tire une chronique villageoise violente et assez désespérée, filme des monologues d'ivrognes qui finissent par se tuer, de philosophes nihilistes dont l'âme se penche au-dessus du vide, -  et déclament des phrases splendides -, tout comme son oeil de documentariste ne peut s'attarde sur la magie méphistophélique de l'art des souffleurs de verre (qui boivent des pintes entre deux fours). Comme lui, on s'extasie lorsque l'un d'eux extirpe d'une boule en fusion la forme d'un cheval.

Est-ce vrai là encore, - mais rien ne saurait plus étonner de la part de cet homme - mais on raconte que Herzog aurait fait jouer ses comédiens sous hypnose. Ce qui expliquerait le côté complètement... largué et suspendu des personnages, à qui on a envie de donner des coups de pied dans le cul, juste avant qu'ils ne fassent, ou ne disent quelque chose de farfelu. Non content de filmer l'irrationnel, Herzog le provoque toujours un peu...

Lui qui adore travailler avec des comédiens "différents" (on se souvient de Bruno S., son Kaspar Hauser, qui était déficient mental, et bien entendu de Kinski, génial fou-furieux), on peut commencer à se demander si ça n'est pas, au fond, le grand sujet de son cinéma: la normalité, l'anormalité. Plus fort, et c'est un pressentiment qui vient juste de m'effleurer, Herzog se moque de ce qui est normal et de ce qui ne l'est pas, du correct et de l'incorrect; ce qui le fascine, et ce qu'il essaie depuis toujours de filmer, sans trop savoir peut-être s'il va réussir mais tant pis, il essaie, ce sont les individus qui croient en quelque chose, ou qui voient quelque chose, et sont les seuls à y croire (le Timothy Treadwell de son GRIZZLY MAN étant le meilleur - et le pire - représentant de ces illuminés). 

Il ne pouvait donc pas se contenter du scénario déjà étrange de COEUR DE VERRE, il a provoqué quelque chose d'inédit sur son tournage. Cet homme a peur de l'ennui.


Impossible de s'emmerder non plus avec ce panachée de court-métrages et d'ancêtres de vidéo-clips punks intitulé EARS, EYES AND THROATS rassemblés par un certain Peter Conheim et que vous pouvez voir sur la fameuse chaîne de Refn dont je vous ai déjà causé ici, NWR. Les réalisateurs s'appellent Richard Gaikowski, Graeme Rifler, Liz Keim ou Stefanie Beroes, vous ne les connaissiez pas et moi non plus. On y voit les premiers pas de Devo et des Residents, ce qui m'a donné envie d'écouter ça plus sérieusement, ça a été tourné entre 1976 et 1981, loin des planches à billet de Malcolm McLaren et des dérives new-wave  qui engloutirent le mouvement dans l'industrie pop.

Nicholas Winding Refn est un peu asperger sur les bords, mais il est punk, ça saute aux yeux depuis ses débuts (quel cocktail !). Les films rassemblés sont TOUS absolument merveilleux, crades, drôles, déviants, sexy et fous amoureux. Ils sont punk, la preuve, ils sont tous différents, et font du boucan. 

Pas un qui ne regarde dans le pantalon de l'autre: chacun fait ce qu'il veut. Conte déviant couleur rouge myrtille (IN THE RED avec son kidnappeur de gosse, tordant), concert live filmé dans les locaux d'une association pour malentendants (DEAF/PUNK) ou DEBT BEGINS AT 20 qui clôt l'ensemble, sans doute le plus scénarisé de ces neuf films (et encore), qui vous ferait presque monter les larmes aux yeux en souvenir de votre jeunesse, pas assez turbulente tout à coup. On devrait tous avoir vécu des moments comme ça, de la hargne dans les poings, du cul plein la tête et des looks à tomber, avoir joué de la batterie d'une seule main, et d'un seul pied, dans un groupe dont le chanteur ne sait pas chanter mais a des choses à gueuler. 

On devrait tous vivre dans un film punk, comme dans un film de Godard avec Jean Seberg, moi je dis.

Atomisez les baleines !!! gueule un intertitre au générique de fin. Ah ! ces neuf merveilles m'ont fait un bien fou. Je veux redevenir jeune, putain !!!




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