jeudi 30 juillet 2020

La vie comme un cauchemar.


Si elles veulent vivre un très grand moment d'épouvante absolue, j'invite toutes les mamans du monde à regarder les dix premières minutes de MADRE, le dernier film de Rodrigo Sorogoyen qui vient de sortir en salles, sans rien leur souhaiter de semblable. Un si terrible démarrage ne pouvait se retrouver que dans le décor, mais il fallait compter sans la subtilité du cinéaste, qu'on n'attendait pas forcément sur ce terrain-là, et qui n'en finit pas d'amortir l'épouvante de cette première séquence avec une douceur, une douleur déconcertante.

Deux ou trois fois, pas plus, on entendra parler de cette "folle de la plage", de cette Espagnole qui s'est installée dans cette station balnéaire du pays basque français après que son fils de 6 ans y ait disparu, il y a plus de dix ans. Mais sans que le film n'insiste sur cette détermination nocive, et encore moins sur une sorte de folie frontale du personnage d'Elena, que le film aura la bonté, et la pudeur, de seulement traiter comme une femme fragile (on le saurait à moins).

Après QUE DIEU NOUS PARDONNE et EL REINO, Sorogoyen continue à creuser un sillon particulier dans le champ déjà bien labouré, défiguré on dira, du polar à sensation, en s'en écartant cette fois par un à-coup sans histoire, loin des thrillers qui ont tous à voir avec les plus mauvais romans d'Harlan Coben.  Elena va s'accrocher à un jeune garçon aperçu sur la plage, "qui pourrait être son fils", c'est le cas de le dire, en essayant de garder ses distances (mais pas trop).

Là où MADRE est splendide, et terriblement fort, c'est lorsqu'il amorce cette histoire d'attirance irraisonnée, et déraisonnable, entre cette femme de presque 40 ans avec un petit prince des plages qui, littéralement, ne dit vraiment pas non: jeune homme sensible et très intelligent, on se dit qu'il ne refuserait pas que cette amitié dégénère en autre chose. Tout comme on ne saura jamais si Jean était au courant du passé d'Elena, on est certain de naviguer tout au long de cette histoire dans les méandres de la déraison la plus totale, mais d'une déraison qui saurait qu'il faut qu'elle passe par là pour aller enfin mieux: peut-être que le plus beau des pansements à la douleur impensable d'Elena, c'est cette étreinte qui dure, recouverte de baisers, avec un jeune homme qui pourrait être son fils.

Au-delà de cette histoire de "transfert" plutôt gonflée à notre époque de protection exagérée des vertus de l'enfance, on se réjouira du fait que le principal élément de tension ne survient que de la part des parents de Jean, bourgeois parisiens dans leur résidence secondaire qui paniquent à l'idée qu'une femme mûre s'approche de trop près de leur enfant, et finissent par user de violence déraisonnable, dans leur panique (ce sont les - comme toujours - excellents Anne de Consigny et Frédéric Pierrot).

Dans ce film où le scénario prête les flancs à tous les dérapages, ce sont les personnages les plus calmes, les plus mesurés qui s'en tirent le mieux (Elena la première, dont on ne peut même pas dire qu'elle est "aux marges de la folie" mais qui, au contraire, en cherche encore et toujours le remède pour ne pas sombrer).

Mélo tendu comme un film noir, les amateurs de rentre-dedans seront déçus, peut-être, pas ceux qui privilégient les sensations fortes.

Il y en a marre des films noirs, des polars standards et des thrillers à deux balles: c'est pourquoi autant de cinéastes cherchent des voies de secours à un genre qui a tant donné, mais s'est épuisé (merci les Américains, merci les séries TV...). ABOU LEILA de Amin Sidi-Boumédiène propose un traitement radical  en convoquant les années-FIS  algériennes, retour dans l'horreur des années 90 et de cette guerre civile qui fit de tout un pays, comme le disent plusieurs personnages du film au cours de l'histoire, "un pays de cinglés à ciel ouvert".

Ne pas savoir où on est, et ne pas comprendre où le film nous dépose, semble être le projet initial de Sidi-Boumédienène une fois les premières séquences passées: un assassinat en pleine rue, suivi d'une fusillade avec la police, et puis la quête de Lotfi et S. en 4x4 dans le désert, direction on ne sait où, pour faire on ne sait quoi. Passés les premiers moments de stupeur (la quête de ces deux mystérieux personnages est-elle liée au meurtre originel, de quoi S. souffre-t-il, pourquoi dort-il tout le temps, mais qu'est-ce-qui se passe ?), le film se montre plus étonnant que sa structure bâtie sur un flash-back, insérant d'une manière presque hystérique, mais lente, des scènes hallucinatoires où se mêlent les carnages les plus terribles à une paranoïa qui, comble de la confusion, pourrait autant être celle de S. (fragile, malade) que de Lotfi (le costaud sûr de lui).

On est bien dans ce pays de cinglés à ciel ouvert, - tôt dans le film on nous avait pourtant prévenu -, et ce que réalise le cinéaste est d'autant plus fort qu'il ne stigmatise rien d'autre que la sauvagerie de cette guerre-là, en considérant juste les dégâts, et ne jugeant personne.

Lotfi, que les personnes qu'il croise soupçonnent d'être un flic (ce qui n'était pas bon à dire, à une époque où les policiers, les militaires et les fonctionnaires se faisaient égorger à la chaîne), lui-même membre d'une section anti-terroriste l'avouera au terme  de cet épouvantable road-movie sanguinaire: si tout ceci est arrivé, au fond, c'est que des gens comme lui, Lotfi, sûrs de leur invincibilité, n'ont pas vu la fragilité de leurs proches, et qu'ils ne survivraient pas à cette surenchère de barbarie.

Sur la voie onirique, le film part loin, trop loin a-t-on l'impression parfois, jusqu'à rejoindre le domaine du conte. En dépouillant de sa base "politique" le contexte qu'il raconte, ABOU LEILA réussit à ramener à ces fondements la guerre et ses principes, c'est sa plus grande qualité: jamais plans aussi "gore" n'auront eu autant de signification que dans ce film-là, la guerre n'est que prétexte à horreurs sans nom.

Pour un premier long-métrage, ABOU LEILA est un film stupéfiant, dans tous les sens du terme...

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