vendredi 24 juillet 2020

Déconfiture masculine en slip de bain.



Connaissez-vous Uri Zohar ? Eh bien avant hier, moi non plus. Mais demandez à un Israëlien ce qu'il en pense, et vous serez servi. Dans les années 60 et 70, cet acteur et cinéaste fut le fer de lance de la "Nouvelle Sensibilité", un peu l'équivalent de notre Nouvelle Vague et de ses pendants européens, et son nom culmine là-bas comme celui de Truffaut ou Chabrol chez nous. Drôle de zigue quand même, et grand metteur en scène (les trois films dont je vais vous parler ici sont absolument merveilleux), considéré aussi bien comme un intellectuel de premier plan que comme une figure politique majeure... et un comédien-vedette de son époque. 

En 1988, Zohar ferma les volets pour se consacrer... à la religion, - ce qui laisse pantois quand on vient de voir ces films - parce que, prétendait-il, homme à femme à la libido débordante, père de famille et personnage public débordé, il avait préféré, et c'est lui-même qui l'a dit, se soumettre à une autorité plus fortes que ces pulsions.

Une fois posé le profil de l'animal, jetons d'abord un oeil à TROIS JOURS ET UN ENFANT, tourné en 1967 et présenté à Cannes cette année-là, où fut décerné à l'excellent Oded Kotler le Prix d'Interprétation masculine. Trois jours, donc, de la vie d'Eli, étudiant de Jerusalem qui partage un appartement avec une étudiante en botanique qu'il n'aime peut-être pas tant que ça. Un jour, Noa, son premier amour l'appelle du kibboutz où ils se sont rencontrés pour lui demander s'il voudrait prendre chez lui Shai, son petit garçon: son père et elle descendent à la capitale pour des examens et ne connaissent que lui à Jerusalem.

Eli n'a jamais pu oublier cette jeune femme dont il est toujours amoureux, et durant ces trois jours mi-figue, mi-raisin, n'en finira pas de ressasser avec beaucoup d'aigreur cette première liaison dont, c'est le cas de le dire, il se fait tout un film alors qu'il est compréhensible que, pour elle, cela reste une histoire sans grand intérêt. Aussi le film décortique avec une précision méticuleuse les pulsions jalouses, enfantines et immatures de ce jeune homme qui n'a pas réglé ses comptes avec ces déceptions post-adolescentes et pour qui ce "raté"de sa vie amoureuse, ne pas avoir su bien séduire la belle Noa, ne pas avoir le courage de quitter la fade Yael, reste une blessure. Son égocentrisme culmine d'ailleurs lors de scènes où Eli observe le petit Shai se mettre dans des situations dangereuses, guettant l'accident, ou la catastrophe.

Tiré d'un roman d'Abraham B. Yehoshuah , TROIS JOURS ET UN ENFANT emprunte quelques trouvailles à la science du montage de Resnais, inserts de flash-backs sur des visages songeurs pour les pensées inavouables, arrêts sur image pour moments suspendus au-dessus de vides intérieurs. Le film culmine lors d'une scène avec un serpent venimeux égaré dans un petit appartement, à vous faire dresser les cheveux sur la tête, que j'abandonne avec joie aux férus de psychanalyse à bon prix.

LES VOYEURS sera tourné cinq ans plus tard, avec Uri Zohar dans un rôle qu'il a repris plusieurs fois dans d'autres films, parait-il, celui du surveillant de plage bronzé et torse poilu, obsédé sexuel et magouilleur à la petite semaine. Ressemblant à s'y méprendre à Ilie Nastase avec une coiffure à la Guillermo Villas, l'acteur-réalisateur lorgne de toute évidence vers la comédie italienne, et Alberto Sordi. Le film s'arroge tous les fantasmes et désillusions propres aux années 70, avec une révolution sexuelle qui aura pour le coup une belle saveur de raté. Zohar y campe ce beauf plus tout jeune mais l'esprit au ras de la calfouette dont la principale occupation est de mater son meilleur copain (il est guitariste dans un groupe de rock) en train de sauter les midinettes, en essayant de récupérer les restes au passage. Il le faut le voir, à son âge, s'extasier encore sur la grosseur du paquet dans le slip de bain d'un adolescent, et criant à l'injustice.

On pense surtout aux VITTELLONI, version post-68, avec les mêmes mais en slip, des capotes coincées sous l'élastique. La déconfiture du mâle israélien semble bien être la grande histoire du cinéma de Zohar, et LES VOYEURS, film absolument tordant, propose des liens plus que limpides avec la propre biographie de l'auteur, qui ne le savait peut-être pas encore.

Mais Gutte (c'est son prénom) a quand même beaucoup de mal, malgré son look de tennisman latino: s'il dragouille avec difficulté la femme de son pote, il préfère tout de même s'en remettre aux services de sa putain préférée, le short sur les chevilles dans une arrière-cour de HLM. Ah ! l'amour...

Déconfiture masculine, encore, toujours plus fort, toujours plus haut, Zohar tourne deux ans plus tard, en 1974, LES YEUX PLUS GROS QUE LE VENTRE dans la peau, cette fois, de Benny, bon père de famille qui brille de sa gloire d'entraîneur d'équipe de basket et se retrouve tout à coup débordé par sa vie de famille (le petit dernier dans la poussette), son job, ses affaires immobilières et, surtout, ses deux maîtresses. Déjà révélé dans LES VOYEURS, le mâle israélien pris la main dans le sac essaie de parler plus fort que tout le monde et tente de décharger ses responsabilités sur les autres.

Grand cinéaste de l'immaturité et de la vacuité masculine, Zohar était-il conscient de bâtir une oeuvre autour de ça, où ne s'en est-il rendu compte que plus tard, comme pour toute véritable obsession envahissante ? Avant de se réfugier dans la religion, et en espérant qu'il y ait vraiment trouvé un sens autant qu'un soulagement à une existence devenue trop frénétique à ses yeux, on peut penser que le trublion Uri Zohar en aura bien profité.

Une chose et sûre et certaine, il manque au cinéma israélien tous les films qu'il n'a plus voulu faire, même s'il est toujours une référence incontournable chez lui. Car c'était un immense cinéaste, qui savait jouer sur toutes les gammes, de l'émotion au grand-guignol, sans forcer. Et je me demande si j'ai jamais vu des scènes de match de basket-ball aussi bien filmées que dans LES YEUX PLUS GROS QUE LE VENTRE.

Donc, je répète: Uri Zohar.



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