mercredi 16 décembre 2020

2020, c'est terminé.

 2020, c'est ter-mi-né. Finito, endgame, vertig, kaputt. Nous raterons donc tous ces films qui auraient du sortir et ne sortiront qu'en... on ne sait plus trop quand, tant pis pour le dernier Quentin Dupieux, donc, qu'on ne pourra pas voir cette année,  le Shannelec, le dernier Wiseman qu'on n'a pas eu le temps d'aller visionner entre deux confinements, le prochain James Bond et tous ceux qui ont laissé leurs distributeurs et leurs campagnes-média gros-jean comme devant. 


Ce qui nous fait, les deux confinements compilés, près de 4 mois de sorties-salle en moins que d'habitude, un tiers de films à voir en moins, un tiers de films qu'on aurait pu rater en moins, également, s'il faut absolument positiver quelque part.

Pas plus tard que ce matin, nous avons pu lire les propos de de bon professeur Delfraissy, épidémiologiste d'Etat, qui nous avertissait gentiment que 2021 allait beaucoup ressembler à 2020, si ça continuait comme ça. Entendez par là ce que vous vous voudrez bien comprendre: si ce gouvernement de girouette ne se résolvait pas à boucler le pays deux/trois semaines une bonne fois pour toutes, à la chinoise, si les gens n'arrêtaient pas de se bousculer dans les grands magasins, si les ces sales gosses n'arrêtaient pas de coller leurs mains pleines de crottes de nez sur les vitres des magasins de jouet, si on n'arrêtait pas de se mettre le masque SOUS le nez, si les sales jeunes n'arrêtaient pas de baver sur le même joint. En gros: si ma grand-mère avait des roues, elle ferait un très joli camion.

Ce n'est pas parce qu'on n'a pas pu aller au cinéma autant qu'on a voulu, qu'on n'a pas vu de bons films pour autant. En s'appliquant à bien choisir ses séances et à ne pas suivre le troupeau, on en a même vu beaucoup.

C'est donc l'heure du BILAN. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, voici le bilan cinéma 2020 de RongeMaille, son top 10. Vous me remercierez plus tard si ça vous chante.

J'ai bien pris soin, malgré les millions d'images ingérées dans mon rocking-chair à toute heure du jour et de la nuit à bouffer du cinéma sur les plateformes de VOD, à dégager derechef les exclusivités Netflix, Prime, Amazon, Disney et j'en passe, qui sont là pour nous faire croire que le net est le nouveau refuge, l'ultime bastion de la création cinématographique.

Ignorant superbement ce chantage à l'émotion, je continuerai à prétendre, en digne vieux con que je suis, que la salle de cinéma reste le meilleur endroit pour voir des films, malgré ce que prétendent certains cinéastes eux-mêmes (et pas des moindres). Après avoir vu peu de ces productions-là, je peux dire que mon classement n'a pas raté grand chose de leur absence (hormis, soyons juste, le bouillonnant UNCUT GEMS des frères Safdie, qui aurait eu sa place dans ce Top, mais c'est comme ça; attribuons-lui la 11°, et tout le monde sera content).


S'il faut parler de chantage à l'émotion, s'il y en a un qui m'a bien eu, c'est le ANTIGONE de Sophie Deraspe, vrai mélodrame politique sur fond d'injustice sociale, de violence policière et de crise des migrants. Voilà qui était bien aventureux, de tout mettre et de tout dire en un seul film, mais il est tellement rare qu'une oeuvre, malgré ses défauts formels évidents,  concorde à ce point avec les problèmes de son temps, qu'il a fallu qu'on se frotte les yeux pour se rendre compte qu'on voyait bien ce qu'on regardait.

En adaptant la figure centrale de ce symbole de toutes les résistances, de tous les combats menés contre les injustices, Sophie Deraspe avait de quoi faire avec le climat social et politique de cette fin de décennie. Aussi Antigone, (remarquable Nahéma Ricci), dont le grand frère a été abattu suite à une bavure policière, dont le petit frère va être reconduit dans son pays d'"origine" où leurs parents ont été assassinés, aura été la figure emblématique de résistance (rêvée) au coeur d'un Occident qui, décidément, a les valeurs et le coeur à l'envers. 


Sur les rives du fleuve Congo, on a cru halluciner face à ce film qui nous parle d'assassinat vaudou, de pouvoirs guérisseurs, de pillage des ressources naturelles par l'Empire industriel chinois, et de la tristesse des fées de l'eau qui demandent à être changées de site pour pouvoir exaucer les voeux d'un sorcier. Dit comme ça, on pourrait penser à un Miyazaki sous poppers mais non: il s'agit bien d'un documentaire sidérant sur les rites et croyances d'un pays où justice se rend d'une drôle de manière, et où les esprits finissent toujours par l'emporter. Le documentaire de La Vapeur & Vaclav reste le seul film, à ma connaissance, où des sirènes se retrouvent créditées au générique de fin. Hallucinant.


Et puis il y a des années où on en rate au moins un, et des années où on les voit tous ! Je veux parler des films de Hong Sang-Soo (deux à trois films par an, en moyenne), le cinéaste le plus passionnant en activité, selon moi, qui nous a régalé coup sur coup de deux merveilles comme lui seul sait en faire. Celui qu'on a paresseusement comparé longtemps à Rohmer file désormais vers des contrées tellement inédites qu'on se demande jusqu'où cet amoureux des histoires d'amour, des repas arrosés au soju et des petits riens de la vie de tous les jours, jusqu'où ce manipulateur discret de tous les espaces-temps ira pour rajouter, encore et encore, des lettres supplémentaires à l'alphabet du septième art.


Entre le spleen en noir-et-blanc des retrouvailles amères d'un père indigne et de ses deux fils dans HOTEL BY THE RIVER, et ce jeu de succession de rencontres anodines (en apparence) de LA FEMME QUI S'EST ENFUIE, mon coeur balance encore et renoncerait, presque, à choisir. Le genre de sentiment que Hong serait à même de filmer. Et on n'en finira jamais de tomber amoureux de Kim Min-Hee à chacune de ses apparitions...

Le seul Amerloque de ces dix nous vient de cette petite fofolle de Miranda July, artiste et poète, écrivain et cinéaste à ses heures qui nous a raconté une bien drôle d'histoire, paumée dans les suburbs de L.A. en compagnie de trois arnaqueurs de faible niveau, maman-papa-fifille, mademoiselle dont l'autisme apparent a été bien entretenue tout au long de son éducation pour en faire une voleuse totalement hermétique aux émois extérieurs. Comprenons celles et ceusses qui n'ont rien entravé à ce film complètement malade: car effectivement, on ne voit pas ça tous les jours. Servi par des comédiens super, dont le toujours génial Richard Jenkins et l'incroyable Evan Rachel Wood, KAJILLIONAIRE nous raconte l'éveil affectif et amoureux d'une jeune femme qui a grandi dans un milieu pluri-toxique des plus carabiné. De là à en faire une juste métaphore sur la propagation des valeurs matérialistes, de nos jours, aux Etats-Unis, et de génération en génération et bien mois je dis: sans aucun doute.



Après d'autres fables tout aussi amères, mais plus relax sur la corruption patente de son pays, le Kazakhstan, le très joueur et très obstiné Yerzhanov nous le refait sur un mode, cette fois, beaucoup moins cool. Meurtrier pédophile couvert par les institutions, flics violents et pourris chargés de liquider des suspects fabriqués de toute pièce (ici un débile mental), il en faudra beaucoup pour que les coupables paient la note, à la fin. 

Avec son style pince-sans-rire dont, décidément, on ne se lasse pas, et qui en fait comme une sorte de Kaurismäki qui aurait trop lu Dostoïevski, Yerzhanov filme l'éveil d'une brute stoïque vers un semblant de justice...mais promulguée ici au canon scié. Final sanglant, ironie de tous les instants et paysages splendides; un film noir absolument parfait, et assez démoralisant.


Alors qu'on croyait Cristi Puiu condamné à filmer dans des trois-pièces étriqués les maux de la société roumaine moderne, il nous revient avec un film monstrueux de 3 heures et 20 minutes avec des joutes philosophiques, littéraires et morales entre cinq aristocrates, dans un manoir perdu dans un paysage enneigé. Inspiré d'un contemporain de Tolstoï, un certain Solovyov, voilà un film qu'il ne fait pas bon vouloir aborder avec un début de migraine. Les dialogues, en dehors de ceux, nombreux, qui se rapportent à la religion, ont beau se reposer sur des faits historiques d'un autre siècle, leur écho dans notre Europe contemporaine reste frappant. 

Vraie prouesse de cinéma, servie par des acteurs d'exception qui ont du vraiment en baver (des kilomètres de textes difficiles appris par coeur dans trois langues différentes), MALMKROG vaut autant pour sa rigueur formelle que pour ses drôles d'échappées narratives (dont une fusillade d'anthologie à la contingence suspecte, véritable trou d'air dans la narration). Une vraie montagne, à gravir uniquement si on est en bonne condition.


Au petit jeu du "toujours plus loin, toujours plus fort", les Chinois sont décidément les meilleurs. Pour preuve, ce premier (!!!) film de Xiaogang Gu qu'on croirait l'oeuvre définitive d'un vieux maître de plus de 70 ans. Pas de véritable trame ici, mais plutôt la chronique familiale douce-amère autour d'un lac, des montagnes qui l'entourent et d'une ville, Hangzhou, dont le cinéaste a voulu capter toutes les transformations. Premier volet d'un triptyque autobiographique à venir, SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN sidère par sa beauté formelle, ainsi que par quelques tours de force (dont un plan-séquence incroyable le long d'une rive, lui qui nage près du bord, elle qui essaie de le rattraper par les sentiers en sous-bois).

Si un cinéaste un peu hybride qui posséderait à la fois le sens du temps qui passe de Hou Hsiao-Hsien, celui du coup de force narratif de Diao Yinan (le réalisateur de BLACK COAL), et la précision quasi-documentaire de Jia Zhang-ke n'existait pas encore jusque là, il vient peut-être de montrer le bout de son nez en la personne de ce cinéaste à surveiller de très très près: Xiaogang Gu.


Le meilleur film d'horreur de cette année nous vient peut-être d'Algérie. Et quelle pire horreur que cette guerre civile qui sema le carnage dans les années 90, les années FIS et compagnie. Prenant pour prétexte la fuite de deux hommes dans le désert, ABOU LEILA offre à voir des images de folie et de carnage comme on n'en avait pas vu depuis des lustres. Film de guerre hors de la guerre, et véritable film-cerveau, le film est peut-être la projection de la psyché de l'un dans les visions de l'autre (un flic traumatisé rendu malade par un meurtre dont il a été témoin, un autre arborant fièrement une virilité inébranlable de combattant). A moins que ce ne soit l'inverse.

Hors du temps, le film n'arrête pas de parler d'un pays transformé "en asile à ciel ouvert", et prend les apparences les plus concrètes d'un trauma tel que défini par Freud: l'irruption du réel dans la psyché. ABOU LEILA est le spectacle d'une psyché malade en train de se débattre. A une séquence terrible dans une pension où a eu lieu un massacre (du gore dans toute sa dimension guerrière) succède une séquence dans le désert plus onirique, moins convaincante sans doute, mais là pour porter un regard différent, et à ma connaissance unique, sur les traumatismes de la guerre. LA grosse baffe de l'année, celle qui fait mal.


Complètement à l'opposé, on n'est toujours pas revenu de la douceur, de la chaleur d'EVA EN AOUT et du sourire d'Itaso Arano, sa co-scénariste-interprète principale. Improvisation dans les rues bouillantes de Madrid, désertées de ses habitants, voilà un film vu un après-midi torride d'un été pré et post-confinement à Montpellier offrant le spectacle banal d'une jeune femme qui se cherche dans une ville à moitié déserte. Rencontres à faires, coeurs à saisir, ancien amour croisé par hasard, petite fête au bord de l'eau, coup de foudre ou peut-être pas, drague et en fait non, jamais sans doute le banal sans histoire aura trouvé d'écho aussi pur, aussi particulier qu'en cette année où tout contact avec l'inconnu nous aura été littéralement interdit.

EVA EN AOUT, pour moi film de l'année, qui définit tellement bien, et avec tant de calme, l'art de vivre et, comme Eva, l'art de s'ouvrir au hasard. Avec tout ce que nous avons été obligé de vivre en 2020, ou plutôt de ne pas vivre, quelque chose s'est remis en place: ce ne sont pas les films de James Bond ni les blagues grasses qui nous ont manqué, mais quelque chose comme le sourire d'Eva.




1. EVA EN AOUT de Jonas Trueba

 https://youtu.be/-mkhnyMV5gc

2. ABOU LEILA de Amin Sidi-Boumédienne

https://youtu.be/BMy6BSPiv_c

3. SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN de Xiaogang Gu

https://youtu.be/YLlvPJ4uUqs

4. MALMKROG de Cristi Puiu

https://youtu.be/PG2Z90ZvWpg

5. LA FEMME QUI S'EST ENFUIE de Hong Sang-Soo

Bande-annonce du film...

6. A DARK, DARK MAN de Adilkhan Yerzhanov

https://youtu.be/xNOXFNL347c

7. HOTEL BY THE RIVER de Hong Sang-Soo

https://youtu.be/16BTvCgEA1Q

8. KAJILLIONAIRE de Miranda July

https://youtu.be/rm2EDkgoMps

9. KONGO de Hadrien La Vapeur & Corto Vaclav

https://youtu.be/vPkFpfCe3s8

10.ANTIGONE de Sophie Deraspe

https://youtu.be/n4RhiHtcArc

jeudi 10 décembre 2020

Woody


 Avec son blaze de chanteur de country et sa gueule à vous chercher des noises au fond des bistrots, Woody Harrelson mérite plus que sa réputation de bon gars et de comédien "costaud" - entendez par là qu'il sait, et a joué à peu près sur tous les rôles, des plus excessifs aux plus normaux -, et c'est vrai que de posséder une tronche comme la sienne, c'est plutôt bonnard quand on veut faire du cinéma. 

Un temps, on le voyait beaucoup sur les tee-shirts des rebelles de moins de 19 ans et demi, petites lunettes de soleil rondes sur le nez, le canon scié nonchalamment posé sur l'épaule, pataugeant dans les viscères des innombrables victimes qu'il dispersait manière puzzle en compagnie de Juliette Lewis dans le culte (même si plus trop, aujourd'hui) et très cocaïné TUEURS NES d'Oliver Stone, cinéaste énervé. Plus près de nous, il est aussi le shériff à la cool qui dégomme du mort-vivant dans la franchise marrante ZOMBIELAND ou mieux, l'acolyte "normal, mais burné" de Matthew McConaughey dans la première saison (encore culte, mais pour combien de temps ?) TRUE DETECTIVE.

Dans LARRY FLINT de ce diable de Milos Forman, il prouvait en un tour de main qu'il pouvait être à la fois assez excessif dans son genre, mais touchant, également, à vociférer des insanités en chaise roulante, une pin-up sur les genoux.

Souvenons-nous. Dans TRUE DETECTIVE, il incarne donc le détective Marty Hart, flic "normal" et très efficace avec femme, enfants, jolie maison et tout, dont la grande faiblesse est de ne pas savoir résister à l'appel du 5 à 7 crapuleux en compagnie de jeunes femmes splendides et délurées. Marty à qui on collait dans les pattes le détective Rusty Cohle, ex-flic infiltré chez les narcos, amoché de partout, mi-profiler, mi-shaman qui permettait à son interprète, ce cabot de McConaughey, de se fabriquer un nouveau style: mâchoires serrées, diction leeente en descente de came, et physique de coureur kenyan, avec l'accent du Texas.


Or, Matthew avait beau tout faire pour qu'on le remarque là-dedans - ce en quoi il réussit pleinement -, finalement, c'est peut-être la performance de Woody à laquelle on s'est le plus attaché, avec le temps: queutard impénitent qui passe son temps à se les remonter en crachant par terre puis, des années plus tard, flicard qui a pris du ventre mais se vante encore d'en avoir "une bonne paire", il offrait un contrepoint tout à fait normal aux excès innombrables que Pizzolato avait mis dans le personnage vraiment "too much" de Rusty Cohle.

C'est ça: Woody est un type normal. Qui sait jouer pleinement de cette ambivalence physique qu'il n'a certainement pas voulu au départ, mais avec laquelle il joue à merveille: une tête de beauf sur un type sensible. Beaucoup de gueule, mais une finesse de jeu planquée juste derrière qui est l'apanage des grands.


Vu pas plus tard qu'il n'y a pas longtemps LBJ de Rob Reiner, où il incarne un des présidents américains les plus mal aimés du monde, Lyndon Johnson et sa sale tronche, ses racines sudistes, son franc-parler de soudard et ce crime à jamais indélébile sur sa face de rat: avoir été celui qui a profité de l'assassinat de Kennedy pour monter sur le trône et, en même temps, coller un turbo au cul des troupes américaines au Viêtnam.

La mission pour Woody, avec l'aide de scénaristes habiles qui ont su aménager l'Histoire à leur sauce, c'est de nous rendre Lyndon sympathique. Car c'est LUI qui a fait promulguer la loi sur les droits civiques, chère au coeur des Kennedy. C'est LUI qui a refusé de décoller subitement de Dallas après l'assassinat car il voulait attendre Jackie, de retour des urgences dans sa jolie robe tâchée. C'est LUI qui a ordonné à ses sbires de laisser Jackie dans l'aile de la Maison Blanche aussi longtemps qu'elle le désirait. C'est LUI le seul président en exercice à ne pas avoir souhaité se représenter après un premier mandat (techniquement, un mandat et demi, puisque...).

Ah ! ces Américains... On attend avec impatience le biopic de Donald par Kathryn Bigelow. tiens, pour voir.. Toujours est-il que LBJ, qui s'est pris un bouillon à sa sortie reste un film intriguant: on regrettera le maquillage au latex de cette pauvre Jennifer Jason Leigh, madame Johnson qui, dans un rôle ingrat et quasiment muet, semble s'être échappée de la caravane de maquillage du DICK TRACY de Warren Beatty.

Quant à Woody, puisqu'on est ici pour lui aujourd'hui, il se la donne. Même avec un menton de rugbyman prognathe un peu exagéré, il est crédible en vieux briscard sournois qui, entre deux bonnes blagues graveleuses et trois citations de la Bible, roule son monde dans la farine et fait croire aux réacs comme aux progressistes qu'il est dans leur camp. De ses saillies que l'Histoire a bien du homologuer quelque part, on retiendra cette blague qu'il n'hésite pas à raconter au sénateur facho qu'il veut mettre dans sa poche: 

Un jour, Lincoln se réveille après une cuite qui a bien duré quatre jours et trois nuits et se met à gueuler: "J'AI ABOLI QUOI ????"


C'est dans ces grandes scènes de dialogues entre Johnson et le sénateur de Georgie Richard Russell que le film décolle très haut au-dessus du reste: Woody face à Richard Jenkins, pas n'importe qui non plus, avec un Rob Reiner qui, tout à coup, retrouve son sens du rythme et de la mise-en-scène. Reiner est un cinéaste de dialogues, et un fabuleux directeur d'acteurs et là, débarrassé du poids embarrassant de l'Histoire américaine wikipédiée pour les nuls, en s'imaginant une rencontre, un affrontement entre deux vieux "amis" politiques qui se connaissent par coeur, le film trouve sa raison d'être, et nous en dit beaucoup sur l'art difficile de la politique d'alcôves.

Pas un grand film, mais une juste récompense pour Harrelson qui n'incarnera jamais JFK, ni Obama, ni Clinton, mais un président à son image: pas beau, ni très sympathique, pas glamour du tout et encore moins branché, mais qui blouse son monde parce qu'il a l'air plus con que la moyenne.

LBJ passe en ce moment sur Paramount TV, chaîne de merde que vous avez peut-être sur votre box sans le savoir et qui ne passe JAMAIS de films en version originale sous-titrée.


Hasard du calendrier, SUNCHASER a été rediffusé sur Mubi. Le dernier film de Michael Cimino, mal vu, mal apprécié et, il faut le dire, en grande partie raté, demeure quand même un morceau d'Americana comme seul un grand pouvait en réaliser. Woody y campe un chirurgien cancérologue en pleine ascension sociale, décapotable, barraque avec piscine, épouse de concours et grand avenir devant lui qui se fait prendre un otage par un gamin de 16 ans en phase terminale, et emprisonné pour le meurtre de son beau-père.

Petite moustache de glandu et chemise-cravate, Woody est sensass en trou-du-cul normal pour qui la formule petit-déj dans un diner de bord de route en Arizona est aussi insane qu'une chanson de Willy Nelson sur la bande FM. Road-movie un peu trop téléphoné (le bobo et la petite frappe, à la fin gros bisous, tout ça), mélo saupoudré de spiritualité comanche enfumée, avec une apparition marrante d'Anne Bancroft en toubib bab en VW combi qui saura trouver les mots pour rassembler les chakras de tout le monde: son apparition a du inspirer celle d'Anjelica Huston dans le western allumé SERAPHIM FALLS, qui mettait fin à la bagarre absurde entre Pierce Brosnan et Liam Neeson.

Le film blesse la rétine toujours autant aux mêmes endroits: le final est dans son ensemble impardonnable, et indigne du réalisateur de DEER HUNTER même si, en un plan (le jeune "Blue" courant vers le lac et disparaissant à la surface), il réussit à rappeler toute la grandeur d'un style, grandiose et classique, qui est mort avec lui.

On a assez parlé de Cimino comme d'"une génération perdue à lui tout seul", et il est amusant de constater que de son acteur-fêtiche, Mickey Rourke (3 films sur 7 réalisés... bordel, seulement 7 !!!), on peut dire la même chose...


Revoir SUNCHASER est comme relire la dernière lettre d'un ami cher et disparu, qui n'avait plus tous ses moyens au moment de l'écrire. Pourtant, le film se tient, hormis le dernier quart d'heure, et on reste en arrêt devant certains plans incroyables: Harrelson résistant à la menace du flingue posé contre son oreille, pensant fort à son frère adoré mais disparu, l'oeil sur le drapeau américain pris dans son rétroviseur. Dans L'ANNEE DU DRAGON, Cimino nous offrait ce même plan sur un drapeau claquant au vent alors que Rourke vociférait des propos agressifs et racistes à un collègue. Plus Américain que ça, tu meurs... Ou encore l'apparition de cette jeune comanche à ray-bans, portrait-craché du cinéaste à la fin de sa vie.

Woody Harrelson débute SUNCHASER wasp à petites lunettes cerclées, il le finit des auréoles jaunes sous les bras, un verre cassé et hors-la-loi. Ailleurs, dans d'autres films, on ne sait plus dans quel sens il a fait ce même trajet, mais une chose est sûre est certaine: quand Woody commence une partition d'une manière frontale, aux limites du cliché, vous êtes sûr qu'il va à un moment donné retourné sa peau et vous montrer ce qu'il y a juste derrière.



mercredi 2 décembre 2020

Trois contes coquins pour confinements sur île déserte...


 Confinons-nous encore un peu. Mais pas avec n'importe qui, ni n'importe comment et pas n'importe où, surtout: sur une île perdue, au milieu de rien.

Demandez à Victor Hugo, Napoléon ou le capitaine Dreyfuss ce qu'ils en pensent: c'est pas tous les jours marrant. Les hasards de ma vie trépidante de spectateur compulsif m'ont entraîné ces dernières semaines à (re-)voir quelques films qui parlaient de ça, précisément. Avec pour commencer, - à tout seigneur, tout honneur - , le plus célèbre d'entre eux, ce bon vieux Robinson Crusoë.

J'avais totalement oublié que ce film, LES AVENTURES DE ROBINSON CRUSOE, vu deux ou trois fois dans mon enfance lors d'après-midis de vacances scolaires, était de Luis Bunuel lors de sa longue parenthèse mexicaine où il toucha à peu près à tous les styles, en toute décontraction. Et ce film d'aventure en technicolor qui tape dur (ah! le pantalon bleu de Dan O'Herlihy !), avec cette bonne vieille voix-off française des années 50 pompière qui est la madeleine de Proust d'un peu tout le monde, son générique et ses effets musicaux tin-tin-tin qui pourraient être ceux de films de pirates de Walsh ou d'Allan Dwan, ce pur film de divertissement qui n'a pas pris une ride, est bien du réalisateur du CHIEN ANDALOU !

 Bon sang, les quelques scènes avec les fameux anthropophages m'avaient terrorisé, et cela ne tient qu'en un plan vite balayé de débris humains à moitié enfouis dans le sable dont les quelques éclats écarlates (merci le Technicolor, encore une fois) suffisant pour suggérer une menace innommable avec une belle efficacité. Maintenant, lorsqu'on sait que c'est le grand Luis qui réalisa le film, on s'attache à traquer les éléments reconnaissables que ce grand anticlérical et concasseur de bourgeois, le compagnon en surréalisme de Dali auraient pu disséminer ici et là.

Il y a peut-être cette scène étrange, lorsque Robinson pris de fièvre délire, et voit apparaitre son père en compagnie d'un cochon qu'il douche et frotte à l'aide d'une cruche d'eau claire... Pour le reste, quelques éléments font sourire; lorsque la petite chatte qu'il a sauvé du naufrage donne naissance à des chatons sans le concours apparent d'un mâle quelconque, et frise la suspicion de parthénogénèse ou lorsque, bien sûr, ce bon Vendredi revient de fouiller dans les malles dans une jolie robe blanche. Si Dom Luis avait tourné cette adaptation dans les années 70, qu'aurait-il osé ? On rêve alors d'un Robinson incarné par Piccoli et d'un Vendredi tantôt Angela Molina, tantôt Alain Delon. Eh eh.


Le film est très fidèle à l'esprit du roman et, pour revenir à notre thématique du jour, s'occupe à gérer de manière fort matérielle les contingences en pure et due forme d'un confinement forcé à ciel ouvert. 20 ans sur une île déserte, putain... il fallait quand même un léger coup de pouce du destin. Ainsi, tous ce matériel, ces habits, ces armes et instruments récupérés sur le navire avant de sombrer, qui vont aider Robinson à se structurer. On l'avait oublié, mais au terme de cette aventure, il aura bâti un fort, planté du blé, fait son pain, appris la poterie et le macramé. 

Non, pas le macramé...

Autre coup de pouce scénaristique du destin, sans quoi le roman de Defoe n'aurait pas fait 100 pages, - et c'est un pavé -, la présence d'un chien, d'un chat, d'un sauvage tout paumé et terrorisé qui va devenir son compagnon... Toute une vie bien remplie, quoi. Beaucoup mieux que deux mois dans dans un F2 avec une bonne connexion internet, à mon avis.


Si ce bon vieux Daniel Defoe suggérait beaucoup de choses dans les rapports entre Crusoe et son sauvage, qui l'appelle "Maître", tant qu'à faire, il est un autre film qui va délibérément beaucoup plus loin dans l'exaltation des libidos, loin des yeux du monde, selon un phantasme digne du pire pitch du porno de base.


Elle et lui, seuls au monde. VERS UN DESTIN INSOLITE SUR LES FLOTS BLEUS DE L'ETE nous raconte le déchaînement sexuel extatique d'un couple de fortune "forcé" de vivre à deux sur une île au large de la Sicile. Lui, c'est un péquenot noiraud et tout hirsute qui grommelle à tout bout de champ. Elle, une comtesse poupée-barbie qui se la pète, n'arrête pas d'emmerder et d'insulter tout le monde, et ce saligaud de plouc Sicilien pas lavé en particulier.

Un jour que madame se lève tard sur son yacht (vers 17h) et s'aperçoit que ses amis sont partis sans elle faire une excursion, elle force le pauvre Gennarino à la conduire fissa les rejoindre. Panne moteur, fort courant, nuit au fond du canot et soleil de plomb, île déserte.

Le coup du lagon bleu viendra après. Car d'abord elle le méprise, il la déteste. Elle ne sait rien faire à part gueuler, il se débrouille pour se trouver un abri, pêcher du poisson, le cuisiner et surtout, l'envoie chier. C'est un film italien des années 70, donc fortement connoté politiquement, - ça n'est rien de le dire -, et c'est d'un coup comme si Marx et Engels se fracassaient sur les récifs de Wilhelm Reich et de la libération sexuelle.


Elle pense devoir "y passer" pour manger et veut se donner, d'un air dégoûté. Il l'envoie paître, la traite de putain, mais lui donne à manger quand même. Mais elle devra "faire sa part". A savoir: le ménage.

Lui chasseur-cueilleur, elle garder la cabane propre. Et là quelque chose advient que tous les idéaux progressistes et féministes accueilleront avec les haut-cris qu'il convient: bon sang mais c'est bien sûr, c'est dans le plus pur dénuement que la femme et l'homme, hors de tout carcan social et culturel, trouveront naturellement leur place (pour une bonne gestion du foyer), et la passion naturelle dans leur coeur. Elle se donne alors à lui de toute son âme, il la prend avec joie, c'est un déchaînement comme tout un chacun en rêve, ils sont insatiables, jusqu'à ce qu'elle lui demande, dans un abandon amoureux haletant, de la sodomiser.

De quoi, répond-il, lui qui connait la pratique mais pas du tout le verbe ? Tu peux pas dire "enculer" comme tout le monde ? 


Et pourquoi ce film est passé comme une lettre à la poste ? Parce que le film est signé Lina Wertmüller, femme de théâtre et de cinéma, grande figure intellectuelle en Italie, et que personne ne pouvait lui coller un procès là-dessus. En s'amusant à raconter les ébats d'un prolo un peu rustre avec une belle aristo réactionnaire, elle payait son tribut au tout-pour-le-cul de l'époque, avec beaucoup d'ironie, car les deux amants sont repêchés, hélas, et la parenthèse s'achève là. En fait, ça n'était pas le sujet.

Ils se sont jurés de rester ensemble une fois sur le continent, mais finalement, être riche c'est mieux: elle s'envole en compagnie de son époux, foulard hermès et tout, en hélicoptère, vers son palais. Lui retrouvera sa femme qui l'attend de pied ferme, avec sa marmaille qui piaille dans son deux pièces insalubre. 

Retour à la normale. Attention, donc, aux confinements de rêve, à la sortie cela peut être pire qu'une méchante descente de coke. Le film est méchamment drôle et drôlement sexy, et vous pouvez toujours aller le voir sur arte.tv...


Un cran au-dessus, encore, sur l'échelle du rêve érotomane idéal, vous avez le confinement façon Nelly Kaplan avec son dernier film réalisé en 1991, PLAISIR D'AMOUR. Comme tous ses autres films à l'exception du fameux LA FIANCEE DU PIRATE, la cinéaste n'a que très rarement touché le grand public, même avec ce film-là qui, malgré du beau monde au générique, prit un sévère bouillon à sa sortie.

Ile au milieu du Pacifique cette fois, et pas tout à fait déserte puisque habitée par une gynécée de trois femmes, la fille, la mère, la grand-mère, qui ont posté une annonce à laquelle Guillaume de Burlador a répondu: être le précepteur de la jeune Flo, 13 ans, qui s'est un peu égarée en Europe avec un vieil oncle, mais qui va bientôt rentrer.

En attendant, Guillaume qui est un peu écrivain, un brin poète et très séducteur (Burlador est le nom du premier Dom Juan) s'amuse avec la jeune Jo, qui se pique de littérature elle aussi, avec l'exigeante Clo, femme de tête qui diligente la maison avec beaucoup de poigne et Do, la plus âgée de cette gynécée toujours vêtue de robes du soir ou de déshabillés troublants, quand Clo ne s'habille pas en garagiste, ce qui la rend plus désirable encore.


C'est un peu comme si Kafka avait repris un conte érotique de Pierre Louys, comme si tout à coup tous les héroïnes des romans de Somerset Maugham se mettaient à coucher à tour de bras. En bon obsédé pour qui la chose est tout, ce bon Guillaume les aimera toutes, l'une après l'autre, chacune sur son créneau horaire, parfois à l'improviste, tenant un carnet où il comptabilise soigneusement ses coups jour après jour, un peu boosté sans qu'il le sache par des cachets faits maison qu'un serviteur diligent glisse dans ses bouteilles de vin. Quelle santé !

Sans qu'il sache non plus que chacune sait ce qu'il farfouille avec les deux autres. Sans qu'il comprenne tout de suite que ce sont elles qui décident quand et comment. Sans qu'il pige que la petite Flo, dont la lecture du journal intime l'affole (une Justine de 13 ans, mon dieu cela est-il possible ?), est une invention des trois femmes qui ne débarquera jamais sur cette île et qu'il n'est pas là pour instruire les jeunes filles, mais pour servir de sex-toy.

On devine un peu pourquoi le film n'attira pas grand monde: on ne rigole pas avec les mâles dominants. Et pourtant si, elles s'amusent comme des folles, surtout que celui-là a de la distinction et tient la distance. Sinon, les mâles du coin sont là pour le décorum: un vieux médecin de famille qui se plaît à avouer que maintenant il ne peut plus mais que jadis, il avait de splendides érections (peut-être est-ce le seul de leurs "serviteurs" qui soit resté sur l'île après son remplacement), un domestique un peu robotique, un jardinier-cuisinier-sculpteur un peu timbré (c'est Heinz Bennent, le mari de Deneuve planqué dans sa loge de théâtre dans LE DERNIER METRO), et un gros connard d'avocat qui lorgne sur le domaine et pisse dans l'évier sans se laver les mains après.

Guillaume de Burlador, qui tombe amoureux fou de celle qui n'est pas là et qui n'existe même pas, partira fou de rage, amer, lessivé, mais convaincu de retrouver cette chimère un jour. C'est beau un homme qui aime, mais qu'est-ce-que ça peut être con, des fois. Partir à la poursuite d'une ombre et abandonner Cécile Sanz de Alba, Dominique Blanc et Françoise Fabian alors qu'elles étaient très contentes de vous, mais enfin, Pierre Arditi, c'est complètement idiot...


Moralité: dans ce cas de figure, si vous entendez parler d'un déconfinement, faites celui qui n'a rien entendu, faites-vous beau, retapez un peu le plumard, et attendez de voir qui viendra frotter à votre porte. 

Vive le confinement.

(le film se regarde sur le site MK2-Curiosity, ailleurs peut-être, c'est une vraie curiosité, en avance sur son époque, qu'il faut voir malgré ses excès de kitsch très volontaires...)


lundi 30 novembre 2020

Qui a déjà vu un kuna ?

 






GOING MY HOME date de 2012, et était restée inédite chez nous. Mini-série en 5 épisodes (découpés en 10 pour l'occasion), quelques années avant que Kore-Eda n'obtienne la Palme pour son magnifique UNE AFFAIRE DE FAMILLE, le réalisateur avait déjà signé, faut-il le rappeler, une poignée de chefs-d'oeuvre qui l'avaient déjà installé tout en haut. En découvrant huit ans plus tard GOING MY HOME, que la chaîne de streaming "cinéphile pointu" Mubi dans un accès de fièvre sans doute, a mis en ligne ces dernières semaines, histoire de souligner que, elle aussi, elle pouvait s'offrir les droits de ce type de format, on s'est demandé comment diable c'était donc possible qu'un cinéaste d'un tel calibre aille se défouler dans la petite lucarne.

"Petite lucarne": une expression qui ne voudra bientôt plus rien dire.

GOING MY HOME est le seul exemple, à ma connaissance, d'une série contemporaine produite, écrite et réalisée d'un bout à l'autre par un grand cinéaste de cinéma avec Nicholas Winding Refn (TOO OLD TO DIE YOUNG, pas vu) et cet épouvantail de David Lynch (TWIN PEAKS). A savourer cette dizaine de vignettes réalisée avec les moyens du bord, comme souvent au Japon, on se dit qu'effectivement il s'agit là encore non pas d'une oeuvre de commande, voire alimentaire, mais de l'objet de désir d'un créateur qui se sentait pour le coup un peu à l'étroit sous la barre des 3 heures de projection.

La série est du pur Kore-eda: sous la chappe de mièvrerie et de mélo familial de rigueur, on trouve les grands thèmes de son cinéma, saupoudrés aux cadres coins du cadre par une tendresse, une bienveillance, une fantaisie et un humour qui en font bien plus que le cinéaste plan-plan que beaucoup ont aperçu à ses débuts.

GOING MY HOME nous raconte une histoire toute bête: celle de Ryota et Sae, mari et femme et parents de la petite Asai. Une petite fille espiègle qui s'invente un ami imaginaire dans son quotidien histoire de tester la perspicacité des adultes, sa maman cheffe de cuisine qui travaille d'exquis petits plats pour une émission télé à succès, un papa aux airs de grand dadais qui fabrique des spots publicitaires idiots qui font un carton. Quand le père de Ryota fait une sévère attaque, il se rend en compagnie de sa fille dans la province de Nagano où il a été hospitalisé, et part à la rencontre d'habitants d'un village qui semblent mieux connaitre son vieux père que lui, une jeune femme qui pourrait être sa demie-soeur, ainsi qu'un vieux dentiste qui s'y connait... en kunas.


Ces kunas, on y reviendra plus tard. Il faut s'attarder surtout sur la forme pleine et limpide que prend en à peine cinq minutes les rapports entre une femme et son homme, entre eux et leur fille, et le reste au fil des séquences. Kore-eda est le grand cinéaste des rapports familiaux, qu'il soient d'entière plénitude comme ici ou incroyablement compliqués comme dans UN AIR DE FAMILLE, TEL PERE, TEL FILS ou NOBODY KNOWS. On pourrait également parler longtemps de sa science dans la direction des acteurs, la petite Aoi Tatsumi qui incarne Asai est miraculeuse.

"Miracle": ce qu'on s'acharne à apercevoir dans chaque film, au détour du moindre plan.

GOING MY HOME est traversé de quantités de petits miracles. Pour les grands miracles, demandez à Christopher Nolan, Peter Jackson ou aux ingénieurs d'ILM. Kore-eda s'y connait moins en effets spéciaux qu'en magie, et c'est là que le geste du grand cinéaste entre en ligne de compte.

C'est, par exemple, lorsque Ryota, rectifiant la pose incorrecte de son père allongé dans son cercueil, lui touche la joue et retrouve cette sensation de pilosité qu'il avait oublié alors qu'y était liée un bonheur enfantin quasi occulté. Souvenir enfoui 8 épisodes plus tôt, qui rappelle au spectateur, et à Ryota lui-même, un drôle de mouvement effectué lors d'un sommeil agité, geste intimement lié à cet instant de bonheur père-fils: Ryota enfant imitant le corps tendu et penché d'un champion de saut à ski alors que son père le tenait fermement par les jambes.

Une séquence pareille s'invente, sans doute, mais il faut pouvoir la filmer, la ramener dans le champ intime et en faire ce genre d'instant qui laisse son spectateur sans voix.

Tout comme il faut savoir faire ressentir ce sentiment de perte intime liée à la mort d'un père, il faut savoir écrire des personnages. A ce titre, celui de Ryota (Hiroshi Abe, génial) est à décrire avec délice. Perche d'1m90 toujours dans les nuages, dont ses femmes se moquent gentiment sans que jamais il ne se fâche, objet de quolibets de la part de ses collègues qui voudraient bien sa place et le trouvent "trop mou" ou simplement "has-been" (et pourtant, c'est lui qui réussit les campagnes de pub les plus rentables malgré leurs côtés ultra-ringards assumés), ce doux géant comme installé au milieu d'une foule de petits hobbits moqueurs (les kunas encore, mais j'y reviendrai...), Ryota est celui qui, sans forcer, fait perdre ses moyens à sa peste de petite soeur parce que, justement, elle n'arrive pas à l'énerver.

Comme souvent chez Kore-eda, les femmes portent la culotte et les hommes, même s'ils grondent souvent, ne sont jamais bien méchants. Ce qui les sauvent, c'est qu'ils sont dans la lune ou, comme Ryota, passent du temps à regarder les kunas qui gigotent sous son lit, et à tenir avec eux des discussions dignes du Candide de Voltaire. Sae, son épouse, le sait bien, elle qui en masterchief de tous les instants, dirige son clan comme ses ingrédients en cuisine, toujours aux fourneaux que ce soit pour son émission de télé, son mari, sa fille, les funérailles de son beau-père, ou pour réchauffer son  homme qui s'était bêtement enfermé sur le balcon, en pyjama, un soir de grand froid.

Soulignons aussi que, jamais autant qu'ici, une caméra nous aura fait salivé sur les subtilités de la gastronomie japonaise.

Et les kunas, alors ? Pour avoir un peu cherché, je crois pouvoir affirmer que ce bon peuple n'existe pas. Etymologiquement parlant, il pourrait s'agir d'une sorte de mix rigolo entre une tribu amazonienne pas encore répertoriée par les offices de déforestation brésiliennes, et la "kunée", casque de certaines déités grecques qui leur octroyaient le pouvoir d'invisibilité.


Ici, ce casque s'est transformé en chapeau pointu rouge qui leur sert à ne pas se faire tuer par la chute des glands. Car ils sont vraiment très petits. Ne possèdent aucun pouvoir notable, si ce n'est de vivre et mourir en état d'alerte permanente, et de se cacher là où ils peuvent. Est-ce-que les kunas sont enterrés sous les violettes dans les sous-bois, demande, inquiet,  Ryota à sa femme ?

Non, il ne faut le voir pour y croire, mais plutôt y croire pour le voir. De ces divinités cajoleuses et inoffensives, les personnages de Kore-eda ne tirent qu'une morale, la seule qui tienne la route. Au détour de dialogues drôles et piquants, on s'apercevra que le cinéaste, comme les personnages, se moquent de toute spiritualité religieuse, tout comme ils s'accommodent de la réalité matérielle de la mort. Rigor mortis et mâchoire du défunt qui ne tient pas, des os que la crémation n'ont pas réduit à l'état de cendre et qu'on jette à la poubelle, et le tonton saoul qui, après la cérémonie, ronfle dans le salon: il a fait peur à tout le monde, car il a le même ronflement que son frère qui vient de mourir.


Et les kunas, alors ? Papa a failli mourir de froid sur le balcon, maman bouquine une revue de cuisine dans son lit, et la petite Asai vient de finir de lire "Bilbo". Elle vient dire à sa mère que "Frodon est parti", et lorsque celle-ci lui demande si cela la rend triste, craignant sans doute un méchant rappel de chagrin ou autre chose,  Asai répond simplement que non. 

Elle tient dans ses bras une peluche de grand lapin qui pourrait bien être celui qui a emmené une certaine Alice dans un autre pays de l'ailleurs... Rien n'est donc perdu.

Si les kunas vous font peur, et que vous tremblez à l'idée de partir à la rencontre de créatures qui, si ça se trouve, n'existent pas du tout, sachez que Kore-eda sait aussi faire peur en employant une chanson de générique qui ferait passer celle PONYO SUR LE FALAISE pour un du grunge alternatif. 


Vous me remercierez plus tard, c'est cadeau.

https://youtu.be/twgWWaUwYZg

(et si vous avez envie de garder votre abonnement Neuneuflix ou Amazon plutôt que de signer avec Mubi pour voir des films de Bertrand Mandico, Jonas Mekas et Hou Hsiao-Hsien, sachez que le coffret dvd existe. Allez, bisous.)

samedi 14 novembre 2020

Des fantômes dans la machine.

 


Il en est des films de Kiyoshi Kurosawa comme de la fameuse boîte de chocolats de Forrest Gump: on ne sait jamais trop sur quelle saveur on va tomber. Mais on sait que ça ne nous laissera jamais indifférent. Raté lors de sa sortie en salles en 2016, froidement accueilli par une critique qui n'a jamais bien su sur quel pied danser devant le cinéma de ce grand bizarre, le projet de son unique film "européen" -jusqu'à présent - tire pourtant le fil cohérent d'une filmographie déjà riche en projets du même style.

Cohérent d'abord vis à vis de sa "localisation géographique": cet hommage à Niepce et Daguerre et aux premiers émerveillements ressentis devant ces apparitions soudaines de parfaite reproduction du réel trouve bien son origine là, comme pour les premiers films de Lumière et Méliès, offrant à cet orfèvre du film d'apparitions un terrain d'expression idéal. Que Kurosawa ait tourné ce film en France ne tient donc pas d'un caprice: un tel film de fantômes, puisque c'est de cela qu'il s'agit, ne pouvait se tenir que dans un cadre déjà occupé par Gaston Leroux, Maurice Leblanc, Maurice Renard ou Jean Ray, ces grands amateurs de manoirs oubliés et de dames blanches. Les fantômes asiatiques sont beaucoup trop décoiffés et turbulents pour occuper la place d'apparitions autrement plus élégantes et diaphanes.

Cohérent aussi, donc, parce que Kurosawa est le plus grand pourvoyeur de fantômes du cinéma contemporain, et qu'il lui manquait ce genre-là.


Jean, garçon timide et disponible, est embauché par Stéphane pour être son assistant. Stéphane a laissé tomber une très lucrative carrière de photographe de mode pour accorder presque tout son temps, depuis la mort de sa femme, à une drôle de passion: produire des daguerréotypes grandeur nature avec pour seule modèle sa propre fille, qu'il prend dans des poses élégantes, robes anciennes et postures élégantes, comme au XIX° siècle.

Il faut voir comment Kurosawa marque un territoire qui lui est propre, le fantastique au coeur du trivial, le merveilleux dans le plus parfait ordinaire, à partir de rien: d'une friche semi-industrielle où poussent des lotissements en chantier émerge la silhouette désuète d'une maison de maître qui n'a rien à faire là (et pour cause, des promoteurs la veulent pour construire autre chose par-dessus, comme on chercherait à peindre un immeuble sur l'image d'un vieux manoir). ce petit détail anodin sur lequel il faut s'attarder avec gourmandise: lorsque Jean sonne au portail, une voix surgit d'un hygiaphone, quelqu'un déclenche une ouverture à distance, mais juste derrière se trouve un autre portail, d'origine celui-là, qui ne ferme pas et grince un peu. Manière souveraine de marquer la frontière entre deux mondes, entre deux temps.

Derrière ce portail se trouve l'attirail attendu de ce quasi-conte gothique: l'artiste un peu zorglub, et dépositaire d'un savoir qui s'est perdu dans les limbes de l'argentique, sans doute un peu fou mais aussi inconsolable de son deuil, des portes qui s'ouvrent toutes seules, des silhouettes de femmes errant dans les couloirs en toilettes anciennes, et un laboratoire de fioles et d'instruments rares qui donne des airs de steampunk discret à ce pavillon de banlieue décati, sans forcer.

Les fantômes sont des entités patientes, contrairement à certains ectoplasmes énervés de quelques uns de ses films précédents (on se rappellera non sans frémir de la femme en rouge de RETRIBUTION, schizophrène énervée revenue, un cauchemar de poltergeist sans précédent), et Kurosawa l'est tout autant. C'est peu dire qu'il perdra en route la plupart des habitués des séries fais-moi-bouh! de Netflix: ses pas de côtés sont pourtant des offrandes faites aux adeptes de gourmandises scénaristiques: une intrigue immobilière ici, un artiste fou là, une possible histoire d'amour, des plantes dans une serre, empoisonnées par les produits usés du laboratoire de développement, une folle course en voiture vers un hôpital qui s'achèvera par la plus incroyable des disparitions filmées depuis des lustres, une séance de photo morbide avec un bébé mort, ou le regard intriguant de la comédienne Constance Rousseau, comme retourné sur lui-même.


On peut toujours faire son difficile devant telle ou telle extravagance: l'apparition de l'épouse défunte et chérie dans une scène à la fois en suspension et étrangement dépourvue d'émotion;  le caractère incernable de Stéphane, l'artiste maudit, dont on ne saura jamais s'il a vraiment bien compris ce que ces formidables machines fabriquaient malgré, - ou grâce à lui -, s'il est bien cet autre Frankenstein de la plaque argentique, ou la victime involontaire de sa propre trouvaille.

Quoi qu'il en soit, il faut regarder les toutes dernières minutes du film pour comprendre à quel point l'art de la mise-en-scène du réalisateur de CURE est indépassable. Avec rien, un comédien et des cadres anodins (l'intérieur d'une voiture, d'une petite église de campagne, de champs à perte de vue), il nous offre un final follement romantique, désespérément fou, sans conteste un des plus fantastiques d'une filmo pourtant longue comme le bras. Aidé par un comédien dont on redécouvre ici le talent d'écorché vif, l'excellentissime Tahar Rahim dont le jeu prend ici littéralement à la gorge.

mardi 10 novembre 2020

Au cul des nonnes.



Privé de subventions, fauché, menacé d'extinction par un régime qui ne veut pas de lui, le nouveau cinéma brésilien est une des scènes les plus actives, et des plus iconoclastes du panorama cinématographique mondial actuel. C'est ce dont rend compte depuis plusieurs mois la chaîne de cinéma en ligne Mubi, via une programmation qui donne la part belle aux documentaires comme à la fiction, aux longs comme aux courts métrages.

Ainsi, on a pu voir la merveille d'Ana Vaz APIYEMIYEKI ?, film de collages et de surimpressions, qui traite de la construction d'une route nationale à travers la forêt amazonienne, à l'origine de l'assassinat de membres de tribus indiennes. Ainsi le documentaire THE TRIAL sur le procès en destitution de la présidente Dilma Roussef, LANDLESS de Camila Freitas sur l'appropriation de terres agricoles inexploitées par des sans-abris regroupés en ZAD pacifiques (occupations jugées "illégales" par l'Etat brésilien, qui a ouvert la voie à des lois iniques qui autorisent à présent les riches propriétaires à faire usage de leurs armes contre ces nouveaux paysans), ou le poignant LET IT BURN de Maira Buhler sur le quotidien d'un centre pour toxicomanes sans-abris de Sao Paulo, avant sa fermeture par le nouveau maire.

Mais aussi des fictions, pas toujours heureuses dans leurs formes mais qui, toutes, cherchent à capter la douceur comme la chaleur incandescente d'un pays partagé entre ferveur catholique et une culture du partage et de la fête. 


Le film de Tavinho Teixeira SOL ALEGRIA, lui, fait l'effet d'un objet filmique sauvage et carnavalesque qui bat le rappel de figures importantes des années 70, à mi-chemin entre le cinéma politique radicale de Pasolini et les excès surréalistes de Jodorowsky. Ce serait se montrer prophète à la petite semaine que de prédire que ce film ne sera pas en bonne place dans la vidéothèque de Bolsonaro, - pour peu qu'il en ait une -, tellement le film s'avance au pas de charge dans le champ de la plus pure provocation et de l'anarchisme le plus radical.

Longtemps qu'on n'avait pas vu des nonnes aussi heureuses se rouler dans la paille (certaines de ces nonnes sont des hommes, d'ailleurs, et ne portent parfois que leur collerette), longtemps qu'on n'avait pas convoqué le Marquis de Sade et Georges Bataille dans un couvent (de l'usage d'une machine à pénétration et de sa propre vérité intime à aller chercher au fond de son cul), ou fait caca sur le pare-brise d'une voiture de flics. Le tout dans la joie, le bonheur, et le plaisir absolu de se tripoter, de s'habiller et de s'aimer comme on veut.


Derrière le versant plutôt solaire de cette fiesta endiablée, Tavinho Teixeira qui n'est pas seulement un artiste provocateur et décalé, se profile la face plus noire d'un certain retour à la réalité lorsque ce noyau familial orthodoxe sur le papier (papa, maman, fifille, fiston), de trublion échangiste, diva un peu goudou, jeune vierge délurée et petit pédé péroxydé de backroom deviennent: chef de famille qui fait bosser toute sa smala dans un cirque, femme docile, petite fille frustrée et pas contente, et brave garçon obéissant. Toujours sous des airs cotillons et paillettes (le Brésil se doit par-dessus tout de garder ses apprêts de Carnaval), les cris d'extase ont laissé place à des sourires forcés pleins de dents blanches, et la poésie comme l'art, quant à eux (ces inutiles) aux slogans idiots, et préfabriqués de vulgaires émissions de shows télévisés.

SOL ALEGRIA est franchement drôle lorsqu'il imagine ce monde rêvé dans lequel des religieuses et religieux un peu queer se font complice de l'assassinat de leur nouveau dirigeant (ce sont les premières scènes, à valeur d'exhutoire, qui feront sourires tous les antifa du monde) sans que pour autant, - et c'est quand même un tour de force notable -, ne soit remis en doute un certain respect de la foi religieuse que le cinéaste rhabille, et déshabille, pour le long hiver à venir. 


Il l'est beaucoup moins dans sa dernière partie, et comme Tavinho Teixeira semble être un auteur très moral (immoral diront d'autres), partageons ici ce qu'il semble vouloir dire: ne croyez aux strasses et paillettes de ses guignols souriants, la vraie joie est dans l'anarchie de nos culs tendrement partagés.

Amen.

lundi 26 octobre 2020

Il en reste, je vous en remets un peu ?...

 


Franchise zombie dynamique et rigolote comme tout, les films de Sang-ho yeon proviennent, si j'ai bien tout compris, d'une série d'anime particulièrement bourrin, et aux maints dérivés, qui se décline également en jeux vidéo et tout le tralala. Rappelons que si son musculeux DERNIER TRAIN POUR BUSAN n'inventait pas la poudre, il avait le mérite de prolonger dans la joie et la bonne humeur, dans le carnage et l'hyper-violence, une des matrices les plus fondamentales du film d'horreur contemporain: le zombie.

Personne n'a rien inventé depuis les trois chefs-d'oeuvre originels de papy Romero, mais chacun s'est bien employé, depuis la fin des années 60, à nous concocter des variantes marrantes, plus ou moins cohérentes, jusqu'à tirer un peu trop sur l'élastique (combien de saisons en trop en ce qui concerne WALKING DEAD ?). Et puis, las, on s'est contenté d'y mettre un peu de vitesse (les zombies qui galopent est une trouvaille de Zach Snyder, dans son virulent ARMEE DES MORTS), et toujours plus de gore.

Facile quand on est habile en imagerie 3D et en trucages visuels en tous genres, c'est pourquoi il ne faut plus trop attendre de plus que cela: une surenchère toujours plus speed en terme de violence, de rebondissements scénaristiques à n'en plus pouvoir. Bref, le genre ne peut plus se mouvoir que dans l'auto-référencé, et il n'est plus de très grands efforts à produire pour trouver à ces fables de carnage et d'annihilation de notre humanité des échos politiques presque dérisoires.

Prétexte de polar: une bande de quatre kamikazes est dépêchée par la mafia de Hong-Kong en territoire sinistré (toute la Corée du Sud, en fait) pour aller récupérer des sacs de dollars restés bloqués dans les rues de Séoul dans un camion-fourgon. Et bien évidemment, ça grouille de mort-vivants décharnés là-dedans (très sensibles au bruit et à la lumière et plutôt calmes de jour) et d'une milice d'anciens militaires rendus tarés par leur autarcie forcée. 


Vous avez donc dans ce PENINSULA un motif de base pompée sur le fameux NEW YORK 1997 de Carpenter (aller récupérer tout seul un machin important en ne comptant que sur vous-mêmes, en mode contre-la-montre), des militaires qui ont pété les plombs (dans LE JOUR DES MORT-VIVANTS, troisième et meilleur film de la série de Romero, selon moi, les bidasses y étaient décrits avec autrement plus de subtilité et d'aigreur), miliciens tarés qui s'amusent à choper quelques survivants pour des jeux de cirque dégoûtant dans une arène improvisée dans un ancien hypermarché (Carpenter, toujours, et un zeste de ZOMBIE).

Au-delà des effets numériques assez saoulants (les mêmes qui rendaient les grandes scènes de WORLD WAR Z insipides), des effets crados du plus bel effet et des retournements de situation relativement attendus, au-delà de ces ralentis innommables qui ponctuent chaque échange de regard dans les scènes finales (mourra-ti, mourra-ti pas, y retournera-ti, y-retournera-ti-pas) avec chantage émotionnel sur le dos des petits enfants à la clé (mais que c'est émouvant quand ça chiale, un gosse), au-delà de toutes les bassesses du scénario et de l'éculé des situations, on retiendra quand même, outre sa redoutable efficacité, de savoureux moments où les deux gamines de l'histoire (8 et 13 ans, à peu près), font la loi dans leur quartier à grands coups de pilotage de 4x4 et de petites tutures télécommandées avec petites lumières qui clignotent pour écrabouiller tous ces zombies cradingues. Cette intrusion de petites geeks rigolardes de leur canapé à l'intérieur de l'action du jeu-vidéo lui-même, auquel elles seraient en train de jouer, est plutôt savoureuse.


On oubliait aussi de citer la petite touche MAD MAX que prend la très solide course-poursuite entre bons et méchants à bord de voitures-poubelles customisées à mort, bref: du bien joli spectacle, même si tout à fait idiot.

Un petit mot pour signaler que Hae-hyo Kwon, un des acteurs-fêtiche de Hong Sang-soo, participe à ce grand carnaval saignant (il joue le papy-gâteau un brin gaga) et que c''est aussi étrange de l'apercevoir là-dedans que de voir Maria Casarès dans MASSACRE A LA TRONCONNEUSE. Comme c'est rigolo.

dimanche 25 octobre 2020

C'est la lutte finale, sale con.

 


Soyons direct. C'est l'histoire d'un mec, jeune blanc-bec qui vient d'hériter du business de famille, qui se rend pour la première fois sur les lieux. Nous voilà sur ce qui semble être un quai de déchargement, dans une zone portuaire, et tout de suite un de ses employés le met en garde: attention, ne pas franchir cette ligne (sommairement peinte au sol). Nous sommes chez Kiyoshi Kurosawa, alors gaffe: à l'intérieur de son cinéma, il peut tout arriver. Attaque de zombies, transformation d'êtres humains en tâches noires sur les murs, crash d'un boeing dans votre living-room, disparation d'un fantôme vindicatif en robe rouge dans une bassine remplie de flotte; dans l'un de ses chefs-d'oeuvre, CURE, il vous collait les foies à chaque fois qu'un briquet s'allumait.

Il y a quoi, derrière cette ligne ? Un truc, c'est sûr, qu'il ne faut pas aller voir. Alors pourquoi ses employés ont le droit d'y traîner, et pas lui? C'est lui le patron, oui ou merde ? Le jeune freluquet, incarné par une sorte de star k-pop pour adolescente japonaise, comme Kurosawa adore en employer dans ses films, a un flash subit pour une jeune femme qui travaille sur les docks: tenue de travail, casque sur la tête, gants de chantier mais rien à faire: un sacré bout de jolie fille. Il possède déjà l'entreprise, il aura la femme.


L'invitant poliment à venir le rejoindre dans ses appartements, la jeune femme lui retourne une fin de non-recevoir non moins polie, mais ferme. Quand il s'aventure à lui effleurer l'épaule, elle l'envoie dinguer trois mètres en arrière. N'écoutant que son courage, et se croyant sûrement très intelligent, notre héros lui barbote sous son nez sa carte de pointage et l'aventure commence, sur le mode: si tu la veux, tu n'as qu'à venir la chercher. Un peu mon neveu qu'elle la veut, et elle va aller la chercher.

Le reste, c'est simple: notre Barbie furieuse s'empoigne avec un vigile à matraque et l'étale. Puis avec un garde du corps très yakuza d'allure, et ils s'en mettent une bonne tartine sur la tronche. Puis un deuxième vigile, et encore un homme de main. On notera que par deux fois, à l'intérieur de ce joli bâtiment avec ses beaux open-spaces et ces costards-cravatés, des freluquets aventureux voudront l'assommer par derrière (avec un vase, avec une carafe) avant de se retrouver dans les vapes, les quatre fers en l'air.

En fouinant pour savoir qui était cette amazone du free-fight, on tombe sur la fiche d'une certaine Mao Mita, profil de pin-up L'Oréal mais avec uniquement des films de sabre et de combat à son palmarès: Kiyoshi a trouvé une cascadeuse de première main, et c'est magnifique. Plus crédible que la doublure de Charlize Théron ou d'Angelina Jolie agrémentée d'images de synthèse, Mao Mita fait tout le travail elle-même. Pas besoin de coup de main, elle en fait son affaire.

A la fin, le patron-minet continue à vouloir faire son malin (il a la carte de pointage, il aura la femme), et se fait éteindre la lumière d'un joli coup de pied retourné en pleine face. et puis c'est tout.


29 minutes après, le film est terminé. On redoute un licenciement immédiat pour la revêche Mao, au moins une lettre d'avertissement, une convocation en conseil de discipline, et on ne voudrait pas être celui qui lui apportera la lettre en main propre. En ce qui me concerne, une demande en mariage s'impose (à demander poliment).

Réalisé sur le pouce en 2013 entre son génialissime SHOKUZAI et le très étrange REAL, ce BEAUTIFUL NEW BAY AREA tourné à l'élastique dans un entrepôt désaffecté et les bureaux anonymes d'un quelconque immeuble d'affaires, témoigne au moins de trois choses.

Que Kurosawa, 45 ans de carrière et 50 films à son actif, est un cinéaste aguerri à tous les genres, à tous les systèmes de production, à tous les formats (de la série-fleuve au court-métrage).

Qu'à partir de rien, de quelques acteurs aux capacités spécifiques et d'un motif tout simple, il sait décupler une idée toute bête par la seule puissance d'une mise-en-scène extravagante, et hyper-efficace.

Que faire sa fête, en moins d'une demie-heure, au machisme institutionnel comme à l'abus de pouvoir des patrons arrogants, #metoo et l'Internationale en un tout-en-un détonnant, et en un mini- film de kung-fu, il n'y a que lui capable de ça. 




n.b.: et euh... désolé, mais ça ne se trouve que sur Mubi c't'affaire, à ma connaissance...