samedi 28 mai 2022

Hit the road, in the car again.



Hit the road de Panah Panahi, fils de Jafar, qui se colle pour son premier film à un exercice propre au cinéma iranien: le film en voiture. Filmé de loin le long de routes en lacets (Kiarostami), filmé de l'intérieur avec caméras braquées sur les voyageurs (Kiarostami, Panahi) ou les deux en même temps, voilà une figure qui mériterait une analyse approfondie, si elle n'existe déjà.

Une dame très énervée à la sortie de la salle m'a demandé: "Mais vous y avez compris quelque chose, vous ? Vous avez compris pourquoi le jeune homme s'enfuit ? Et il va où ?"

Certes, le film repose tout entier sur des petits secrets et des non-dits qui pèsent un peu sur ce film à la mise en scène élégante mais il y a une raison: aux côtés de maman poule, de papa ronchon avec sa jambe dans le plâtre et du grand qui conduit en broyant du noir se trouve le petit frère qui n'arrête jamais (de faire des blagues, de poser des questions, de crier, de brailler, de dire des bêtises). Dans le rôle, le pétillant Rayan Sarlak envoie du bois, des décibels et beaucoup de fraîcheur. Et au petit, il ne faut pas tout dire.

Hit the road
cumule deux mélos en un: non seulement il faut lui taire la raison de ce raid impromptu, mais ne pas lui dire non plus que son adorable petit chien n'en a plus pour longtemps.
Disons qu'au contraire de cette spectatrice dont j'ai bien senti, et volontiers compris la frustration pour la partager un peu, j'ai fini par saisir les manières de faire du cinéaste qui, comme bon nombre de ses collègues, ne doit pas tout dire ni tout montrer (grands mystères que ces portables qui doivent disparaitre, ces hommes masqués qui déboulent de la montagne en moto, cette attente en compagnie d'autres familles dans ce campement improvisé). C'est comme ça en Iran, madame: il ne faut rien dire car le gosse ira tout répéter et tout le monde se retrouvera en prison.


On comprend mieux pourquoi tout le monde semble ravi du bagout infernal du pétillant marmot: tant qu'il aura le droit de dire tout ce qui lui passe par la tête, laissons-le blablater à foison. Il aura tout le temps de se la mettre en veilleuse.

jeudi 26 mai 2022

Nitram, mass-murderer mondialisé.

 


Le dénommé Martin Bryant assassina plus de 30 personnes en 1996 pour ce qui reste un des pires "mass-murder" commis sur le sol australien. On dit que le massacre de Port Arthur en Tasmanie enclencha donc aussitôt une révision des textes de loi sur la possession des armes d'assaut. 

Nous sommes fin mai 2022, et en l'espace de 15 jours à peine, l'Amérique s'est rappelé à notre bon souvenir en enchainant coup sur coup deux tueries du même type, au moment où se tient le congrès annuel de la National Riffle Association en présence d'un ancien président orangé. La NRA qui fut créé, rappelons-le, sur les cendres du KKK de force dissolu. Mais passons...


L'Australie est un point de réverbération assez exact de cette Amérique qui produit elle aussi ses monstres en série. Mondialisation de l'horreur. Le tueur de Chopper (Andrew Dominic, 2000) faisant écho à n'importe quel serial-killer texan du cheptel, Wolf creek (Greg McLean, 2005) remplaçant assez bien le Massacre à la tronçonneuse emblématique de Tobe Hooper, tout comme le Animal kingdom de David Michod (2010) qui offrait une variation wallaby à la famille de criminels endurcis comme on en croise dans maints films ou romans situés dans les Appalaches ou ailleurs. Sans parler des grands espaces, lieux communs à ces deux terres emblématique d'une "liberté individuelle"... très 2ème amendement.

Nitram raconte donc comment un jeune homme pas franchement équilibré en arriva un jour à s'offrir tout un attirail de guerre et décida un de libérer la bête. On a déjà vu ça ailleurs, et le film de Justin Kurzel ne nous en apprendra pas beaucoup sur la psychologie de base du sociopathe en phase finale de pétage de plomb. Toujours à distance de ses personnages, Kurzel sème quelques éléments troublants qui gagnent notre intérêt: une mère attentive et qui sait que son fils, incapable de se caser ni de trouver un job, définitivement exclu des gens de sa génération, a plus que des petits problèmes (malgré son look de rock-star hippy, il ne sait pas surfer, peut-être même pas nager). Une mère qui fait beaucoup penser à Tilda Swinton dans Il faut qu'on parle de Kevin, persuadée d'avoir engendré un monstre mais mieux capable, elle,  de se le formuler. Quand au père, nounours dépressif qui joue sans succès à faire copain-copain avec son gosse tout en se voilant la face, il en sera la première victime.


Dans ces deux rôles, on est heureux de retrouver la grande Judy Davis, impeccable en femme de tête déchirée entre son attachement maternel et le besoin de couper les ponts, ainsi que l'excellent Anthony LaPaglia qu'on n'avait pas vu aussi juste depuis Lantana.


Et que dire de Caleb Landry Jones, grand échalas au corps mou et au profil de créature amphibie, dont le prix d'interprétation à Cannes n'est certes pas volé. De tous les plans, l'acteur parvient sans problème à passer du grand enfant idiot - ou qui fait très bien semblant, c'est la grande ambigüité du personnage - à la bête irascible en un battement de cil. Ce que le film nous explique in fine dans son générique de fin (la prise de conscience d'un pays face à la prolifération des armes dans les foyers australiens) dans son souci de pointer les manquements d'un Etat face à son grand danger intérieur, il reste un angle mort de non-dits, jamais pointé du doigt et qui pourtant crève les yeux: et pourquoi ce genre de "cas" dangereux n'est-il pas mieux cerné, surveillé et soigné ?


Côté cinéma puisque c'est ce qui nous intéresse, on dira que Justin Kurzel fait le job mais ne s'embarque jamais trop loin. Faisant confiance à ses acteurs mais surtout à son protagoniste très haut en couleur et à l'excentricité patente de certains de ses personnages dont cette Helen (Essie Davis), la richissime célibataire qui "adopte" Nitram dans son immense barraque au milieu de ses chiens, ses chats et de ses souvenirs de comédienne déchue, avec laquelle il trouvera presque un point d'équilibre entre son hyperactivité jamais repue et ses accès de subite déglingue (s'amuser à tirer dans les vitres d'une caravane avec son fusil à air comprimé, allumer des fusées et des pétards jusqu'à pas d'heure, donner des coups de volant sans crier gare pour effrayer le conducteur). Cette femme entre deux âges sans doute aussi borderline que lui mais dans une autre sphère, qui ne semble jamais porter de jugement sur sa personne et ainsi le repose de tous ceux, - tous les autres -, qui l'ont toujours soit jaugé avec effroi ou traité par la moquerie.

Justin Kurzel avait fait plus d'efforts avec Les crimes de Snowtown dans lequel il racontait l'installation progressive et l'emprise d'un psychopathe au coeur d'une famille dysfonctionnelle. Il parvenait à y retranscrire le lent processus d'intoxication d'un foyer par un corps étranger. Ici, il se contente de filmer presque de loin, s'avançant avec prudence sur un terrain dont, après tout, les psychiatres n'avaient même pas daigné s'occuper. C'est sa prudence autant que son honnêteté, comme de laisser hors-champ les meurtres eux-mêmes, bienheureuse ellipse que là encore on aura déjà vu ailleurs. Reste un film avec de sacrés numéros d' acteurs, ce qui n'est déjà pas si mal.




samedi 21 mai 2022

Evolution, Homo Auschwitz

 


La dernière fois que l'Holocauste s'était invitée de manière marquante dans un long-métrage de fiction c'était, de mémoire,  dans Le fils de Saul de Laszlo Nemes qui nous faisait suivre en temps réel et avec une caméra qui "marquait à la culotte", comme chez les Dardenne, un membre des Sonderkommando à Auschwitz dans ses stratagèmes pour s'enfuir. Pour éprouvant qu'il était, le film pâtissait pas mal de sa volonté de marquer la conscience de son spectateur par une sorte de "mise en situation" que d'aucun aurait répudié en des temps plus virulents; je ne me rappelle pas avoir lu de tribune à la "travelling du kapo" sur ce film, ni d'avoir entendu Claude Lanzmann qui surveillait comme du lait sur le feu toute tentative malencontreuse d'incursion de la fiction dans ce champ historique-là. Mais peut-être que j'ai tout oublié.

Il n'y a pas de manière appropriée de raconter la Shoah en fiction. Spielberg en avait fait les frais, s'attirant les foudres du susnommé avec ce mélange de rigueur intellectuelle... et de mauvaise foi colérique qui le caractérisait pas mal. On peut se rendre compte alors que les oeuvres littéraires les plus marquantes sont celles qui proviennent d'une expérience personnelle, du vécu: de Primo Levi à Art Spiegelman, il faut y avoir été ou avoir été "fils de" pour pouvoir en témoigner en toute connaissance de cause. Avoir vécu les horreurs du ghetto de Varsovie pour pouvoir en témoigner (Polanski).


Or, la légitimité de Kornel Mundruczo est là: arrière petit-fils de rescapés de la Shoah, qu'a-t-il à en dire ? Pas grand chose bien sûr, si ce n'est qu'il peut témoigner des ravages provoqués par cette expérience inhumaine au sein d'une famille, comment elle infusera dans les générations à venir à travers des comportements susceptibles d'abimer des personnes qui n'y étaient pas mais sont "fil(le)s de", "arrière-petits-enfants de", jusqu'aux résurgences d'un antisémitisme plus contemporain, larvé, toujours prêt à fourbir ses armes les plus aiguisées contre des personnes qui, elles, savent que tout peut recommencer.

Je ne sais pas si le film de Kornel Mundruczo fera date, mais il est sans doute le premier à rendre compte de cette réalité. Evolution est un film dont on retiendra le souffle et les parti-pris pour le moins gonflés.


Cela commence à Auschwitz, dans un plan-séquence incroyable dont on ne comprendra les enjeux que petit à petit, et la folie qu'en sortant de la salle. Un moment de cinéma unique qui ne montre qu'une sauvagerie sublimée, une barbarie enfouie de façon littérale dans les murs des chambres à gaz.

La folie toujours à la fin du second segment qui s'achève sur des canalisations qui explosent dans cet appartement où une vieille femme et sa fille ont une nouvelle fois réglé leurs comptes pour expliquer l'absence de tendresse de l'une et la colère de l'autre pour cette mère qui a toujours mis son expérience de déportée avant sa propre vie.

Evolution bâtit sa structure autour de trois générations et de trois plans-séquence qui en font aussi, - c'est sa coquetterie - trois morceaux de bravoure assez tape-à-l'oeil. 



Qu'importe, le film s'apaise et s'affaisse un peu avec ce troisième segment plus contemporain qui nous montre d'autres enjeux qui se règlent de manière bien plus futiles. S'apaise et s'affaisse, vraiment ? On n'en est pas sûrs du tout: un jeune homme se fait stigmatiser parce qu'il ne connait pas tel rituel catholique (il est d'origine juive), se fait pas mal emmerder à la sortie du lycée à cause de ça, tombe amoureux d'une jeune musulmane qui s'est faite raser les cheveux par son père parce qu'elle se les étaient teints en bleu. On devine que leur avenir d'amoureux, quand le film s'achève, vivra des jours compliqués.

Mes très chères soeurs, mes très chers frères, nous voilà pas encore tout à fait sortis de l'auberge.


jeudi 12 mai 2022

Il buco.


 

Onze ans d'attente entre Il buco et le film précédent de Frammartino, le merveilleux Le quattro volte qui nous avait cueilli en beauté avec son rythme doux d'observateur attentif à l'éclosion, et à l'érosion des choses. C'était ici la mort d'un agneau comme celle d'un vieux paysan, l'échappée belle d'une colonie d'escargots qui envahissait une maison, la chute d'un arbre jusqu'à sa transformation en charbon ou la folle équipée d'une bande de chèvres capricieuses dans les rues d'un village, un jour de procession.

Comme il n'était pas facile de rattacher le cinéma de ce nouveau venu à aucun autre, - Le quattro volte n'était pas un documentaire ni tout à fait une fiction -, on se gardait dans un coin le souvenir d'un film ô combien marquant mais qui n'avait rien à voir une célébration d'une certaine "ruralité" (façon Ermano Olmi) et encore moins d'une cosmologie de bazar qui inclurait l'homme, la nature, la vie et mort dans un même fourre-tout (tendance Terence Malick, au secours). Un entre-deux rêveur qui ne filme pourtant que du concret, du palpable et parvient à dessiner des lignes invisibles entre des éléments anodins qui n'ont rien à voir entre eux, de premier abord.


Il buco
commence d'une manière curieuse avec l'insertion directe d'un reportage télé réalisé en 1961 vantant l'érection de la fameuse tour Pirelli à Milan, sommet architectural qui vantait alors l'essor d'une nouvelle Italie de winners. On apprendra ensuite que cet événement très médiatisé en occulta un autre, autrement plus saisissant et que Frammartino reconstitue avec le matérial d'époque et dans un cadre bien sûr inchangé, les hauts pâturages du Pollino en Calabre, où se trouve le gouffre de Bifurto qui fut alors découvert, et exploré.


La télévision qui apparaitra également d'une manière incongrue dans les rues de ce village où les spéléologues font halte les premiers jours: les villageois se recueillent sur une petite place pour regarder une émission de variété sur un poste que le cafetier a branché sur sa terrasse. Nous sommes en 1961, c'est l'éclosion de la pop-culture et du capitalisme triomphant. Là encore, les habitants ne se soucient pas plus que cela de la découverte qui va être faite pas loin de chez eux: le Bifurto avec ses 687 mètres de profondeur sera bientôt homologué, un des plus profonds au monde.

D'une manière tout aussi délicieusement joueuse, Frammartino filme comment on appréhendait la profondeur des abymes: en y jetant des pierres mais aussi en balançant des feuilles de magazine enflammées: au fond on retrouve des crânes d'animaux tombés mais aussi des photographies de starlette ou de John Fitzgerald Kennedy à moitié brûlées.


Ni Ermano Olmi ni Terence Malick donc, mais s'il y en a un auquel on pense en regardant ce film, c'est peut-être le cinéaste chilien Patricio Guzman dont les films, "documentaires poétiques" pourrait-on les appeler, tracent des lignes invisibles et osent des rapprochements rêveurs entre l'histoire de son pays, les paysages, son expérience politique et de menus objets. A une nuance près, - et de taille ! - que Guzman est particulièrement bavard et souligne tout ce qu'il montre d'un commentaire ininterrompu, en contrepoint des images parfois, pour les accompagner le plus souvent, alors que Michelangelo Frammartino est un filmeur taiseux. Faisant complètement confiance à ses images, il fait du moindre geste, de la moindre "action" un événement d'importance.


De la même manière, aucune séquence n'est sous-titrée: on pense que ces paysans entre eux parlent peut-être un patois incompréhensible même pour le cinéaste italien (ça n'a pas d'importance, à un moment ils s'amusent à imiter des cris de bête: langage international !). Mais les dialogues entre spéléologues, souvent filmés de loin, ne le sont pas non plus. D'ailleurs ils parlent peu, tout concentrés à leurs gestes, à leur travail. Finalement, le seul moment sous-titré aura été celui du reportage télévisé du début: des images commentées, ce sont bien souvent des images qui ne se suffisent pas à elles-mêmes et là, il s'agissait de "vendre" un produit (Pirelli, Milan, l'industrie italienne triomphante).

Une tour s'érige, des femmes et des hommes s'enfoncent dans les entrailles de la terre, un ballon de foot dévale par mégarde dans le Bifurto (précédé de ce suspense insoutenable: quelqu'un manquera-t-il sa passe, tombera, tombera pas ?), des chevaux passent leur tête dans les tentes des campeurs endormis, un berger appelle ses bêtes avec de drôles d'onomatopées, un vieil homme meurt, un arpenteur dessine une superbe carte du gouffre à l'encre de chine, des feuilles de dessin s'envolent au milieu des vaches.


"Dans la spéléologie il y a presque une propension à la défaite,
estime le cinéaste, dans le sens où il n'y a pas de triomphe. Il n'y a pas de sommet à atteindre comme en alpinisme où l'on gagne, où l'on réussit dans l'entreprise (...) Lorsque l'exploration se termine, c'est une petite défaite."

Toute chose que l'empire Pirelli, comme tous les autres empires, ne seront jamais à même de comprendre. On ne sera pas gêné d'attendre encore 10 ans avant de voir le prochain film de Frammartino, s'il s'agit d' un autre miracle de cinéma comme celui-là.

dimanche 8 mai 2022

Murina, harponner le père.

 


Ante est l'heureux propriétaire d'un immense coin de paradis sur la côte dalmate qu'il aimerait bien vendre pour filer vivre à Zagreb avec sa petite famille dans un bel et grand appartement. C'est son rêve et ce à quoi il travaille depuis des mois en invitant en ce bel été son "meilleur ami", Javi, prestigieux homme d'affaire et self-made-man aventurier, qui arrive en yacht avec quelques investisseurs.

Ante ne possède que des trésors mais il néglige les principaux: il y a cette grande maison d'accord , ces kilomètres de crique sous ce magnifique ciel bleu, cette mer de rêve bien sûr mais il y a aussi son épouse, ancienne reine de beauté, belle et transparente et sa fille Julija, surtout. 17 ans, corps de sirène et petits airs butés de garçon manqué, Julija passe sa vie dans l'eau et en monokini, bleu ou blanc. On devine assez vite que le rêve de son père n'est pas le sien et que sa mère, étouffée depuis longtemps par l'autorité ombrageuse d'Ante, n'aura pas son mot à dire.

La fable imaginée par la réalisatrice Antoneta Alamat Kusijanovic a le mérite d'être claire (trop claire ?) et dessine ses enjeux dès les premières scènes. Rester ou partir n'est pas le plus important, le tout c'est d'échapper à la main mise de cette figure paternelle archaïque, qui semble appartenir à un autre temps. L'arrivée de Javi dans ce microcosme familial et dans ce paysage de vieilles pierres pourra sembler un moment être cet appel d'air que Julija appelait de ses voeux, allant jusqu'à jouer sur la possible passion amoureuse qui auraient existé entre sa mère et Javi, voire à trouver en lui un père de substitution.


Le grand mérite de Murina est d'opposer à cette figure viriliste de paternel à la fois dépassé par les événements et incroyablement borné le tempérament tout en contorsion de Julija: sa sempiternelle tenue de plongée lui confère quasiment un corps de super-héroïne, moulée dans une couche de néoprène qui la rend insaisissable, sous l'eau comme sur terre. Un corps toujours prêt à plonger, à se faire la malle ou à se retourner le fusil à harpon pointé sur vous, le regard indéchiffrable. "Tu as des épaules d'homme" lui jette son père en la voyant déambuler dans la maison en maillot de bain, histoire de la dévaluer un peu, histoire de s'expliquer pourquoi sa propre fille ne se plie pas à tous ses diktats. 

Dans une robe de soirée qu'on l'oblige à enfiler pour une grande occasion (accueillir Javi et ses riches amis), elle semble aussi à l'aise qu'un poisson rouge dans un imperméable. Lorsque son père l'incite à réciter un poème à table, elle oublie les strophes à sa gloire, justement.


Non seulement on ne pas pas l'attraper, ni la forcer à quoi que ce soit, mais on ne peut pas l'enfermer non plus. Dans cette cave où elle se retrouve punie, il y a une trappe qui donne sur la mer. Julija passe son temps à ça, justement, traquer les murènes dans les anfractuosités de la roche. Ses endroits où elles se planquent mais par d'où on peut s'échapper, aussi. Le meilleur moment du film sans doute est celui-là, quand le cours de l'action risque de transformer la jeune femme en créature fantastique d'un entre-monde entrevu lors des belles séquences de plongée, ou glisser vers un règlement de compte parricide, lorsque la naïade remonte furieuse à la surface, une pierre dans la main. Ce ne sera ni l'un ni l'autre.


Décevant peut-être, les intentions de la réalisatrice manquant sans doute d'audace, mais une certaine radicalité est là quand même: quitter ce père étouffant, cette mère d'aucun secours, cet "amant" potentiel mais vain. On pense un peu au Retour de Zviaguintsev, dans lequel deux gamins voyaient disparaitre l'ombre assommante de leur père sans s'en porter plus mal. On ne choisit pas sa famille, mais on peut la fuir, quand même.

Encore heureux.