jeudi 16 juillet 2020

Le haut du panier et le fond du trou.


Quelle riche idée d'avoir reprogrammée ET LA VIE CONTINUE et AU TRAVERS DES OLIVIERS, dont j'avais fini par oublier qu'ils étaient si intimement liés. Mis bout à bout, ces deux films ne pourraient en faire qu'un mais, comme toujours avec Kiarostami, tout n'est, bien sûr, pas si simple. Le cinéaste nous avait laissé (littéralement) sur le bord de la route à la fin d'ET LA VIE CONTINUE, avec ce long plan-séquence d'une Renault 5 jaune grimpant vaille que vaille une route de terre ardue, sans savoir si le personnage principal, double de Kiarostami à l'écran, allait retrouver son jeune comédien de OU EST LA MAISON DE MON AMI ? Vous suivez ?...

AU TRAVERS DES OLIVIERS, réalisé deux ans plus tard (en 1994), nous plonge dans un flash-back malicieux en nous proposant les coulisses du tournage du précédent. On y croise donc Farhad Keradmand, l'acteur qui incarnait le cinéaste en quête de retrouvaille dans la région de Koker ravagée par un terrible séisme, en plein tournage du film précédent sous la direction... toujours pas d'Abbas Kiarostami en personne, mais d'un second acteur censé l'incarner.

On retrouve les habitudes de mise-en-scène de l'auteur de "Close-up", caméra embarquée à l'intérieur d'une voiture, ou sur le plateau d'un pick-up, captation de longues scènes de dialogues extraordinairement précises, embrouilles à partir de détails, incompréhensions entre les personnes souvent longues à démêler. Un procédé qui trouve son acmé lors d'une scène de tournage épique, reprenant un des plans fixes d'ET LA VIE CONTINUE (avec le comédien Keradmand coiffé et habillé à l'identique) dans ces multiples  captations manquées. C'est long (Kiarostami travaille toujours en longs plan-séquences, sans césure), c'est parfois crispant (les comédiens, amateurs, achoppent toujours au même endroit), et drôlissime. Truffaut avec son petit chat qui ne veut pas passer dans le cadre de sa "Nuit Américaine" peut aller se rhabiller: Kiarostami est un maître pour entretenir un suspense aussi insoutenable à partir de pas grand chose, et nous parler de la fabrication d'un film (de sa méthode, du moins, assez particulière) en même temps.

AU TRAVERS DES OLIVIERS n'est pourtant pas QUE un film sur un film qui nous parlerait d'une certaine manière de concevoir et de réaliser un film, c'est aussi une histoire d'amour infernale entre deux jeunes gens dont le mariage est empêché par l'interdiction formelle de la grand-mère de la jeune fille: elle suit des études, lui est sans toit, et illettré. Et ce sont eux que le cinéaste choisit pourtant, sans savoir leur histoire, pour incarner ce couple tout juste mariés dans la fameuse scène dont le tournage nous est racontée: gag récurrent (mais triste), de la jeune femme qui ne veut d'abord pas parler à son prétendant (sa grand-mère le lui a interdit), sabotant de fait toute la scène puis, convaincue de mettre un peu d'eau dans son vin sous peine d'être remplacée, engageant avec lui des dialogues sans un échange de regards.

La longue scène finale, qui fait naturellement écho au final d'ET LA VIE CONTINUE avec son ascension en voiture qui n'en finit plus, nous montre le jeune homme amoureux poursuivre sa douce (il est vraiment amoureux, le pauvre), jusqu'à ce que les deux ne soient plus que des points à l'horizon. D'un plan, Kiarostami nous explique le sens su titre AU TRAVERS DES OLIVIERS: c'est le cinéaste, son double, qui les a suivi un moment, l'oeil amusé, pour voir comment cette histoire mal engagée allait finir. C'est ce regard à travers les branches des arbres que Kiarostami nous offre en partage, et tout comme on ne savait pas si le cinéaste allait retrouver son interprète disparu dans le film précédent, on ne saura pas non plus ici pourquoi le jeune homme fait soudain demi-tour et court comme un dératé. Bonne nouvelle ? Mauvaise nouvelle ? C'est une histoire qui leur appartient, semble nous souffler le cinéaste, lui dont le style paraissait pourtant tellement intrusif dans l'existence et la sensibilité de ses comédiens de passage.

Ah oui, j'oubliais: là où Kiarostami se montre encore une fois le plus fin des goupils, c'est qu'au détour d'une scène (l'assistante du cinéaste s'arrête pour parler à deux gosses qui courent vers leur école), bon sang mais c'est bien lui, c'est sûr: on reconnait dans ce jeune ado le héros de OU EST LA MAISON DE MON AMI. 

L'ai-je déjà dit, mais Kiarostami me manque beaucoup.

(à voir, les deux films dans l'ordre de préférence, sur arte.tv)

Pour rester dans le haut du panier (impossible de regarder n'importe quoi après un Kiarostami), j'ai découvert un Ingmar Bergman que je n'avais jamais vu (il y en a d'autres...), LES COMMUNIANTS qui date de 1963 qui fait suite à A TRAVERS LE MIROIR et précède LE SILENCE. Pas sa période la plus pouet-pouet, donc, avec comme thème central son rapport à la religion, aux questions de l'importance de la vie, la peur de la mort. Pour corroborer de manière littérale cette terrible crise de foi qui semblait préoccuper l'ombrageux ermite de Färo, le film met, de manière littérale, les pieds dans le plat.

Nous sommes dans un petit village paumé, à l'heure de la première messe. monsieur le pasteur est patraque, il couve une bonne grippe, et son église est quasi-déserte. Le film débute par une messe et se clôt par une autre, plus tard dans la journée, où cette fois personne ne viendra: l'hiver a commencé à devenir trop mordant, on préfère rester chez soi.

C'est presque une caricature de ce qui a été tant moqué du cinéma de Bergman: le froid, les visages tendus, les prises de tête morales qui n'en finissent plus. C'est vrai, tout y est. Entre ces deux messes calamiteuses, le pasteur Ericsson aura dit ses quatre vérités à l'institutrice amoureuse de lui, tout en lui apprenant sa déroute morale, et ses doutes les plus vifs, quant à l'existence de Dieu. Entre deux également, un des paroissiens se sera suicidé, comme le craignait son épouse enceinte, jusqu'au bedeau qui vient lui dire ce qu'il a pensé d'une récente lecture des Evangiles: d'abord, que c'était aussi efficace qu'un bon somnifère avant d'aller dormir, ensuite que les souffrances du Christ sur la Croix, qui n'ont duré que quatre heures, si on compte bien, ne sont rien au regard de ce que lui en bave, depuis des années, avec ces problèmes d'ankylose.

Pour Bergman pourtant, une chose est sûre, parfaitement claire, malgré que la religion et le christianisme, même sous ses formes les plus primitives aient été une des grandes préoccupations de son cinéma jusqu'à ses derniers films: si Dieu existe, c'est un Dieu silencieux, sourd, et qui se fout des hommes comme du reste. Par deux fois, le pasteur ne peut rien faire d'autre qu'opiner, avec une moue désolée mais complice, face à l'incrédulité des siens pour sa mission: lorsque le bedeau lui parle de sa souffrance supérieure à celle du Christ, et quand un gamin hésite à lui dire pourquoi il ne compte pas communier comme son grand frère, n'osant pas lui avouer qu'il s'en moque.

C'est magnifique, assez désespéré et, quand même, assez désespérant (et le noir et blanc de Sven Nyqvist est à tomber)

(c'est à voir, si vous avez, sur mubi)


Après ces deux hymnes célestes, on file vers le régime patate avec ce WILLY 1ER, réalisé en 2016 par un quatuor d'inconnus (Ludovic et Zoran Boumerka, Marielle Gautier & Hugo Thomas), dont je ne sais toujours pas s'il faut louer Groland, à moins que ça ne soit plutôt Strip-tease pour l'influence directe. Willy (l'étonnant Daniel Vanier), c'est donc un gros petit bonhomme qui vient de perdre son frère jumeau (suicidé), vit toujours chez ses vieux papa-maman et décide de s'émanciper, tout seul comme un grand, à plus de 40 ans.

J'ajoute que le film se déroule à Caudebec-en-Caux, en Seine-Maritime et croyez-moi, Caudebec c'est pas beau. C'est comme Vernon ou Elbeuf, quand on y vit on n'a qu'un rêve: en partir. A noter que le film se fend à de nombreuses reprises de plans sur le ciel, saturé de gris, qui plombe en permanence cette mocheté de la vallée de Seine.

Qu'en dire si ce n'est que le dispositif autour de ce portrait d'un gentil attardé peut parfois toucher lorsqu'il filme, de face et sans forcer, le désarroi d'un homme comme pris dans une perpétuelle envie d'éclater en sanglots (la mort du jumeau ? la conscience d'être considéré comme un imbécile ? la cruauté de son entourage ?), mais s'avère tout à fait crispant lorsqu'il s'acharne à nous dépeindre un environnement social absolument pas gâté. 

Dans le vide sidéral de la nouvelle vie de Willy, livré à lui-même et à la méchanceté d'une sacrée bande d'abrutis du PMU local dont les préoccupations tournent autour des mobylettes, des coups à boire et des blagues sur les pédés, les réalisateurs ne lui offrent pas mieux comme bouée de sauvetage qu'une assistante sociale à la patience de sainte (Noémie Lvosky, vraiment très bien), et cet autre Willy, collègue de travail au discount du coin, jeune homo livré lui aussi à la bêtise ambiante, qui se fantasme en diva en faisant du karaoké sur Zaz, et se rêve dans un futur étriqué (il veut aller bosser en Allemagne...)

"Un pur joyau d'humanité !" s'exclame l'affiche. "Un pot pourri de bassesse et de méchanceté !", aussi, et si en cours de visionnage, mon coeur balançait un peu, passées les émotions premières, on se dit que, quand même, les auteurs de ce film plutôt louche auraient mieux fait de s'atteler à un portrait plus honnête.

Car pourquoi serait-il impossible de traiter franchement, par la fiction, ces gens défavorisés sur tous les tableaux, handicap et pauvreté, sans passer par la case moquerie, caricature, et fausse poésie de l'heureux simplet ? C'est un mal causé sans doute par les comédies de Delepine & Kervern: on ne sait plus filmer les attardés et les pauvres sans se marrer, et on aimerait bien qu'un jour, on nous montre quelque chose qui ait la force d'un documentaire tout en proposant d'entrevoir le vrai mystère intérieur de ces gens-là, et la trivialité parfois cruelle, mais souvent touchante, des gens de peu, voire de rien.

Quelqu'un pour oser un mix "Kaspar Hauser"/"Brèves de comptoir" ? Réflexion faite, WILLY 1ER, je déteste.

(à voir sur mubi)

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