vendredi 3 juillet 2020

Des images, des sirènes.


Attention, film important ! Car il s'agit du premier que j'ai pu voir en salle depuis mars dernier, et cette vérité que je connaissais déjà s'impose: c'est quand même mieux qu'à la téloche. Même pour un documentaire comme ce KONGO sorti juste avant le confinement, et qui a le droit aujourd'hui à son rab d'exploitation en salle, l'immersion totale est toujours plus souhaitable.

Ce que Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav ont ramené des bidonvilles de Brazzaville, République Démocratique du Congo, c'est une rencontre avec un personnage, l'apôtre Jean Médard, dépositaire du savoir ancestral nguza, science des guérisseurs qui octroie à ceux qui y croient des pouvoirs magiques destinés à contrer les forces du Mal, dispensés par les Sorciers.

KONGO ne nous montrera pas un de ces sorciers, ce sont des personnes qui, pour craints qu'ils soient, fuient la reconnaissance, préfèrent officier dans l'ombre; on en retrouve parfois devant des tribunaux, tenus de répondre face à des juges civils de leurs actes, et du mal qu'ils ont provoqué. On regarde d'un oeil un peu distant, voire amusé les gesticulations de ce prêtre au look improbable (maillot de foot de l'équipe du Cameroun, strabisme divergent assez marqué dû sans doute à un oeil mort) qui adresse quelques diatribes enflammées à ses "patients" venus le consulter pour une blessure, un deuil, ou des fantômes qui les hantent. On a vite fait, pourtant, de mettre dans sa poche arrière cette condescendance un peu néo-coloniale sur les bords, car ce que cette magie nguza déclenche sous nos yeux, pour improbable qu'elle soit, échappe au rationnel, bien entendu, mais provoque bien souvent l'effet désiré.

Effet placebo de la plupart des croyances, le rapport au surnaturel se traduit le plus souvent par des contacts physiques assez violents qui font parfois songer à des exorcismes, le plus souvent à des phénomènes de transe cathartiques. Le film, qui dure moins d'une heure et quart et concentre plus de cinq ans de "suivi" de l'apôtre Médard, change soudain de ton lorsqu'un tribunal l'accuse d'avoir jeté un "sort" sur une famille, dont les deux enfants sont morts dans des circonstances aussi atroces qu'inexplicables (ils sont morts foudroyés, une nuit sans orage). Las, le prêtre se plie de bonne grâce à cette obligation pourtant déshonorante: se défendre d'un meurtre alors que son existence, et son art, sont depuis toujours dirigées vers la protection de ses semblables, est vécu par lui comme une humiliation.

L'épisode est saisissant à cause d'abord de ces morts inexplicables, que n'importe quel scénariste de mauvaise série fantastique aurait pu imaginé. De le voir surgir de la réalité-même assoit le spectateur incrédule dans cette sale de prétoire bondée, et on finit par écouter calmement les explications des uns, les dénégations des autres: pour (par-)anormal qu'il soit, le phénomène est accepté, et discuté avec un certain calme (vue la situation), autant par les juges que par les policiers, la famille des victimes comme des curieux.

Les réalisateurs de KONGO n'ont pas abordé leur sujet avec la distance du reporter assermenté. Croyant eux-mêmes à autre chose qu'à certaines certitudes bien occidentales, ils racontent qu'un voyage précédent en Amazonie où ils avaient pu "goûter" à d'autres croyances shamaniques leur avaient ouvert une sorte de "champ des possibles".

Aussi, quand l'apôtre Médard part dialoguer avec les sirènes sacrées dans une cascade (ce sont elles qui créent le courant, les tourbillons et les vagues, raconte-t-il), afin qu'elles lui apportent leur aide dans cette mauvaise passe, il leur promet en échange de leurs bonnes oeuvres, de les capturer et de les emmener vers un autre court d'eau (le site où elles se trouvent va être miné par une entreprise chinoise qui est en train de défigurer les montagnes alentour).  D'un coup, des rituels de l'ayahuasca en Amazonie en passant par les esprits frondeurs de la Nature qui protègent l'équilibre du Monde dans les films de Miyazaki, on en arrive aux sirènes du fleuve Congo.

Gardez les yeux bien ouverts lors du générique de fin, car leurs noms y figurent. Il aurait été incorrect de ne pas les créditer, car elles étaient bien là: le père Médard est acquitté, et elles y sont sûrement pour quelque chose. Sans quoi, allez savoir, il serait peut-être arrivé malheur au film.


Autant dire qu'après les magies blanches et noires du réel, la (déjà) vieille fiction d'Alejandro Amenabar TESIS, son premier film qui date de 1996, fait un peu pâle figure. Rien à voir, évidemment, mais on préfère aux barbaries de ce film, qui nous parle de snuff-movies, ces histoires d'éclairs qui sortent de nulle part. TESIS porte bien son titre, c'est un film à thèse qui chausse très très vite, dès la première séquence, ses très très gros sabots en nous dévoilant le voyeurisme de son héroïne, aussi bien que le notre, lors d'un "accident de personne" dans le métro de Madrid, après lequel les passagers sont invités à ne pas regarder ce qui se trouve sur la voie. 

La belle Angela (Anna Torrent et son grand regard noir et triste) veut écrire sa thèse sur la violence dans l'audio-visuel, elle va être servie. Film de campus fais-moi-bouh !, un bienheureux hasard - pour la bonne marche du film - va vouloir que dans les caves de l'université où elle travaille, justement, on trouve des K7 vidéos où des jeunes filles sont torturées, abattues et démembrées en plan fixe.

Le film convoque toutes les figures du teen-movie à l'anglo-saxonne: il n'aura pas fallu longtemps d'ailleurs pour qu'Amenabar file faire son beurre à Hollywood, mais tout le monde est là: le geek, encyclopédie du cinéma bis tendance Mad Movies (belle collection de tee-shirts et de posters !), le professeur papy-gâteau, le professeur chelou, le beau gosse suspect numéro un de notre enquêtrice amateur, qui va autant se faire séduire par le bellâtre (c'est Eduardo Noriega, toujours parfait en saloperie séduisante, six ans avant L'ECHINE DU DIABLE), que se douter très vite que quelque chose cloche chez ce type.

C'est toujours la même chose lorsque tout ne tourne pas rond dans un film, on aurait bien envie de refaire deux ou trois choses, d'enlever un truc ici, un truc là, et TESIS cesse d'être intéressant, c'est à dire assez rapidement, lorsqu'il évacue la piste paranoïaque, pourtant la plus intéressante du film, et qui pouvait coller au plus près à son sujet. La mise-en-scène hitchcockienne en diable (et très maîtrisée, il faut le reconnaître), aurait pu jouer beaucoup plus longtemps sur cette indécision pourtant parfaite, et matière à suspense: Angela exagère-t-elle, se fait-elle des "films toute seule" selon l'expression toute indiquée ou, à la limite: est-ce-que deux ou trois plaisantins ne s'amuseraient pas à monter un char monstre pour alimenter ses fantasmes et sa foutue thèse ?

Mais non. Quand pour la troisième fois, ce professeur assène à ses élèves, étudiants en audio-visuel, qu'il faut donner au public "ce qu'il attend", on comprend que le film est mal barré. Courses-poursuites dans les couloirs vides, un méchant qui semble avoir un coup d'avance sur toutes les situations, et un véritable psychopathe taré à l'arrivée... Eh non, encore une fois, caramba !, encore un film qui aura raté la case De Palma (la case "vous croyez comprendre ce que vous voyez, mais c'est votre imagination qui fait le boulot à ma place") pour se retrouver dans la case Wes Craven, mais sur un mode ouvertement intello. C'est à dire moins jouissif, et moins drôle.


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