Bobby Western travaille comme plongeur pour une société basée à La Nouvelle Orléans, et lorsqu'il ne part pas en mission aux quatre coins du pays pour récupérer des épaves ou rafistoler des conduits dans les profondeurs, il sillonne les bars de la ville en discutant avec ses drôles de potes, tous plus hauts en couleur les uns que les autres.
Bobby est lui aussi un cas. Ancien étudiant brillant en physique et en mathématiques, il a aussi été pilote de F2 avant un grave accident. Son père était ingénieur nucléaire et travaillait pour Oppenheimer, sa petite soeur était une génie des mathématiques, elle est morte et il en était fou amoureux.
Cormac McCarthy est un écrivain époustouflant et il faut pourtant pouvoir le suivre. Beaucoup de critiques ont été désarçonnés par la structure flottante du roman, qui semble déployer ses tentacules pour attraper une sorte de chimère romanesque qui n'est peut-être rien d'autre qu'un délire de schizophrène, un rêve éveillé, un conglomérat de bosons de Higgs transformé en phrases, certains pointant même la possibilité que le grand écrivain lui-même commence un peu à sucrer les fraises.
McCarthy vient-il de tenter un roman quantique ?
Un avion est retrouvé au large de New Orleans sous dix mètres d'eau de mer. Les cloisons sont intactes, la porte fermée de l'intérieur, 10 personnes à bord mais juste 9 cadavres. Manque aussi la boîte noire. Qui était et où se trouve ce passager ? Vous avez 530 pages.
Disons que je me suis bien marré, d'abord, face à ce manga aux stéroïdes qui compose sa toile hystérique en proposant un mix entre un bon vieux Jackie Chan des familles et une histoire allègrement pompée sur MATRIX. Nous voilà donc chez Evelyne et Waymond Wang, qui gèrent leur boutique de lavomatics en même temps que leurs ennuis familiaux dans un bordel permanent. Le monde de la famille Wang n'étant qu'une milliardième variante d'une infinité d'univers parallèles (le multivers on appelle ça) dans lesquels d'autres moi qu'eux évoluent sous d'autres identités auxquels ils peuvent emprunter quelques particularités lorsque ça se gâte dans leur monde à eux. Vous suivez ?
On suit à peu près ce qui se passe, MATRIX m'avait semblé un brin plus compliqué, et tout ceci se déroule en une joyeuse orgie de fights en lévitation, de gags parfois excellents (le raton laveur) et d'un humour parfois au ras du slip. Pour le reste, les images sont vraiment très moches (comme dans ces mangas saturés de coups de crayon dessinant les mouvements hystériques des personnages).
Si Michelle Yeoh a décroché sa statuette par contre, c'est parce qu'elle donne de sa personne, et plus que ça encore. Cate Blanchett et Michelle Williams n'avaient qu'à mieux travailler leur kung-fu.
Le film de 2003 était la relation heure par heure de la détention du leader de la Démocratie Chrétienne dans sa prison en placo, emmuré vivant dans les faux murs d'un appartement romain. ESTERNO NOTTE nous invite comme l'indique le titre à voir l'obscurité du dehors alors que Moro disparait vite du cadre. Paul VI, les ministres Cossiga et Zaccagnini, le Président du Conseil Andreotti, Mabuse éternel de la classe politique italienne qui une fois encore en prend ici pour son grade (Sorrentino lui avait déjà réglé son compte dans IL DIVO), les vieilles buses de la sécurité intérieure, vieilles ganaches héritées des années mussoliniennes, un système policier perdu, des terroristes déconnectés de leurs bases et de leur vie, tout cela est radiographié des pieds à la tête avec une précision froide.
ESTERNO NOTTE s'autorise quelques embardées, presque invisibles, vers la fiction, voire le rêve. Le film débute d'ailleurs sur un Aldo Moro sur un lit d'hôpital, revenu de détention, avec devant lui ses "amis" politiques. L'échange de regards auquel on assiste donne la note au reste du film: "Je sais à quoi m'en tenir sur votre compte".
Le film raconte quelques épisodes véridiques hallucinants comme d'autres sans doute inventés pour combler les vides: cette somme de 20 milliards de lires sortie des caisses noires du Vatican ("les excréments de l'Eglise" comme le dit le Pape devant le tas de billets) dont on ne reverra jamais la couleur, l'explosion de rage de Moro à sa confesseur avant son exécution contre Andreotti qu'il déclare coupable de cette machination. La profonde amitié de Paul VI et de Moro, la dépression de Cossiga à cause de sa vie conjugale catastrophique.
Grand film !
LE RETOUR DES HIRONDELLES ne nous montre pourtant pas comment on s'échange des valises de billets entre membres du Parti, ni les conditions de survie dans un camp de travail Ouighour, non: il nous montre juste comment la Chine néolibérale de maintenant a fait se retourner les campagnes vers un régime néo-féodal horrible. Les propriétaires terriens y sont occupés à changer de BMW chaque année et à rouler les paysans sur le poids des semences lorsqu'ils ne les exproprient pas sans préavis.
Le film raconte surtout comment Ma et Cao se marient, comment ils vont vivre ensemble et finir par s'aimer. Lui, paysan analphabète méprisé par ses frères et qui ne sait faire rien d'autre que travailler de ses mains, elle toute tordue et boiteuse, incontinente d'avoir trop été frappée quand elle était gosse, condamnée à ne pas avoir d'enfants.
Voilà donc ce qu'il ne fallait pas montrer: une "Chine d'en bas" qui travaille et s'échine sans l'aide de personne, et une nouvelle Chine d'en haut qui les surveille du coin de l'oeil et leur saute dessus quand tout est bon à leur prendre. On se croirait comme partout ailleurs, libéralisme global oblige, avec un zeste d'archaïsme moyen-âgeux en sus.
LE RETOUR DES HIRONDELLES est certainement le plus beau film vu depuis le début de l'année. D'un classicisme somptueux, qui prend son temps pour filmer les saisons comme l'éclosion d'une affection commune mille fois plus émouvante que n'importe quelle autre histoire d'amour. Dans le rôle de Cao, pauvre brindille brisée au regard affolé, la comédienne Hai-Qing est absolument scotchante.