Cette jeune trentenaire, qui vivait encore avec sa mère et à qui personne n'a jamais connu de vie amoureuse, avait déjà vécu un épisode dépressif grave, et la rechute fut donc fatale. Le film plante assez bien le décor de ces petites chaînes de télévision qu'on ne se figure pas trop bien chez nous, qui tentent de survivre avec les rares faits divers locaux et la fête annuelle de la récolte des fraises dans le bled de Machinchose. Dans ce NETWORK du pauvre, on croise son présentateur bellâtre, son directeur d'antenne stressé, accro aux taux d'audience. Pantalons pattes d'èph, rouflaquettes et cols pelle à tarte, nous sommes dans les années 70, l'âge d'or des chaînes d'info en quelque sorte (Watergate, Viêtnam, montée de la criminalité).
La reconstitution est économe, soignée, et le film se repose très vite sur les épaules de Rebecca Hall, qui tient ici un rôle en or pour montrer de quoi elle est capable. Déployant très vite les symptômes d'une paranoïa galopante, avec sans cesse l'impression d'être mise sur la touche alors qu'elle ne cesse de proposer des choses nouvelles, accolé à ce qui pourrait ressembler à un syndrome de persécution, Christine Chubbuck avait fini par prendre au mot une petite phrase de son boss, qui l'encourageait à donner au public ce qu'il voulait: du sensationnel, du sanglant, du jamais vu.
La séquence assez touchante, mais terrible au fond, où le beau gosse de sa boîte (Michael C. Hall, Dexter forever) l'invite à dîner avant de l'inviter à une séance d'analyse transactionnelle, la fait rapidement passer du rêve au sentiment d'être encerclée par de mauvaises intentions. Là, de pin-up souriante, Rebecca Hall transforme son personnage en monstre d'anxiété, regard en dessous,voix grave et dos voûté. Le film n'aurait pas été grand chose sans une performance d'actrice de taille: il l'a eue.
Après SALE, SUCRE, suis retourné voir du côté de Ang Lee, pour m'apercevoir que je l'avais déjà vu, mais pas grave: belle régalade avec cette comédie du démariage, GARCON D'HONNEUR (1993) feel-good movie gay et joyeux comme tout où un brave garçon made in Taïwan, qui file le parfait amour avec son Simon d'amour à New York, décide de se marier pour de faux, histoire d'arranger les affaires d'une copine qui n'a pas sa green card. Tout cela ne ferait pas un film, et on a donc mis a un os dans le rouleau de printemps: ses vieux parents, trop heureux de voir enfin leur petit gars se faire mettre la corde au cou, débarquent et veulent organiser les choses en grand, à la mode Taipei.
Histoire pour Ang Lee de régler son affaire à cette vieille Chine qui marronne dans son lit de traditions ancestrales, histoire de mettre tout ce beau monde dans une sacrée panade, GARCON D'HONNEUR nous régale avec ces confusions entre les genres, ce choc des civilisations qui, à la fin des années 90, pouvait encore sonner juste (cela a-t-il changé, pas sûr), ces quiproquos entre les langues où il est bon, parfois, de penser que certains autour de la table ne vous comprennent pas, et de brailler en toute liberté.
Je ne me souvenais plus de l'excellente scène du banquet (où les convives chinois se signalent aux Américains par leur grivoiserie joyeuse et... débridée), de sa nuit de noce involontairement sexy, de l'élégance de tout ça: voilà un film qui n'a vraiment pas vieilli.
De ce fait divers incroyable (comment durant les troubles d'une émeute déclenchée par une descente dans un speakeasy du quartier noir où personne ne faisait rien de bien grave, trois flics de Detroit isolèrent une dizaine de jeunes dans un hôtel, leur faisant subir coups et séances de torture, en abattant même trois), Bigelow a tiré ce film de presque 2h30 qui comporte les tics du film-dossier de rigueur, avec sa séance de procès et ses textes au générique de fin indiquant ce qu'il est advenu, dans les années qui suivirent, de tous les survivants de l'histoire.
On ne sera pas surpris d'apprendre, malgré la gravité de ce qu'il advint cette nuit-là, et du nombre de témoins présents sur les lieux, que nos trois tarés s'en sont très bien tirés (un véritable psychopathe comme meneur, et deux crétins à sa botte). On comprend pourquoi, du coup, certains avaient hurlé devant le "happy-end" du MISSISSIPI BURNING d'Alan Parker: car non, dans les années 50 et 60, on ne pouvait pas faire confiance aux flics et à la justice quand on était noir, encore moins au FBI.
Ce qui emporte le morceau, comme toujours chez Kathryn Bigelow, c'est la mise-en-scène. Bon sang de bonsoir, cette femme sait filmer et il n'y a plus qu'elle, depuis l'extinction progressive de certains vieux lions (dont Friedkin, le maître) et de la mise au placard de certains autres (John McTiernan, mais reviens bon sang, reviens !), il n'y a plus que Kathryn Bigelow pour nous faire ressentir la peau moite de la trouille, la douleur des coups comme l'impression d'étouffement. A ce titre, la séquence-choc de l'hôtel, qui semble ne jamais vouloir finir et nous ferait presque crier grâce, est ce que j'ai vu de mieux en terme de cinéma d'action depuis... la traque de Ben Laden aux lunettes infra-rouges dans ZERO DARK THIRTY. Alors que tous les apprentis veulent filmer comme dans FAST AND FURIOUS, Bigelow sait que tout n'est pas question de montage, mais d'appréhension de l'espace. Là-dessus, c'est la meilleure.
Le film, qui date d'il y a trois ans, n'a pas modifié la donne aux Etats-Unis qui, on le rappelle, a emmené à la Maison Blanche un raciste blanc de la pire espèce. Si entre 1967 et aujourd'hui, pas mal de choses ont bougé, cela semble encore loin d'être suffisant. Là-bas comme chez nous, un retour au XIX° siècle n'est toujours pas à exclure.
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