samedi 13 juin 2020

Fond de commerce, fond de cave.


Commençons cette belle journée à ne rien faire, la télécommande à la main, par un film d'animation colombien sorti en 2017, VIRUS TROPICAL, signé Santiago Caicedo d'après une bande-dessinée de Paola Gaviria (alias Powerpaola). Sans trop savoir si ce "roman graphique" a trouvé éditeur et traducteur chez nous, disons que le style de cette jeune femme appartient en plein à la vague auto-fictive qui a déférlé sur le 9ème art depuis la fin des années 80 (chez nous, ça a été la vague L'Association, Cornelius et consorts). Style graphique assez identique à ce qui se rencontre un peu partout depuis lors, avec un trait assez simple, épuré, qui compense son manque de précision par son souci du détail.

Auto-fictif, autobiographique, VIRUS TROPICAL l'est pleinement, puisque Powerpaola y raconte son parcours depuis... sa naissance jusqu'à son émancipation de jeune fille. Troisième fille, arrivée par surprise alors que maman s'était pourtant fait ligaturer les trompes, famille aisée assez peu stable (papa a été prêtre avant de se marier, et cela le travaille toujours), pour une vie qui, au gré des départs des grandes soeurs va se partager entre Quito (en Equateur, où elle est née), et Cali, en Colombie.

Tout ceci est fort banal, s'il n'y avait un certain exotisme, pour un européen comme moi, à découvrir comment on vit là-bas. Mais à tout cela, on s'attendait: le poids de la religion catholique sur le sens de la moralité des familles bien élevées (surtout quand papa a été séminariste et qu'on doit élever des filles), la douceur de vivre un peu pépère à Quito, les dangers qu'il y a à sortir le soir dans certaines boîtes, à Cali (un des hauts lieux du trafic de drogue, on le rappelle).

Comme pas mal de bande-dessinée de ce type, qu'elles soient françaises, canadiennes, serbes ou colombiennes, on s'ennuie parfois, on s'emballe à d'autres moments (la visite de l'horrible belle-mère quand Paola est toute petite, les premiers amours et l'obsession de la perte de sa virginité) et finalement, d'exotisme il n'y en a pas plus que ça; la preuve sans doute que la mondialisation a bien fait son travail: on mange, on couche, on boit et on s'habille un peu partout pareil, que ce soit à Cali ou à Boston.

Reste qu'un graphisme pareil, dans le monde pixarisé d'aujourd'hui, fait toujours plaisir à voir, et fait bien sûr beaucoup penser au PERSEPOLIS de Satrapi (auto-fiction en noir et blanc, dessin faussement naïf). on ne le dira jamais assez, c'est pour ça qu'ici je le répète: rien ne vaut le dessin fait à la main pour rendre le trait plus vivant.

On s'égare un petit coup, mais pour pas longtemps, du côté du cinéma Indien, avec GUDDI de Hrishikesh Mukherjee, un grand de là-bas, nous dit-on, réalisé en  1971 et c'est, parait-il, un vrai classique. J'ai un peu souffert parce que les épisodes chantés sont vraiment TRES longs, et que la pop de Calcutta nimbée de choeurs célestes sur fond de tambourins n'est pas ma tasse de thé. L'idée du film est à la fois naïve et assez idiote: on décide un jour d'emmener la jeune Guddi sur des plateaux de tournage pour qu'elle se rende compte par elle-même que les merveilles de Bollywood qui l'aveuglent sont des rêves en préfabriqué.

Cette gourde refuse en effet un joli parti en mariage parce qu'elle n'a d'yeux que pour une star de cinéma. les situations sont toutes plus téléphonées les unes que les autres. Le film va donc se charger de lui rendre la raison.

On passe sur le gentil paternalisme vaguement teinté de misogynie qui nimbe le film du début jusqu'à la fin (quoique la petite Guddi sait très bien leur en remontrer, à maintes reprises), mais ce genre de film tendrait à me prouver que lorsqu'il ne s'occupe pas de sujets "lourds" ou d'histoires dramatiques, le cinéma Indien, quand il veut être léger, a quand même du mal à décoller (ou alors dans les excès de strasses et de paillettes et là, c'est au-dessus de mes forces).

Vous souvenez-vous de Christopher Smith ?... Cet Anglais énervé a fait partie de cette mini-vague britannique qui a rendu certaines lettres de noblesse au film d'horreur alors empêtré dans ses minauderies post-SCREAM. Scénarios et mise-en-scène au cordeau, hyper-violence sans calcul et sans frein; souvenez-vous de CREEP et de SEVERANCE, pour voir. En 2009, il avait même signé un film d'horreur perturbé par un fantastique radical, TRIANGLE, où notre homme s'amusait avec les paradoxes spatio-temporelles pour signer un slasher en huis-clos (sur un paquebot de croisière livré au carnage) le tout bloqué dans une drôle de boucle qui se mordait la queue à l'infini.

On l'avait un peu perdu de vue, et DETOUR qui date de 2016 nous rappelle qu'il est toujours là: ce polar, qui ne manque pas de substance, ni de tours de force scénaristiques gonflés, parait parfois trop musclé pour son scénario somme toute banal, mais plutôt drôle: un jeune type se fait embarquer par un voyou à qui il a promis 20000 dollars pour le débarrasser de son beau-père, qu'il déteste. Problème: ce voyou doit une montagne de fric à un caïd tatoué très dangereux (John Lynch, dans un numéro de n'importe quoi). Deuxième problème: ils vont devoir s'arranger avec un flic de la route particulièrement remonté. Troisième problème: son beau-père, en fait, il l'a déjà tué.

Comme le cinéma américain nous gave de ces histoires à rebondissements multiples, et que Christopher Smith semble le savoir mieux que les autres, il choisit de faire semblant de démonter son intrigue à coups de flash-backs impromptus et de split-screens schizophrènes (nous faisant même croire un moment que deux intrigues parallèles se chevauchent, comme dans deux dimensions différentes), éveillant la suspicion du spectateur sur le moindre détail. Alors que l'histoire est beaucoup plus simple que la manière qu'elle a d'être racontée.

Plus De Palma que Tarantino, plus frères Cohen que Tony Scott, DETOUR reste un film vraiment sympathique, qui nous laisse faire un travail d'imagination bien supérieur à ce qu'il devrait. C'est dans SNAKE EYES ou le premier MISSION IMPOSSIBLE que le grand De Palma avait érigé ce principe joueur en théorie de la mise-en-scène, un terrain sur lequel personne ne l'avait suivi jusqu'ici. C'est pourquoi on est heureux de voir que, peut-être, le grand Brian ait enfin un émule digne de lui. 

Manque plus qu'un script du feu de dieu, et ce Christopher Smith nous pondra peut-être un jour quelque chose de fabuleux.


Mangez léger avant de vous aventurer dans le visionnage du film de Lucky McKee, THE WOMAN (2011), ou en tout cas, gardez un doggybag à portée, car vous allez dérouiller. Je ne m'attarderai pas à vous raconter l'histoire et, surtout, les vingt dernières minutes, absolument abominables (quoique cohérentes par rapport au court des événements), mais cette plongée au coeur d'un home-sweet-family de la country qui cache des horreurs dans sa grange, ferait passer certains vieux Wes Craven pour des plaisanteries.

Sachez d'abord que ce film est inspiré, - cet homme est décidément une manne pour le cinéma d'horreur -, d'un autre roman de Jack Ketchum (THE GIRL NEXT DOOR), dont le fond de commerce, on n'osera pas dire le dada demeure donc: les femmes enchaînées au fond de la cave.

Car le début de l'histoire, c'est: un brave père de famille (on dit ça mais, dès ses premières répliques, on sent bien que ce type déconne) qui découvre lors d'une partie de chasse une femme sauvage qui vit dans une grotte. Il l'attrape, l'attache au fond de sa grange, et...

Pour faire court, disons qu'il s'agit d'une affaire de famille peu banale qui trouvera sa résolution dans l'abjection la plus absolue. Ceux qui croiront un moment à une fable brutale sur les notions de nature et de civilisation pourront toujours y aller de leur thèse, mais le principal est ailleurs: où la sauvagerie s'exprime-t-elle le mieux ? Il y a différentes manières d'interpréter ce conte barbare, y compris sous un angle féministe radical mais alors: vraiment radical) que le tout dernier plan confirme.

Pour peu que vous puissiez en supporter le spectacle, ce qui n'est pas gagné d'avance, je suis ouvert à la discussion ! En attendant, saluons la prestation de Sean Bridgers (qui avait déjà été le pédophile kidnappeur de ROOM, décidément on le gâte) et surtout de l'incroyable Polyanna McIntosh qui, en femme sauvage, marque le film d'une présence et d'une menace physique de tous les instants.




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