Qui a dit d'elle, un jour, qu'elle était "le plus beau des squelettes" ? Ce BUTTERFLY ROOM a été tourné en 2012, Barbara n'a plus l'âge d'incarner les allumeuses gothiques, mais elle inspire toujours certains cinéastes, comme ce Zarantonello, qui lui fait jouer ici les grands-mères démoniaques. Si la reine Barbara Steele remplit allègrement son contrat, tout comme le "guest-star" Ray Wise (le papa de Laura Palmer; un festival de sacrées gueules coupantes, donc...), on n'en dira pas autant des scénaristes de cette chose assez infamante, non pas parce que les exactions commises par la veille dame soient effectivement immondes (madame collectionne les papillons comme les petites filles, pour faire court), mais parce que le film parle d'une drôle de manière de prostitution enfantine comme de perversions diverses, et qu'il serait vain de trouver un personnage, même de second plan, complètement "sain" dans cette histoire. Ah si, la petite fille blonde qui hurle tout le temps, peut-être (mais sa maman l'abandonne souvent chez la veille sorcière pour aller se faire sauter par son patron tous les week-ends).
Problème d'une (soit-disante) sophistication scénaristique toujours de plus en plus tirée par les cheveux, à force de vouloir trop en mettre, on ne saurait plus quoi enlever. Tout ça pour se retrouver avec une maniaque qui finit par "épingler" sa protégée dans son laboratoire, jeune fille qui elle-même se "louait" à des vieilles dames en manque d'affection, et dont la mère était une prostituée spécialisée dans les clients avides de rapports avec les handicapés (elle est unijambiste). Il y a un terme pour ça, parait-il, alors on le laissera aux spécialistes. Quand je vous disais que quand c'est trop, c'est trop.
A ce stade, on ne s'étonnera plus qu'on soit bien content une fois que ça s'arrête.
Sur RongeMailleBlog, on apprécie tellement les grands écarts que, parfois, on en déchire son futal. Après ce truc épouvantable, changement radical de ton, d'univers, de tout, avec l'extraordinaire FUNERAILLES D'ETAT de l'Ukrainien Sergei Loznitsa, documentaire réalisé en 2019 à partir de centaines d'heures de bobines retrouvées dans les archives d'état, autour du deuil national qui fut orchestré en 1953 à la mort de Joseph Staline.
On connait évidemment plus Loznitsa pour ces oeuvres de fiction (DANS LA BRUME, UNE FEMME DOUCE, MY JOY), mais il est surtout un grand documentariste. Pour avoir déjà vu LE PROCES, qui toujours selon le même procédé, avait repêché des tonnes d'archives sur le fameux "procès des blouses blanches", on peut se rendre compte que Loznitsa travaille selon un principe imparable, aux effets glaçants: enchaîner les scènes dans une chronologie parfaite, avec pour support technique, un travail de réfection de la pellicule qui en font des objets quasi-contemporains, sans que le temps y ait posé de marque apparente.
LE PROCES montrait une machine à broyer les innocents en respectant les heures du procès dans son impitoyable déroulement (actes d'accusation, auto-critiques des accusés préalablement "préparés", envoi des accusés à la potence ou au goulag avec des champs-contrechamps sur l'impassibilité de façade des parties). FUNERAILLES D'ETAT "repasse" le déroulé des heures officielles autour de discours enregistrés et diffusés en haut des estrades, sur toutes les places des grandes villes d'URSS, en Altaï, Biélorussie, Donbass, Lituanie, Sibérie, en même temps. Dans chaque capitale, son cinéaste officiel. Visages contrits ou simplement fermés, un simple sourire en coin, un mauvais coup d'oeil pouvaient alors vous valoir de sérieux ennuis.
Autour de la dépouille du Petit Père des Peuples, les officiels défilent (oh tiens, Ceaucescu ! oh mais, ce ne serait pas Chostakovicth, là ?...). On se pose des questions sur ce haut-gradé au menton tremblant, qui dépasse tout le monde d'une tête et menace de s'effondrer (qui était-il ? avait-il peur pour sa vie, pour un de ses proches à l'issue de la cérémonie ou... était-il vraiment bouleversé; non, pas possible...). Au fur et à mesure les officiels défilent, puis les haut gradés, puis les fonctionnaires, jusqu'au petit peuple, les larmes se font plus de plus en plus voyantes, les manifestations de souffrance plus ostentatoires. Mais que faisaient donc ces gens ? Leur avait-on ordonné, à tous: Défilez et pleurez, sinon ?... ou bien étaient-ils si bien dressés que ça? Ou le prestige de Staline, ce héros de la seconde guerre selon sa propre mythologie, était-il encore si vivace ?
Des images comme on verra peut-être encore en Corée du Nord, qui en racontent beaucoup sur l'avilissement d'un peuple (dans des proportions qui, sans doute, ne se retrouveront nulle part après cela) mais qui nous font dire, et penser, autre chose qu'un rassurant "c'était une autre époque". Ce qui est sûr, c'est que ce régime d'"images officielles" sans opposition possible était, déjà, l'arme suprême sur lequel un tel pouvoir pouvait s'appuyer sans crainte de faillir.
La preuve qu'à l'inverse, une profusion d'images "libérées" en serait l'antidote, ce constat si rassurant est-il un leurre, ou une réalité ? Cette preuve-là est elle encore à faire ? Le débat est ouvert depuis tellement longtemps, qu'on ne le voit pas se refermer dès demain (et ce n'est pas moi qui le ferai, non mais ça va pas ?)
Jusqu'à ces allers-retour Chine-Etats Unis, Ang Lee a fait de son parcours un territoire instable. A revoir un de ces premiers films, SUCRE, SALE (qui date de 1994) , sa carte de visite pour Hollywood avec GARCON D'HONNEUR, on comprend même qu'à l'intérieur d'un même film, Ang Lee ait l'air de ne pas savoir quoi privilégier au juste: la chronique d'un savoir culinaire condamné à se perdre ? Le destin de trois frangines que tout rassemble et un rien oppose (la business-woman, la prof collet serré, la jeune fille) ? L'émancipation féminine, l'évolution sociale d'un pays tout entier ?
Le cinéma de Ang Lee a l'air, ici, d'afficher un dilettantisme sans cesse voulu afin de couper court à toute tentative de dramatisation; SUCRE, SALE se regarde avec la curieuse sensation qu'au prochain à-coup le film va changer de direction. Mais jamais de ton: cette suite de petits drames anodins, qui vont du plus ridicule au plus dramatique, se regarde d'un air mi-endormi (c'est son point faible), mais avec un réel attachement pour ces personnages qui possèdent tous leurs côtés touchants comme dérisoires.
Ainsi, lorsque Jia, la "vieille fille" des trois soeurs se met à débloquer un bref instant, et déboule dans son lycée toute maquillée et en robe rouge sexy pour mettre la main sur le petit plaisantin qui lui laisse des mots doux sur son bureau chaque matin, c'est pour trouver enfin chaussure à son pied, et rétrograder direct, avec l'homme qu'elle a fini par trouver, dans son ancienne vie de femme pieuse.
Ainsi, lorsque Jia, la "vieille fille" des trois soeurs se met à débloquer un bref instant, et déboule dans son lycée toute maquillée et en robe rouge sexy pour mettre la main sur le petit plaisantin qui lui laisse des mots doux sur son bureau chaque matin, c'est pour trouver enfin chaussure à son pied, et rétrograder direct, avec l'homme qu'elle a fini par trouver, dans son ancienne vie de femme pieuse.
Du pareil au même, il y a parfois quelques changements, voire quelques bouleversements qui semblent plus radicaux que d'autres. C'est pourquoi l'ultime scène, le rapprochement incongru entre deux personnages de l'histoire censés se trouver aux antipodes l'un de l'autre mais qui, c'était pourtant évident, étaient condamnés à rester l'un près de l'autre, en même temps qu'il dispense, enfin, une émotion vraiment forte, est cet instant vers lequel le film tendait, en secret. Un pur moment parfait.
Le reste, c'était du cinéma.
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