A LETTER FROM GREENPOINT, tourné en 2004, est une page auto-fictive très free-style dans lequel le cinéaste, armé de matériel vidéo très léger, se filme au gré de son inspiration en train d'aménager dans son nouvel appartement, à Brooklyn. Nostalgie d'abord, quand Mekas filme le superbe loft qu'il a occupé longtemps, et qu'il vient de quitter, puis retour à la normal avec Jonas, et quelques amis, qui boivent des coups au milieu des cartons, sortent dans les bars du coin dans la joie, et la bonne humeur.
Alors âgé de plus de 80 ans, Mekas se filme tel quel, au plus près de la peau et de ses tâches de vieillesse, au milieu de séances de bamboche entre artistes où le cinéaste, pour un oui ou pour un non, improvise des chants sur des musiques inventées de toutes pièces, sur des standards parfois (dont un "like a rolling stone" de Dylan assez tordant, sur lequel Mekas répond du tac-au-tac au "How does it feel ?" du refrain par un "Personne ne me demande comment je vais, moi !"), se livre au jeu des questions-réponses avec son chat Mitzi, à qui il demande de l'épouser.
C'est l'auto-portrait d'un vieil homme non pas esseulé (on le voit très souvent avec des amis, bien souvent beaucoup plus jeunes que lui), mais qui peut se permettre de se montrer tel qu'il est: parlant tout seul, parlant avec son chat, se filmant au milieu d'une insomnie nocturne, en train de sortir de ses malles de vieux bouquins.
S'il faut parler de "home-movie", dont LETTER... pourrait être l'illustration idéale, on pourrait préciser "between-two-homes movie" pour faire plus clair. Mekas laisse un immense bout de son existence derrière lui, pas très loin (il reste à Brooklyn, quand même), sans s'appesantir là-dessus mais en tenant, quand même, à filmer, comme il le sent, ce passage important d'un lieu à un autre, ce passage important de toute une vie.
Un de ses derniers ? Mekas a vécu, et filmé encore près de 15 ans après ça, autant dire que pour lui, rien n'était fini. mais l'énergie de ce bonhomme à l'âge où tout n'est plus qu'oubli, tristesse, désarroi, ennui ou regret, vaut à lui seul le spectacle. Cet appétit qui l'a toujours possédé de toujours filmer le présent, devait exclure tout besoin de retour en arrière.
Revenir en arrière, et dans le passé, on va y être obligé puisque je vais vous parler ici d'un film muet de 1927 assez charmant signé Alfred Machin (c'est pas une blague) et Henry Wulschleger, LE MANOIR DE LA PEUR.
Contrairement à ce que vous pouvez penser, ces deux-là étaient des cinéastes bankables, et leur unique excursion vers le fantastique, ce film, fut un bide. Dans les années 20, déjà, il ne fallait donc pas prendre les attentes du public à contre-pied. Dans une petite ville, un mystérieux personnage s'installe dans une baraque lugubre, juchée derrière le cimetière, évidemment, et tout le monde aura vite fait de faire le signe de croix sur son passage. A quoi s'ajoute une histoire d'amour contrariée, et de mystérieux cambriolages qui ont lieu chaque nuit dans différentes baraques.
Les scénaristes ne sont pas allé bien loin pour imaginer leur histoire, - ils ont juste arrangé quelques doses de "la rue Morgue" de Poe avec la Maison Usher, et zou), mais le film fonctionne tellement bien qu'on évacue assez vite les clichés pour le plaisir de nombreuses scènes. Mes petites fiches m'ont donc rapporté que le dénommé Alfred Machin était revenu de ses voyages en Afrique avec différentes bestioles exotiques qu'il faisait jouer dans ses comédies (ce que ses films étaient, d'habitude).
La vraie star de ce MANOIR DE LA PEUR, plus que le mystérieux étranger, plus que le jeune homme pauvre éconduit, plus que la peur elle-même, c'est bien le chimpanzé Auguste, bonne gueule et gestuelle dégingandée, dont la souplesse naturelle sert ici à merveille son grand rôle de monte-en-l'air expert en escalade de gouttière (merde, j'ai spoilé).
C'est la Cinémathèque Française qui met se genre de chose en ligne depuis avril dernier et allez-y, continuez les gars, vraiment j'adore ça.
Le parti-pris de Rappaport est gonflé, mais cohérent: le film nous est raconté comme si un comédien nous lisait le journal intime de Hudson, alors que c'est un journal inventé (ou "rêvé" serait plus indiqué) qui débute, et se termine, sur l' objet de fascination du comédien, un autre acteur: Jon Hall, filmé torse nu plongeant du haut d'un rocher vertigineux. Hall était l'objet de fantasme de Hudson, Hudson l'est de toute évidence pour Rappaport qui, tout au long de ce montage de plus d'une heure d'extraits de films, nous délivre les sous-entendus et sous-textes vertigineux que recelaient les dialogues, les situations ou les gestuelles du comédien, et de ses partenaires.
Partant du principe que même si Hudson (et ses producteurs) n'avaient jamais voulu dévoiler l'homosexualité de leur cow-boy favori au grand public, il s'agissait dans le milieu d'un secret de polichinelle, dont tout le monde se jouait, à commencer par les scénaristes. Les comédiennes, aussi, qui devaient se régaler de la présence de cet athlète si charmant, mais tellement inoffensif dans leur plumard, et en profitaient pour dévoiler toutes les facettes de leur double-jeu.
C'est parfois tiré par les cheveux (lorsque Eric Farr, le narrateur, commente une enfilade de coups de poing donnés à certains acteurs, il "met dans la bouche" de Hudson des intentions qu'il n'avait peut-être pas: dans la tronche de James Dean, qui l'insupportait, de John Wayne "qui représentait le camp d'en face"), mais c'est souvent limpide et si évident, qu'on a presque honte de ne pas l'avoir remarqué du premier coup. A ce titre, le décryptage de ses scènes avec Tony Randall, son binôme et faire-valoir dans les comédies avec Doris Day, ou les extraits du SPORT FAVORI DE L'HOMME de Howard Hawks (qui ne prenait jamais de détour pour aller au principal) sont tellement poilantes qu'on se dit que, quand même, cet acteur en avait une sacrée paire pour se laisser aussi gentiment chahuter et laisser l'évidence posée là, comme le nez au milieu de la figure, comme la fameuse lettre volée d'Egdar Poe que personne ne voit, alors qu'elle crève pourtant les yeux.
L'histoire officielle a sans doute retenu que le grand héros de quelques grands films de Douglas Sirk (dont la star se vante, par les mots idéalisés que Rappaport a écrit pour lui, dans ce faux journal, d'avoir été le comédien-fêtiche), et de tant d'autres grands cinéastes, aura joué de cette entente tacite avec Hollywood, qui a profité de son image et de sa prestance, comme il s'est joué de sa véritable identité.
Si tout ce que ce film dévoile est vrai (et ce qu'il nous démontre crève tellement les yeux qu'on a du mal à penser le contraire), la carrière de cet homme a été décidément unique. Je n'ai peut-être pas beaucoup insisté là-dessus, mais je le redis quand même: ce ROCK HUDSON'S HOME MOVIES est un film qui se regarde avec la banane: c'est tout le temps enjoué, souvent drôle, et l'obsession du documentariste pour cet acteur, qui se signale par le nombre incroyables de films et de plans décortiqués qu'il a du voir et revoir, force le respect. Un vrai travail de fourmi.
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