Sans ça, on peut quand même penser que cette comédie british aussi distinguée qu'infusée dans l'humour noir, aurait perdu ses titres nobiliaires au fil du temps. Persuadé depuis son plus jeune âge par sa défunte maman qu'il appartient à une lignée de la plus haute aristocratie anglaise, les d'Ascoyne, le jeune Louis décide de décaniller toute la prestigieuse lignée pour que, faute de combattants si j'ose dire, le duché lui échoit enfin. Aussi arriviste que rancunier (les d'Ascoyne ont refusé à sa moman une place dans le caveau familial, ultime affront), Louis va déployer des trésors d'inventivité pour se débarrasser de cette horde de sangs bleus fin de race.
On reconnait bien là le côté ludique de la comédie policière à l'anglaise, scones, tea-time et détectives perspicaces qui froncent les sourcils au-dessus du fourneau de leur pipe. Ici, pas de Sherlock, ni de père Brown, mais une sorte de "Dix petits nègres" vécu côté pile comme l'était un peu, sur un mode beaucoup plus drôle, le fameux TUEUR DE DAMES avec le même Alec Guiness.
Revu aujourd'hui, on s'amusera toujours et encore du pied immense qu'a du prendre le comédien sur la conception de ses huits personnages et, comme la première fois, on a trouvé les à-côtés de cet amusant jeu de massacre un peu léger: les rebondissements au tribunal, les jeux du chat et de la souris entre Louis et son ex-fiancée, encore plus intrigante que lui, qui l'a lâché pour un autre, plus idiot mais plus riche, avant de se coller de nouveau à lui, sentant le vent tourner.
Autrement dit, et même si tout cela reste éminemment agréable à regarder, sans les pitreries de sir Alec, de NOBLESSE OBLIGE on ne se rappellerait plus.
Commençons par ce qui m'embête: si Sorrentino sait découper ses cadres, ordonner ses plans avec une rigueur qui crève les yeux, surgit toujours cette impression que le réalisateur, avec la complicité de son chef-op, cherche surtout à nous épater. Pour preuve, son attirance pour les jardins français taillés au ciseau devant des monuments en marbre blanc, sa fascination pour les lumières des boîtes de nuit, ses contre-plongées dans les décolletés des belles femmes, sur les piscines d'un bleu turquoise éclairées par en-dessous et cette manie, sans cesse observée dans chacun de ses films, d' interrompre le fil de son récit pour nous offrir un clip-vidéo maison (toujours très classieux, d'ailleurs).
Ici, c'est la danse de la splendide Rosalba, qui vient d'obtenir un prix à un concours de beauté (elle le dit elle-même, elle ne sait faire que ça: danser). Deux ou trois fois dans le film, tout s'arrête et sur une chanson d'Antony, des Notwist et autres (pas de faute de goût à ce niveau-là), Sorrentino nous montre sa culture MTV. Dans LA GRANDE BELEZZA, son film le plus tapageur et, pour ses admirateurs, son meilleur, c'était la fameuse scène inaugurale de fête techno non-stop qui donnait autant le tournis qu'elle prouvait la capacité du cinéaste à (bien) filmer la fête, la hype et les stroboscopes. A noter également que dans son cinéma, les jolies femmes (le plus souvent d'irréelles bombasses) sont filmées et exhibées comme dans un bordel de luxe (d'ailleurs dans son cinéma, ça aussi, ça se monnaye).
Sorrentino se pique aussi d'écriture et, petit détail qui ne sera pas grand chose pour vous (mais pour moi, ça veut dire beaucoup), il rédige ses romans directement en anglais. Bon.
Pour le meilleur, et pour ne parler que de L'AMI DE LA FAMILLE, Sorrentino est un portraitiste impitoyable qui explore sous tous les angles possibles un personnage formidablement écrit (et joué, par l'étonnant Giacomo Rizzo), Geremia "Coeur d'Or" di Geremie, vieux lutin bossu qui vit avec sa mère et saigne la communauté de la petite ville où il officie par sa fonction officieuse d'usurier. Une fois la présentation faite de ce personnage de parfait crapaud, Sorrentino n'oublie pas de nous en montrer aussi les "bons" côtés, autant cachés qu'assez peu fiables, finalement.
La confrontation entre Geremia et la divine Rosalba est le noeud de cette intrigue, elle qu'il va faire chanter de manière odieuse, elle dont les parents se sont "saignés" pour lui payer sa cérémonie de mariage, rencontre qui file tout d'abord vers une sorte de fable déviante sur le thème de la Belle et la Bête pour aboutir, c'est un peu le vice de ce genre de conte - et du cinéma de Sorrentino en particulier -, sur un twist encore plus immoral.
C'est sûr, le cinéaste sicilien est un vrai moraliste. Il adore montrer le mauvais dans l'homme, sa supercherie, comme ses faiblesses, mais n'en fait pas des films aussi moches qu'eux, c'est son principal paradoxe. Et c'est à cause de ça que, malgré tout son talent, toute sa pêche de filmeur "funky" et d'adepte du décorum fastueux, Sorrentino restera encore longtemps, pour moi, plus qu'un cinéaste tapageur, un parfait hypocrite.
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