EVERY THING WILL BE FINE date de 2015, et il est assez pénible de ne pas pouvoir reconnaître celui qui nous avait tant touché avec ses premiers road-movies nostalgiques, avec pour points d'orgue son beau PARIS, TEXAS ou LES AILES DU DESIR, son dernier grand film à ce jour.
Wenders a toujours eu un attrait certain pour le pathos, une certaine emphase, aussi, mais avec cette façon unique de suspendre le temps et les émotions sur une note que lui seul possédait.
Aussi on reste dubitatif, c'est le moins qu'on puisse dire, face à cette histoire banale d'accident tragique (la mort d'un gosse), avec le déroulé, "au fil du temps" pour reprendre le titre d'un de ses plus beaux films des années 70, de l'impact émotionnel sur tous les acteurs du drame. Le jeune écrivain qui n'a pu éviter que ce gamin passe sous ses roues, en quête de rédemption, cette mère-courage qui trouve son salut dans la prière, ce petit frère soudain fils unique pour qui cet homme va devenir une obsession.
Le film n'est pas désagréable en soi, malgré les sourcils froncés et le jeu agaçant de James Franco (qui joue sa partie comme une porte fermée à double tour), mais il ne joue que sur une note, tout du long, celle de l'émotion contenue et de la petite musique triste qui veut souligner à chacune de ses étapes combien la vie est cruelle, parfois, qu'il y a des choses dont on ne peut se remettre, mais qu'il faut vivre avec.
Des sentiments sans cesse contenus, gardés à distance, qui sont à l'image de son héros: homme de lettre mais de peu de mots, qui ne sait quoi faire de la situation et l'a fourrée tout au fond de son sac. On aurait aimé qu'un drame, un personnage rentre dans le cadre pour secouer tout ça d'une main ferme, envoie valdinguer l'émotionnellement correct et nous épargne sa morale sulpicienne. Du cinéaste un peu rock'n'roll de L'AMI AMERICAIN, il ne faut donc plus qu'espérer cette morale de pardon et de fatalité un peu voûtée.
Il n'est pas surprenant non plus que le dernier film en date du cinéaste soit un documentaire plutôt amène sur la figure exemplaire... du Pape François. On sera plus indulgent avec Wenders, qui a été jeune un long moment avant de s'assagir, qu'avec son héros déjà vieux avant que le film ne commence.
Angela Shanelec, suite de la découverte de cette réalisatrice allemande qui m'a touché, et dont je continue l'exploration, avec ORLY (2010). Une petite musique intimiste qui continue à enchanter, même si diluée ici dans une structure de film à sketch, et qui gâche un peu l'intensité éprouvée dans ses autres films. Comme son titre l'indique, tout se passe dans les espaces de l'aéroport parisien, personnages en partance qui discutent sur les bancs ou à une table de cafétéria. Immenses baies vitrées, enseignes lumineuses et va-et-viens permanent, lumières pâles et personnages perdus dans l'anonymat de la foule: Shanelec sait parfaitement jouer de décors impersonnels et froids pour laisser toute l'importance à ses acteurs.
Ici, parisianisme forcé oblige, on sera moins persuadé de l'importance de la discussion entre Natacha Reigner et Bruno Todeschini, rencontre de hasard où les deux s'échangent des banalités sur leurs vies, sans perspective visible de drague, que par la drôle de joute verbale à laquelle se livrent une mère et son ado sur leurs petits secrets, déballage sexuel compris. Des lignes de dialogues parfois terribles (Shanelec est une TRES grande dialoguiste), saupoudré d'inimitiés mal gérées qui s'extirpent d'un coup, comme ça, sans s'occuper des dégâts. En pensant au film de Wenders, vu juste avant, et qui gardait tout pour lui, on se dit que quand même, ça fait du bien.
Plus précieux encore, ces moments silencieux entre un couple de jeunes touristes allemands qui poireautent en s'occupant comme ils peuvent, et dont les phrases insignifiantes ou les absences momentanées sont plus parlantes que tout: c'est la grâce du style de Shanelec, fine observatrice qui sait que les instants les plus anodins sont bien souvent les plus révélateurs.
On préfère quand même lorsque Shanelec nous livre des portraits plus étirés, qui deviennent marquants sur la durée (même lorsque, comme souvent dans ses films, certains personnages disparaissent longtemps ou apparaissent subitement). Ici, l'attachement ne dure qu'un bref instant (comme dans un aéroport ou dans un hall de gare), et comme aucun de ces groupes ne se croisent, on les laisse disparaître sans trop de regrets. Et quand l'aéroport se vide (une alerte à la bombe), nous aussi on rentre à la maison en ne rappelant plus où on devait se rendre.
Le film marche dans les patins de William Faulkner et d'Erskine Caldwell, et commence comme une page de la vie de tous les jours chez les Snopes: le pater familias grande gueule, la mère saoûlarde, de la marmaille qui piaille, le fils qui rêve de se barrer de la ferme et sa jolie soeur qui va bientôt se retrouver avec un polichinelle dans le tiroir. Jolie séquence dans un bar sudiste avec ses gueules rapiécées, ses filles faciles qui dansent avec horde de péquenauds qui les bouffent des yeux, et gros plans sur des "sans-dents" qui fument et boivent comme des trous un samedi soir.
C'est d'abord filmé dans un noir-et-blanc impeccable, et SPRING NIGHT SUMMER NIGHT échappe vraiment à ce dont nous habitue NWR (c'est à dire à des films vraiment barrés, et techniquement approximatifs). Car une fois installé le contexte, le film nous raconte juste une très belle histoire d'amour, juste ombragée par une probabilité assez forte d'inceste (ah, quand même !). Là où le film surprend et emporte l'adhésion, c'est qu'il ne s'égare jamais dans le scabreux ou le film de rednecks qui défouraillent à tout-va. Ici, on reste civilisés: le père est un peu trop gentil pour ça, la mère a été et reste malgré les apparences, une femme libre.
Assez moral même, malgré son immoralité de fond, on retiendra que ce film d'amour est avant tout une ode à la jeunesse qui se frotte dans les fourrés, à l'appel de leurs corps qui débordent, et la plus belle scène de cet excellent film reste, quand même, celle où une jeune fille en soutien-gorge partage un cône de glace qui dégouline avec son chéri, sur une moto filant à toute vitesse sur une route de campagne ensoleillée. La vie, c'est comme le cinéma: un truc qui doit vous faire bander.
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