C'est dans les colonnes de ces Cahiers-là que j'ai pu lire, ces trois/quatre dernières années, les articles les plus virulents, les plus CQFD comme je les nomme, sur des sujets aussi chauds que les gilets jaunes, Weinstein, Parcoursup, Charlie et la déliquescence des médias officiels, en construisant des ponts toujours cohérents entre les films et l'actualité. Car c'est à cause de ça que, finalement, le cinéma peut être très important (pour moi et quelques autres).
Peu importe que cette équipe ai sur-réagi après ce changement de direction, peu importe que ses rédacteurs aient un peu exagéré, l'étau se resserre tellement depuis quelques temps sur les libertés de penser et d'agir que je ne serais pas étonné que l'avenir leur donne raison (1).
Dans leur dernier numéro, qui est une lettre d'au-revoir autant qu'une profession de foi, on ne parle que de critique. A quoi ça sert, comment en faire, qui la lit encore, comment on l'écrit, pourquoi on l'attaque, pourquoi on la défend. Et puis, en page 32, dans un article intitulé "Un drôle de regard", un pilier de la rédaction, Jean-Philippe Tessé, se lâche. Un truc n'est pas passé: ce sont quelques passages d'un essai de Iris Brey, LE REGARD FEMININ, qui pour lui n'a pas plus d'intérêt que ça, mais auquel il répond (en termes très énervés, mais qui sonnent justes) parce qu'on y attaque Les Cahiers du Cinéma sur... LA JEUNE FILLE EN FEU.
Et accuser Les Cahiers du Cinéma d'anti-féminisme, surtout quand on prétend les avoir lu, c'est prouver qu'on leur en veut pour autre chose. Du reste, il suffit de retourner sur certains articles parus ces deux dernières années pour montrer que Iris Brey est vraiment à côté de la plaque. (2)
Pour les Cahiers, LA JEUNE FILLE EN FEU est un film raté, qu'une simple notule expédie sans s'y attarder plus que ça. Comment ne pas aimer ce film, se demande Iris Brey, si ce n'est que cela désigne quelque chose de nauséabond dans les intentions de la revue ? Même si on y court aux jupes de Jane Campion tout du long, le film ne s'en approche que de très loin, et ce fameux "female-gaze" qui a fait le buzz depuis sa présentation à Cannes, ne pèse pas lourd à côté du front buté de Holly Hunter face à la convoitise de ses prédateurs. Et plus récemment encore, passée inaperçue et dont Iris Brey ne parle pas, de celle de l'astronaute Eva Green dans PROXIMA d'Alice Winocour, autre femme-cinéaste qui ne se préoccupe que de ça, elle aussi, mais en n'excluant personne.
D'abord, il y a eu cette curieuse montée des marches de Céline Sciamma, venu chercher son Prix lors du palmarès à Cannes, celui du meilleur scénario, en faisant la gueule. De toute évidence, la réalisatrice s'attendait à plus, ce qui peut se comprendre mais, manque de bol, la concurrence était d'un tel niveau cette année-là, en 2019, qu'elle aurait pu trouver cela plutôt pas mal, finalement. Ce qui m'a rappelé Théo Angelopoulos qui, une autre année, était venu chercher le Grand Prix pour son REGARD D'ULYSSE en traînant les pieds (rappelons qu'il s'agit de la médaille d'argent quand même), parce que le grand homme espérait de l'or.
Rien de grave, si ce n'est que la réaction de Sciamma m'a tout de suite posé question.
Aux Césars, cela a été différent. Bardé de nominations, le film est reparti avec pas grand chose, ce qui n'est pas bien grave non plus. A ce petit jeu-concours de qui-c'est-le-meilleur, d'autres injustices que l'Histoire ne retiendra pas, ont laissé les bons sans rien, et laissé repartir des seconds couteaux avec leurs médailles en chocolat. Or, toujours pour donner mon avis, qui vaut ce qu'il vaut, les votants ont eu raison de dire que LES MISERABLES était le film français le plus important de cette année-là, quant au prix du "meilleur réalisateur" décerné à Polanski, j'en parlerai peut-être ailleurs, dans un autre papier, mais il n'avait rien de grotesque non plus.
Adèle Haenel, lorsqu'elle se lève et quitte la salle, ne proteste pas contre ce qu'elle pourrait considérer comme une injustice, rappelons-le, mais parce qu'un petit malin, derrière elle, aurait crié "Bravo Roman !" ce qui, alors que l'équipe toute entière de J'ACCUSE avait fait profil bas en s'abstenant de la ramener, et de se ramener, pouvait effectivement passer pour une provocation pas très finaude.
Le geste de Haenel, effectivement superbe, a été commenté dans tous les sens, et je n'ose croire qu'au fond, l'actrice comme sa réalisatrice, se soient barré de là parce qu'elles jugeaient le sort réservé à leur film injuste. Mais je me suis quand même posé la question, en souvenir de la réaction de Sciamma à Cannes. Mais passons...
Pour en finir ici avec le Polanski (un très bon film soit dit en passant, pas son meilleur mais quand même), disons qu'avant d' être proposé aux votants des Césars et provoquer le tollé que l'on sait, il aurait fallu plus simplement que le film n'existe pas, qu'il n'y ai pas eu de producteurs pour lui permettre de le monter, qu'il n'y ai pas eu l'appui de l'Etat français et de l'éducation nationale qui, vu son sujet, ont "porté" le film pour des séances scolaires par exemple, qu'il y ai eu des juges, ici ou là-bas, pour le rattraper par la peau du cul pour ses vilaines affaires, qu'il y ai eu, enfin, une chaîne de personnes haut placées et responsables afin qu'il arrête de faire des films.
CQFD toujours, arrive l'article-coup de canon de Virginie Despentes, "Désormais on se lève et on se barre", un cri d'amour à l'adresse de l'actrice autant qu'un fameux pointu dans les couilles du patriarcat institutionnel, son comité des Césars, ses vieux cons installés là depuis longtemps, un article qu'on a lu et relu dans tous les sens en se délectant de chaque passage.
Et justement, tout comme dans les articles CQFD des Cahiers du Cinéma sur pas mal de sujets sensibles, qui exagèrent toujours un poil sur certains points, mais sur lesquels on passe, tellement le ton général est juste, il y a dans le papier de Virginie Despentes des moments où ça dérape un peu.
Même réflexe que pour l'essai d'Iris Brey (qui n'était alors pas paru): si le film n'a pas eu les récompenses qu'il méritait, c'est parce qu'un film de lesbiennes, tout ça... Renvoi direct dans les quinze mètres d'un sectarisme, ou d'un politiquement correct à l'envers, qui pose comme principe que LA JEUNE FILLE EN FEU est un meilleur film que les autres parce que. Le genre de raccourci pratique pas si différent du "soit vous êtes avec nous, soit vous être contre nous" cher à George Bush pour embarquer ses alliés en terre sainte.
C'est idiot, parce que le film de Céline Sciamma a été un beau succès en salle, qu'il a trouvé son public et au-delà, et que le concert de louanges critiques a été quasi unanime (sauf Les Cahiers et quelques mauvais coucheurs, homophobes donc).
C'est idiot, quoique pas si grave que ça, mais alors que penser de quelqu'un qui estime que, dans ses ordres de préférence, il y a:
3. CAROL de Todd Haynes (un cinéaste homosexuel), une merveille de mise-en-scène classique.
2. LA VIE D'ADELE de Kechiche (un cinéaste hétéro apparemment, obsédé par les corps féminins jusqu'au délire): un film incroyable malgré ses excès incontrôlés.
1. PROXIMA d'Alice Winocour (une réalisatrice dont je ne sais si elle homo, hétéro ou bi, et je m'en fous), le meilleur film "féministe" de ces dernières années.
A partir de ces goûts-là, de mes préférences assumées, merci de me radiographier de la tête aux pieds et de me dire qui je suis, au juste (homophobe ou pas, avec les femmes, contre les femmes, tout contre ?).
Ensuite, Virginie Despentes m'a fait tilter lorsqu'elle parle de J'ACCUSE comme d'un "téléfilm à costume" infoutu de faire son million d'entrées malgré la promo du diable auquel il a eu droit. D'abord, la qualité d'un film ne se mesure pas à son succès public, ni critique, encore moins au nombre de Césars qu'il récolte. Ensuite, s'il y a en un qui m'a fait pensé à un téléfilm (en l'occurrence LES DAMES DE LA COTE de Nina Companeez), c'est bien le film de Céline Sciamma. Oserai-je ajouter que Virginie Despentes, elle-même passée par la case réalisatrice, n'est pas une très bonne cinéaste ?
Pour en finir encore, Céline Sciamma, elle, est une excellente cinéaste, et LA JEUNE FILLE... celui de ses films que j'ai le moins aimé.
(1) La nouvelle équipe, emmenée par Marcos Uzal que j'ai déjà pu lire dans la revue Trafic, va sans doute emmener cette revue chère à mon coeur dans une direction autre qui me contentera quand même, ce que leur numéro de juin laisse à penser...
(2) cf Les Cahiers n° 739 & 757.
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