lundi 22 juin 2020

Dead to be alive.


Fait rarissime dans ma vie trépidante de cinéphage compulsif, je suis retourné voir un film que j'avais découvert pas plus tard que dans les premiers jours du confinement, alors que ce blog n'était pas encore ouvert. POLICIER, ADJECTIF de Corneliu Poromboiu est un film qui semble avoir durablement marqué certains critiques... exigeants (pas Premiere, ni Télé Poche, donc...) , au point que je le retrouve cité dans maints articles (je lis des vieux numéros de Trafic, pour vous dire le temps dont je dispose...) qui en reviennent systématiquement à lui, en référence de poids. Et ce bien des années après sa sortie (2009).

Poromboiu appartient à la génération des Mungiu et Puiu: le cinéma roumain a beau être affublé de certains tics (étirement des scènes, remplissage des espaces par des personnages qui se heurtent, rendant compte d'un certain état social du pays qui flirte avec le sordide) dont on se moque parfois, c'est un cinéma exigeant, qui ne pose pas sa caméra n'importe où.

Qu'avais-je raté la première fois ? Rien de plus que la singularité d'un film qui, en plus de compiler les quelques particularités citées plus haut, nous confronte au quotidien d'un homme, flic de son état et dont l'affaire, depuis des jours et des jours, est de suivre les faits et gestes d'un lycéen suspecté de tremper dans le trafic d'herbe. On comprend très vite que l'affaire n'a rien de très intéressant mais Cristi, flic scrupuleux et méthodique, fait son travail.

C'est pas tous les jours que vous suivrez une "intrigue" policière aussi peu trépidante, et vous aurez tout votre temps pour essayer de porter votre attention sur autre chose: les relations entre Cristi et les autres peut-être ? Cristi partage un bureau avec un collègue un peu simplet, et notre personnage affronte avec un peu de lassitude quelques légers tracas relationnels: un collègue veut faire partie de son équipe de tennis-football (Cristi n'y va pas par quatre chemins pour lui dire qu'il ne veut pas de lui: il est trop nul au foot). Quelques chassés-croisés plus tard, et autant d'échanges d'infos et de paperasserie sans importance (par deux fois, la caméra nous "lit", sans voix-off, le rapport de police écrit à la main par Cristi sur les faits et gestes du suspect), la journée de Cristi se termine; il ne se sera pas passé grand chose, mais il aura tout fait pour bien accomplir son travail.

Les mots ont rarement autant d'importance, dans un film, que dans POLICIER, ADJECTIF, dont le titre est déjà une invitation à se pencher la signification du terme (policier), de la fonction et d'un genre. Lors de scènes au foyer, pas moins triviales que son quotidien de gratte-papier, Cristi taquine sa femme sur la signification de paroles d'une chanson de variété roumaine, une chanson d'amour un peu idiote, qu'elle écoute en boucle. Plus tard, sa femme dont on a compris qu'elle est sans doute institutrice, lui explique une nouvelle règle grammaticale, et par là une erreur de syntaxe qu'elle a surprise dans un des rapports de filature rédigé par son mari.

De la compréhension des mots à la compréhension de ses actes, il n'y a pas beaucoup de pages à tourner et ce travail, on comprend que Cristi l'a fait depuis longtemps, que la justesse des mots employés ne peut correspondre qu'à un accomplissement juste dans les actes, et c'est ce qui coince: Cristi ne comprend pas comment l'enquête qu'il mène pourrait aboutir à l'enfermement d'un jeune homme, tout ça pour un simple joint. C'est pourtant c'est ce que la loi réclame: plus de 3 ans de réclusion pour ça. Une loi bel et bien écrite qui, pour le coup, ne trouve aucune justification à ses yeux.

Problème de conscience: inadéquation des mots avec les actes, de la loi écrite avec la réalité vécue: Cristi, un peu tête de mule mais sûr de son fait, ira jusqu'à tenir tête à son supérieur, personnage succulent, à la verve dictatoriale onctueuse, qui traite ses enquêteurs comme on met les cancres au piquet. Cette "scène du dictionnaire" est à mettre dans les annales, elle est géniale (jusqu'au retournement de situation où éclate la vérité à la simple lecture de la définition d'un mot, une vérité vite contredite par le commissaire, soudain vexé, pris à son propre piège dialectique).

J'ai eu raison d'y retourner: c'est comme d'avoir lu un livre un brin obscur, puis d'avoir parcouru une critique, ou une préface, qui vous indique par quel bout prendre l'oeuvre, et vous donne les bons éclairages pour mieux le savourer. A quoi sert une critique bien pensée ? A quoi sert un usage approprié des mots, et d'en comprendre le sens ? Il faut voir POLICIER, ADJECTIF pour ça: les termes conscience, morale, policier y sont décortiqués avec soin et précision.

On ne saurait trop conseiller à nos politiques de se pencher un peu plus souvent sur leur Petit Robert.

Ici-même, je vous causais du premier volet de la trilogie folle-furieuse de Takashi Miike, DEAD OR ALIVE. Après que nos deux héros, ennemis mortels, l'un flic, l'autre crapule de gangster,  se soient trucidés à la fin du premier volet comme dans un épisode de Dragon Ball, voilà-t-y pas que les deux reviennent, mais dans deux rôles différents: ni ressuscités, ni vengeurs, ni rien du tout, ce sont juste les deux mêmes comédiens qui reviennent flinguer des yakuzas et découper du vilain. Morts ou vivants, donc, du pareil au même, Miike s'en fout: on lui a demandé une suite impossible, mais rien n'est impossible pour ce grand fou, qui ne s'est jamais posé de limites.

Cette fois, ce sont deux grands amis d'enfance qui se retrouvent sur une même scène de crime: venus flinguer le même yakuza pour deux commanditaires différents (ils sont tueurs professionnels tous les deux), ils se rabibochent illico et retournent sur leur île où jadis naquit leur amitié: dans un délicieux havre de paix, leur ancienne école, où ils s'en sont payé une bonne tranche, gamins.

Cela n'empêche pas Miike de faire rissoler dans sa vieille poële à frire la recette demandée, faite de cadavres amoncelés et de meurtres franchement atroces: Miike réinvente dans chacun de ses films les mille et unes manières possibles de faire mourir un homme, et c'est parfois stupéfiant d'inventivité comme de cruauté. Pas une ligne narrative qui ne soit plausible là-dedans, l'intrigue file à cent à l'heure au gré des rebondissements et du spectacle: rien à foutre du réalisme.

Surprise, le film suspend son vol hystérique lorsque nos deux assassins amis-pour-la-vie retrouvent leurs jeux d'écolier dans l'école désaffectée. Soudain, on est dans la nostalgie absurde de Kitano, ce moment où le carnage s'arrête, ou la folie meurtrière de nos assassins revient à la source: l'enfance, ses jeux idiots, ses pactes de sang pour de faux, son innocente cruauté.

Alors, dead or alive ? Eh bien même dead tous les deux (criblés de balle), nous voyons les deux tueurs monter à bord du ferry qui les ramènera vers l'île de leur enfance: même morts, ils continuent à faire ce qu'ils ont à faire, et déguster une ultime soupe de nouilles au tofu, leur régal. Leurs chemises ensanglantées pleines de trous.

Dans DEAD OR ALIVE 3 (à retrouver bientôt ici-même, si tout va bien), même s'ils sont dead à la fin du 2 bien que toujours un peu alive, gageons que nous retrouverons nos deux excités de la gâchette, bons ou méchants, amis ou ennemis, morts ou vivants: Miike s'en fout; même s'il doit les faire jouer en tutus ou en tenue de cosmonautes, ce sera le même bordel, et toujours plus de morts ! 

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