samedi 20 juin 2020

La morale, on verra après.


Malgorzata Szumowska n'est pas un nom de cinéaste très facile à retenir (normal, elle est Polonaise), mais ce film de 2018 que je viens juste de découvrir est un exemple assez frappant de la volonté d'un jeune cinéma qui a beaucoup de mal à sortir du bois, d'affirmer son identité. Le cinéma polonais a toujours été un des plus riches d'Europe, mais la vitesse à laquelle ses nombreux talents se font aspirer par Hollywood (ou par la France ou l'Angleterre, parfois) illico presto, en font une cinématographie presque invisible. Malgorzata Szumowska (l'option copié/collé, c'est pratique quand même...) lorgne justement vers MASK ou L'HOMME SANS VISAGE dans cette chronique douloureuse d'un pauvre garçon à qui il arrive malheur: ça tombe bien, Hollywood adore les histoires exemplaires qui font pleurer. Le film pourrait lui offrir un bon passeport.

Je suis un peu ironique, comme ça, mais c'est vrai que une demie-heure, peut-être, après sa mise-en-place plutôt sympathique (le portrait de deux tourtereaux fous amoureux, elle petite blonde électrique, lui jolie gueule de guitar-hero à crinière de lion), on est mis au parfum: Jacek se casse la gueule du haut d'un échafaudage sur le chantier sur lequel il bosse, s'en sort vivant mais défiguré.

La claque est efficace: en un plan, le seul qui survole vraiment le reste du film, - et justement filmé à vol d'oiseau - on saisit cet instant figé où les pieds dérapent, et le personnage sombre dans le vide sous notre regard incrédule. On peut mourir comme ça, c'est vrai, comme finir sur une chaise roulante, perdre la raison ou autre chose, pour Jacek se sera un retour chez lui avec un autre visage, un oeil mort, et des passants qui s'écartent sur son passage.

La fable autour du "poids du regard des autres" va un moment, elle fait long feu et le film ne va guère plus loin. Plus embêtant, MUG s'entête dans la peinture de ce petit village polonais avec ces mentalités butées, au-dessus desquelles surnagent un grand-père fluet et peu bavard, dont les étreintes sont précieuses, et une petite soeur qui se bat pour faire comprendre aux autres que Jacek est resté le même. 

C'est un peu léger, et une fête du cochon plus tard, et une bagarre entre beaux-frères au-dessus de la tombe de papy, tout juste enterré, plus loin (ça se chamaille à propos de la propriété d'un champ, on est chez les paysans), Jacek se barre, fatigué. C'est que le pauvre gars s'est bousillé la figure sur le chantier d'un Christ en bêton surplombant la vallée, imaginé sur le modèle du Corcovado de Rio. Ces Polonais et leur religion, c'est quand même un problème. Pour la qualité de leur cinéma, je veux dire.

Et que diriez-vous d'un retour vers nos soirées FR3 ou Antenne 2, avec un vieux Jacques Rouffio (un quoi ?????). 

Vous rappelez-vous LE SUCRE, vous, les plus vieux d'entre nous ? Pochade au poivre sur, déjà, les collusions honteuses entre politiques et libéralisme sauvage, le film est d'abord sidérant pour la désinvolture avec laquelle il aborde le problème du pauvre contribuable, et du petit actionnaire, parfois, qui se fait pomper à la péridurale tout son fric, comédie à l'italienne en quelque sorte qui ne respecte ni le bourreau, ni la victime (des salauds et des charlatans d'un côté, des imbéciles et des pleurnichards de l'autre).

C'est pas du Mario Monicelli quand même, mais qu'est-ce-que j'aime cette enfilade de situations grotesques et de comédiens en roue libre. Dans l'ordre; Carmet en pigeon de province, Depardieu en voyou recyclé costard-cravate, Nelly Borgeaud en nouvelle riche déjà sapée Paco Rabanne, Piccoli en Jupiter cigare au bec, au bord d'un fou-rire intérieur permanent, un Claude Piéplu du feu de Dieu en sous-ministre coupable mais pas responsable. Manquerait plus que Julien Guyomar, Paul le Person et Pierre Vernier (ah ben si, il y est...), Jacques François, Rosy Varte et Marthe Villalonga (en fait, elle y est aussi), et puis il y a Roger Hanin, en juif pied-noir marocain braillard et arnaqueur (mon Dieu, quelle époque...)

Quelle époque, c'est le cas de le dire, où rien n'était vraiment grave encore, où le désastre s'annonçait, déjà, mais où la perspective d'une faillite personnelle ne vous faisait pas forcément voir l'avenir en loques. Le spectacle de Carmet et Depardieu se cognant des beignes pour de faux et se roulant sur les matelas fait quand même chaud au coeur. Revoir la collision entre tous ces géants est une madeleine qu'on ne saurait refuser, et quitte à se taper quelques moments gênants (Depardieu qui traite ses demoiselles comme dans un bordel, ou un Bertrand Blier), on préférera ça à Guillaume Canet ou Dany Boon.

Bon dieu, ça y est: je suis un vieux con !!!


J'ai attendu de le voir, celui-là, redoutant que ça n'allait pas vraiment me plaire: le cinéma de Ruben Ostlund est le genre dont je me méfie beaucoup: du cinéma de bobo qui se moque du bobo mais qui pisse dans son froc à chaque fois qu'il croise un immigré, un gosse des cités, ou un artiste plus fort que lui. En même temps, on peut adorer ce petit Suédois maniéré à joli mèche qui ne dit rien d'autre que ça à longueur de films: il a peur des autres, qu'ils soient pauvres, immigrés, que ce soient des gosses ou des artistes, et même des femmes, comme ici:  Christian, "héros" de notre film, rampe dans les parkings pour que la mère de ses enfants ne voit pas qu'il a embouti la voiture, et a peur que ses aventures de passage n'embarquent ses capotes usagées pour... pour quoi au fait ? Christian, tu peux nous dire ?

La seule vraie réussite du film, c'est ce personnage: Christian. Au lieu d'une palme, Cannes aurait du lui donner un prix, à lui, Claes Bang, comédien danois qui sonne la charge de la déconfiture totale du mâle européen très cultivé qui ne sait plus quoi faire pour être utile. Donner plus souvent des pièces aux clodos, s'occuper plus de ses enfants, être un meilleur amant, un meilleur patron, quelqu'un de mieux impliqué dans ses passions ? Ostlund vise juste, tout le temps, mais il est étonnant de le voir rater sa cible à chaque tir: de quoi nous parle-t-il dans THE SQUARE ? Du peu d'importance de l'art dans notre société occupée à survivre (et à l'art contemporain en particulier) ? 

On se faisait tout un foin de la présence de Dominic West et d'Elisabeth Moss, mais les deux stars repartiront bredouilles de ce jeu de massacre qui ne tue personne. On se faisait une idée de la séquence de l'Homme-Singe faisant irruption en plein banquet de la Haute, mais autant la scène est d'une violence extraordinaire dans sa montée d'adrénaline, autant elle accouche d'un souris qui fait honte: Ostlund ne sait même pas comment finir sa scène-choc et, faute d'idée, passe direct à autre chose.

Ostlund, quand il tient un "truc" (de préférence un truc gênant, le genre de situation conçue pour vous mettre mal à l'aise), cherche à étirer l'élastique au maximum. Un cinéaste un peu plus "sport" que lui attendrait que, au pire, l'élastique lui pète à la figure. Un bon cinéaste finirait par trouver le bon point de rupture et vous le ferait claquer sous le nez au bon moment, le plus inattendu. THE SQUARE ne vous montre rien de tout ça, il est un peu comme son Christian: il en bave, vraiment; c'est une sale journée de merde mais avant de s'impliquer dans les choses qui comptent, il faut d'abord donner le change, faire le malin, essayer de faire le job. La morale, on s'en occupera après.

Sans doute pour ça que THE SQUARE a eu la Palme: il est vraiment "dans l'air du temps".









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