mercredi 26 juillet 2023

ASSAUT, Die hard chez les ploucs.

 



Avis de grand froid sur le cinéma d'action en ce moment, à l'heure où l'Amérique nous bombarde de ses feux d'artifice de la dernière chance pour sauver le soldat Hollywood de la désaffectation totale de ses salles, qu'ils soient roses bonbon, atomiques champignon, en combi fouet et chapeau tout cuir ou saut de l'ange à moto sans trucage mais avec gros code promo, Adilkhan Yerzhanov non seulement adresse un clin d'oeil à l'emblématique Assaut de Carpenter du fin fond de ses années 70, mais nous enjoint surtout à retrouver les plaisirs simples de la série B grand style, économie de moyens mais efficacité partout, que Big John justement a porté à des degrés de maitrise quelques décennies durant.

Prise d'otage dans l'école d'une petite ville, cinq affreux masqués et quelques gosses à l'intérieur, des forces d'intervention qui vont mettre des jours à rappliquer (Dieu que c'est grand et vide, le Kazakhstan), et des locaux très emmerdés qui se décident à y aller seuls. Top chrono.

Le directeur d'école, le chef de la police locale (son adjoint a démissionné sitôt la nouvelle tombée, pas assez payé pour ces conneries...), le prof de dessin, de maths, le concierge alcoolique de l'école, le responsable de la maintenance, une mère de famille, le prof de sport et son protégé, Turbo, un attardé mental dont on finira par guetter les onomatopées joyeuses, et finalement pas si connes au regard des imbécilités que vont proférer tous ces tocards paniqués. On se croirait sur la ligne de départ d'un film des frères Coen...


Yerzhanov est sans doute le seul cinéaste actuel à se permettre ce stoïcisme à l'ironie flirtant avec le cynisme le plus absolu tout en nous proposant des histoires gorgées de punch et de violence. Il est le seul, aussi, à pouvoir invoquer Jacques Tati et Tarantino dans un même plan (ces individus masqués et armés qui traversent tranquillement la cour tandis qu'au premier plan, le prof de sport se livre à une démonstration pitoyable de nunchaku), voire un mélange de John McTiernan et de Claude Zidi (cette terroriste qui se relève fièrement après s'être pris une balle avant de se prendre les pieds dans un tuyau qui dépasse).


Nos héros se révèleront bien sûr à eux mêmes au fil de cette terrible épreuve. Révélation qui prendra parfois les aspects d'un jeu de rôles grandeur nature, avec nos apprentis Chuck Norris dessinant le plan de l'établissement dans la neige pour savoir par où entrer sans se faire shooter direct, séance de tir pour savoir qui jouera le sniper, courses chronométrées pour savoir qui court le plus vite, engueulades pas toujours fines qui révèleront les lâchetés des uns, les forces des autres. Les théoriciens pourront s'amuser à y décortiquer une mise en abîme géniale de quelques principes de mise en scène si cela les amuse, qu'ils ne se gênent pas pour moi: je suis d'accord avec eux.

Film d'action donc, mais aussi comédie cinglante sur la déshérence du système policier kazakh (taper sur l'Etat est la raison d'être du cinéma de cet homme-là) qui jette tout de même un froid de banquise avec son dénouement qui vous arrive dessus comme on se prend un congère, renvoyant dos à dos une police de branleurs et des terroristes effrayants mais sans motifs, muets comme des carpes, sans revendication autre que leur sauvagerie assumée ( et leur nullité finalement révélée, parce que se faire décaniller par cette bande de bras cassés, franchement...).


Yerzhanov travaille toujours avec sa petite bande de comédiens, dont le merveilleux Daniyar Alshinov avec sa voix de pingouin et sa jolie pointe de course. Une fidélité à toute une petite bande comme à cette idée fixe, qui parcourt son cinéma de long en large: que faire de cet héritage soviétique dont tout le monde peine à se remettre, que faire de ce glorieux passé de guerriers des steppes dont il ne reste plus que des paysages malfamés et ces mentalités étriquées: pointant derechef le machisme ambiant comme la beauferie générale ici à l'oeuvre, Assaut commence d'ailleurs par un sommet de lâcheté masculine jamais vu avant de trouver son remède par l'instinct maternel d'une femme décidée à tout tenter,  réveillant en chacun son petit instinct guerrier.


Pour profondément nihiliste qu'il soit, le cinéma de Yerzhanov est certainement un des plus jouissifs du moment. Je vous conseillerais donc de vous précipiter sur cet Assaut comme de ne pas y aller trop vite avec L'éducation d'Ademoka, sorti en même temps sur nos écrans mais dont le minimalisme railleur risque de trop désarçonner d'entrée, si vous ne le connaissez pas encore bien (cf critique sur ce même blog, deux pages plus bas).

Trois ans après son génial A dark, dark man, Yerzhanov vient de prouver une nouvelle fois qu'il est un immense réalisateur de film noir. Et pas que.

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