dimanche 2 juillet 2023

DANIEL, on achève bien les gauchos.


 Cinq ans avant de réaliser un de ses chefs-d'oeuvre, A bout de course, Sidney Lumet se penchait en 1983 sur le sort réservé par la justice et le FBI aux communistes et ses sympathisants sur le sol américain. Daniel s'inspire de l'histoire des époux Rosenberg, grillés sur la chaise en 1953 pour espionnage au profit de l'URSS en nous racontant l'histoire de Daniel Isaacson, jeune homme perdu dans ses colères et ses doutes, et qui va tenter de remonter le fil du passé, plus de 15 ans après l'exécution de ses parents.

Sujet pas facile, propice à tous les excès du genre mais qui n'a finalement que peu à faire avec la vérité historique, tant celle-ci a pu être établie cent fois depuis. Le personnage de Daniel est précieux pour cela: pris dans une rage informe et de rejet systématique de tout ce qu'on lui dit, il laisse à sa pauvre petite soeur (épatante Amanda Plummer) l'initiative de "tout prendre" sur elle, jusqu'à la maladie mentale et le suicide. 

Un trauma pareil ne se cache pas dans la poche arrière du pantalon, il pourrit lentement jusqu'à infecter tout ce qu'il touche. C'est avec cette intuition que, mine de rien, Daniel va vouloir tirer les vers du nez de celles et ceux qui étaient là, à ce moment là. Le realpolitik à l'américaine est vite évacuée via les explications goguenardes et désabusées d'un vieux briscard de reporter qui lui explique que les preuves étaient inutiles pour faire tomber ses parents, puisqu'il fallait juste des coupables, ou celles de son père adoptif qui ricane à l'idée que les Russes aient pu "voler" les plans de la Bombe: faire croire qu'ils étaient incapables de l'élaborer eux-mêmes était bien une idée de yankee prétentieux.


Chercher à comprendre pourquoi certains ont menti, et pourquoi d'autres se sont évertués à défendre cette cause perdue d'avance, et comment ils vivent aujourd'hui avec ça, apportera à Daniel les lumières suffisantes pour continuer son parcours d'homme à peu près d'aplomb.

Les plus grands moments de ce film pourtant riche en émotions fortes (Lumet était un maître pour filmer les moments sur le fil, sans jamais user de pathos) sont certainement ceux où les enfants Isaacson, ayant fui leur orphelinat, s'incrustent par effraction dans leur ancien appartement aujourd'hui complètement vide et condamné ou celui, - terrible - où le fiel de la veuve de l'avocat des Isaacson, grande bourgeoise de premier abord souriante, se déverse sur Daniel et sa famille parce que cette affaire aura gâché la brillante carrière de feu son époux.


Découvrir ce film passé quasi inaperçu à sa sortie est une excellente façon de renouer avec ce cinéaste qui, - fait rare dans le gotha hollywoodien - n'avait pas peur de faire de ses convictions de gauche le moteur de sa créativité, dans un pays où "aide sociale" est un gros mot et pour qui François Hollande est le chef des bolchéviques d'Europe de l'Ouest. 

Aidé ici au scénario par l'auteur de Ragtime E.L. Doctorow et par une ribambelle d'excellents acteurs (Timothy Hutton, Mandy Patinkin, Lindsay Crouse, Ed Asner ou la toute jeune Ellen Barkin), Daniel est un film très déprimant qui nous explique qu'au fond, mieux vaut retourner vers la défense des causes perdues (Daniel apparait à la fin du film comme activiste pacifiste durant la guerre du Viêtnam) que de se morfondre dans la conviction de l'échec.

Avanti camarades ! La lose sera toujours au bout du chemin.



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