mercredi 5 juillet 2023

ASTEROID CITY, l'illusion cosmique



Sur quelle longueur d'onde arrive-t-on à capter Wes Anderson cette année ? Sur une radio bricolée maison, montée avec des trucs et des machins pas possibles qui en font au final, et comme d'habitude, un accessoire au look insensé et prêt à fonctionner 100 ans environ. Après la (relative) déception causée par son French dispatch, plus film à sketchs et montage de clichés sur nous autres, les Gaulois, dans lequel notre bricolo texan faisait preuve une nouvelle fois d'une inventivité visuelle surprenante comme d'un certain relâché au niveau des trapèzes (des segments narratifs très inégaux), Asteroid city se présente sous des atours plus novateurs.
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Nous voilà dans le désert du Nouveau-Mexique, dans une ville plantée au beau milieu de nulle part comme un décor de western (plutôt Happy days en fait). Il est d'ailleurs assez confondant que l'endroit ressemble à cette ville dans laquelle atterrit Spencer Tracy dans Un homme est passé de Sturges. Il ne sera pas ici question, bien entendu, de meurtre impuni, de vengeance ou de corps enterré (quoique si... des cendres dans un tupperware), - nous sommes dans un film de Wes Anderson -, mais d'un grand raout organisé par l'Armée Américaine pour fêter cinq petits génies et leurs inventions, invités avec leurs parents pour recueillir leurs médailles en chocolat à quelques kilomètres des premiers essais nucléaires.


Défilé de personnages plus marrants les uns que les autres, posés là comme des petits soldats en plastique que les gosses s'amusent à planquer derrière les cactus en plastique ou les dunes de sable dessinées au râteau avec, comme d'habitude, un panel de plus de 20 stars venus faire la pantomime devant la caméra de Wes (ce qui ne doit pas toujours être drôle, tant le cinéaste doit abuser des marques au sol et guetter la petite mèche de cheveu qui dépasse).


J'ai peut-être un peu halluciné, mais la scène où le soldat Indien avec ses nattes de guerrier cheyenne se chauffe avec un père de famille (scène par ailleurs sans contingence précise ni répercussion importante sur l'histoire, comme à peu près tout dans ce film), j'ai beaucoup pensé à cette série d'animation belge drôlatique Panique au village, dans laquelle Poolvoerde ou Bouli Lanners prêtent leurs voix à des cow-boys, des Indiens et des chevaux en plastique qui jouent à la bataille.

Vedettes parmi lesquels on notera l'absence notable de Bill Murray qui, encore une fois, a du manquer son train (private Anderson joke).


Le film montré à Cannes a beaucoup déçu, comme son précédent, révélant le fameux couplet "c'est le début de la fin" alors que votre serviteur y a décelé comme un renouveau de vigueur. Continuant à accumuler les poses comme un sens du détail-gadget qui fait mouche, et qu'il est le seul au monde à posséder, le réalisateur de Mr Fox signe son premier film-méta en faisant de cette fable nostalgique et très colorée un film dans un film pensé pour la télévision des années 40 avec intermèdes en noir et blanc, où nous est contée l'écriture comme la composition de ce projet d'entertainment: scénariste caractériel (Norton) qui s'amourache d'un comédien de théâtre de seconde zone (Schwarzmann) et lui donne le rôle du photographe veuf qui accompagne son génie d'ado dans le désert, états d'âme d'un metteur-en-scène en plein divorce qui couche dans les loges (Brody), animation d'un pôle creative-writing pour aider à la conception de l'ensemble par un gourou de studio (Dafoe), le tout présenté par un Mr Loyal de la télévision américaine (Cranston).


Scène curieusement émouvante où Schwarzmann s'évade du plateau de tournage pour aller s'en fumer une dans l'escalier de secours, et se retrouve nez à nez avec une actrice "sortie" in extremis du casting (Robbie), avec qui il parle des scènes qu'ils auraient pu tourner ensemble. Une scène étonnante, presque Romeo et Juliette (les deux sur leurs balcons respectifs, face à face), qui nous émouvrait presque en nous parlant soudain de l'injustice d'un métier où votre nom en haut de l'affiche est lié au bon vouloir de quelques uns, ou de circonstances malheureuses. De manière assez ironique scintille entre eux, sur la devanture d'un théâtre en bas, le nom de Midge Campbell (Johansson), qui elle a décroché le rôle principal d' Asteroid city.


Wes Anderson s'amuse, - et nous amuse - toujours autant et son inventivité visuelle comme son imagination d'enfant gâté font toujours mouche (mais combien a-t-il de jouets dans sa chambre ce gosse à la fin ? A quel âge arrivera-t-on à le convaincre de s'en séparer ? Ses parents le savent-ils ?). Même si on a fini par prendre l'habitude de le voir faire jouer ses comédiens comme des majorettes. Il faudra aussi s'attarder un jour à sa passion du coup de foudre silencieux (entre l'institutrice et le cow-boy, le fils du photographe et la fille de l'actrice, entre Scarlett et Schwartzmann) qui ouvre des champs érotiques et de baisers volés à cette comédie de masque plus coquine qu'il n'y parait.


Un film et sa charpente, le tout brassé en un seul dans des coulisses en préfabriqué et des décors luxueux. L'illusion du cinéma et l'illusion de la création backstage (un deuxième niveau tout aussi faux que le premier, Wes Andersonien de toutes manières). Emission de télévision, pièce de théâtre ou objet de cinéma, et si le cinéaste venait de faire son Illusion comique à lui ?

Ne soyons pas inquiet et n'en déplaise aux mauvais coucheurs, Anderson n'a pas fini de faire joujou avec nous.

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