dimanche 9 juillet 2023

VERS UN AVENIR RADIEUX, mais c'était mieux avant.

 


J'ai tellement aimé Nanni Moretti, le bonhomme comme ses films que me voilà bien embêté: comment dire du bien d'un film qui m'a autant embarrassé ? Les suiveurs du grand cinéaste italien auront beau battre le rappel de sa filmographie pour justifier ses nombreuses redites, en avançant par exemple que Vers un avenir radieux vaut justement pour cet assemblage de tout ce qui a été vu dans son cinéma, quelque chose coince quand même. 

Son parcours idéologique, ses convictions politiques, son art égocentrique de se placer au milieu de tout et de se montrer sous tous ses affects, cette manière unique qu'il possède de brasser l'intime, le politique, la comédie et le mélodrame, en jouant avec tous les fils narratifs (ici: le film dans le film comme dans Mia madre, qui était autrement plus sophistiqué dans sa manière de confronter la trivialité d'un tournage avec la charge émotionnelle d'un deuil).


Je vais tenter d'en finir là avec les "comme dans" (la piscine comme dans Palombella rossa, la dénonciation de la violence au cinéma comme dans Journal intime, la liste est longue...) pour souligner quelques points qui, selon moi, pointent la lourdeur d'un film que j'ai trouvé bien paresseux. L'envie qu'a eu Moretti de rendre hommage au PCI via l'événement fondateur de son indépendance (les événements de Budapest et la scission définitive avec Moscou) a toute ma sympathie mais comment justifier, - outre cette dernière séquence bien balourde de marche extatique sous les drapeaux rouges -, que le cinéaste mette dans la bouche d'un trentenaire apparemment éduqué des propos idiots qui témoignent de l'inculture de cette génération ("Il y avait des communistes en Italie ? Il y avait beaucoup de Russes en Italie à cette époque alors?...").


Un mépris générationnel qui m'a laissé pantois et qui témoigne sans doute d'une sorte de blocage idéologique plutôt gênant. Loin d'avoir de la peine pour lui, il semble assez normal que sa femme, incarnée par la pauvre Margherita Buy, réduite ici à jouer les utilités et à supporter ses monologues comme ses sautes d'humeur, mette les voiles.

On me dira qu'il s'agit là d'un autoportrait volontairement peu flatteur, mais entre cet art de l'auto-dénigrement que Moretti a toujours possédé, et cet orgueil intellectuel très affirmé qu'il n'a jamais voulu masquer, la barque ici penche et finit par basculer vers le redondant, voire le ridicule.

Que dire de la partition malheureuse d'Amalric par exemple, très à côté de la plaque en producteur largué ? De cette réunion caricaturale avec des cadres dynamiques de Netflix, à l'inculture affligeante (toujours ce mépris pour un "nouveau monde" et de nouvelles mentalités qu'il ne comprend pas, - je pense comme lui mais la démonstration est indigne du réalisateur de Palombella rossa) ?


Qu'importe que le réalisateur bégaye pas mal son cinéma, mais il bégaye mal: le débit-mitraillette si délicieux de l'acteur se retrouve comme ralenti par une langue sans doute rendue lourde et lente par l'âge, ses accès d'humeur sur un plateau de tournage n'amusent plus comme avant (ceux de Turturro dans Mia madre avaient une autre allure), et qu'il bloque le tournage d'un autre pour marquer son désaccord avec sa façon de tourner une scène, ou refuse à son actrice principale le droit d'infléchir une relation "politique" en quelque chose de plus sensuel, pointerait plutôt son manque de fantaisie comme un manque d'ouverture d'esprit flagrant. Sans parler des quelques séquences chantées et dansées, filmées de manière molle.


Posons la question: est-ce volontaire ? Vers un avenir radieux serait-il le film dans lequel Moretti se dévoilerait en vieux con dépassé, en forçant le trait à dessein ? Si oui, cela me rappelle un peu l'exagération qu'avait Eastwood à parler de son âge dans Un monde parfait, où il incarnait un vieux marshall obligé d'avaler un médicament appelé Gériatrol. Ou de ne plus savoir monter à cheval au début d'Impitoyable.

A Cannes où le film était présenté, le dernier opus du vieux Ken Loach a été accueilli par un affectueux "raccroche, papy", et on a reproché au dernier Wes Anderson (un jeunot...) de tourner en rond (je vous renvoie d'ailleurs vers ma critique sur ce blog, dans laquelle je pense tout à fait le contraire). 


Peut-être parce que j'ai vu le Moretti trois jours après Asteroïd city, mais les éléments chics et tocs du film d'Anderson m'ont renvoyé aux décors de studio du dernier Moretti, avec son chapiteau de cirque monté au milieu d'un quartier populaire "exemplaire", idéalisé.

Plus que le caractère passéiste et toujours égocentré du propos, avec lequel le grand Moretti qu'on adore aurait pu faire une fois de plus un très grand film, c'est la faiblesse de la mise en scène comme la paresse de ses dispositifs, déjà vus en mieux ailleurs dans sa filmographie, qui ici interrogent vraiment. 

C'était mieux avant, d'accord Nanni, mais pourquoi vouloir renoncer tout à coup de vouloir faire mieux maintenant ? C'est ce qui attriste dans son nouveau film, une manière d'abdiquer qu'on ne lui connaissait pas.

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