vendredi 14 août 2020

Une belle personne.

 Le plus beau film de ce drôle d'été masqué se cache dans les séances de fin de journée et risque de disparaître un peu rapidement des écrans: c'est dommage, on aimerait que tout le monde, en plein cagnard de ce mois d'aout un peu trop chaud, aille flâner avec Eva dans les rues de sa ville. Madrid au mois d'aout, déserté de ses habitants partis prendre le frais ailleurs, et juste investi par des touristes mollassons, est le terrain de jeu que Eva a décidé de s'approprier, pour une fois, histoire de ne pas faire la même chose que les autres et de découvrir "la vraie personne" qui sommeille en elle. Musées presque vides, cars touristiques qui font le tour des grands sites et verres partagés en terrasse avec des connaissances rencontrées par hasard, Eva a décidé de se laisser porter par le courant, les sens en éveil.

Belle idée que de s'abandonner dans le giron de sa ville natale sans arrière-pensée bien précise: aussi on devine qu' Eva se trouve à une sorte de carrefour dans sa vie, au gré des grandes et petites choses que le film va nous dévoiler sur elle: elle a été comédienne mais voudrait passer à autre chose (une de ces amies la trouve vraiment trop pudique pour être actrice, "moi je trouve que c'est un atout", lui répond-elle), il y a aussi cette rupture amoureuse un peu trop vive, encore, que le film nous dévoile sans crier gare: Eva croise son ex qui va voir le même film qu'elle, une probabilité très faible dans une ville pareille, mais à laquelle elle aurait du s'attendre (belle manière de nous dire en peu de mots que ces deux-là avaient de belles choses en commun).

Ces quelques jours flâneurs, ponctués de quelques belles rencontres, le soir, dans les bodegas et les fêtes au grand air (Madrid est une ville où on célèbre bon nombre de fêtes votives au mois d'aout) nous raconte rien d'autres que les moments de bamboche traditionnels, moments d'abandon et grasses matinées qui s'ensuivent, mais surtout des rencontres que la douce et timide Eva n'esquive jamais: on devine là que, corollaire à sa décision de devenir "la vraie personne qui est en elle", c'est sans doute forcer sa nature mais, chose rare dans un film d'aujourd'hui qui nous montre l'agitation des nuits blanches dans une grande ville, tout se passe sans méfiance, ni accroc: ce moment où deux britanniques les aborde, elle et sa nouvelle copine (une voisine d'immeuble avec laquelle elle aura sympathisé tout de suite), on hésite tout comme les deux femmes à se laisser aller, à accepter de faire la bise, de se faire offrir un verre, de les suivre dans un autre endroit et pourtant non: le plan drague plutôt gentil va filer vers une belle histoire d'amitié.

Le réalisateur Jonas Trueba n'a pas 40 ans et on sent chez lui une appréhension juste des petites choses qu'il cherche à percevoir, et nous montrer. Il faut l'entendre parler de son travail avec la comédienne Itsaso Arana, qui incarne Eva et se retrouve créditée co-scénariste du film: chacun a apporté au déroulement du tournage son propre vécu, ses propres improvisations. Il faut dire aussi que le charme de la comédienne, avec son teint diaphane et ce grand sourire qui adoucit tout, est pour beaucoup dans la belle réussite du film.


EVA EN AOUT, dont le titre original est LA VIRGEN DE AGOSTO (ce qui correspond bien à la nouvelle nature du personnage, comme un livre ouvert proposé aux autres, comme une page blanche sur laquelle il n'y a plus qu'à écrire une nouvelle histoire) appartient à cette classe rarissime de films dont le pouvoir de séduction repose sur un tas de petits riens, et des intuitions de mise-en-scène anodines, en apparence: comment la timide Eva décide d'aller aborder ce type mystérieux qui, tous les soirs, fume sa cigarette derrière les barrières de sécurité, au bord du vide, est un de ces moments, nombreux dans le film, qui vous reste en mémoire sans qu'on comprenne au juste pourquoi.

Faites-vous du bien, allez voir EVA EN AOUT. On essaiera ensuite de faire comme elle, d'aller trouver sa "vraie personne". Si c'est possible.


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