vendredi 7 août 2020

Le pull blanc à col roulé de Kim-Min hee...

 


Il parait que les salles de cinéma vont mal depuis la sortie de confinement, et que les exploitants n'en finissent plus de voir s'installer de sombres nuages au-dessus de leur tête or, c'est un paradoxe plutôt notable, comme les distributeurs se sont gardé de sortir leurs blockbusters estivaux de peur qu'ils ne se plantent, arrivent d'excellents films, dont certains ont même eu droit a une seconde chance après leurs sorties avortées en mars dernier. L'été est en général une période de vaches maigres pour les cinéphiles et là, il n'y a jamais eu autant de bons films à voir.

Bonheur de ne pas avoir raté le dernier Hong Sang-soo, le dernier en date à sortir chez nous (il date de 2018, mais le cinéaste est tellement productif que ses distributeurs européens ont souvent du mal à suivre), car voilà certainement non seulement un de ses plus beaux films, mais aussi un des plus importants de cette année. HOTEL BY THE RIVER nous raconte deux jours de la vie de Young-Hwan, vieux poète qui a trouvé refuge dans un hôtel vide, où il attend la visite de ses deux fils, qu'il n'a pas vu depuis longtemps.

Besoin de solitude, attente sereine de la fin et envie d'ailleurs, on devine très vite que ce sympathique bonhomme, aux airs affables et un peu rêveur, a la tête ailleurs. La première scène nous le montre se battre au téléphone avec un de ses fils qui insiste pour monter le voir dans sa chambre: têtu, Young parvient à les convaincre de le retrouver dans la salle de restaurant, en bas, où il va même faillir les manquer selon une fantaisie du hasard qu'on a un peu de mal à comprendre. A l'inverse, Young ne va pas hésiter un instant de se lever pour aller à la rencontre de deux femmes qu'il aperçoit se promenant au bord de l'eau, juste pour aller leur dire combien il les trouve belles dans ce paysage enneigé.

Pour qui connait les coquetteries du réalisateur du JOUR D'APRES, on est toujours à l'affût d'un piège dans l'espace et le temps, qui nous fait suspecter à tout moment que ce qui nous est montré provient d'un artifice de montage. Mais ici, Hong Sang-soo se montre assez sage et laisse sa narration se dérouler sur un fil assez linéaire: c'est uniquement le vieux poète, qui n'arrête jamais de s'"échapper" constamment loin de ses deux fils (il s'absente trop longtemps, ne revient pas au bon endroit, file à l'anglaise sans crier gare ou prend d'autres chemins pour s'échapper d'eux le plus possible), son rythme de (sur)vie très particulier qui égare les autres personnages, et nous en même temps.

Malgré l'affection que ses fils lui portent, on comprend vite que Young a surtout été un père absent, et a fui très tôt un foyer conjugal où sa femme, c'est ce qui ressort de ses discussions avec ses fils, avait fini par lui vouer un mépris de taille. Young s'était enfui, laissant femme et enfants pour vivre une véritable aventure amoureuse. "Il faut toujours vivre ses histoires d'amour à fond, on a qu'une vie, leur explique-t-il en substance, même si on échoue, comme moi."

Les femmes sont les grandes absentes, pour une fois dans un film de Hong Sang-soo, mais elles sont la véritable "histoire" de ce film: Young a quitté son épouse pour vivre le grand amour, et s'est très vite retrouvé esseulé de tous, son plus vieux fils est en instance de divorce et n'ose pas le dire à son père, le plus jeune refuse de s'impliquer dans une aventure sérieuse, trop échaudé par de mauvaises expériences. "Mais de quoi as-tu peur ?" le tance alors son père, éberlué de voir ce beau jeune homme craindre à ce point tout engagement amoureux, alors que lui même a tant échoué avec les femmes.

Le tandem délicieux formé par l'égérie du cinéaste, Kim Min-hee et Seon-mi Song, voisines d'étage dans ce grand hôtel, qui ne sont là que pour se consoler du chagrin amoureux de l'une d'elles, et passent leur temps à dormir l'une contre l'autre, à rire ensemble, à pleurer un peu, à boire du vin, grignoter un bout, puis se recoucher, ce couple sororal triste et rieur, doux et charmant, est bien la grande affaire de HOTEL BY THE RIVER et quand les deux "groupes" se croisent, - le père et ses fils d'un côté, les deux copines de l'autre -, s'est pour se tourner le dos dans la salle pourtant déserte d'un restaurant où ils ont tous échoués de concert.

Là, grande scène Hong Sang-soo typique, tandis que les hommes se torchent et parviennent enfin à vider leurs sacs et à se dire des choses pas toujours agréables, les deux femmes papotent en dégustant leur plat de tofu, jetant parfois une oreille consternée aux imbécillités que ces bonshommes assènent sur les choses de l'amour.

Il y a bien quelques instants dans HOTEL BY THE RIVER, comme ce poème lu par un Young complètement saoul aux deux femmes, plus un conte plutôt, que Hong illustre bizarrement par une séquence floutée où il n'y a que du banal à regarder. Comme toujours chez lui, le film se regarde entre inquiétude, joie et surprise effarée: c'est en emportant chez soi les images qu'il vient de nous montrer que, toujours, le sens caché de tout cela nous rattrape, pour ne plus nous lâcher.

Le noir-et-blanc de Hyung Ku-Kim est à tomber, et toutes les choupettes à robes lamées et talons aiguille du monde peuvent bien aller se rhabiller: aucune ne parviendra à la grâce de Kim Min-hee qui sourit, dans un paysage enneigé, dans son grand pull blanc à col roulé.

Il ne s'agit plus pour moi, maintenant, de descendre au centre ville pour des prunes. Aussi ce double programme de cinéma en milieu naturel (loin des plateformes de streaming et de mon rocking-chair, mon meilleur copain ces temps-ci) a pu se conclure, après ce parangon de beauté et de subtilité absolus (comme attendu), par le fort sympathique THE CLIMB de Michael Angelo Covino, premier film américain indé et poilant qui a beaucoup fait parler de lui partout où il est passé.

Covino a écrit, produit et joué dans son film avec Kyle Marvin, avec qui il forme à l'écran le duo de bons potes le plus désaccordé et désarmant qui soit: Kyle est un grand garçon-nounours très charmant dont la gentillesse peut parfois prêter le flanc à toutes les mauvaises intentions et Mike, son meilleur copain, est un type qui à l'inverse passe son temps à s'attirer les inimitiés de tout le monde par ses comportements de très sale con. Heureux en amour, Kyle a pourtant du mal à mettre les pouces avec ce cafard nocif qui passe son temps, tout de même, à lui péter sa vaisselle, et à sauter ses nanas.

Typique d'un certain cinéma américain post-adolescent qui a du mal à se mettre à l'heure adulte, THE CLIMB roule dans la roue de Judd Apatow ou de Mark Duplass mais il a l'honnêteté, pour un film pensé, conçu, et réalisé "entre mecs" d'assumer la part égoïste et irrationnelle de cette relation toxique qui flirte avec le sado-maso (l'un n'arrive jamais à dire non, l'autre passe son temps à bousiller sa vie et celle des autres), laissant les femmes ramasser ce qu'elles peuvent, navrées. Mieux encore, le film montre sa qualité d'écriture en insinuant à coups de courtes séquences très bien pensées (les grands repas de famille dans la famille de Kyle) que son entourage n'est pas d'une bienveillance parfaite non plus.

La complicité des deux auteurs saute bien évidemment aux yeux, et il n'est pas sûr que d'autres auraient pu se tirer de cette relation "sympathique mais tordue" avec autant de naturel. Mais plus que le côté sympatoche du script, ses bonnes phrases et ses gags vraiment réussis (la scène du faux rapt de Kyle pour son enterrement de vie de garçon, avec ses deux faux ravisseurs qui s'engueulent en imitant la voix de Batman), c'est la mise-en-scène qui emporte le morceau: la grande scène d'ascension à vélo, épisode qui donne son titre au film, où nos deux héros s'engueulent en pédalant, et son final inattendu et irrésistible, prouve à quel point le film est pensé et construit pour l'avènement de certains grands moments, comme celui-là.

On pourra ergoter ensuite sur ceci ou cela, mais un film qui s'achève avec ces dernières images très "male-gaze" (un homme, son enfant, son meilleur pote) sans la tarte à la crème crypto-gay habituelle planquée dans le dos, ne peut avoir que mon entière sympathie: parfois, effectivement, une amitié même pourrie de l'intérieur, peut être plus importante que tout le reste. C'est con, mais c'est comme ça.

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