lundi 24 août 2020

Aux folles !!!

 


Un article thématique, pour changer; en piochant dans quelques films vus récemment, j'ai quand même déterré trois portraits de femmes pas piqués des vers que je vous propose d'analyser gentiment, avec l'assurance de toute mon affection, voire de mon amour. Contrairement à Mark Everett, leader du groupe Eels, que j'adore, qui raconte dans sa biographie combien sa vie amoureuse avait toujours été aimantée par les dingues et les frappées de haut vol, je dois avouer ici que je suis plutôt EVA EN AOUT (voir un article précédent dans RongeMailleBlog).

Avec, pour commencer doucement, le très très bon THE COLOR WHEEL que j'avais vu à sa sortie en salles, en 2011, et que j'avais un peu occulté. L'histoire de JR et Colin, frangine et frangin dysfonctionnels et pourtant fusionnels à l'extrème qui se retrouvent comme si c'était hier pour un mini road-trip: aller récupérer les affaires de JR chez son prof de sciences de l'information avec qui elle avait une petite histoire. JR est interprétée par la formidable Carlen Altman, qui promène sur chaque chose et sur tout le monde un regard noir affûté en n'arrêtant jamais de balancer de ces saillies verbales ciselées qui font mal. Lui, Colin (Alex Ross Perry lui-même), est une espèce de grande saucisse molle à voix de fausset qui n'a pas l'air d'aller bien dans ses grôles, et n'arrive plus à convaincre sa petite amie du moment à lui faire des câlins. 

Un truc cloche, mais quelque chose se connecte parfaitement entre ces deux-là, qui semblent se jouer le sketch permanent du qui-sera-le-plus-vache. Lors d'une scène hilarante à l'accueil d'un motel où ils veulent s'arrêter pour dormir, JR et Colin arrivent à convaincre le réceptionniste, illuminé catho de première catégorie, de leur donner les clés d'une chambre à lit double (la moins chère) en lui prouvant qu'ils sont bien mari et femme: ils se roulent une pelle devant lui. Le lendemain, Colin ira jusqu'à lui dire qu'ils ont sans doute conçu leur premier enfant dans ses draps.


JR n'est pas si méchante que ça: elle est en réalité aussi paumée que son frangin, ce qu'une soirée arrosée avec de vieux "amis" de lycée nous apprendra: elle est aussi empotée et mal à l'aise que lui, craintive face au jugement des autres, définitivement larguée, inadaptée, et finit toujours par se réfugier dans un baratin qui frise la mythomanie.

Alex Ross Perry qui signera plus tard QUEEN OF EARTH et HER SMELL avec Elisabeth Moss, autres beaux exemples de portraits de femmes borderline, semble avoir un certain oeil et une réelle appétence pour ces phénomènes singuliers, aussi séduisantes que toujours décalées face aux situations les plus banales. Le personnage qu'il incarne n'est pas mal non plus, et quand on aura enfin compris pourquoi ces deux-là s'accordent si mal avec le monde qui les entoure, mais si bien ensemble malgré leurs chamailleries très bien orchestrées, on aura compris pourquoi ce film vaut plus que sa réputation de petit film indé et intello new-yorkais. Derrière le piquant des situations et des dialogues, dans la veine des premiers films chamailleurs et romantiques de Woody en noir et blanc, se cache une incroyable histoire d'amour triste, et folle, et magnifique, qui nous rappelle que les incestes les plus difficiles à vivre, et à défaire, sont ceux qui relèvent d'une passion réciproque.

Voilà qui, quand même, n'est pas banal.

Je vous avais un peu menti: en terme de folie, il n'y a pas que JR qui soit folle: son frère l'est tout autant. Pas pareil avec ce qui va suivre, par contre, avec le génial ODETE de ce grand fou de Joao Pedro Rodrigues. Son deuxième long-métrage, après cette folie de O FANTASMA qui nous contait la folle épopée érotique d'un zazou en latex dans les décharges de Lisbonne.

Là, cela vaut la peine que je prenne le temps de vous raconter l'histoire: la jeune et belle Odete rêve d'avoir un enfant. Elle jette son mec qui ne veut pas en entendre parler, renifle les barboteuses au rayon puériculture du supermarché où elle travaille, demande à toucher le ventre des femmes enceintes. Dans son immeuble, une famille est frappée par le deuil: un jeune homme s'est tué en voiture. Elle se rend au service funéraire, pique la bague du défunt et la fait refaire à son doigt, se présente à sa mère comme sa petite amie (alors qu'il était gay, ce garçon, et ce n'était un mystère pour personne), fait croire à tout le monde qu'elle est enceinte de lui, fait une scène au cimetière, s'achète une poussette et va dormir sur sa tombe, finit par exaspérer (on le saurait à moins), le petit ami ami du défunt qui, lui, vraiment, ne s'en remet pas, et ce qui s'ensuit est aussi grand et beau que du Almodovar provocateur de ses tous premiers films, et aussi puissamment mélodramatique que du Almodovar de maintenant. 

C'est peu dire que j'adore Rodrigues lorsqu'il parvient à jauger aussi bien la provocation pure et simple avec le grand romanesque qui n'a pas peur d'aller trop loin. Comme dans MOURIR COMME UN HOMME, son autre grand film, et comme chez Almodovar évidemment, il est sans doute un des seuls cinéastes à ne pas avoir peur de filmer les passions amoureuses les plus démesurées, les plus démentes avec une compassion presque jalouse. Ne rêverait-on pas de vivre une passion pareille, de souffrir pour une aussi belle raison, d'aller aussi loin dans l'expression de ses sentiments, et de n'en avoir rien à foutre du regard des autres ? Gonflé, drôle et gênant, Odete est une merveille de film empoisonné: tout juste voit-on poindre le Rodrigues chiant de ses derniers films lors de l'ultime plan, et encore: l'image est tellement symbolique et ridicule qu'elle colle bien à l'ensemble. Et Ana Cristina Oliveira, dans le rôle de sa vie, prête de manière grandiose son physique de mannequin à un personnage qu'on n'oubliera pas de si tôt.

Encore plus tarée qu'Odete (mais là c'est facile, je vais vous parler d'une obscure série B de 1965), il y a cette femme qui, à chaque pleine lune, baguenaude à poil dans le bayou, un masque de carnaval sur le visage et un long couteau à la main. Sa gestuelle est bizarre, son langage corporel encore plus, on dirait qu'elle danse avec le vent, qu'elle invente le moonwalk avant l'heure, et ça fait peur. Quand elle apparaît, sans crier gare, on sursaute car Bert Williams, l'auteur-cinéaste-acteur principal de cette chose, semble avoir tourné ce film de fou uniquement pour ses apparitions. Incroyables, ces scènes le sont par le soin apporté au montage, inspiré en ligne droite des surréalistes, et d'un travail sur le son à vous faire dresser les cheveux sur la tête.

Pas étonnant que THE NEST OF THE CUCKOO BIRDS se retrouve sur la chaîne NWR: il n'y avait que Refn pour oser reconnaître avoir vu et aimé ce film, au point d'en restaurer les bobines. Si ce Bert Williams est capable d'inspirations sidérantes lors de ces scènes-là, le reste est absolument calamiteux, et rajoute au charme d'un film qui peut s'arroger le droit de prétendre au culte que certains cinglés lui vouent.

Il faut s'émerveiller, d'abord, sur ces dix premières minutes qui n'ont rien à voir avec le reste (d'abord un prélude avec notre héros qui nous parle de sa femme en voix-off, et qu'on s'imagine avoir été tourné pour le simple plaisir de filmer une beauté en déshabillé lascif sur les draps), et une séquence de chasse à l'homme dans les marais dont on se demande, une fois le film achevé, ce que cela avait à foutre là-dedans.

Merveille du vrai cinéma-bis, c'est comme si un chef-monteur saoul avait collé les premières minutes d'un autre film par mégarde, qu'un producteur saoul aurait validé sans y trouver à redire avant de se retrouver dans les drive-ins où se pelotaient des adolescents saouls. C'est quand même bon tout ça. Jeunesse et absence de complexe: le grand art, c'est souvent ne rien vouloir faire comme les autres ou, parfois, ne rien pouvoir faire comme les autres.

Un régal !



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