mercredi 19 août 2020

Humour blanc, coeur noir.

 


Alors le voilà, le film qui fait marrer en ce moment. Un film sur les Noir(e)s réalisé par un Noir, et qui voudrait faire sa fête aux préjugés du Français de base sur les Noir(e)s aussi bien qu'aux préjugés des Noir(e)s sur eux-mêmes. Entendons-nous bien là-dessus: j'ai beaucoup ri pendant le film, comme beaucoup de monde dans la salle d'ailleurs, plutôt bien garnie pour un après-midi covid. Mais je me suis quand même dit: voilà un film que je me serais bien regardé devant ma télé ou qui, mieux, aurait pu se faire découper en sketchs pour un rendez-vous quotidien ou hebdo. En gros, c'est pas du cinéma, mais de la télé.

TOUT SIMPLEMENT NOIR nous ramène à cet "esprit Canal" qui n'a peut-être jamais vraiment existé d'ailleurs, mais dont les thuriféraires datent au Carbone 14 la mort probable le jour où Alain De Greef s'en est allé. Possible, mais le style, ou plutôt le ton de ces années-là, sensées avoir été très marquées à gauche,  tendance Jack Lang canal historique, a ouvert la voie à une sorte d'"esprit Canal"-bis plus trouble dans ses intentions, jusqu'aux pitoyables pitreries du Canal actuel (hors Groland), voire les atrocités d'un Hanouna par exemple.

Il faut peut-être le dire clair et net aujourd'hui: cet "esprit"-là ne passe plus: trop bobo finalement (alors que le terme n'était  même pas employé alors), parigot au possible et surtout trop dans l'"entre-soi". C'est ce qui étonne, vraiment, dans le film de Jean-Pascal Zadi et John Wax: l'impression d'un happening entre potes où les réalisateurs-scénaristes se sont amusé à éplucher leur carnet d'adresse, de Mathieu Kassovitz à Joey Starr en passant par Eric et Ramzy, Soprano ou Fabrice Eboué, posés là pour des saynètes plus ou moins drôles, et des dialogues plus ou moins fendards. C'est ce qui étonne, et c'est ce qui sonne faux, au final, dans un film qui se voudrait porte-étendard d'une reconnaissance des personnes Noires, qui en ont sûrement bien besoin comme d'autres "communautés".

Plutôt bien vu, par contre, l'idée de faire endosser le rôle du révélateur par un personnage plutôt sympathique mais vraisemblablement peu intelligent (Jean-Pascal Zadi lui-même), qui rêve d'organiser une "marche des hommes noirs" sur le modèle des premières manifestations des Black Panthers, et se heurte d'emblée à l'incompréhension, voire à l'hostilité de celles et ceux qui étaient susceptibles de lui apporter leur soutien: et pourquoi pas les femmes noires, aussi, et les reubeu, et les feujs, et les métis, et les antillais et les enfants d'immigrés africains, est-ce-que c'est vraiment pareil, et pourquoi cette date plutôt qu'une autre... Jean-Pascal fait face à l'insupportable communautarisme qui ne veut pas s'admettre (le sien en premier lieu) et se heurte au pinaillage sans fin du racisme le plus ordinaire comme au politiquement correct le plus insupportable.

Le film touche par deux fois un point de rupture passionnant avec la folie particulière de deux personnages: Eric Judor qui ne veut pas admettre qu'il a du sang noir, puis enchaîne sur un "coming-out" brutal avant d' enfiler direct le boubou de rigueur. Ou cette journaliste qui finit par le taper pour de vrai parce qu'elle veut que Jean-Pascal la considère comme une journaliste, et pas comme une Noire. La stupidité de Jean-Pascal fait flirter la satyre, par moments, avec le conte où il serait une sorte de Candide idiot en quête de reconnaissance dans les soirées hype du show-biz parisien.


C'est bête à dire, et aussi assez difficile à constater, mais le moment le plus juste, et le plus dur du film reste ce moment où J.P. monte dans le bolide d'Omar Sy (dont on n'arrête pas de parler, tout au long du film, comme s'il était le colonel Kurtz dans APOCALYPSE NOW) et qui finit de coller le moral à zéro à notre héros en lui apprenant qu'il s'investit énormément dans des structures qui travaillent à l'indépendance économique du continent africain (et d'une), qu'il est juste descendu à Paris "pour acheter un cadeau à sa femme" (et de deux), et qu'enfin il doit filer à Los Angeles à la fin du week-end pour aller tourner les premières scènes du prochain James Cameron (extra-balle). 

Que la plus grande star noire du cinéma français ait dix trains d'avance sur J.P. sur sa réflexion sur l'identité noire, qu'il ait les moyens de s'offrir un week-end impromptu et sur le pouce à Paris pour faire une course, et qu'il en soit à un tel niveau de vedettariat à Hollywood (J.P. est comédien lui aussi, qui court le casting sans beaucoup de réussite), tout cela finit par jeter notre héros au fond de la déprime. Complexe d'infériorité, jalousie, envie d'en être et prise de conscience soudaine que, sans doute, on a tout raté et n'obtiendra jamais tout ça: cette quête de reconnaissance par le biais du politique n'était rien d'autre, au fond, qu'une envie enfantine de devenir une star. 

Convoitise, envie, arrivisme et soif de réussir. Le problème n'était peut-être pas d'être Noir, finalement, mais de n'y être pas "arrivé".

TOUT SIMPLEMENT NOIR a le mérite de son honnêteté, mais il y a quelque chose de déplaisant dans ce cynisme non seulement de façade, mais de fond. Comme J.P. saute de joie à l'annonce de ses "200 000 vues" sur Insta, il peut maintenant se frotter les mains: son film a l'air de faire un carton. Comme cet article qui, vous l'aurez peut-être noté, prend beaucoup de précautions en abusant de "guillemets", on lui souhaite, pour son prochain film, d'y aller un peu plus franco et de tout envoyer, quitte à s'offrir de beaux dérapages (sur RongeMailleBlog, les dérapages, on adore). Quitte, aussi, à se prendre la marée néo-réac en pleine tête, ce que TOUT SIMPLEMENT NOIR a à peine réveillée. C'est un signe qui ne trompe pas...


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