mercredi 12 août 2020

Un beau tatouage raté.

Des nouvelles de Judd Apatow ! C'est toujours bon à prendre... le petit roi des comédies régressives de nos années 2000, déjà lointaines, nous revient tel qu'en lui-même, quelques cheveux blancs en sus, comme attendu, mais pareil, tel qu'on l'a aimé et l'aimera toujours, attaché à nous brosser le portrait de ces enfants éternels qui ont peur de grandir et n'arrivent pas à lâcher le manche de leur joystick, et leurs joints: le mâle américain moderne, perdu à jamais entre ses rêves adolescents et le contenu de son slip.

Pour THE KING OF STATEN ISLAND, Apatow n'a eu qu'à se baisser: c'est Pete Davidson qui lui a apporté sa propre existence sur un plateau. Davidson est déjà, à la base, une caricature de personnage à la Judd Apatow: aussi on le découvre squattant le sous-sol de la maison familial en compagnie de ses potes, aussi défoncés que le grand canapé dans lequel il passe ses journées. A 24 ans, ce grand dadais au sourire de Bugs Bunny, avec des cernes sous les yeux aussi profondes que le Grand Canyon et des tatouages idiots sur tout le corps, a lâché prise sur à peu près tout.

C'est que le pov' Pete (Scott dans le film, qui est d'ailleurs le prénom de son propre père, restez assis mon cher Freud, on n'a pas besoin de vous) a perdu son papa, qui était pompier, alors qu'il avait 7 ans. Et à 24 ans, tout part en c... dans la vie de Scott: sa petite soeur, de 5 ans sa benjamine, abandonne la maison pour filer en fac, et sa mère, qui a dûment supporté son veuvage seule durant plus de 15 ans, se met à la colle avec un... pompier un peu fier-à-bras mais gentil comme tout. Sa chère maman qui l'invite à prendre son temps, rien ne presse vraiment, mais ça serait bien s'il se trouvait un petit appartement assez rapidement.

On en est là de l'éducation de nos gosses, et il faut bien avouer qu'on s'est senti prêt, à deux ou trois moments, à traverser l'écran et à en coller une bonne à ce type attachant, pas con pour un sou, mais qui a une manière tout à fait particulière de chialer sur son propre sort. Par empathie naturelle, sans doute, pour son sympathique personnage, Apatow lui offre toute son attention. On l'avait un peu oublié, mais l'auteur de FUNNY PEOPLE et de 40 ANS, TOUJOURS PUCEAU n'est pas que cette machine à gags régressifs et à dialogues tordants, c'est aussi et surtout un cinéaste qui aime prendre son temps: son film fait plus de 2h15 (qui filent toutes seules) et c'est peu dire qu'au terme de cette immersion dans le quotidien de ce pauvre garçon, on s'en sera fait un ami, mais qu'on aura surtout tout compris du bonhomme.

Au risque, parfois, de sombrer dans une certaine mièvrerie (les épisodes dans la caserne où Scott, viré de chez lui, trouve refuge), Apatow n'a pas peur de l'émotion et du mélodrame tout simple, même quand, comme ici, il se situe dans un périmètre tout riquiqui. Son territoire d'inspiration se trouve vraiment là: dans les petites vies de ces pauvres types attachants mais paumés, à qui vous auriez honte de présenter votre petite soeur (ou votre maman).


Plus que jamais, Apatow se révèle comme un dialoguiste de talent, à la qualité d'écriture assez sensationnelle (ce n'est pas un hasard si toutes ces comédies n'ont pas pris une ride). Et ce qui crevait déjà les yeux dans ces premiers films prend ici tout son sens: heureusement qu'elles sont là, toutes ces nanas. Mais que deviendrait ce charmant imbécile sans cette mère-là, sans sa bonne copine qui l'aime et dont il est amoureux sans le comprendre (le joint, sans doute). Histoire de vérifier, encore une fois, que Marisa Tomei est une actrice géniale et que Bel Powley (la petite amie) risque de devenir une actrice incontournable dans les années à venir.

Dans THE KING OF STATEN ISLAND, on aura rarement autant vu de séances de tatouages aussi ratés, et môches. Dans une scène drolatique, Scott convainc un gamin de 9 ans de se faire tatouer comme ça, au débotté (il a toujours son matos sous le bras), avant que le gosse ne s'enfuit: ça fait un peu trop mal. Scott tatoue ses copains, dont l'un finit par avouer qu'il en a marre de lui servir de "cahier de brouillon". Son futur beau-père, lui, acceptera plus tard de se faire tatouer "n'importe quoi", mais dans le dos, parce qu'il ne voit jamais son dos. Scott n'est pas un grand tatoueur.

Est-ce que ça, ce n'est pas de l'amour ? Ce qu'on sait depuis longtemps de Judd Apatow se confirme ici encore: derrière le joyeux drille se cache un coeur de guimauve. Il reste un cinéaste singulier, au style bien particulier, et aux préoccupations attendrissantes: on lui gardera encore un bon moment toute notre affection.


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