mercredi 5 août 2020

De l'arrivisme.


Connu de ma pomme ni d'Eve, ni d'Adam, Mong-Hong Chung réalisa ce PARKING en 2008, drôle de AFTER HOURS à la mode de Taipei qui nous propose quelques heures d'une folle soirée vécue par Chen Mo, brave garçon qui a eu le malheur de se garer dans un quartier où il va finir bloqué par une bagnole en double file. Pas de chance pour lui non plus, le rez-de-chaussée est occupé par un coiffeur ancien mafieux qui a de mauvaises fréquentations, et le 4ème étage par un sinistre maquereau et sa triste bande qui vont lui faire passer de sales moments.

Le film se regarde plutôt bien, on pense par moments aux films noirs un peu brutaux teintés d'absurde de Johnnie To, mais on n'en retiendra pas grand chose. Dans cet exercice de style qui se voudrait virtuose, et qui joue avec les flash-backs tout en distillant quelques notes de mélodrame très exagéré (une histoire pas possible de mamy aveugle qui voudrait refourguer sa petite-fille à cet inconnu, qu'elle trouve bien sympathique, alors que lui-même et sa tendre épouse sont en mal d'enfant), on ne sait jamais trop s'il faut juger les événements à la légère ou comme un polar à la dure. 

Pas de montée en adrénaline, ni en tension dans PARKING, mais une alternance de scènes triviales, romantiques ou violentes, sans que le personnage ne se demande s'il faudrait au juste prendre ses jambes à son cou, ou continuer à s'échiner à ramener une pâtisserie à la maison (car c'est pour ça qu'il s'était arrêté dans cette rue): autant il assiste à un tabassage en règle devant l'échoppe du barbier, autant il peut aussi accepter de jouer une partie de baby-foot avec lui, histoire de se détendre un peu. Dommage que le réalisateur ne se soit pas décidé un peu plus franchement entre légèreté et film noir, car on sent bien qu'il avait les moyens de donner du fil à retordre à nos nerfs.

Une petite curiosité, donc, pas désagréable du tout mais aussi marquante qu'un courant d'air.

Le cinéaste brésilien Alejandro Landes a des intentions beaucoup moins décontractées avec son MONOS, sorti en 2019, et qui nous raconte avec très peu de dialogues, mais une belle enfilade de scènes-choc, la survie en autarcie d'une bande d'ados militarisés qui semblent avoir pris le maquis, et mènent une guérilla sauvage dans la pampa et au coeur de la jungle. On ne saura jamais trop où on est: le paysage fait d'abord penser aux hautes plaines de la Cordillère des Andes, les scènes de combat dans la jungle aux conflits contre les FARC, mais l'intention originelle de Landes semble bien d'avoir été de nous faire une adaptation de SA MAJESTE DES MOUCHES en treillis militaire.

Abandonnés à eux-mêmes, et livrés à une sorte de hiérarchie sommaire très vite mise à mal par le suicide de leur leader (après une absurde affaire de vache laitière abattue par mégarde), ces Rambo Junior vont devoir se confronter aux vrais combats, prendre en charge une prisonnière (une anglo-saxonne), veiller sur elle, la poursuivre après son évasion, faire face à la désertion d'un des leurs, la guerre, quoi.

Dans ses intentions, le film est plutôt trouble. On ne sait pas pourquoi le cinéaste a choisi, par exemple, de faire incarner leur "supérieur", qui revient parfois pour mettre de l'ordre dans ce foutoir, par un nain bodybuildé; on n'ose croire qu'une vilaine métaphore politique se cache juste derrière, à l'instar de l'otage américaine. Tout comme les personnages de ces ados finalement très bien dressés endossent tous sans rechigner des figures caricaturales: le chien fou, le petit chef, le bon soldat, le lâche trop sensible, jamais une sale impression de provocation gratuite ne vous lâche, au détriment du sens de tout ça.

Quand enfin le film sort de sa zone combat et ramène un des protagonistes à la maison, on ne saura pas si c'est un bien ou un mal pour lui (a priori, c'est pas mieux), mais on aura vu, et lu, des contes cruels sur la sauvagerie des enfants, et de leurs dressages en guerriers, autrement plus clairs que celui-là.

Et puis, une chose est sûre, voilà un cinéaste sûr de sa force et de sa capacité à procurer du trouble, qu'on suspecte à bien des égards de vouloir nous en mettre plein la vue, tout en nous posant des problèmes un peu venteux.


Tard le soir, c'est série B, série Z... ou ciné-club ! Retourner jeter un oeil à la grande oeuvre pompière de Kubrick, BARRY LYNDON, vous fait toujours un effet différent. D'abord, on a été surpris par le rythme très découpé du film, un vrai travail de Mr Propre, et du peu de folie dont fait preuve le cinéaste quand tout à coup l'action s'agite un peu: déjà familier de la steadycam à l'époque, l'usage qu'il en fait soudain sans crier gare, comme lorsque Barry se met à tabasser furieusement son beau-fils en plein milieu d'un concert de salon, nous rappellera que les tours de force sont tous, sans exception, faits pour être rattrapés, puis dépassés, par le progrès en marche.

De la même manière, et pour en finir avec ça, on l'a une nouvelle fois vérifié: cette histoire de d'objectifs fabriqués exprès pour filmer les scènes à la seule lueur des chandelles, c'est quand même un truc pour faire l'intéressant.

Ce que j'avais oublié, c'est à quel point Kubrick était fidèle à l'esprit de Thackeray (une suite de portraits de ridicules peints à la louche, une narration "picaresque" à la Henry Fielding, une belle illustration morale des risques de l'arrivisme patenté, et de la chute fatale qui s'en suit) mais surtout combien le film (et le roman) nous montrait combien cette haute aristocratie anglaise, la plus arrogante, la plus cruelle et la plus injuste du Monde, possédait ce chic, cet incroyable savoir-faire pour recracher comme des glaviots les corps qui lui étaient étrangers (rappelons que ce bon Redmond Barry était, à la base, un sale bouseux d'Irlandais arriéré, indeed). Et le possède toujours, ce chic-là,  parions là-dessus !

A ce titre, si Barry est en effet un personnage haïssable par bien des côtés (seul son arrivisme, qui lui sera fatal, lui fait commettre des choses terribles), on ne saura lui retirer le courage physique, sa capacité d'adaptation aux situations désespérées, et une perspicacité de vieux renard. La vraie pourriture du film, c'est ce bon-à-rien de lord Bullingdon, vrai fin-de-race, lui, et qui finira par ramasser la mise.

Bon sang (anglais) ne saurait mentir. Toute grande oeuvre morale se doit de se montrer immorale, dans ses conclusions. Pour finir: c'est bon (check !): finalement, on le garde sur l'étagère des classiques.

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