mardi 1 septembre 2020

Losers !

 



Mike Leigh, c'est le pendant "clown triste" du cinéma social à la Ken Loach, un qualificatif qui va bien à ce pur intello au regard désolé de Droopy. Si vous vous plaignez de n'avoir pas compris grand chose au dernier Nolan, ou de l'avoir trouvé tout boursouflé, sachez que vous auriez pu profiter de votre temps libre, bande de lemmings, pour aller voir un des tout premiers films du cinéaste anglais, HIGH HOPES, qu'on vient de ressortir en copie toute neuve. Pour peu que vous habitiez dans une ville dotée de vraies salles de cinéma, susceptibles de vous offrir ce genre de cadeau, ce qui n'est pas le cas partout.

HIGH HOPES date de 1988 est précède le plus déprimant LIFE IS SWEET, chronique familiale plombée dans les suburbs de Londres où s'affirmait une nouvelle fois l'acidité tout comme l'empathie profonde du cinéaste pour ses prolos, victimes en première ligne des politiques anti-sociales de cette vieille carne de Thatcher. Shirley et Cyril, l'adorable couple un peu bohème de HIGH HOPES possède d'ailleurs un beau cactus, placé entre coin cuisine et salon, qu'ils ont appelé Thatcher parce que "à chaque fois qu'on veut passer, il nous pique".

Presque tout autant que son camarade Loach - ils sont d'ailleurs de la même génération -, Leigh ne s'est jamais caché de ses idées très à gauche: Shirley et Cyril se rendent d'ailleurs sur la tombe de Marx, à Londres, pour lui rendre hommage et réfléchir au désastre présent. Si on peut trouver le style de Loach empesé par ses idéologies brandies comme des étendards, le cinéma de Mike Leigh n'est pas exempt, lui non plus, d'une certaine surcharge mais qu'on trouve ailleurs: il y a toujours dans ses films un élément de ridicule dévastateur, aux limites de l'irréalisme mais complètement volontaire, qui instille des moments de gêne surprenants: c'est le personnage du fils obèse qui insulte sa mère dans ALL OR NOTHING, le dandy violeur de NAKED (pas drôle, lui), ou des traits de caractères, des tics, qui sont à la limite de faire verser les personnages dans le ridicule: c'est la voix énervante de Brenda Blethyn dans SECRETS ET MENSONGES qui n'arrête pas de grimper dans les aigus, la logorrhée verbale délirante de David Thewlis dans NAKED, la respiration chargée de glaires du peintre dans MR TURNER, le smiley-face permanent, et déroutant de Sally Hawkins dans BE HAPPY. Quelque chose déraille en permanence chez les personnages de Leigh, et cela encombre leur vie.

Les figures ridicules de HIGH HOPES sont ici prises en charge, de manière très tranchée, par les représentants de la classe dirigeante: les aristos d'abord; c'est l'affreux couple de voisins de la mère de Cyril, qui vit au premier étage d'une vieille maison chauffée avec un poële à bois dans le salon, lui riche négociant en vins, elle qui court les country-clubs et les garden-parties huppées entre deux séances à l'opéra, à 120 livres la place. Les parvenus ensuite; ce sont aussi et surtout, l'horrible couple formé par la soeur de Cyril, Valerie, une hystérique dépressive absolument insupportable et son blaireau de mari, homme d'affaires sans scrupules, toujours bourré et aussi vulgaire que leur intérieur nouveau-riche: le genre de mec à inviter sa belle-soeur dans le jardin de derrière pour lui montrer une "belle plante" (elle est horticultrice), ou à balancer du Moet-et-Chandon dans son fond de gin et sa rondelle de citron.



Mike Leigh y va fort, et n'a pas peur de stigmatiser, en force, la vulgarité ostentatoire de ses compatriotes. Il n'a pas peur de verser dans la caricature: ses personnages le sont déjà, d'une manière qui leur vient de manière très naturelle. Cyril et Sheryl, avec leurs habitudes de beatniks, leur amour sans calcul et leur humour surtout, qui les protègent de beaucoup de choses (Phil Davies et l'adorable Ruth Sheen, pièce maîtresse du sérail de grands acteurs qu'emploient Leigh régulièrement), avec leurs idéaux simples comme bonjour et leur tendresse, ces deux-là regardent avec angoisse, et peu d'envie, la déliquescence de ceux pour qui l'argent est tout: quand le beauf essuie un nouveau refus de Shirley (à aller au pub avec lui, que sa belle soeur décline par un fier majeur brandi), il trouve cette formule à peine croyable, mais qui trouve un écho désolant, aujourd'hui, trente ans plus tard: "Putain, vous les femmes, vous êtes toutes des losers".

L'Angleterre de Thatcher ressemble vraiment beaucoup à ce que nous vivons aujourd'hui, c'est troublant. Et très emmerdant. Pour notre part, et en ce qui me concerne, on préférera encore rester du côté des rouleurs de joint adeptes des câlins et des lectures crapuleuses au fond du canapé défoncé.

C'est à (re)-voir, vraiment, ne serait-ce que pour les comédiens (Leigh est un immense directeur d'acteurs) et pour se rappeler qu'il est sans doute le seul à réussir ce cocktail incertain de caricature, de pamphlet politique, de chronique sociale et d'humour anglais. Ce qui n'est tout de même pas rien.

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