dimanche 24 mai 2020

Repartir de zéro.


Vu un Godard de 1967, coincé entre MADE IN USA et LA CHINOISE, c'est à dire son avant-avant-dernier film d'avant ses tracts politiques filmés. Comment les appelait-on, déjà ? Peu importe. 2 OU 3 CHOSES QUE JE SAIS D'ELLE marque l'affirmation d'une plongée dans le politique qui voit et met du politique dans tout ce qu'il filme. Contrairement à ce que l'affiche laissait croire (avec la présence de la belle Marina Vlady en vedette), "elle" ce n'est pas elle justement, mais la banlieue parisienne, ou la ville de Paris et les blessures que les politiques urbaines de l'époque lui infligeaient. Destruction d'un vieux Paris, poussée des barres d'immeubles encerclées de périphériques. Godard y voit du politique comme il en aperçoit dans le sort réservé au couple, aux femmes (il y est beaucoup question de prostitution pour arrondir les fins de mois, et ce dans un cadre conjugal des plus conventionnels).

Le prisme Godardien de l'époque, teigneux, irascible et terriblement mélancolique, met parfaitement en lumière les bouleversements de l'époque et la standardisation des désirs: travail - loyer - électricité - machine à laver - télévision couleur, ce sont tous ces besoins, toutes ces envies préfabriquées dans ce nouvel ère "américain" ("America über alles" revient souvent dans les dialogues comme une rengaine qui fait mal) qui font des épouses des prostituées occasionnelles, et des époux des maquereaux pontifiants.

Il y a à boire et à manger là-dedans, à prendre et à laisser (c'est du Godard), et il est sûr qu'à la seconde vision, même dans la foulée, d'autres passages me sauteraient aux yeux: monologues de quidam pris au vif dans les cafés, dans lesquels jaillissent soudain des torrents d'émotion et de tendresse, saynètes absurdes qui en disent long comme elles ne veulent peut-être rien dire (un zig pioche des livres au hasard, en dicte un bref passage à un autre zig, en prend un autre), mort subite du lecteur, mort subite du savoir..

Le film est volontairement noyé de références aux livres (des coins de couvertures d'essais politiques en insert), et tamisé par la voix-off de Godard qui chuchote ces commentaires au-dessus des images: on tend l'oreille à ce qu'il dit, prêt à crier sur celui qui fait du bruit derrière: c'est souvent très beau, bien souvent radical, c'est Godard.

MADE IN USA marquait en ce qui me concerne un point de rupture avec son cinéma: toutes ses scènes de dialogues derrière le bazar de la circulation automobile parisienne avaient fini par trucider ma patience, et mon extrème affection pour son cinéma. Ici, il refait parfois le coup (lors, notamment, d'une superbe scène de dialogue entre Juliet Berto et un homme qui teste sa "largesse d'esprit" sur le sexe et finit par trahir des vues étroites sur les femmes; derrière, quelqu'un fait un chambard pas possible en jouant au flipper).

C'est quand même bon de revoir un film de lui de temps en temps. On ne pourra qu'y constater une justesse de vue sur son époque qui fait encore mouche, un demi-siècle plus tard. Quand même, plus je vieillis, plus j'aime les femmes, et le cinéma, et les films de Jean-Luc Godard.

Vu à l'occasion d'un cycle informel autour du cinéma Indien NASEEM de Saeed Akhtar Mirza (1995), qui relate par le prisme d'une famille musulmane de Bombay un fait divers qui avait secoué l'Inde en 1992, la destruction d'une mosquée et les violences entre hindous et musulmans que cela avait déclenché. Naseem est une jeune fille radieuse qui ne jure que par son grand-père, vieil érudit pacifique en fin de vie, et partagée entre une famille aimante et un avenir radieux: Naseem est aussi une jeune fille brillante.

Toujours un peu de mal avec le cinéma Indien, engoncé dans des principes de mise-en-scène sans doute inféodé à ses maigres moyens. Quand ce n'est pas de lutte des classes ou de condition féminine qu'il s'agit, ce cinéma nous parle de politique et de guerre civile. Les tensions entre musulmans et hindous sont connues (et durent encore, ne semblant pas vouloir prendre fin) et l'intelligence du film de Akhtar Mirza est de nous relater ce fait historique qui a secoué l'Inde toute entière, par ses répercussions sur les affects d'une famille bourgeoise et installée.

Comme souvent dans le cinéma Indien, les hommes n'ont pas le beau rôle, et les femmes sont autant celles qui subissent le poids des injustices et de leur condition que celles par qui l'avenir pourra être amélioré. Le film vaut surtout par les torrents de tendresse et de compréhension entre Naseem et son grand-père, qui sait qu'il n'y a plus qu'elle sur qui compter pour reprendre le flambeau de la tolérance et de certaines valeurs attachées à son amour de la poésie et de l'humain.

Ainsi, ses joutes avec un jeune intellectuel arrogant tournent court; il ne saura pas lui expliquer que la réponse à la violence par le feu est une impasse meurtrière. Aussi le cercueil du vieil érudit finit par croiser la course folle d'étudiants musulmans fous de rage, prêts à en découdre.

La vraie catastrophe du jour, c'est ça:

Vu CHARLIE COUNTRYMAN d'un certain Fredrik Bond (2013), incroyable bordel scénaristique dont on se demande comment il a pu passer les grilles du comité de lecture. On se demande surtout comment pareil navet a pu séduire, sur le papier, Shia LeBoeuf, Mads Mikkelsen, Melissa Leo, Vincent d'Onofrio et Evan Rachel Wood. Sous couvert de thriller déluré (le jeune Charlie écoute sa maman, qui vient de passer de vie à trépas, lui conseiller d'aller à... Bucarest pour se consoler), pour se retrouver assis dans l'avion à côté d'un monsieur qui meurt durant le vol (juste après avoir clamsé, pareil: celui-ci lui dit qu'il a un truc à apporter à sa fille). Ladite fifille est violoncelliste dans l'Orchestre de Bucarest, son mec est un tueur violent et dangereux, il y a une K7 VHS compromettante à retrouver, la fille est peut-être tombée amoureuse de Charlie, Charlie sympathise avec deux freaks anglais dans une auberge de jeunesse où les drogues dures coulent à flot. C'est peut-être à cause de tous les médicaments que Charlie avale que sa perception du monde est comme ça (passer de TRAINSPOTTING à DONNIE DARKO en deux secondes, de PULP FICTION à MR BEAN en un fondu-enchaîné).

On est prêt à soupçonner les auteurs de cette pantalonnade d'avoir lorgné directement sur le statut de film-culte et, à ma connaissance, ça n'a pas pris. Le loufoque et l'absurde peuvent s'embarrasser de bien des choses mais il aurait fallu que quelque chose tienne le coup dans cette structure branlante pour soutenir le reste. Même Mikkelsen, pourtant impeccable en époux jaloux et très dangereux, semble lâcher la rampe lors des dernières scènes, final aussi libérateur que stupide.

Mais il faut savoir risquer le diable lorsqu'on tente des séries B, voire Z, tard le soir. Tenter le diable et se retrouver avec un guignol sur les genoux, voilà l'impression que ça fait, CHARLIE COUNTRYMAN.

Le mot de la fin par JLG, qui a le mot fin pour tout:

"Puisqu'on nous ramène à zéro, c'est de là qu'il faut repartir."

Merci Jean-Luc. A demain.


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