jeudi 21 mai 2020

Variez votre alimentation: bouffez un riche!

(sur un film de Gary Sherman de 1972, Le métro de la mort - Raw Meat)




Du réalisateur Gary Sherman, on pourra se souvenir qu'il fut le réalisateur d'un "film de zombie" assez remarqué et très original sorti en 1981, Réincarnations, qui a gardé le charme fou des productions "gore" de l'époque malgré ses effets spéciaux d'un autre âge. Plus tard, et avant de se perdre dans les productions TV et autres projets inaboutis, on notera que Gary aura réalisé un thriller avec un Rutger Hauer alors au fait de sa gloire, Mort ou vif en 1986, dans lequel un certain Gene Simmons (si, si, un des braillards grimés du groupe Kiss) incarnait vaille que vaille... un terroriste de là-bas, dis. Ah ! les années 80... J'en connais même certains pour s'assurer que son Poltergeist III (1988) est un chef-d'oeuvre méconnu du genre, assertion qu'on ne contredira pas ici, faute de l'avoir vu.

Neuf ans avant Réincarnations (il ne tourna rien entre deux), Sherman réalisa en Angleterre son premier film sur un script qui sera par la suite allègrement pompé par Christopher Smith en 2004 (l'horriblement efficace Creep) ou Ryhuei Kitamura (Midnight Meat Train en 2009), voire le splendide Mimic de Guillermo del Toro: dans le métro de Londres, des gens ne remontent jamais à la surface et disparaissent tous à la même station.

Malgré son scénario écrit à la louche et dont on aura vite fait de remonter l'intrigue, Le métro de la mort (rebaptisé ensuite pour un meilleur rendu: Raw meat) capte directement l'attention par son esthétique crado typiquement d'époque où les réalisateurs de séries B urbaines avaient tous assimilé à leur manière les principes des nouvelles vagues européennes et du Nouvel Hollywood alors en plein boom: filmer la rue telle quelle, rendre la saleté pareil. Lors d'une scène où les deux héros du film (une étudiante et son petit copain américain qui sont tombés sur un corps inanimé dans les couloirs du métro et ne l'ont jamais retrouvé), cherchent à se détendre, l'un propose d'aller voir French connection. Pas question, répond l'autre, il paraît que c'est trop violent.

Sherman-le-yankee s'amuse beaucoup de cette transposition du néo-trash américain dans les arcanes de la vieille Londres. A l'inspecteur qui lui demande pourquoi il a eu l'air si indifférent quand il a découvert le corps, l'étudiant américain rappelle qu'il est de New-York et que là-bas, les gens couchés par terre dans le métro, il y en a partout. Les piques trans-atlantiques sont assez nombreuses, plutôt bien vues, et vont ainsi dans les deux sens: la jeune fille bien élevée est bouleversée par le laxisme moral de son amant, qui joue le blasé et d'un autre côté, l'enquête ne démarre vraiment qu'à partir de l'instant où un Lord disparaît, en rappelant au passage quelques disparitions précédentes qui n'avaient ému personne. 

La réussite du film vaut beaucoup pour la précision de son montage et la rudesse sauvage de ses images (cadavres desséchés allongés comme dans une crypte, morceaux de viande éparpillés dans la paille, rats boulottant des bouts de bras, un cadavre égorgé au-dessus d'une femme enceinte mourante, tenu ferme par un homme qui lui déverse le sang dans la bouche), un gore qui n'y va pas par quatre chemins et qui trouve un contrepoint étonnant dans la tristesse absolue que l'on ressent à chaque apparition du "monstre" (ultime descendant d'ouvriers laissés là après un éboulement meurtrier, des décennies en arrière).

"The Man" de Raw meat possède ce point commun avec la créature de Frankenstein, avec Bub, le zombie domestiqué du troisième volet de la saga de Romero, certains vampires de la littérature consacrée et bien d'autres, qu'il horrifie autant par les atrocités qu'il commet que par le sort qui a été le sien, et l'a fait devenir ce qu'il est.


Le film bénéficie de l'apport plus que décisif du génial Donald Pleasence en commissaire cockney à la répartie cinglante et au sens de l'humour chafouin. L'acteur aspire tellement toutes les scènes à lui qu'on en oublierait presque, parfois, la gravité de la situation. Dans une apparition croquignolette, le grand Christopher Lee en personne étale de tous ses abattis le plus profond mépris de classe sur ces résidus de pouilleux qui prennent le métro au lieu de rouler en rolls avec chauffeur. Apparition assez drôle mais glaçante, qui jette autant son dédain sur la plèbe d'en bas que sur le flicaillon "issu des classes laborieuses" qui ose lui adresser la parole.

Et voici l'Angleterre, le berceau du capitalisme industriel, de l'hégémonie d'une poignée sur le sort de beaucoup. Il est heureux que "The Man", cette dégoûtante créature d'en bas, ait eu le temps de boulotter un aristo (qui divaguait dans le quartier des peep-shows et s'était pris un genou dans les coquillettes après une tentative de drague lourde un peu avant - c'était pas son soir). 

Dans un premier élan, on serait tenté de dire qu'on pleure un peu ces méchants films crasseux des années 70 et 80 qui n'avaient pas à filer la métaphore bien longtemps pour faire comprendre d'où provenait ce déchaînement de hargne. Et puis on se dit que cet esprit de révolte malpoli a trouvé son berceau aujourd'hui dans le cinéma "officiel": deux des plus grands films de l'an dernier, Bacarau et Parasite, nous ont rassuré là-dessus: on sait toujours pourquoi il faut que ça saigne.


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