jeudi 28 mai 2020

Paradoxe du Kinski.


Vu FIEVRE, court-métrage de 1921 signé Louis Delluc, adaptation d'une de ses propres nouvelles. Avec pour seul lieu un bar, son patron ronchon, sa femme insatisfaite, ses habitués, joueurs de carte et poivrots. Surgissent des marins en goguette, autant attendus par les femmes de petite vertu du coin que par le tenancier, une virée toujours bonne pour les affaires. C'est un peu du Mac Orlan, avec son romantisme désuet et, plus étonnant, un climat chargé d'invite sexuelle aux quatre coins des regards, coups d'oeil salaces, considérations jalouses, romantisme de chanson de marins.

Dans chaque port, ses filles délaissées, et la pointe de mélo sur lequel insiste cette petite histoire (la patronne voit débarquer son ancien amour, parti de l'autre côté du globe, avec sa jeune épouse, mariée en Chine). Certains clichés sont assumés sans complexe: la jeune chinoise, soumise, promenée comme un caniche, reste aux pieds de son mari pendant qu'il boit avec des coups, et au premier tour de danse, le vin aidant, tout ce petit monde finit par se mettre sur la figure, jeunes filles compris.

Le film est plutôt drôle, surtout pour ces "vices" d'époque qu'on pardonne plus à un film des années 20 qu'on ne les accepterait aujourd'hui, ça c'est sûr.

Il ne faut pas avoir peur des grands écarts, il ne faut avoir peur de rien, alors après ce petit tour effectué au musée (gentiment partagé sur le site de la Cinémathèque Française), rendez-vous au rayon pop-corn-boucherie-crème chantilly avec ce film-culte (c'en est vraiment un, lui), TOXIC AVENGER, cette merveilleuse blague réalisée en 1984 par Lloyd Kaufman et Michael Herz. L'affiche prétendait sans blague qu'il s'agissait là du premier film de Super-Héros du New Jersey, et c'est vrai.

Vous connaissez sans doute le truc: un freluquet un peu neuneu humilié par des djeunes fous de leurs bodies et qui se balance "par mégarde" dans un fût de déchêts radioactifs. Le Joker n'a qu'à bien se tenir, Toxic est moche, balèze, et va faire régner la justice dans sa petite ville corrompue. 

C'est fou comme le film se permet tout un tas de choses (le flic en chef s'appelle Himmel et possède un fort accent allemand), le ridicule est là, toujours là, une certaine obscénité aussi, du trash du meilleur goût (crânes écrabouillés, explosés), des scènes de combat à coups de serpillière, on rigole, on s'amuse. C'était déjà con et môche en 1984, et ça n'a pas pris une ride !

On n'ira pas voir les suites, par contre.

Vu enfin COBRA VERDE, le film ultime de l'infernal tandem Kinski-Herzog que le réalisateur de AGUIRRE réalisa en 1987. On a été surpris car le film traîne une si mauvaise réputation (le film de trop, a-t-on pu entendre ici et là) qu'on ne s'attendait pas à ce spectacle que j'ai trouvé, pour ma part, bien supérieur, - et moins long - que FITZCARRALDO. Inspiré d'un roman de Bruce Chatwin, il relate le destin pas commun (mais qu'est-ce qui l'est, dans le cinéma de Werner Herzog ?) de Francisco Manoel Da Silva, ancien bandit qui semait la terreur dans le Sertao avant de devenir marchand d'esclaves.

Envoyé dans le Golfe du Bénin pour, pensent les notables brésiliens qui l'ont envoyé là-bas, ne pas en revenir, et accessoirement rétablir un semblant de paix et des contrats commerciaux avec le Roi du Dahomey, réputé complètement fou.

On ne sait pas qui est le plus fou dans cette histoire d'ailleurs (enfin si: c'est Herzog), mais l'Afrique va bien au cinéma extrème du réalisateur allemand qui se repaît de spectaculaires scènes de foule, le tout dans un boucan orchestré par les rythmes africains. C'est encore une fois un peu AU COEUR DES TENEBRES, un peu LES MINES DU ROI SALOMON, mais c'est surtout à L'HOMME QUI VOULUT ETRE ROI qu'on pense.

On insiste, mais la durée ici importe: Herzog a eu raison de ne pas s'attarder sur certains passages, comme le passé violent de Cobra Verde dans son Brésil natal, et utilise l'ellipse quand il le faut. Plus vertigineux encore, la folie de Da Silva, sa soif de toute-puissance ne parvient à s'exprimer que dans des amorces de bataille (qui n'aura pas lieu, après des semaines d'entraînement acharné) et dans des manoeuvres politiques qui s'avèrent toutes, a posteriori, de miteux pétards mouillés, tant les choses sont décidées par ces princes africains aux caprices insondables. Plus terrible encore (pour un personnage incarné par ce diable de Kinski), sa folie et son ambition d'ogre ne sont pas grand chose face à celle des grands aristocrates qui l'ont envoyé là-bas.

Comme toujours chez Herzog, on y croise certaines séquences absolument superbes, des passages absolument étonnants où son expérience de réalisateur de documentaires apporte une pierre de touche à l'ensemble.

Reste le plan final, devenu légendaire puisque c'était la dernière fois que Herzog filmait son interprète-fêtiche, et qu'on peut interpréter comme ça: Kinski voulant s'échapper du cinéma de Herzog à l'aide d'une embarcation trop lourde, et qui en meurt d'épuisement. Et ce gosse difforme qui le regarde... bon sang mais quel cinéma ! quel comédien !

"Rien, à vous entendre, ne ressemblerait tant à un comédien sur la scène ou dans ses études, que les enfants qui, la nuit, contrefont les revenants sur les cimetières, élevant au-dessus de leurs têtes un grand drap blanc au bout d'une perche, et faisant sortir de dessous ce catafalque une voix lugubre qui effraie les passants."

(Diderot, Paradoxe sur le comédien).

Kinski, cet acteur qui n'avait pas besoin d'artifice.






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